New York Jewish Week – La famille Geik n’était pas une famille juive ordinaire de la classe ouvrière du Bronx.
Le père dirigeait une entreprise de camionnage protégée par la mafia dans le Garment District de Manhattan. Un frère, inspecteur de la police de New York, conduisait des coursiers du crime organisé dans toute la ville avec de l’argent illicite. Une petite sœur a visité un casino de Las Vegas où elle a été installée avec quelques machines à sous dans une pièce privée. Et un ami proche de la famille a été envoyé en prison pour avoir tué un gangster juif notoire.
Dans Uncle Charlie Killed Dutch Schultz, un ouvrage qui vient d’être publié par Alan Geik, on fait la connaissance de la famille dont les liens étroits avec les gangsters juifs sont relatés.
Dutch Schultz était le pseudonyme d’Arthur Flegenheimer, le contrebandier juif et le roi du racket qui a été tué en octobre 1935 au Palace Chop House de Newark. Les tireurs étaient deux Juifs, membres du groupe du crime organisé Murder Inc. – Mendy Weiss et Charles Workman, dit « The Bug », l’Oncle Charlie dont il est question dans le titre du livre.
Workman, qui aurait tué plus de 20 personnes avant de plaider coupable pour le meurtre de Dutch Schultz, n’était pas apparenté à l’auteur Alan Geik. Mais Workman a grandi avec le père de Geik dans le Lower East Side et était si proche de la famille Geik qu’il était considéré comme un oncle. L’auteur avait une vingtaine d’années lorsqu’il a rencontré Workman pour la première fois, après que le tueur à gages a été libéré d’une prison du New Jersey en 1964.
« Je n’aurais jamais songé à l’appeler autrement qu’Oncle Charlie », a déclaré Geik, 80 ans, producteur de télévision et animateur radio à la retraite, qui vit à Las Vegas.
En plus de plonger dans l’histoire de Workman, le livre explore également comment les mafieux juifs et leurs acolytes ont combattu l’antisémitisme, battu les nazis et aidé le tout jeune État d’Israël à acquérir des armes pour sa guerre d’Indépendance.
« Ces personnes, issues de la première génération de Juifs en Amérique, ont combattu l’antisémitisme dans les rues », a déclaré Geik. « Leurs parents avaient fui les pogroms d’Europe de l’Est. Ils n’allaient pas laisser cela se reproduire et ils ne l’ont pas fait. »
Le livre de Geik s’ajoute à une longue liste d’histoires et de mémoires de la mafia juive, dont But He Was Good to His Mother : The Lives and Crimes of Jewish Gangsters, de Robert A. Rockaway, et Tough Jews : Fathers, Sons, and Gangster Dreams, de Rich Cohen.
Comme ces livres, l’histoire de la famille de Geik dépeint une sorte d’image inversée des histoires typiques des immigrants juifs : au lieu de se frayer un chemin à partir des enclaves juives de New York vers le commerce et les professions libérales, la famille de Geik a rejoint une contre-culture criminelle.
Des livres comme celui de Geik « relatent une expérience personnelle à ce monde que nous connaissons tous, le monde des mafieux de New York », a déclaré Larry Henry, auteur d’une chronique mensuelle pour le Mob Museum de Las Vegas.
« L’appétit du public pour les histoires de mafia est insatiable. »
Uncle Charlie Killed Dutch Schultz décrit un arbre généalogique enchevêtré où abondent les pommes pourries. Le père de Geik, Lou, n’était pas vraiment dans la mafia, mais il a tiré des bénéfices de ses liens avec le crime organisé, concède Alan. Lou Geik était l’un des nombreux individus qui ont livré l’argent de la mafia à la famille de Workman pendant 23 ans.
« Oncle Charlie se sentait redevable envers mon père », dit Geik.
Le père de l’auteur est cité comme source de nombreuses anecdotes incluses dans les mémoires. Geik a déclaré que si l’entreprise de son père s’appuyait sur la protection de la mafia, Lou Geik n’avait pas « ce petit plus qu’il fallait pour être un criminel endurci » – un trait qui, selon lui, manquait également à son frère aîné Bernard.
« Mon frère a toujours voulu être une figure du gang », a déclaré Alan Geik. « Alors, à la place, mon frère est devenu policier. »
Un policier finalement très corrompu. Bernard Geik a rejoint la police en 1962 et a démissionné en 1971 après avoir servi dans la fameuse unité d’enquête spéciale, qui, comme décrite dans le livre et le film « Le Prince de New York« , s’est transformée en un réseau d’extorsion. Après avoir démissionné de la police de New York, Bernard Geik a été arrêté pour corruption et versement de pots-de-vin en 1974. Il aurait plaidé coupable mais n’aurait pas purgé de peine.
Le détective en disgrâce est allé travailler dans l’entreprise de transport routier de son père. Selon l’auteur, son frère était l’un des détectives désignés par un superviseur pour conduire leur oncle George et d’autres mafieux dans la ville lorsqu’ils transportaient de l’argent de la mafia à New York.
L’oncle George Gordon était un véritable oncle. Gordon serait l’un des gangsters dont s’est inspiré l’acteur George Raft pour ses rôles dans les mélodrames policiers des années 30 et 40. Pendant des décennies, à partir d’un casino et d’un bar clandestin près de la rivière Hudson dans le centre de Manhattan, Gordon a joué un rôle important dans les opérations de jeu du crime organisé, supervisant des entreprises en Floride, dans le Midwest, à Las Vegas et à La Havane.
Alan Geik n’est pas le seul à détenir l’histoire alambiquée de sa famille. Sa sœur Iris a ses propres souvenirs de son enfance dans le milieu de la mafia, comme lorsqu’elle et ses parents étaient les invités de Gordon à l’hôtel Stardust à Las Vegas, lorsque la mafia gérait son casino et prélevait de l’argent sur les bénéfices. Gordon voulait que Lou Geik y travaille.
Selon Iris, Gordon a posté un garde à l’extérieur d’une pièce privée dans laquelle elle s’était installée avec quelques machines à sous. La jeune fille de 13 ans était « hypnotisée » par les machines à sous. Sa mère n’a d’abord pas eu conscience de ce qui se passait.
« Je m’amusais comme une folle », a déclaré Iris Geik. « Je n’oublierai jamais le moment où la porte s’est ouverte et où ma minuscule mère est entrée avec un grand garde derrière elle. Elle m’a immédiatement fait arrêter [de jouer avec la machine à sous] et rendre l’argent que j’avais gagné. »
Iris Geik, aujourd’hui avocate spécialisée dans la protection de la vie privée dans la région de Boston, a écrit des centaines de pages de ses propres mémoires sur les épouses et les petites amies des gangsters juifs, provisoirement intitulées The View From the Women’s Table.
« Leurs vies étaient complexes, mais elles étaient aussi des femmes juives heimische« , dit-elle, en utilisant le mot yiddish qui signifie chaleureux et familier. Sa mère et son père se sont enfuis parce qu’ils formaient un couple mixte : sa mère Reba était une juive sépharade et son père était ashkénaze.
Geik se souvient qu’enfant, elle avait remarqué un article de journal sur l’arrestation d’un ami de la famille. Elle a dit, « Maman ! Maman ! Regarde, nous sommes célèbres ». Ce à quoi sa mère a répondu : « C’est infâme, ma chérie. »
« Il n’y a pas de gangsters juifs de deuxième génération. Les Juifs ne font pas de leurs enfants des gangsters », disait la mère de Geik.
Reba Geik avait pris part aux soins de deux des tantes d’Iris qui vivaient à Brooklyn alors qu’elles étaient mourantes. Ces actes de bonté ont eu un impact profond sur l’oncle George, le superviseur du casino.
Après le décès des tantes, Gordon se levait toujours lorsque Reba entrait dans une pièce, raconte Iris. « Ma mère en était très honorée, car c’était un gros bonnet. »
Tout au long de sa vie, Reba Geik est restée proche de Sylvia Lorber, une amie de son adolescence. Lorber était la seule maîtresse de la mafia avec laquelle sa mère passait du temps, dit Iris. Lorber était l’amante de deux gangsters juifs : Benny Kassop, le frère du tireur de Murder, Inc. Sammy Kassop, et Sam Levine, dit « Red », un Juif pratiquant qui portait une kippa sous son fedora. Levine a gagné l’affection de Lorber alors que les frères Kassop étaient à Sing Sing, la prison de haute sécurité d’Ossining, New York.
« Sylvia était très amusante, mais ma mère s’inquiétait pour elle », raconte Iris. « Sylvia me racontait ses histoires, qui étaient un peu glamour quand elle était jeune, mais tristes quand elle était plus âgée ». Après avoir passé 20 ans avec Levine, Lorber n’a pas pu assister à ses funérailles. Sylvia Lorber a cessé de parler à Reba Geik dans les dernières années de sa vie.
Les gangsters juifs font parfois preuve d’altruisme dans les mémoires d’Alan Geik.
Moe Dalitz, le chef du syndicat de Cleveland, par exemple, était l’un des principaux contrebandiers de la Prohibition, dont les flottilles de boissons alcoolisées illégales sur les Grands Lacs étaient connues sous le nom de « petite marine juive ».
Sa famille dirigeait des blanchisseries légitimes à Boston et à Detroit. Trop âgé pour être appelé sous les drapeaux pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’est engagé à l’âge de 42 ans et a été nommé lieutenant. Dalitz a dirigé le service de blanchisserie militaire sur Governor’s Island, à New York, mais a refusé de dormir dans les casernes de l’île, préférant séjourner dans un hôtel chic donnant sur Central Park.
Ensuite, il y avait Johnny Eder, une source importante pour le récit de Geik.
Eder faisait partie de l’équipe de criminels adolescents du Lower East Side qui comprenait Oncle Charlie et Oncle George. A l’âge adulte, il était un important receleur de bijoux volés et avait toujours un sac de bagues volées sur lui. Eder avait également de nombreuses relations à l’hôtel de ville et au bureau du procureur de Brooklyn.
Selon le récit de Geik, Eder était le représentant de la mafia auprès de la Haganah, la force paramilitaire juive en Palestine. Eder organisait des réunions dans la cuisine bruyante du Copacabana, un lieu de rencontre de la mafia, entre des agents de la Haganah, des mafieux et d’autres personnes décrites comme « d’anciens agents des services de renseignements américains en temps de guerre » travaillant pour obtenir des armes pour la guerre d’Indépendance d’Israël.
(Le défunt Teddy Kollek, qui fut longtemps maire de Jérusalem, racontait qu’il avait remis de l’argent à un intermédiaire du Copacabana, qui l’avait apporté à un capitaine irlandais dont le navire était rempli de munitions à destination de la Terre Sainte. Le passeur, selon Kollek, était Frank Sinatra).
Alan Geik a un lien très personnel avec la création de l’État juif.
Sa défunte épouse Nina était la fille de Lou Lenart, un pilote de chasse de la Seconde Guerre mondiale qui a servi dans la marine américaine. Dans ses mémoires, Geik explique comment Lenart faisait partie du groupe d’hommes qui transportaient des avions de chasse excédentaires et d’autres armes en Palestine pour les utiliser pendant la guerre d’indépendance d’Israël. L’histoire de Lenart a été présentée en 2014 dans le documentaire de Nancy Spielberg « Above and Beyond », sur la création de l’armée de l’air israélienne.
La façon dont les gangsters juifs ont utilisé des moyens violents contre les sympathisants nazis à New York a déjà été racontée dans des récits historiques, mais un épisode des mémoires de Geik est particulièrement dramatique.
Deux Juifs ont assisté à un rassemblement du Bund au Camp Siegfried de Long Island, un camp d’été où l’on enseignait l’idéologie nazie, et se sont vus proposer par un sympathisant nazi de les ramener en ville, qu’ils ont fini par tabasser à mort à Brooklyn.
Alan Geik n’avait pas vraiment faim lorsqu’il a rencontré Meyer Lansky dans un hôtel de Central Park à la fin des années 1950. Le gangster a demandé au neveu de 15 ans de George Gordon s’il voulait un sandwich au pastrami. Geik a refusé.
Alors Lansky, qui apparaissait à Geik comme un « homme juif plus âgé que je savais très puissant », lui a proposé d’en partager un. C’est une offre que Geik n’a pas refusée.