Israël en guerre - Jour 344

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Le militant pacifiste gazaoui Ahmed Fouad Allkhatib (Autorisation)
Le militant pacifiste gazaoui Ahmed Fouad Allkhatib (Autorisation)
Interview« Combien de guerres faudra-t-il encore pour tenter autre chose ? »

Un militant pacifiste gazaoui invite les Palestiniens à être plus pragmatiques

Ahmed Fouad Alkhatib plaide depuis longtemps pour que les Palestiniens délaissent la posture de lutte armée

Lorsqu’il s’agit de s’en prendre au Hamas, le militant pacifiste gazaoui Ahmed Fouad Alkhatib ne mâche ni ses mots – ni ses jurons.

« Ce sont de véritables criminels. Aujourd’hui, ils capitalisent sur la résolution du Conseil de sécurité », dit-il, évoquant la résolution adoptée par les Nations unies la semaine dernière pour exiger un cessez-le-feu immédiat. « Au lieu de se mobiliser pour empêcher une opération israélienne à Rafah, ce Haniyeh est allé à Téhéran prendre ses
instructions », ajoute-t-il.

« Le voilà maintenant qui dit aux Iraniens que le 7 octobre et la guerre ont procuré des avantages incroyables aux Palestiniens. Je suis furieux », lâche-t-il.

Alkhatib, qui est âgé de 33 ans, est analyste et administrateur d’une ONG : il vit dans la baie de Californie et est depuis peu chercheur principal non résident à l’Atlantic Council Middle East Initiatives. C’est un militant pacifiste qui a son franc-parler et le cœur sur la main.

Installé aux États-Unis depuis 19 ans, il ne cache pas sa profonde inquiétude vis-à-vis de la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza qui l’a vu naître et où vivent encore une grande partie de ses proches, comme pour l’avenir du peuple palestinien à défaut d’une vision pragmatique de la coexistence avec Israël.

Il s’est récemment entretenu avec le Times of Israël au sujet de ce qu’il considère comme l’un des obstacles majeurs à la paix, côté palestinien, à savoir les chimères que les dirigeants palestiniens servent au peuple depuis des dizaines d’années maintenant.

Depuis le 7 octobre, Alkhatib s’est lancé dans une campagne sur les réseaux sociaux pour discréditer le Hamas, appeler l’attention sur le sort de la majorité des Gazaouis étrangers à toute forme de terrorisme et plaider en faveur d’une reconnaissance mutuelle entre Palestiniens et Israéliens dans l’espoir d’une coexistence pacifique sur la même terre. Il a notamment publié des éditoriaux dans Haaretz, le Wall Street Journal ou encore The Forward et exposé sa vision de la paix dans son blog hébergé par le Times of Israël.

Le militant pacifiste gazaoui Ahmed Fouad Allkhatib et sa mère qui ont récemment réussi à quitter Gaza, Dubaï, le 26 mars 2024 (Autorisation)

« Il y a bien une raison pour laquelle les Palestiniens n’ont pas d’État, 75 ans après la création d’Israël », affirme-t-il. « Cela tient à ses dirigeants calamiteux et cela remonte au panarabisme de l’époque de Nasser, sous différentes appellations idéologiques – l’OLP laïque, le FPLP [Front populaire de libération de la Palestine] marxiste, ou le Hamas islamiste – qui toutes vendent des versions d’un même récit, à savoir nous allons libérer toute la Palestine, nous sommes des victimes ad vitam aeternam. Nous n’avons aucune responsabilité de quelque ordre que ce soit. »

Naturalisé américain depuis 2014, Alkhatib s’est érigé comme la figure de proue d’un mouvement nationaliste renouvelé pour son pays natal, débarrassé des slogans poussifs et belliqueux appelant à la libération de
« la Palestine du fleuve à la mer », et favorable à la coexistence avec l’État juif.

La parole ouverte qu’il porte, et qui lui a jusqu’à présent valu plus de
33 000 abonnés sur X, est d’autant plus surprenante qu’Alkhatib a perdu 30 de ses proches dans des frappes aériennes israéliennes dès les premiers jours de la guerre. Ils avaient fui Gaza City et avaient trouvé refuge dans une maison de Rafah, dans un périmètre qualifié de sûr par Tsahal, et qui, selon Alkhatib, a été la cible d’un bombardement israélien sans motif apparent.

Le frère d’Alkhatib, Mohammad, se trouve toujours à Gaza avec sa femme et ses quatre enfants.

Alkhatib lui-même a temporairement quitté sa maison de la région de la baie de San Francisco, où il vit depuis 2005, depuis son arrivée aux États-Unis dans le cadre d’un programme d’échange, pour rejoindre les Émirats arabes unis avec sa mère, qui est parvenue il y a peu à quitter la bande de Gaza.

Ce natif de Gaza tente d’obtenir des passeports pour son frère et les siens, délivrés par le consulat palestinien aux Émirats arabes unis. Il espère les recevoir à temps pour qu’ils puissent quitter les lieux avant qu’Israël ne lance une offensive terrestre à Rafah. Mais l’administration palestinienne est d’une extrême lenteur. Au consulat, Alkhatib s’est entendu dire que les passeports devaient être imprimés à Ramallah et qu’il leur faudrait jusqu’à deux ou trois mois pour qu’ils reviennent. « C’est totalement inutile », grommelle-t-il.

Au cours de sa visite à la mission diplomatique palestinienne, Alkhatib dit s’être souvenu de ce qui faisait obstacle à la paix entre Israéliens et Palestiniens, et ce, de part et d’autre : le refus d’admettre que l’histoire a placé des frontières sur une terre convoitée par deux peuples.

« Là-bas, tout le monde porte un pendentif de la Palestine [historique], et il y a des cartes de la Palestine sur les murs, sans aucune mention d’Israël. Et c’est l’Autorité palestinienne, une mission diplomatique », martèle-t-il.
« Pareil, côté gouvernement israélien, qui affiche des cartes de l’ensemble du territoire d’Israël et du plateau du Golan. »

Le chefde l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas tient un document avec plusieurs cartes de la Palestine historique (de gauche à droite), le plan de partage de la Commission Peel de 1937, le plan de partage des Nations Unies de 1947 sur la Palestine, les frontières de 1948-1967 entre les territoires palestiniens et Israël, et une carte de la proposition du président américain Donald Trump pour un État palestinien dans le cadre de son plan de paix, à Ramallah, en Cisjordanie, le 3 septembre 2020 (Crédit : Alaa BADARNEH / POOL / AFP)

Né en Arabie saoudite de parents gazaouis, Alkhatib a grandi dans l’enclave côtière pendant les années du processus de paix d’Oslo et quitté la bande de Gaza un mois avant le désengagement israélien de 2005. Il se souvient de l’optimisme des années Oslo, lorsque des dizaines de milliers de Gazaouis travaillaient en Israël, que le niveau de vie avait augmenté et que la création d’un État palestinien se profilait à l’horizon.

Mais dès le milieu des années 1990 – début des années 2000, le Hamas a travaillé en coulisse pour islamiser la cause palestinienne, saper l’Autorité palestinienne et torpiller le processus de paix, ce qui lui a permis de remporter la majorité des sièges aux élections palestiniennes de 2006 et d’arracher le contrôle de l’enclave côtière au Fatah lors d’un féroce coup d’État sanglant en 2007 – au prix de 17 ans d’ostracisation de la part de l’Union européenne et du reste du monde.

Cela fait désormais bien longtemps que Alkhatib ne vit plus dans l’enclave palestinienne, ce qui ne l’empêche pas de se sentir aujourd’hui encore profondément lié à Gaza, dont il garde de bons souvenirs et où vit encore sa famille. Son plaidoyer pour l’amélioration des conditions de vie dans la bande de Gaza est tout sauf nouveau. En 2015, il a créé une ONG à but non lucratif pour donner un cadre au projet de construction d’un aéroport humanitaire géré par l’ONU à Gaza afin de briser l’isolement de l’enclave.

Il explique que le fait de vivre loin de la difficile vie dans la bande de Gaza lui a permis de prendre ses distances avec la propagande du Hamas et de développer sa propre vision de l’avenir de son peuple. Le large soutien dont le Hamas semble encore bénéficier parmi les Palestiniens après les atrocités du 7 octobre le déconcerte.

Un sondage réalisé en mars par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages a révélé que 71 % des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie pensaient que le massacre du 7 octobre, au cours duquel des terroristes ont tué près de 1 200 personnes et en ont kidnappé 253, était « acceptable », et que 52 % des Gazaouis et 64 % des habitants palestiniens de Cisjordanie souhaitaient que le Hamas dirige Gaza dans l’après-guerre. Ces chiffres sont en augmentation par rapport à ceux mis en évidence par un précédent sondage réalisé par le même institut en décembre dernier.

« Tant de gens ont applaudi les actes du 7 octobre mais en exècrent les conséquences. Je dis à mes compatriotes palestiniens, comment pouvons-nous, en tant que communauté, être à ce point désemparés et stupides pour ne pas réaliser l’étendue de ce désastre », commente Alkhatib.

Des terroristes du Hamas, à proximité du kibboutz Nir Oz lors du massacre du 7 octobre 2023. (Crédit : Hassan Eslaiah/AP)

Les causes de cette obstination perverse à soutenir le Hamas après les destructions qu’il a attirées à Gaza sont difficiles à comprendre, même pour lui. « C’est dû à la fois à une mentalité grégaire et à un véritable lavage de cerveau. Certaines personnes ne savent pas ce qu’elles veulent. Elles ne comprennent pas qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il ne peut y avoir une résistance armée et la prospérité économique. »

L’origine du lavage de cerveau opéré par le Hamas est très ancienne, affirme Alkhatib, et ses racines sont très difficiles à démêler.

« L’incitation à la haine sur les plans culturel, religieux et éducatif est extrêmement préjudiciable. Et pas seulement vis-à-vis d’Israël. Cela nous maintient [nous Palestiniens] dans la posture d’un peuple figé dans le temps, dans un récit, un ensemble de déclarations et de points de vue qui ne nous mènent absolument nulle part », explique-t-il.

« Ces gens font la même chose depuis 75 ans. Combien de guerres faudra-t-il encore pour s’apercevoir qu’il faut essayer autre chose ?, » demande Alkhatib.

Des Palestiniens inspectent les destructions occasionnées par l’offensive israélienne dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans la bande de Gaza, le 29 février 2024. (Crédit : AP/Mahmoud Essa)

Diaspora palestinienne et alliés autoproclamés

Le problème de la chambre d’écho palestinienne, affirme Alkhatib, est aggravé par ses répercussions à l’étranger.

« Je peux comprendre [les partisans du Hamas] à Gaza ou en Cisjordanie qui vivent mal, pour lesquels c’est dur physiquement ; il y a quelque chose de viscéral. Le soutien qu’ils témoignent au Hamas provient sans doute à 70% des souffrances qu’ils endurent. Je ne les excuse pas, mais je peux les comprendre. Mais les communautés de la diaspora, en Europe ou en Amérique, croient et répètent les mêmes slogans. Eux sont totalement
fous », soupire-t-il.

« Les communautés de la diaspora s’expriment et s’informent grâce à Al Jazeera et TikTok, pour dire que tous nos problèmes sont dus à Israël. Personne ne demande au Hamas d’admettre qu’il a déclenché un véritable désastre. Personne ne dit que nous avons besoin de paix, de guérison et de réconciliation. On entend quelques voix, très ténues, ici ou là, mais celles que l’on entend le plus sont celles qui colportent le récit habituel », déplore-t-il.

« Ce sont les musulmans et Palestiniens modérés qui sont en partie responsables de la situation actuelle. Trop longtemps, nous avons refusé de dénoncer et de nous désolidariser des extrémistes, lorsque nous ne les avons pas tout bonnement protégés en rejetant la faute sur Israël », ajoute-t-il.

Selon lui, la même critique s’applique aux alliés occidentaux autoproclamés de la cause palestinienne.

« Hélas, nos intellectuels, médias et militants sont calamiteux : ils assurent soutenir le peuple palestinien. Mais au lieu d’aider notre peuple à envisager les choses d’une autre manière, ils se contentent de répéter les slogans comme des perroquets, pensant sans doute que cela fait d’eux des alliés valables, alors que je pense sincèrement que cela fait d’eux ni plus ni moins que des nuisibles. »

Un drapeau palestinien flottant à l’extérieur de la plus haute juridiction des Nations unies lors des audiences concernant les « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires occupés » dont Jérusalem-Est, à la Cour internationale de justice, à La Haye, aux Pays-Bas, le 21 février 2024. (Crédit : Peter Dejong/AP Photo)

Une vision rénovée pour le camp de la paix palestinien

Alkhatib n’attend guère de changement de la part des deux protagonistes de la scène politique palestinienne – l’Autorité palestinienne corrompue dirigée par le Fatah et le Hamas, qu’il décrit comme une « secte islamiste mortifère installée à Doha ».

« Le récit, de nos jours, se fait à coup de vidéos de 30 secondes sur
TikTok », affirme-t-il. « [Le chef de l’Autorité palestinienne] Mahmoud Abbas n’a rien dit d’intéressant au peuple palestinien. Il faut que quelqu’un parle à ces millions de Palestiniens, qu’il leur consacre une vingtaine de minutes pour leur dire de décrocher de TikTok et de prendre conscience du désastre dans lequel nous sommes. Cette résistance est terminée. Quelqu’un doit leur dire que cela ne va pas libérer le pays et que la paix est inévitable. La coexistence est inévitable. On peut obtenir des droits tout en acceptant l’existence d’Israël. »

Mais depuis l’échec du processus d’Oslo, la paix est difficile à vendre en Cisjordanie et à Gaza, déclare Alkhatib.

« Malheureusement, pour de nombreux Palestiniens, la paix est synonyme de résignation, en raison de ce qu’ils ont vécu, les colonies, l’occupation et les morts, mais aussi en raison du lavage de cerveau dont ils ont fait
l’objet », dit-il.

Alkhatib appelle à un changement de nom des termes et à la création d’un nouveau récit.

« Il nous faut bâtir une culture de coexistence et de résistance diplomatique et accepter le fait que les Israéliens sont là. Pourquoi est-ce si difficile à dire, côté palestinien ?

L’absence d’un camp de la paix palestinien pragmatique avec des revendications claires et une vision claire a également un impact sur le camp de la paix israélien, estime-t-il.

« Je pense que les gauchistes et les camps pro-paix en Israël, et même les sionistes libéraux, auraient pu être aidés par des actions du côté palestinien, ce qui aurait pu rendre beaucoup plus facile l’opposition à Ben Gvir ou Smotrich, ces messianiques et nihilistes », dit-il en parlant des deux ministres du gouvernement israélien à l’avant-garde du mouvement des implantations.

« Nous devrions dire haut et fort que nous voulons vraiment une solution à deux États. Nous acceptons un arrangement pragmatique pour un retour symbolique de quelques milliers de Palestiniens [qui ont fui ou ont été expulsés en 1948], mais l’essentiel du retour se fera en Cisjordanie et à Gaza », ajoute-t-il.

« Et un effort doit être fait pour intégrer ceux qui souhaitent rester en Jordanie, en Syrie ou au Liban. Il faut accepter qu’il y ait une souveraineté partagée et mutuelle sur Jérusalem, que ce soit un endroit pour tous ».

Formuler des demandes claires et pragmatiques aurait eu un impact positif pour les Palestiniens sur la scène internationale, estime Alkhatib. « Cela aurait rendu beaucoup plus difficile le maintien de l’entreprise de colonisation, et beaucoup plus facile sa contestation juridique et diplomatique. »

Malgré les destructions causées par la guerre et l’absence de vision acceptée par la communauté internationale pour l’après-guerre à Gaza, Alkhatib reste optimiste.

« Je crois que lorsque la guerre se terminera, que les gens se détacheront du récit de résistance du Hamas une fois pour toutes, même si cela se fait progressivement. Je pense sincèrement que c’est un vrai désir pour nombre de personnes à Gaza, s’assurer que c’est la dernière guerre. »

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