Audrey Hepburn aura été une étoile dans une constellation de rôles mémorables – depuis Holly Golightly, femme mondaine de Manhattan dans « Diamants sur canapé » jusqu’à l’inoubliable petite vendeuse de fleurs Eliza Doolittle de « My Fair Lady ».
Le film « Vacances romaines », tourné en 1953, devenu un classique – dans lequel elle incarnait la princesse Anne, une personnalité de sang royal qui explorait la ville éternelle aux côtés de Gregory Peck – lui a valu l’Oscar pour la meilleure actrice. Et Hepburn fait partie du club très sélect d’artistes ayant réussi à remporter au cours de leur carrière à la fois un Emmy, un Grammy, un Oscar et un Tony.
Et pourtant, son rôle le plus important est peut-être celui qui est le moins connu. C’est l’histoire d’une aristocrate néerlandaise, élevée par des parents dont les allégeances politiques sont controversées, qui aura aidé à la résistance contre les nazis dans son pays tout en subissant la tragédie et la faim – et qui finira par devenir, malgré tout, danseuse étoile sur son parcours vers le firmament hollywoodien.
C’est là le récit raconté dans un nouveau livre, celui du passage à l’âge adulte d’une personnalité hors du commun : Dutch Girl: Audrey Hepburn and World War II, écrit par Robert Matzen.
Dutch Girl s’est appuyé sur les visite effectuées par Matzen aux Pays-Bas, où il est parvenu à recueillir, dans les archives, des informations difficiles à obtenir et où il a interrogé des témoins qui se souvenaient de Hepburn pendant la guerre – offrant une nouvelle compréhension des propos que la star avait pu tenir au sujet de cette époque très précise de sa vie.
C’est le fils de l’icône du 7ème art, Luca Dotti, qui a rédigé la préface et partagé des photographies, des documents et des notes qui, jusque-là, n’avaient pas été rendus publics.
Chroniqueur vétéran de Hollywood, Matzen avait pris connaissance des années de guerre d’Hepburn en faisant des recherches pour son ouvrage précédent – une biographie de Jimmy Stewart, qui avait été pilote de combat pendant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir la star
100 % américaine de films comme « La vie est belle ».
Certains des hommes de Stewart avaient été abattus dans le ciel des Pays-Bas et quand Matzen s’était rendu dans la ville d’Arnhem, il avait appris que Hepburn y avait vécu pendant la guerre.
Une information qui devait donner le premier élan à son futur projet, un livre dans lequel l’auteur se pencherait sur les expériences vécues par Hepburn pendant la guerre – un aspect qui, a-t-il dit au cours d’un entretien avec le Times of Israel , est « un visage d’Audrey que personne ne connaît ».
Selon l’ouvrage, il y a eu des facettes, dans la vie de la toute jeune Hepburn, qu’elle aurait souhaité oublier.
Sa mère néerlandaise, la baronne Ella van Heemstra, avait rencontré Hitler dans les années 1930 et elle avait rédigé des articles admiratifs à son sujet dans des publications fascistes britanniques – mais elle devait toutefois changer d’avis durant l’occupation brutale des Pays-Bas par les nazis, de 1940 à 1945 (en contraste, les sympathies pro-nazies de l’ex-mari anglais de van Heemstra, Joseph Ruston, le père d’Audrey, le maintiendront en prison pendant toute la guerre).
La baronne avait aidé la résistance néerlandaise après l’exécution par les nazis de l’oncle bien-aimé de Hepburn, Otto Ernst Gelder, comte van Limburg Stirum. Le chagrin de Hepburn avait été tellement profond qu’elle ne devait plus jamais mentionner son oncle par son nom par la suite, note Matzen.
Hepburn avait également été affectée par les tragédies bien plus larges qui se déroulaient dans la nation et elle avait montré de l’héroïsme pour venir en aide à des individus en danger.
Prenant volontairement part au mouvement de résistance, elle avait aidé des Juifs vivant dans la clandestinité et collecté des fonds en dansant pour leur permettre de traverser la guerre et de survivre.
Malgré ses efforts – et ceux des autres – moins de 25 % des Juifs néerlandais devaient échapper à la Shoah, selon le musée de commémoration de la Shoah des Etats-Unis.
Sollicitée en 1958 pour interpréter le rôle de la victime hollandaise de la Shoah la plus célèbre du monde dans une adaptation à l’écran du « Journal d’Anne Frank », la comédienne avait décliné cette offre trop proche de ce qu’elle avait elle-même vécu, même si elle devait rencontrer par ailleurs le père de l’adolescente, Otto Frank, lui-même un survivant.
Selon le livre, elle avait également refusé le rôle parce qu’elle était inquiète de ce qui pouvait survenir si le passé d’Ella devait refaire surface.
Autre traumatisme que Hepburn n’avait pas souhaité revivre, la défaite des alliés dans les batailles d’Arnhem et d’Oosterbeek, pendant l’année 1944.
Après l’exécution de son oncle, deux ans auparavant, elle et sa mère avaient quitté Arnhem pour s’installer dans le village de Velp, à un peu moins de cinq kilomètres – mais suffisamment près pour entendre la destruction de l’ancienne ville natale de Hepburn.
Les membres de sa famille avaient risqué leur vie pour abriter un soldat britannique et elle et sa mère faisaient alors office d’infirmières. Les représailles des nazis avaient compris le recrutement obligatoire des femmes et jeunes filles néerlandaises, qui avaient été rassemblées et sommées de travailler dans les cuisines allemandes : Hepburn elle-même avait été amenée au rassemblement mais elle était parvenue à s’échapper.
Des décennies plus tard, elle devait décliner un rôle dans l’adaptation au grand écran de l’histoire des batailles, « Un pont trop loin ».
Pour Matzen, son ouvrage ne se contente pas de mettre en lumière cette époque des années de guerre soigneusement tue par l’artiste mais il explique également pourquoi elle devait avoir sur elle un impact au cours de toute sa vie, notamment dans son travail d’ambassadrice de l’UNICEF au service des enfants touchés par la guerre.
Il fait le lien entre sa souffrance lors de « l’hiver de la faim », en 1944 et 1945, et des problèmes de santé ultérieurs (elle devait mourir jeune, à l’âge de 63 ans seulement).
Et pourtant, dit-il, le message global du livre est une histoire inspirante – ce qui explique qu’il soit devenu un best-seller deux semaines avant sa parution, le 15 avril, moins d’un mois avant la date qui aurait marqué le 90e anniversaire de l’icône hollywoodienne.
La personne derrière la star
Hepburn était née Audrey Kathleen van Heemstra Ruston, le 4 mai 1929. Elle avait vu le jour dans une famille aristocratique du côté de sa mère comme du côté de son père.
Son grand-père hollandais, le Baron van Heemstra, était ancien gouverneur de la colonie sud-américaine du Suriname, et ancien maire d’Arnhem. Son père, un anglais, revendiquait du sang royal à travers son ancêtre du 13e siècle, James Hepburn, troisième époux de Mary, reine d’Ecosse.
La jeune Audrey – ou Adriaantje, comme elle était connue par sa famille – avait grandi en faisant la navette entre la Belgique, l’Angleterre et les Pays-Bas. Ses parents s’étaient rendus en Allemagne avec d’éminents fascistes britanniques (et notamment Sir Oswald Mosley), rencontrant Hitler à son quartier-général de Munich en 1935.
Ella était retournée en Allemagne pour assister au congrès du parti nazi, cette année-là, et avait fait l’éloge de Hitler dans des publications fascistes, en Grande-Bretagne. Le livre établit que pour sa part, jamais Hepburn n’a nourri de sympathies pro-allemandes.
Tandis que l’opinion médiocre de Matzen sur Ruston reste constante (il n’est pas resté en contact avec sa fille après avoir divorcé d’Ella), son point de vue sur Ella a évolué.
« Quand je me suis lancé dans le projet, j’ai pensé qu’elle était une femme mauvaise », dit l’auteur. « J’ai eu peur de ne pas parvenir à la comprendre ».
Toutefois, les propos tenus par Dotti sur sa grand-mère ont adouci son opinion.
« Si elle était encore en vie aujourd’hui, elle serait une gothique, une artiste toute vêtue de noir », explique Matzen. « Plus que tout, elle s’est rebellée contre ses parents, contre ces personnes d’autorité qui lui disaient de se comporter d’une certaine manière. Elle avait ce penchant à affirmer sa différence. On peut ainsi percevoir une provocation dans son éloge d’Adolf Hitler ».
Ella avait tout d’abord continué à apporter son soutien aux nazis après l’occupation des Pays-Bas. Elle avait vécu une relation amoureuse avec un officiel allemand et planifié et participé à une soirée musicale approuvée par les Allemands en 1941, à laquelle avaient également participé sa fille et son fils, Ian. Ironie de l’histoire, la professeure de danse de Hepburn, Winja Marova, était juive et elle avait caché son identité aux occupants.
Matzen qualifie le soutien apporté par Ella aux nazis, au cours de cette période, de forme de moindre résistance ayant permis de protéger ses enfants. Et pourtant, son autre fils, Alex, était devenu onderduiker – un membre de la résistance passé à la clandestinité.
Et les nazis avaient arrêté son gendre, l’oncle Otto, procureur au tribunal, pour désobéissance aux politiques mises en place. Il avait été exécuté le 15 août 1942 lors d’un assassinat de masse aux côtés d’un autre parent, le Baron Schimmelpenninck van der Oye.
Début d’un nouveau chapitre
L’exécution d’Otto a été « un tournant… quand la guerre est devenue réelle », estime Matzen, qui dépeint l’homme comme « une force optimiste et positive dans la famille. Il n’a pas cru, jusqu’au matin de sa mort, que quelque chose pourrait lui arriver. Lorsque cela a été le cas, le choc a ébranlé la famille au coeur ».
Ella et Audrey étaient parties habiter Velp, où elles avaient vécu avec le grand-père d’Audrey, le Baron van Heemstra, et la veuve d’Otto Meisje.
« La famille s’est rassemblée et elle a rejoint la résistance », raconte Matzen. « Et là, ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient contre l’occupation ».
Ce qui a inclus un refus de rejoindre un comité d’artistes nazis, mettant un terme à la carrière naissante de danseuse d’Hepburn qui lui avait permis de devenir la danseuse d’Arnhem la plus célèbre en 1944, ajoute Matzen.
Hepburn aura également secondé un médecin remarquable, Hendrik Visser ‘t Hooft, qui avait offert un refuge à des centaines de Juifs à Velp pendant la guerre.
« Il était une personnalité déterminante », explique Matzen. « Il savait où se trouvaient tous les Juifs de Velp. Audrey était impliquée là-dedans. Elle transmettait avec d’autres des messages à destination des familles qui protégeaient des Juifs. Elle avait dansé pour collecter de l’argent pour la résistance, un argent qui servait à nourrir les Juifs qui vivaient dans la clandestinité. Personne n’a jamais écrit sur l’importance de son implication dans la vie juive ».
La découverte, après-guerre, du journal intime d’Anne Frank était venue s’ajouter à cette histoire. Coïncidence étrange, lorsque Hepburn et sa mère s’étaient installées à Amsterdam, après la libération, l’autre locataire de leur immeuble était l’éditeur qui travaillait sur la sortie du livre.
Hepburn et Frank étaient nées à quelques semaines de différence, en 1929 – Frank aurait fêté son 90e anniversaire le 12 juin – et toutes les deux vivaient aux Pays-Bas pendant la guerre. Mais Frank avait été arrêtée en 1944 et elle était morte en 1945 à Bergen-Belsen.
Le livre note que Hepburn aurait évoqué en Frank une âme sœur.
« Je pense qu’Audrey ressentait la culpabilité du survivant », explique Matzen. « Elle avait survécu. Anne Frank, non ».
Hepburn avait également survécu à la bataille d’Arnhem, qui avait dévasté la ville dans laquelle elle avait passé son enfance. Ce sera, au mois de septembre prochain, le 75e anniversaire de cette bataille et Matzen se rendra à cette occasion à Arnhem et à Oosterbeek, notamment au musée aérien Hartenstein.
Suite à la défaite des alliés, la faim s’était répandue aux Pays-Bas, accompagnée des explosions causées par les roquettes V-1 et V2, des armes des Allemands alors poussés dans leurs derniers retranchements – une période abordée par le livre qui présente des détails atroces.
La libération avait apporté ses propres complications. Hepburn avait pris goût aux cigares amenés par les soldats alliés et elle avait pris des habitudes alimentaires irrégulières, que la rigueur des ballets ne faisait qu’empirer, selon Matzen.
Les nouvelles autorités néerlandaises avaient commencé à punir les collaborateurs et ils avaient convoqué Ella pour un interrogatoire.
Elle avait été innocentée après une évaluation et la mère et la fille devaient finalement partir pour l’Angleterre où Hepburn a rencontré la célébrité – non pas en tant que danseuse, mais grâce au cinéma.
Hepburn devait finalement réussir à assumer son passé. Quelques années après s’être fait un nom parmi les plus grandes stars de Hollywood, elle avait pris part à des lectures publiques du « Journal d’Anne Frank » et elle était devenue ambassadrice de l’UNICEF – travaillant notamment dans une Somalie déchirée par la guerre peu de temps avant sa mort.
« Elle a toujours été touchée par les souffrances vécues par les enfants dans des guerres qui avaient été commencées par des adultes », explique Matzen. C’est l’un des messages puissants transmis par le livre.
Comme le dit l’auteur, « voilà une femme qui, quand elle était petite fille, a vécu des choses horribles et qui les a sublimées en beauté, en positivité, transmettant des messages de paix et de survie ».