Israël en guerre - Jour 500

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Maysoon Sweity, résidente de Beit Awwa de 54 ans, regardant les fumées noires d'un feu de déchets électroniques et d'ordure près du mur en béton qui sépare son village et Israël, le 26 avril 2019. (Crédit :  Tamir Kalifa)
Maysoon Sweity, résidente de Beit Awwa de 54 ans, regardant les fumées noires d'un feu de déchets électroniques et d'ordure près du mur en béton qui sépare son village et Israël, le 26 avril 2019. (Crédit : Tamir Kalifa)

Un trafic de déchets empoisonne – littéralement – les Palestiniens et les Israéliens

Faire brûler des déchets électroniques israéliens pour en retirer la matière première est une source de revenus pour des milliers de Palestiniens – mais les cancers grimpent en flèche

BEIT AWWA, Cisjordanie – Quand une leucémie a été diagnostiquée chez le fils d’Israa, quatre ans, sa mère ne s’est pas interrogée longtemps sur l’origine de la maladie. La réponse à cette question était tout autour d’elle : cette fumée acre, toxique, émanant des piles de déchets électroniques que font brûler certains Palestiniens pour en extraire une précieuse matière première.

« Il n’y a pas une seule habitation, dans notre rue, où quelqu’un ne souffre pas d’un cancer, où il n’y a pas eu un mort », s’exclame Israa, qui vit à Beit Awaa, une petite ville située à proximité de Hébron.

Dans les collines vallonnées de Hébron, les Palestiniens vivent dans des nuages de fumée noire entraînés par la combustion d’objets ou d’appareils métalliques chez un voisin, des déchets qui proviennent presque tous d’Israël, afin de grappiller le cuivre, très recherché, qui peut se retrouver à l’intérieur.

Une industrie lucrative qui aide des milliers de Palestiniens et leurs familles à répondre à leurs besoins et qui rapporte des millions de shekels à l’économie locale. Mais les Palestiniens paient également le prix fort pour cette pollution.

Le nombre de cancers, dans les villes voisines, est vertigineux ; avec des enfants qui développent cette pathologie quatre fois plus que les autres enfants, dans le reste de la Cisjordanie, selon des recherches effectuées par Yaakov Garb, spécialiste israélien de l’environnement.

A Beit Awwa, où la population est de 8 000 personnes, quatre habitants ont été inhumés, décédés d’un cancer, en seulement une semaine à la mi-novembre, explique un responsable local de la santé, qui ajoute que trois d’entre eux étaient pourtant encore jeunes.

« Nous vivons sur un sol empoisonné », dit Shadi Sweity, qui habite cette petite ville. Son frère, Mohammad, a succombé à un cancer du foie à la fin du mois de novembre dernier. Il n’avait que 48 ans.

Shadi Sweity, dont le frère Mohammad est mort d’un cancer fin novembre, devant sa maison de Beit Awwa le 22 décembre 2021. (Crédit : Aaron Boxerman/The Times of Israel)

Israa, qui a demandé à ne pas être publiquement identifiée, tente de protéger ses autres enfants en fermant les fenêtres quand l’air, à l’extérieur, se gorge de ces fumées âpres. Elle a installé des plantes vertes et feuillues dans la maison pour tenter de contrecarrer la pollution.

Si je le pouvais, je prendrais mes enfants et je fuirais cet endroit

« Si je le pouvais, je prendrais mes enfants et je fuirais cet endroit. J’ai peur qu’ils tombent eux aussi malades un jour, Dieu nous en préserve », indique-t-elle.

Cette fumée sombre et empoisonnée s’étend au-delà de la barrière de sécurité en Cisjordanie, atteignant la région de Lachish, dans le sud d’Israël – ce qui préoccupe également les Israéliens, inquiets pour l’avenir de leurs enfants.

« Nous n’avons pas constaté encore d’effets mais nous savons que ce n’est qu’une affaire de temps… On respire, on avale cette fumée et c’est terrifiant », commente Timna Idan qui réside à Eliav, une paisible ville israélienne située à deux kilomètres de Beit Awwa.

L’État juif et l’Autorité palestinienne (AP) ont bien promis de réprimer les feux entraînant cette pollution toxique. Mais il y a, en Cisjordanie, différents régimes de contrôle et d’intervention des forces de sécurité qui se chevauchent – ce qui fait de cette répression un défi presque impossible à relever.

Les tentatives visant à mettre un terme à cette pratique ont échoué, enlisées dans de perpétuelles querelles opposant Ramallah et Jérusalem. En conséquence, aujourd’hui, les combustions toxiques continuent.

« Pour quelques shekels »

Dans le monde, la plus grande partie des déchets ne sont pas recyclés. Les nations riches transportent leurs ordures dans les pays pauvres. Et c’est la même dynamique qui intervient entre Israël et les Palestiniens – un État riche aux côtés de communautés fortement défavorisées.

Israël génère environ 130 000 tonnes de déchets électroniques par an, selon les estimations officielles. Une grande partie de ces déchets entre clandestinement en Cisjordanie, où ils sont revendus ou démontés par des Palestiniens à la recherche des précieuses matières premières qu’ils sont susceptibles de contenir.

« Nous constatons ce phénomène dans le monde entier mais le ‘Tiers-monde’ d’Israël ne se trouve qu’à dix ou quinze minutes » de voiture du centre du pays, explique Garb, professeur à l’université Ben-Gurion qui étudie depuis des années cette industrie et son impact.

Tamer Abu Jhaisheh, copropriétaire de Safa Recycling, avec dans la main des tous petits morceaux de plastique provenant de câbles électroniques déchiquetés par la machine de son usine. (Crédit : Aaron Boxerman/The Times of Israel)

Les lois israélienne et palestinienne interdisent le transfert de déchets israéliens en Cisjordanie, mais leur trafic continue à un rythme soutenu. Certaines firmes israéliennes et certains Israéliens économisent des milliers de shekels, voire tirent un bénéfice, de l’envoi de leurs déchets aux trafiquants qui les revendent à des casses en Cisjordanie.

« L’élimination d’une tonne de déchets électroniques ou autres peut être des centaines de shekels moins cher au sein de l’Autorité palestinienne qu’en Israël. Il y a de très fortes incitations économiques ici », commente l’ancien directeur-général du ministère de la Protection environnementale, Yisrael Dancziger, qui a occupé son poste de 2015 à 2018.

Des déchets électroniques et autres ordures incinérés à Deir Samet, le 11 janvier 2019. (Crédit : Tamir Kalifa)

Les villes de Beit Awwa, Idhna et Deir Samet sont au centre de ce commerce. Les trois villages sont reliés par une route venteuse, à moitié pavée, bordée par des chantiers remplis de piles de déchets métalliques.

Aux abords d’Idhna, les oliveraies verdoyantes ont disparu, remplacées par des terres brûlées. Les agriculteurs du coin expliquent que la terre était fertile et cultivée dans le passé : Aujourd’hui, gorgée de traces de plomb, elle ne produit que de maigres récoltes. Ces olives, autrefois précieuses et recherchées, ne donnent dorénavant qu’une huile inutilisable, au goût aigre.

La barrière de sécurité se profile, plus loin. Les dalles de béton sont noircies par la fumée et le charbon qui se sont dégagés des feux qui, à l’aube, ont eu lieu à proximité du mur. Les carcasses de réfrigérateur, dépouillées de leur acier et vidées de leur Fréon, sont éparpillées dans la suie.

Des Palestiniens brûlent des déchets près de la barrière de sécurité, dans des villes de l’Ouest de Hébron. (Crédit : Tamir Khalifa)

La pollution endémique semble n’avoir épargné aucune famille. Les chercheurs ont détecté des niveaux de plomb dangereusement inquiétants chez les enfants du secteur, susceptibles d’entraîner des dommages neurologiques à long-terme. D’autres résidents palestiniens ont souffert de maladies respiratoires soudaines, invalidantes, après avoir été exposés à ces sites d’incinération partielle.

Le maire d’Idhna, Muammar Tmeize, attribue aux fumées toxiques le décès d’un cancer de deux de ses frères, qui étaient tous les deux quadragénaires.

« Bientôt, tous les foyers d’Idhna seront touchés », prédit Tmeize. « Et tout ça pour quelques shekels ».

Tmeize dit sympathiser avec ses voisins israéliens, de l’autre côté de la barrière de sécurité, qui subissent également les effets de la pollution. « Pauvres gens », s’exclame-t-il. « Ils se sont fait avoir ».

Chaque jour, des trafiquants Juifs et Arabes achètent des déchets électroniques auprès des compagnies israéliennes et des dépôts de ferraille. Au volant de camionnettes qui transportent de vieux câbles ou de vieux appareils, ils traversent les checkpoints israéliens en direction de la Cisjordanie, où ils déchargent leur cargaison

Avant la Seconde Intifada, les Palestiniens résidant dans ces villes empruntaient en majorité cette route poussiéreuse qui mène vers Israël pour y travailler à la journée. Mais après des dizaines d’attentats-suicides, au début des années 2 000, Israël a construit la barrière de sécurité, réprimant les Palestiniens qui tentent de franchir la frontière sans disposer des autorisations nécessaires.

Et en même temps, un phénomène encore renforcé par la révolution mondiale dans les communications, le prix du cuivre est passé de 2 200 dollars à 8 800 dollars la tonne. Des milliers de Palestiniens, dorénavant dépourvus d’un permis de travail en Israël convoité, se sont tournés vers la recherche de ce métal précieux dans les déchets. Une activité qui aide une majorité des foyers du secteur à répondre à leurs besoins, selon Garb.

Chaque jour, des trafiquants Juifs et Arabes achètent des déchets électroniques auprès des compagnies israéliennes et des dépôts de ferraille. Au volant de camionnettes qui transportent de vieux câbles ou de vieux appareils, ils traversent les checkpoints israéliens en direction de la Cisjordanie, où ils déchargent leur cargaison.

A Beit Awwa, des centaines de commerçants prennent part à une vente aux enchères nocturnes des déchets, qui reviendront donc au plus offrant. Des dizaines de camions sont là, remplis de vieux appareils. Certains sont vendus aux commerçants qui espèrent pouvoir les remettre en état et en tirer un bénéfice. Le reste est envoyé dans des décharges, où les Palestiniens déchireront les plastiques à coups de marteau, inquiets de pouvoir trouver chaque gramme de métal précieux.

En moyenne, le travail à la journée à Hébron rapporte environ 110 shekels par jour, selon les chiffres de l’AP. Mais travailler dans les déchets est beaucoup plus profitable : Un ouvrier qui démonte et revend de vieux produits israéliens peut gagner entre 200 et 250 shekels par jour – des salaires parfois comparables à un travail en Israël.

Mais c’est dans l’incinération partielle de tous ces objets qu’il y a le plus d’argent à faire. Les vieux câbles électroniques sont très bon marché mais les démonter en enlevant leur revêtement et plastique et en conservant le cuivre peut rapporter à un ouvrier ordinaire 500 shekels pour une seule journée de travail, disent des personnes familières de cette industrie.

Certains Palestiniens achètent des câbles et les brûlent eux-mêmes. D’autres travaillent dans le cadre d’une équipe bien huilée – un responsable palestinien de la sécurité évoque « des gangs organisés » – qui se répartissent les revenus. D’autres encore travaillent pour un patron, faisant brûler les câbles contre une petite partie du butin.

« Notre problème, c’est tout simplement que les lois ne sont pas respectées. Le nom de tous ces gens qui incinèrent est bien connu mais nous vivons dans un État d’anarchie », commente Tamer Abu Jhaisheh, copropriétaire de Safa Recycling, une usine d’Idhna qui travaille dans le recyclage « propre » des câbles en cuivre.

Le maire d’Idhna Muammar Tmeize pendant son interview dans son bureau à la mairie, le 27 novembre 2021. (Crédit : Aaron Boxerman/The Times of Israel)

L’entrepôt de Safa est rempli de machines impressionnantes, onéreuses – mais l’usine a du mal à concurrencer les réseaux de trafic. Les casses, en Israël, préfèrent souvent travailler avec les trafiquants qui ne paient pas d’impôts et qui ne laissent pas de trace écrite aux postes de contrôle israéliens, explique Abu Jhaisheh.

« Pas de système stable »

Les combustions entraînent incendies enragés et de lourds et épais nuages de fumée gigantesques visibles à des kilomètres. Mais les pollueurs ne sont que rarement attrapés, – leurs activités échappant au système des différents régimes de la Cisjordanie.

Depuis les Accords d’Oslo, la Cisjordanie est divisée en trois régions administratives. L’État juif s’est retiré des villes palestiniennes majeures et des localités des Zones A et B, permettant à l’AP d’assumer certaines responsabilités.

Dans la Zone C, qui comprend 60 % de la Cisjordanie, Israël détient un contrôle direct. Mais les forces israéliennes chargées de faire respecter la loi se concentrent principalement sur la question des implantations et la police palestinienne ne peut pas y entrer librement, ce qui signifie qu’aucune des deux parties ne prend réellement l’ascendant dans les communautés palestiniennes.

Les Palestiniens qui font brûler ces déchets toxiques vivent souvent dans les secteurs administrés par l’AP mais quand ils veulent mettre le feu au plastique d’une cargaison de câbles fraîchement trafiquée, ils se rendent dans la Zone C pour y pratiquer le travail d’incinération. La police palestinienne n’est pas en droit de les poursuivre sans l’approbation de l’État juif.

« Ces gangs ont appris à exploiter le fait que nos forces de sécurité et notre police ne peuvent pas se rendre-là bas sans coordination préalable avec Israël. De plus, il est impossible de savoir combien de temps ça va prendre, il n’y a pas de règle stable – ça peut être rapide, ça peut être lent ou on peut même nous opposer un refus », explique le gouverneur-adjoint de Hébron, Khaled Dodin.

Les Accords d’Oslo précisent que les responsables palestiniens doivent d’abord appeler l’unité de coordination régionale de l’AP, qui appelle alors les autorités israéliennes, pour examiner la requête soumise et accorder une permission. Au moment de l’arrivée de la police de l’AP ou de l’armée israélienne – quelques heures, voire quelques jours plus tard – les pollueurs sont partis depuis bien longtemps, ne laissant derrière eux que des cendres et des braises mourantes.

A Jérusalem comme à Ramallah, les officiels disent que l’État juif doit avant tout empêcher les camions remplis de déchets électroniques d’entrer en Cisjordanie. Ils pénètrent sur le territoire via les checkpoints israéliens, sous le regard attentif des soldats.

« C’est une violation du droit international. Cela relève, encore une fois, de la responsabilité d’Israël en tant que puissance occupante. Nous n’allons pas devenir une décharge pour les déchets dangereux d’Israël », s’exclame un régulateur palestinien de l’environnement qui a accepté de s’exprimer sous couvert d’anonymat.

Idhna, une ville située à l’Ouest de Hébron. (Crédit : Aaron Boxerman/The Times of Israel)

De leur côté, les régulateurs israéliens promettent depuis des années de réprimer les camions qui transportent des déchets et de sanctionner les décharges qui commercent avec les trafiquants. Mais Dancziger, l’ex-responsable du ministère de la Protection environnementale, avertit qu’une répression plus forte ne parviendra pas à elle seule à mettre un terme aux trafics.

« Tant qu’il y aura un intérêt économique, on va se mordre la queue », dit-il.

Les résidents palestiniens de ces villes disent que mettre un terme aux livraisons de déchets entraînerait la destruction de leurs revenus. Un grand nombre de décharges n’incinèrent pas et gagnent de l’argent en démontant ou en remettant en état des déchets électroniques venus d’Israël.

Il nous reste peu de terres pour l’agriculture et les terres et l’eau que nous avons ici sont contaminées. L’industrie des déchets entraîne une certaine prospérité et une certaine auto-suffisance

« Ce secteur doit être régulé de manière appropriée, il ne doit pas être éliminé purement et simplement. Nous parlons ici d’une industrie qui emploie des dizaines de milliers de personnes dans toute la Cisjordanie », dit Abu Jheisha, le propriétaire de l’usine de recyclage Safa.

Pour sa part, le régulateur de l’Autorité palestinienne écarte d’un revers de la main l’inquiétude portant sur la possibilité que de nombreux Palestiniens se trouvent soudainement sans travail si cette industrie devait s’arrêter.

« Dans ces villages, les habitants gagnaient leur vie dans l’agriculture. Ce n’est pas grave – une fois que ces déchets toxiques dangereux auront disparu, les gens retourneront cultiver leurs terres. Personne ne mourra de faim », dit-il.

Mais les Palestiniens de ces villes rurales pauvres critiquent cette attitude qui, selon eux, témoigne d’une indifférence à leur sort. Quand la barrière de sécurité a été installée, disent-ils, elle les a aussi séparés de terres que les agriculteurs du village cultivaient autrefois.

« Il nous reste peu de terres pour l’agriculture et les terres et l’eau que nous avons ici sont contaminées. L’industrie des déchets entraîne une certaine prospérité et une certaine auto-suffisance. Ils veulent vraiment qu’on revienne à l’âge de pierre ? », s’interroge Abu Jheisha.

Une success story contrariée

En 2017, les Palestiniens, les Israéliens et les donateurs internationaux avaient évoqué un projet ambitieux qui aurait interrompu les activités d’incinération pendant quelques mois tout en permettant aux habitants du secteur de continuer à gagner de l’argent grâce au démontage des déchets électroniques.

L’idée était simple : Au lieu de chercher à éliminer le commerce des déchets, les autorités aideraient la communauté à faire la transition vers le recyclage. Garb, le spécialiste de l’environnement, avait mis au point cette initiative avec les responsables palestiniens locaux ; les autorités israéliennes avaient donné leur aval.

Grâce à un financement apporté par la Suède, les maires avaient embauché des dizaines d’intervenants qui avaient été chargés de faire respecter l’interdiction des feux sauvages. Une ligne directe de communication avait été établie avec l’armée israélienne – contournant la bureaucratie de coordination de l’AP – ce qui permettait d’arrêter les contrevenants en l’espace de quelques minutes. Des subventions avaient été débloquées de manière à ce que les câbles puissent être recyclés par les Palestiniens qui, jusqu’alors, faisaient brûler leurs déchets électroniques et des équipes avaient été dévolues au nettoyage des sites pollués.

Un petit garçon près d’une pile de déchets sur une colline qui fait face à une école à Beit Awwa, le 26 novembre 2017. (Crédit : Tamir Kalifa)

Le projet avait payé : Au cours d’un printemps mémorable, le ciel était resté bleu, sans nuage de fumée noire et acide, et les Palestiniens avaient conservé leurs emplois dans les décharges. Le maire d’Idhna, Tmeize, et Abdullah Sweity, maire de l’époque de Beit Awwa, avaient commencé à espérer un avenir plus lumineux.

« On arrêtait les personnes à l’origine des feux, on saisissait leurs câbles. Nous les livrions à la police avec des éléments qui prouvaient leurs crimes et certains avaient même été poursuivis », se souvient Sweity.

C’est une guerre contre tout le vivant. Juifs et Palestiniens doivent coopérer et si nous laissons la question politique se mettre en travers, on va continuer à mourir

Sweity est pourtant une personnalité qui n’a normalement guère tendance à prôner le contact direct avec le gouvernement militaire israélien. Il a passé plusieurs années dans une prison israélienne pendant la Première intifada pour avoir participé à des affrontements violents avec les soldats, et il affirme qu’une paix réelle entre Israël et les Palestiniens n’arrivera jamais.

Mais sur la question des feux, Sweity déclare : « C’est une guerre contre tout le vivant. Juifs et Palestiniens doivent coopérer et si nous laissons la question politique se mettre en travers, on va continuer à mourir ».

Toutes les parties en conviennent : L’initiative prise était parvenue à mettre un terme à la pollution. L’agence de développement suédoise avait promis une somme supplémentaire de trois millions de dollars pour prolonger le programme et pour donner aux équipes de réponse rapide palestiniennes de nouvelles ressources. Alors que les feux allaient disparaître, des milliers de tonnes de sol toxique allaient être envoyés dans une usine israélienne de Ramat Hovav pour y être traités.

Mais le projet s’était effondré suite à des querelles politiques entre l’AP, Israël et les maires locaux, selon d’anciens responsables et selon d’anciens observateurs proches du dossier.

L’Autorité chargée de la qualité environnementale de l’AP avait insisté sur la nécessité de faire transiter les millions apportés en aide par ses coffres. Sweity et Tmeize avaient riposté que si l’argent allait à Ramallah et non aux villes, la corruption endémique aurait pour résultat qu’ils ne verraient pas un seul shekel des fonds alloués.

Pendant des discussions avec les Israéliens, l’Autorité palestinienne avait demandé qu’Israël signe une convention internationale établissant que les déchets franchissaient les frontières d’un État voisin. Israël, qui ne reconnaît pas d’État palestinien, avait refusé.

« Si Israël l’avait fait, cela aurait été une reconnaissance de la Palestine sans précédent à nos yeux. Et l’AP, dans l’approche qu’elle avait adoptée, ne souhaitait pas conclure d’accord informel ou tacite qui aurait permis d’avancer sans obtenir cela », déclare Johan Schaar, ancien responsable suédois de l’agence du développement qui a été en charge de ce projet.

Le spécialiste israélien de l’environnement Yaakov Garb, à gauche, avec le maire de l’époque de Beit Awwa, Abdullah Sweity, regardent un feu de déchets électroniques depuis une fenêtre de la mairie, le 26 novembre 2017. (Crédit : Tamir Kalifa)

Selon Sweity, ce positionnement s’est étendu aux plus petits détails – ainsi, serait-il écrit, sur les reçus des sols toxiques après leur envoi en Israël « État de Palestine » ou « Autorité palestinienne » ?

Pour d’autres proches du projet, les inquiétudes réelles de Ramallah étaient ailleurs. Selon les Accords d’Oslo, seule l’Autorité palestinienne peut traiter avec Israël. Mais le projet ouvrait un canal de communication direct entre les maires palestiniens et les Israéliens en contournant totalement l’AP, disent-ils.

Garb s’était impliqué dans tout un travail diplomatique intense des deux côtés et il était parvenu à trouver des semblants d’accord avec des officiels de moyen niveau. Mais lorsque ses accords avaient atteint le sommet de la hiérarchie palestinienne, qui devait les approuver, les choses étaient tombées dans l’impasse.

Avec des pourparlers qui n’avançaient plus, le gouvernement suédois avait suspendu toute implication. Et les feux avaient recommencé, assombrissant le ciel au-dessus des villes.

Le groupe de veille environnemental de l’AP s’est refusé à tout commentaire.

Tous les projets environnementaux conjoints entre Israël et les Palestiniens sont « extraordinairement sensibles », avec des « luttes politiques au sujet de l’indépendance ou au sujet de l’apparition de l’indépendance », explique Dancziger.

En l’absence d’un processus de paix, Israël et les Palestiniens sont pris au piège d’un bras de fer où les joueurs des deux parties cherchent à promouvoir leur solution au conflit. Et la lutte contre les menaces partagées finit toujours inévitablement par tomber dans le tourbillon de la politique, note Dancziger.

« Il y a d’innombrables exemples d’initiatives qui ont été bloquées par le désir des Palestiniens de prouver leur indépendance face à Israël et par le désir d’Israël de dire qu’il n’y avait pas de frontières, qu’il n’y avait pas deux États distincts », poursuit Dancziger.

Il n’y a pas de frontières

Les déchets toxiques impactent Palestiniens et Israéliens des deux côtés de la barrière de sécurité de Cisjordanie. Timna Idan, qui habite à Eliav, espère que les deux parties pourront s’unir contre le phénomène.

« Le mur n’arrête rien. Il n’y a pas de frontière, nous vivons les uns à côté des autres : Ici, il y a une ville où il y a des enfants et là-bas, de l’autre côté, c’est exactement la même chose », s’exclame Idan.

Les citoyens israéliens ont rencontré les Palestiniens à Eliav pour évoquer le problème. A cette occasion, les Palestiniens avaient dû recevoir un permis spécial délivré par l’armée pour pouvoir franchir la barrière de sécurité.

Timna Idan, résidente de la ville israélienne d’Eliav, à son domicile, le 27 novembre 2021. (Crédit : Aaron Boxerman/The Times of Israel)

« Nous avons eu vraiment le sentiment que nous vivions cela tous ensemble, que nous partagions une destinée commune. Nous avons terminé en nous étreignant », raconte Idan.

Dans un entretien téléphonique avec le Times of Israel, le député environnementaliste Alon Tal (Kakhol lavan) indique que le chef de son parti – le ministre de la Défense Benny Gantz – suit de près le dossier.

« Si on trouvait d’où viennent les déchets, qu’on frappait les coupables durement administrativement, voire avec des poursuites judiciaires si nécessaire – le problème pourrait disparaître en six mois », dit Tal. « Ce n’est pas un problème qui va durer éternellement ».

Abdullah Sweity, l’ancien maire de Beit Awwa, est moins optimiste. Après l’effondrement du projet financé par la Suède, il s’est ouvertement insurgé contre l’Autorité palestinienne dans les réunions organisées dans la ville et sur les réseaux sociaux.

L’AP a répondu en gelant les fonds de la municipalité et en arrêtant son frère Mohammad. Un convoi armé des forces de l’AP a cherché à prendre la ville d’assaut et des affrontements ont eu lieu avec les résidents de Beit Awwa. Face aux pressions croissantes, Sweity a remis sa démission à la fin de l’année 2017, huit mois seulement après le début de son mandat.

Ramallah a nommé son propre maire, un agent des renseignements de l’AP qui n’est pas originaire de Beit Awwa. Pour sa part, Sweity est retourné à son travail d’ouvrier de construction en Israël.

« Tout se mélange ici. Vous essayez de faire quelque chose de bien pour votre ville mais vous vous retrouvez à parler politique, frontière, état, tout le reste », dit Sweity.

« Et sur ces questions, il ne pourra jamais y avoir un accord. Il n’y a pas de solution. »

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