Israël en guerre - Jour 494

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Lecture de Rosh Chodesh dans la Torah à la synagogue Beis Aharon V'Yisrael de Lviv, vendredi matin, 4 mars 2022 (Crédit : Lazar Berman/Times of Israel)
Lecture de Rosh Chodesh dans la Torah à la synagogue Beis Aharon V'Yisrael de Lviv, vendredi matin, 4 mars 2022 (Crédit : Lazar Berman/Times of Israel)
Carnet du journaliste

Un vendredi soir à Lviv, en Ukraine, une synagogue devient un sanctuaire

Un seul et unique Juif, pas de vin rituel et pas de prières communes ce soir de Shabbat, la synagogue connue pour pour son passé et sa résistance remplit sa mission la plus sacrée

Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Lecture de Rosh Chodesh dans la Torah à la synagogue Beis Aharon V'Yisrael de Lviv, vendredi matin, 4 mars 2022 (Crédit : Lazar Berman/Times of Israel)

LVIV, Ukraine – Alors Salomon dit : « L’Éternel veut habiter dans l’obscurité ».

L’obscurité qui recouvrait Lviv était réellement palpable vendredi soir alors que je marchais vers la synagogue Beis Aharon V’Yisroel.

Le pays étant envahi par la Russie, la plus grande ville occidentale d’Ukraine avait éteint ses lampadaires et fermé ses magasins.

Mais même dans la pénombre, les signes de la guerre étaient évidents partout. Des familles se pressaient sur les trottoirs inégaux, les roues de leurs valises cliquetaient tandis que les réfugiés se dirigeaient vers tout logement temporaire accessible. Des sacs de sable obstruaient les fenêtres des cafés fermés.

J’attendais avec impatience le Shabbat et le soulagement indispensable qu’il procure chaque semaine – les chants familiers, la déconnection de toute préoccupation et la possibilité de se concentrer sur la communauté et Dieu.

Mais ce vendredi, il n’y aurait ni chants ni communauté à Lviv le vendredi soir.

Connue sous le nom de Lemberg en yiddish, Lviv, dont un tiers de la population était autrefois juive, était un important centre religieux et culturel juif.

Jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus. En juin et juillet 1941, les nationalistes ukrainiens et les Einsatzgruppen, les escadrons de la mort nazis,  se sont déchaînés sur les Juifs de Lviv. Les troupes de propagande allemandes ont filmé des femmes juives déshabillées et battues.  La quasi-totalité des Juifs de la ville ont été assassinés au cours des trois années qui ont suivi.

La synagogue est l’un des rares survivants de la Shoah à Lviv. Seules cette synagogue et la synagogue Jakob Glanzer ont survécu à la dévastation de la guerre. Comme beaucoup de survivants, son aspect est défraîchi et usé, mais sous cette surface fatiguée se cachent les traces d’un passé vivace.

La synagogue Beis Aharon V’Yisrael de Lviv (Crédit : Tomasz Leśniowski/Wikipedia CC BY-SA 3.0)

Une fois arrivé à destination à temps pour le Shabbat, j’ai frappé à la porte métallique et j’ai été accueilli par le gardien des lieux, un Ukrainien non-juif âgé et costaud.

Je lui ai fait signe que j’étais venu pour les prières, et bien qu’il ait secoué la tête et dit quelque chose qui ressemblait à des excuses en ukrainien, il s’est écarté pour me laisser passer.

Lors des prières du Rosh Hodesh (le début du mois) ce matin-là, on m’avait assuré qu’il y aurait un office à 18 heures, mais la synagogue était silencieuse et lugubre. Des cartons remplis de produits d’hygiène et de denrées alimentaires non-périssables encombraient le foyer.

Le lieu saint, dont l’éclairage est si faible que les peintures murales complexes des murs et du plafond sont à peine perceptibles dans l’ombre, était quasi vide.

Deux jeunes femmes étaient assises le long du mur sur le côté droit de la pièce, concentrées sur les écrans de leurs téléphones. Sinon, tout était calme.

Heureusement pour moi, toutes deux parlaient un anglais excellent. Les deux femmes, Oksana et Nastya, m’ont expliqué qu’elles venaient de Kharkiv, une ville du nord-est du pays, et qu’elles travaillaient au service clientèle de la société de commerce électronique Wiserbrand, basée à New York.

Terrées dans leurs appartements depuis le début de l’invasion, elles ont continué à travailler depuis leurs maisons obscurcies alors que les bombes russes tombaient de plus en plus près, dont une notamment sur une usine de tracteurs voisine.

Nastya m’a dit que les jets russes bombardaient depuis des jours une académie de chars de l’armée ukrainienne toute proche.

Une nuit, Oksana a vu quatre soldats russes courir dans les bois devant chez elle, et des troupes ukrainiennes se déplacer dans le même bosquet le lendemain.

Un bâtiment en feu photographié après un bombardement qui serait le fait des forces russes dans la deuxième ville d’Ukraine, Kharkiv, le 3 mars 2022. (Crédit : Sergey Bobok/AFP)

Les deux femmes ont alors décidé qu’elles en avaient assez vu et ont choisi de se rendre dans l’une des maisons louées pour ses employés par Wiserbrand dans l’ouest de l’Ukraine, emmenant avec elles George, le matou obstiné d’Oksana.

Le taxi jusqu’à la gare leur a coûté 1 000 hryvnia (33 dollars), soit dix fois le tarif habituel. Pendant le trajet jusqu’à la gare, elles entendaient les bombes tomber sur Kharkiv.

Le voyage a été cauchemardesque, disent les femmes. Le train était bondé de civils en fuite, certains dormant sur les étagères à bagages au-dessus des sièges. L’air était dense et chaud. Et, à Kiev, des passagers supplémentaires sont montés dans le train.

Nastya et Oksana n’avaient aucune idée de l’endroit où elles allaient passer la nuit à Lviv en route vers Stryi, à 70 kilomètres au sud.

Elles ont demandé conseil dans l’espace messagerie de leur entreprise et un collègue israélien nommé Yossi leur a conseillé d’appeler le rabbin de Lviv, un Hassid de Karlin-Stolin né à New York et nommé Mordechai Shlomo Bald.

Il était trop tard pour appeler Bald, car c’était déjà Shabbat en Israël, où Bald avait emmené sa famille pour la mettre en sécurité avec l’intention de revenir dans les jours suivants. Sans réponse et sans autre solution, elles se sont tout de même rendues à la synagogue.

Synagogue Beis Aharon V’Yisrael de Lviv, vendredi 4 mars 2022 (Crédit : Lazar Berman/Times of Israel)

Le gardien et la concierge, une Ukrainienne blonde et corpulente nommée Marina, les ont laissé entrer et les ont conduites dans le lieu saint en leur disant qu’elles pouvaient dormir sur les bancs pour la nuit.

Oksana et Nastya, qui n’étaient jamais entrées dans une synagogue auparavant, étaient très curieuses de se promener et de découvrir les peintures, les sculptures et l’arche. Pour ne pas manquer de respect, elles ont demandé l’autorisation avant de faire quoi que ce soit ou de prendre des photos.

Très vite, George a lui aussi eu envie de sortir, après avoir passé une journée enfermé dans son sac parmi des sons et des odeurs étrangers. Les femmes l’ont laissé se promener dans le lieu de culte, puis l’ont laissé se dégourdir les jambes dans la cour de la synagogue. Le chat n’aurait pas arrêté de miauler.

Des besoins physiques et non spirituels

« Lorsque nous sommes venus à Lviv, nous pensions que nous allions ramener atara leyoshna, la gloire passée du judaïsme », a déclaré Mme Bald au Times of Israël par téléphone depuis Beitar Illit vendredi. « Nous étions loin de nous douter que les gens seraient si abattus. »

« Nous avons dû nous atteler à l’essentiel : nourriture, médicaments, vêtements, et ne pas parler de quoi que ce soit de spirituel. On ne parle pas de cela aux gens quand ils doivent se battre pour chaque miette de nourriture », a-t-il déclaré.

Lorsque le rabbin Bald est arrivé à Lviv il y a plus de trente ans, il a entrepris de lancer des projets éducatifs et des programmes extrascolaires. Bald a dirigé une école juive pendant plus de 25 ans, jusqu’à ce que les fonds se tarissent.

Des bénévoles de la synagogue Beis Aharon V’Yisrael de Lviv remettent un colis de soins à une femme juive âgée. (Crédit : autorisation)

Sa philosophie était d’encourager les jeunes Juifs à quitter l’Ukraine pour Israël, les États-Unis et le Canada, où ils auraient plus d’options religieuses et professionnelles. Aujourd’hui, alors que seuls 20 à 30 hommes se présentent aux prières du Shabbat, M. Bald regrette son approche.

« Je pense que Habad avait partiellement raison et que j’avais tort », a-t-il réfléchi. Habad est un mouvement hassidique connu pour son engagement dans le monde juif, et qui a développé un vaste réseau dans l’Ukraine post-soviétique.

« Envoyez-les, envoyez-les, envoyez-les, plus on est de fous, plus on rit. C’est tout ce sur quoi nous étions concentrés, au lieu d’avoir 500 familles à Lviv avec leurs enfants et leurs petits-enfants », a déclaré Bald.  » Imaginez-vous si je leur avais dit de rester – quelle belle communauté florissante ç’aurait pu être « .

« Maintenant, nous devons constamment tout recommencer depuis le début », a-t-il ajouté. « Vous n’avez pas les gens qui chantent et dansent et créent une atmosphère »

Depuis le début de l’invasion russe, Bald, sa femme Sarah et plusieurs de leurs filles ont travaillé jour et nuit pour que les gens soient nourris et abrités, et pour trouver comment aider les gens à quitter le pays.

Le rabbin Mordechai Shlomo Bald. (Crédit : Capture d’écran YouTube)

Certains membres de la communauté viennent chercher des fournitures à la synagogue, tandis que des bénévoles apportent des boîtes aux personnes âgées et aux infirmes. La famille Bald a également organisé des livraisons d’aliments casher dans d’autres villes.

Ayant la réputation d’être quelqu’un qui sait comment faire avancer les choses, le numéro de Bald a été partagé bien au-delà de la communauté juive. Il aide tous ceux qui appellent.

« Il y a littéralement des dizaines et des dizaines de personnes qui appellent tout le temps », dit-il, beaucoup d’entre elles demandant de l’aide pour trouver des médicaments. « Je ne sais pas qui a donné mon numéro. Nous avons passé des commandes en Allemagne, en Pologne, et tous ceux que je peux trouver dans les chats, s’il vous plaît, s’il vous plaît, envoyez autant de médicaments, et ensuite nous trouverons quelqu’un pour les envoyer dans d’autres villes. »

Des Ukrainiens pendant la guerre avec la Russie mangeant à la synagogue Beis Aharon V’Yisrael de Lviv. (Crédit : autorisation)

Mais tous ses efforts n’ont pas été couronnés de succès. M. Bald a organisé le transport en Pologne d’une survivante de la Shoah âgée de 95 ans. Lorsqu’elle est arrivée, aucune des organisations du côté polonais de la frontière ne l’a aidée à trouver un logement. Elle a fini par être victime d’un vol et elle a été renvoyée en Ukraine, a déclaré M. Bald, la colère dans la voix.

Bald s’est également concentré sur les besoins particuliers de la communauté juive. « Il nous reste quelques boîtes de nourriture casher. Il faut lâcher, il faut lâcher, parce que les gens ont besoin de casher. Que va-t-il se passer ? Je ne sais pas, je suppose que le monde va envoyer de la nourriture casher. J’essaie d’obtenir quelques camions de nourriture casher. »

« Pour l’instant, nous nous concentrons uniquement sur les besoins physiques de base, et aussi sur les abris bien sûr », a déclaré Bald. « Mais si nous parvenons à l’étape suivante, si nous commençons à leur apporter un peu d’aide psychologique et spirituelle, ce serait formidable pour le moment. »

Un refuge pour les faibles

Vendredi soir, j’étais le seul juif dans la synagogue, et il n’y a pas eu de prières. Mais la vieille synagogue a répondu aussi aux besoins physiques de beaucoup.

Derrière les rideaux en dentelle, la forme fantomatique d’une jeune mère apparaissait, cajolant son bébé. Ils n’étaient pas juifs, mais le deuxième étage de la synagogue était, ce soir-là, leur maison.

George, le chat, après un voyage éprouvant depuis sa ville natale de Kharkiv, faisant le tour de sa nouvelle maison à Stryi. (Crédit : autorisation)

La nourriture casher est arrivée à 20 heures, et j’ai dégusté mon repas de Shabbat froid mais très apprécié avec les femmes de Kharkiv.

Pendant que nous mangions, et que George reniflait, d’autres familles entraient par la porte de la synagogue toutes les quelques minutes pour être accueillies dans le foyer par Marina.

Après un bref échange en ukrainien, elle rassemblait rapidement une boîte de fournitures et la remettait aux parents tandis que les petits enfants blonds regardaient avec curiosité dans le lieu de culte sombre. Marina ne souriait pas, mais son ton était celui d’une grand-mère inquiète.

Je n’ai pas eu l’occasion d’entendre ni les chants familiers, ni les prières que je désirais tant après une semaine dans un pays étranger en guerre. Mais la scène de cette nuit-là aurait été familière à des générations de mes ancêtres à Jytomyr, en Bessarabie, en Lituanie. Des voyageurs et des réfugiés fatigués mangeant et dormant dans la synagogue, tandis que les voisins se pressaient dans la nuit froide sur les pavés inégaux à l’extérieur.

Tu as été un refuge pour le faible, 

Bien qu’aucune prière commune n’ait été dite à la synagogue Beis Aharon V’Yisroel vendredi soir, et qu’il n’y ait pas eu de vin sur lequel réciter le kiddoush du Shabbat, une scène d’une immense sainteté a eu lieu dans la synagogue délabrée.

À l’intérieur de ses murs – ces mêmes murs qui ont eu la force de résister aux ravages des nazis – des gens se sont réfugiés.

Dans la lumière vacillante du ner tamid, la flamme éternelle au-dessus de l’arche, des mères, des bébés, de jeunes professionnels, et même un chat grognon – aucun n’était juif, mais tous étaient fatigués, effrayés et innocents – ont trouvé un sanctuaire.

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