Israël en guerre - Jour 566

Rechercher
Le rabbin David Leybel, fondateur d'Achvat Torah, dans son bureau de Jérusalem, en mars 2025 (Crédit : Rossella Tercatin/Times of Israel)
Le rabbin David Leybel, fondateur d'Achvat Torah, dans son bureau de Jérusalem, en mars 2025 (Crédit : Rossella Tercatin/Times of Israel)
Interview"On attaque notre pays"

Un rabbin haredi explique comment attirer les ultra-orthodoxes dans l’armée

Le rabbin David Leybel a beaucoup fait pour l’intégration des Haredim au monde du travail. Aujourd’hui, il s’attaque au service militaire

En juin 2023, lorsque le rabbin David Leybel a prononcé un discours suggérant que les parents ultra-orthodoxes devaient avoir la liberté de choisir le cadre éducatif de leurs enfants – entre écoles publiques haredim et cheders uniquement consacrés à l’étude de la Torah – il a déclenché un tollé.

Lancées en 2013, les écoles publiques haredim, connues sous le nom de Mamlachti-Haredi en hébreu, ou par l’acronyme MAMAH, enseignent les mathématiques et d’autres matières laïques – disciplines que les cheders – les écoles primaires traditionnelles haredim – n’enseignent qu’à un niveau minimal, voire pas du tout.

« Avec le simple fait d’avoir dit que les parents pouvaient choisir, j’ai eu droit à des protestations et à des attaques », explique Leybel au Times of Israel depuis son bureau de Jérusalem. « Mais l’été dernier, trois grands groupes hassidiques ont rejoint, avec leurs écoles, le parcours MAMAH. Et il y a quelques jours à peine, Gafni [le député du parti YaHadout HaTorah, Moshe Gafni] a assisté à une conférence sur l’éducation à Beit Shemesh avec des représentants des écoles MAMAH. Comme si subitement, le concept de système scolaire public haredi était devenu légitime ». (C’est le député Gafni, qui n’en est pas à ses débuts, qui dirige la commission des Finances de la Knesset.)

Selon les chiffres du ministère de l’Éducation qui ont été cités par le quotidien économique Globes, près de 19 000 élèves ont fréquenté les écoles et garderies MAMAH au cours de l’année scolaire 2023-2024. Et cette année, quelque 9 000 élèves de plus ont rejoint le système, ce qui porte le total à près de 28 000 élèves, soit 7 % des écoliers de la communauté haredi.

« Lentement, les choses changent », analyse Leybel. « Il est important de faire bouger les choses. Quelqu’un doit essuyer les plâtres pour ça, ce que je suis personnellement prêt à faire. Et au final, les choses changent. »

Cela fait déjà un bout de temps que ce rabbin promeut des initiatives pionnières au sein du monde ultra-orthodoxe. Dernièrement, il a jeté son dévolu sur ce qui est peut-être le chantier le plus important : celui de la promotion de l’enrôlement des étudiants ultra-orthodoxes des yeshivot au sein de l’armée israélienne.

Le rabbin David Leybel, fondateur d’Achvat Torah, prend la parole à la Yeshivat Haredi Hesder Mishmar HaTorah. (Avec l’aimable autorisation d’Ari/Achvat Torah)

S’adressant au Times of Israel au moment-même où les chefs politiques ultra-orthodoxes insistent pour que soit rapidement adoptée une loi consacrant la pratique fort ancienne de la non-conscription des hommes haredim, voire leur totale exclusion de tout type de service national, Leybel estime que la solution est à portée de main, contrairement à ce que laisse entendre le discours public au sein de la communauté.

« Derrière les portes des maisons, il se dit des choses très différentes de ce que l’on peut lire dans les médias », poursuit-il.

« La direction haredi présente la question comme s’il y avait un consensus [contre le service militaire], ce qui n’est pas le cas », précise-t-il.

Il estime que l’opposition farouche à tout compromis vient d’une seule figure rabbinique qui est le principal obstacle à l’adoption de positions plus modérées. Il ne donne pas plus de précisions – mais cette figure pourrait bien être le rabbin Dov Lando, 94 ans, chef anti-sioniste de la yeshiva Slabodka de Bnei Brak, qui a, à plusieurs reprises, incité les étudiants de yeshiva à refuser les appels à conscription.

Le rabbin Dov Lando assiste à une réunion sur l’appel sous les drapeaux des Juifs ultra-orthodoxes, à Bnei Brak, le 5 avril 2024. (Crédit : Shlomi Cohen/Flash90)

Né en France dans une famille de rabbins, Leybel est venu en Israël à 18 ans pour étudier dans la yeshiva de Ponevezh, une institution communautaire lituanienne (ou ashkénaze non hassidique).

Dans les années 1990, parallèlement à ses études de la Torah, Leybel travaille dans le commerce du diamant. Depuis une quinzaine d’années, il fait en sorte de proposer des solutions aux ultra-orthodoxes qui travaillent.

« La communauté des apprenants est très fermée », souligne-t-il. « Ceux qui travaillent sont bannis de la communauté et ils se sentent abandonnés. Nous avons créé une communauté prête à les accueillir et à leur redonner une légitimité ».

Petit à petit, Leybel a mis en place des programmes de Bet Midrash (salle d’étude juive) pour les hommes haredim qui travaillent, comme JBH, institution dans laquelle les étudiants apprennent la Torah et l’informatique, ou encore une yeshiva à l’intérieur de laquelle les étudiants peuvent obtenir des diplômes complets en collaboration avec l’Open University.

Le réseau Achvat Torah de Leybel gère des écoles et plus de 60 communautés dans tout Israël et le nombre de ses membres est passé de 4 000 en 2022 à 15 000 en 2025.

Récemment, Leybel a travaillé avec l’armée pour favoriser l’enrôlement des ultra-orthodoxes au sein de l’armée israélienne, sujet qui suscite l’une des crises politiques et sociales les plus aiguës qu’Israël ait jamais connue.

En juin dernier, la Cour suprême avait décidé que le gouvernement devait procéder à l’appel sous les drapeaux des étudiants ultra-orthodoxes des yeshivot en l’absence de cadre juridique permettant de continuer à leur accorder une exemption générale, comme c’était le cas depuis des décennies.

Mais ces tentatives sont pour l’essentiel au point mort en raison des réticences des ultra-orthodoxes à faire des compromis et du manque de volonté politique pour imposer la question à la Knesset, malgré le besoin urgent de Tsahal, en particulier au niveau des postes de combat.

Le rabbin David Leybel, fondateur d’Achvat Torah, prend la parole à l’école primaire de Bereshit. (Avec l’aimable autorisation d’Ari/Achvat Torah)

Leybel a joué un rôle déterminant dans la création de la Brigade hasmonéenne, une unité de combat dans laquelle les ultra-orthodoxes peuvent servir tout en préservant leur mode de vie. Les 50 premiers soldats de la brigade ont été mobilisés en janvier dernier.

Près de 400 Haredim servent par ailleurs au sein de Kodcode, une alternative pour les hommes ultra-orthodoxes affectés à des unités de haute technologie que Leybel a contribué à lancer il y a de cela un an et demi environ.

Le rabbin a, à plusieurs reprises, expliqué que toutes ces initiatives s’étaient au départ heurtées à une forte opposition des autorités haredim avant de devenir légitimes au sein de la communauté dominante, comme en témoigne la question du parcours éducatif.

« Il en sera de même pour la conscription », assure Leybel. « Cela prendra peut-être un peu plus de temps, quelques mois, peut-être plus, mais cela changera. »

L’interview suivante a été légèrement modifiée dans un souci de clarté et de concision.

Times of Israel : Nous nous voyons en des temps difficiles, sur fond de reprise de la guerre et d’une société israélienne profondément divisée. Quel est votre regard sur ce qui se passe ?

Rabbin David Leybel : Notre pays a deux gros problèmes, le clivage gauche-droite et le clivage entre ultra-orthodoxes et laïcs, qui se décline aujourd’hui entre ultra-orthodoxes et communauté religieuse-sioniste. Cependant, plus de 50 % de la société haredi souhaite s’intégrer au monde extérieur, tout du moins dans une certaine mesure. Ce qui signifie travailler, s’assurer que les enfants reçoivent une éducation avec aussi des matières laïques et faire son service, que ce soit dans l’armée ou dans sa version civile. Notre sondage montre que 20 % environ sont déjà convaincus et 30 % se disent intéressés par certains de ces domaines. Dans l’ensemble, il y a un véritable désir de faire partie du pays.

Le major-général David Zini, chef de la formation de Tsahal (à gauche), accueille un soldat ultra-orthodoxe enrôlé dans la nouvelle brigade haredi de Tsahal, connue sous le nom de Brigade hasmonéenne, le 5 janvier 2025. (Armée israélienne)

Ce qui est précisément mon domaine. Nous proposons différentes choses pour normaliser ce que la population haredi souhaite voir normaliser. Notre mouvement, Achvat Torah, englobe toutes les initiatives en matière d’éducation, d’emploi, etc.

La communauté des apprenants est très fermée et ceux qui travaillent sont bannis de la communauté et se sentent abandonnés. Nous avons créé une communauté pour les accueillir et leur redonner une légitimité. Nous faisons passer le message qu’ils ne font rien de mal, au contraire, comme le dit le Choul’han Aroukh [code juridique juif]. Car le Choul’han Aroukh exige que les gens travaillent.

S’agissant de la conscription des hommes ultra-orthodoxes, certains font porter leurs efforts sur ceux qui n’étudient pas sérieusement. D’autres sont de l’avis qu’il est au contraire capital de cibler les meilleurs étudiants, de façon à créer un changement sociétal. Qu’en pensez-vous ?

Il faut faire la différence entre ce qui est idéal et ce qui est réalisable.

Idéalement, cette crise devrait se terminer sur une décision ne permettant qu’aux meilleurs étudiants d’échapper au service militaire pour se préparer à devenir les nouveaux sages du monde de la Torah, tous les autres faisant leur service, quelles qu’en soient les modalités.

Dans le monde laïc, tout le monde n’est pas soldat de combat et il devrait en être de même au sein de la communauté haredi, consciente que notre pays, notre bien commun, est attaqué.

Mais la réalité, c’est que nous avons deux trains prêts à entrer en collision et qui roulent à pleine vitesse. C’est pourquoi nous devons nous asseoir autour d’une table et trouver des solutions. C’est possible si tout le monde le veut bien.

Des étudiants ultra-orthodoxes étudient dans la yeshiva de Ponevezh à Bnei Brak, le 27 février 2024. (Chaim Goldberg/Flash90)

Il semble que les dirigeants haredim ne soient pas disposés à faire des compromis.

Je ne pense pas que ce soit le cas de la direction générale des Haredim, mais bien plutôt celui d’une personne à la tête du monde lituanien. Le reste des rabbins en chef sont déjà en train d’en parler. En privé, il se dit des choses très différentes de ce que l’on peut lire dans les médias.

La direction haredi présente la question comme s’il y avait consensus, mais ce n’est pas le cas. Je pense que la situation changera sous la pression de la communauté ultra-orthodoxe, à cause des sanctions, ou alors à la faveur d’un changement de direction.

Pourquoi est-il si difficile de s’exprimer sur la question ?

Parce que notre société entrave sérieusement la liberté d’expression. Mais il y a moyen que les choses changent. Quand, il y a deux ans, je disais que les parents pourraient choisir d’envoyer leurs enfants dans les écoles MAMAH, ou dans un cheder où ils enseignent également des matières laïques, ou dans un cheder où ils n’enseignent que la Torah, j’ai eu droit à des protestations et des cris. Or il y a de cela quelques mois, trois grands groupes hassidiques – Beltz, Santz et Karlin – ont décidé d’adhérer au système MAMAH. Et la semaine dernière, Gafni a assisté à une conférence sur l’éducation à Beit Shemesh avec des représentants de MAMAH. Et subitement, le concept de système scolaire public haredi est devenu légitime.

Quand JBH a ouvert ses portes, il a fait sensation : il y a eu des protestations et des lettres de rabbins pour en condamner le principe. Aujourd’hui, ils me demandent d’accepter leur fils ou leur petit-fils. Petit à petit, les choses changent.

Il est important de faire bouger les choses. Quelqu’un doit essuyer les plâtres pour cela, ce que je suis prêt à faire. Et au final, les choses changent. Cela se produira également avec le repêchage. Cela prendra peut-être un peu plus de temps, quelques mois, peut-être plus, mais le changement viendra. Il en sera de même pour la conscription. Cela prendra peut-être un peu plus de temps, quelques mois, peut-être plus, mais cela changera.

Des hommes et des enfants juifs ultra-orthodoxes lisent un rouleau d’Esther, qui raconte l’histoire de Pourim, à l’intérieur de la Yeshiva Belz (dynastie hassidique) à Jérusalem, le 24 mars 2024. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Il fut un temps où le service militaire était courant et acceptable au sein de la société haredi. Qu’est-ce qui a changé ?

C’est vrai. C’était avant que [Menahem] Begin n’accède au gouvernement en 1977 et ne déclare que tous ceux pour lesquels Torato Umanuto [ceux dont l’étude de la Torah était le travail] seraient exemptés de service. À partir de ce moment-là, tout le monde est devenu étudiant de yeshiva, ou tout du moins, tout le monde s’y est inscrit, même si tous ces gens continuaient à travailler, car cela suffisait pour être exempté de l’armée. C’est également Begin qui a commencé à distribuer beaucoup d’argent, comme [les Premiers ministres Yitzhak] Rabin et [Ehud] Olmert.

Droite et gauche ont donné de l’argent sans compter, sans s’occuper du projet de loi car leur seul but était de mettre la main sur les voix ultra-orthodoxes à la Knesset. Mais maintenant que nous sommes en guerre, la donne n’est plus la même : il faut donc envisager les choses d’une autre manière.

Un changement est certes indispensable du côté de la société et des dirigeants ultra-orthodoxes, mais que peuvent faire les autorités israéliennes ?

Nous avons besoin d’un protocole militaire officiel de nature à garantir des conditions de vie haredim pour les soldats ultra-orthodoxes au sein d’unités haredim ad hoc . Pour l’heure, ce n’est le cas que pour les commandants d’unité, y compris au sein de la brigade hasmonéenne. Ce qui implique qu’en cas de changement de direction ou de circonstances imprévues, les engagements peuvent ne pas être tenus, ou alors partiellement.

De pareils manquements se sont produits par le passé, qui ont érodé la confiance dans les promesses de l’armée. La publication de ce protocole a pris du retard, sans doute parce que l’armée a d’autres problèmes plus urgents, mais je pense que cela se fera dans les prochaines semaines. J’ai également demandé la création d’un comité rabbinique au sein du ministère de la Défense pour en superviser la mise en œuvre.

Des soldats israéliens du bataillon ultra-orthodoxe Netzah Yehuda assistent à une cérémonie de prestation de serment au mur Occidental, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 10 juillet 2024. (Chaim Goldberg/Flash90)

Ces mesures sont cruciales pour instaurer la confiance avec les ultra-orthodoxes, qui sont nombreux à redouter que le fait de servir au sein de l’armée soit incompatible avec leur mode de vie haredi. Un comité officiel chargé de surveiller l’application de ce protocole ferait passer le message clair que l’armée est sérieuse quand elle dit vouloir répondre à ces préoccupations.

Selon vous, qu’est-ce que c’est que d’être Haredi, de nos jours ?

Il y a de cela 2 000 ans – et encore aujourd’hui dans la diaspora – 90 % des Haredim travaillaient. Être Haredi ne signifie pas étudier la Torah toute la journée ; cela signifie respecter ce qui est écrit dans le Choul’han Aroukh, qui stipule explicitement qu’il faut travailler en se gardant un peu de temps chaque jour pour l’étude de la Torah.

On peut dire que la communauté sioniste religieuse respecte elle aussi le Choul’han Aroukh. Mais n’oublions pas que la façon de vivre des haredim est ce qui a protégé le peuple juif pendant des millénaires, grâce à l’observance des mitsvot. Pour les sionistes religieux, les mitsvot sont très importantes mais leur but cardinal – ce qui les motive intrinsèquement – est l’établissement des fondations en vue de la Rédemption, la création d’un trône pour le Messie. A leurs yeux, l’État et l’armée sont saints. Alors que le but premier de la communauté haredi est de continuer à préserver la Torah et les mitsvot.

Des enfants juifs ultra-orthodoxes déguisés dans leur cheder, à Mea Shearim, avant la fête de Pourim, le 12 mars 2025. (Chaim Goldberg/Flash90)

De mon point de vue, la vision du monde de la communauté haredi n’est ni de gauche ni de droite. [Le chef du judaïsme lituanien], le Rav Elazar Shach, était favorable à des concessions territoriales en échange de la paix, et le Rabbin Ovadia Yosef, chef de la communauté juive séfarade et fondateur du Shas, était d’accord avec les accords d’Oslo. Les Haredim ne sont ni capitalistes ni socialistes – ils sont centristes, et ils doivent rester centristes.

En reprenant leur place au centre de l’échiquier politique, ils peuvent servir de pont entre la droite et la gauche, en travaillant aux côtés des modérés des deux côtés pour former un gouvernement pour le peuple d’Israël. C’est pourquoi une société haredi pragmatique et saine d’esprit peut être une solution pour l’ensemble de l’État d’Israël.

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.