Depuis quelques années, une clown colorée est omniprésente et intrigante dans les manifestations israéliennes. Ses bottes surdimensionnées et son nez rouge rubis se mêlent aux accessoires d’un uniforme de police parodié : une matraque fixée à sa taille contient des bulles de savon, une éponge en forme de cœur sert de talkie-walkie et des cœurs rouges imprimés en pointillés sur ses bretelles indiquent son grade.
HaShoteret Az-Oolay, « la policière alors peut-être », comme elle se surnomme elle-même – un clin d’œil comique à un film israélien classique, peut sembler être une farfelue. Mais les manifestants qui la connaissent et les policiers qui l’arrêtent parfois vous diront le contraire.
« Je l’ai rencontrée pour la première fois à Balfour », a raconté Chen Givati, une actrice de Tel Aviv, en référence aux manifestations anti-corruption qui ont débuté en 2020 dans la rue Balfour, à Jérusalem, devant la résidence du Premier ministre. « La situation devenait violente, puis elle est arrivée et a apposé ses autocollants en forme de cœur sur une rangée de policiers, l’un après l’autre. Les choses ont commencé à se calmer. »
Givati fait partie des nombreux manifestants venus saluer HaShoteret Az-Oolay lors d’un rassemblement organisé à la mi-janvier en faveur des otages à Tel Aviv. Shay Dickman, une cousine de l’otage Carmel Gat, et d’autres proches d’otages l’ont chaleureusement serrée dans leurs bras.
« Elle est là pour nous depuis novembre, lorsqu’elle a organisé une marche de Jérusalem à la frontière de Gaza pour soutenir notre campagne », a expliqué Dickman.
Quelques jours après le rassemblement de Tel Aviv, la créatrice du personnage, une actrice de Jérusalem âgée d’une trentaine d’années nommée Idit (elle a refusé décliner son patronyme), a expliqué à un groupe d’étudiants d’un programme de préparation à l’armée comment HaShoteret Az-Oolay est née.

« En août 2020, j’ai décidé d’assister à l’une des manifestations de la rue Balfour, juste par curiosité. J’ai su que je devais jouer un rôle, d’une manière ou d’une autre », a raconté Idit, qui a étudié à l’école californienne Dell’Arte International School of Physical Theatre, un centre d’études ancré dans la tradition italienne de la Commedia Dell’arte, qui consiste en des spectacles improvisés faisant appel au slapstick, au mime et à la comédie physique.
« J’ai commencé à distribuer des cœurs et à parler aux gens. Je n’avais aucune idée de la façon dont ce personnage allait évoluer. Je voulais juste apporter une voix plus douce, être une policière différente », a-t-elle dit.
Idit a expliqué aux étudiants que le nom de son personnage est une allusion au policier au grand cœur, le héros du film israélien classique éponyme de 1971 « HaShoter Azoulay ».
Azoulay est un patronyme courant chez les Juifs d’origine marocaine, mais Idit a changé l’orthographe en Az-Oolay, un jeu de mots sur deux mots en hébreu signifiant « alors peut-être ». Elle a expliqué qu’il s’agit d’une abréviation du nom complet du personnage, qui est Az-Oolay Yehiye Yoter Tov, ce qui signifie « alors peut-être que ça ira mieux ».

Au cours des quatre dernières années, HaShoteret Az-Oolay a tendu la main à des manifestants de tous bords : elle s’est jointe à des manifestants contre la refonte du système judiciaire qui bloquaient l’autoroute Ayalon à Tel Aviv, s’est tenue aux côtés de Juifs ultra-orthodoxes qui s’opposaient à la construction d’une ligne de tramway dans leur quartier, et a accompagné des Palestiniens à la porte de Damas à Jérusalem pour protester contre l’expulsion de leurs familles.
Toutes ces rencontres sont documentées dans des messages publiés sur sa page Facebook, qu’elle nomme « les do’hot » (« rapports de police » en hébreu). Au début du mois de février, elle avait déposé 322 duchot.
Ce qui distingue HaShoteret Az-Oolay des autres participants aux manifestations, ce sont les efforts qu’elle déploie pour nouer des relations avec les policiers, dont beaucoup la connaissent assez bien.
Lors d’une rencontre filmée par la télévision, on la voit tenter de calmer un policier. « Calmez-vous neshama », lui dit-elle, en utilisant le mot en hébreu pour « âme ». « Nous sommes dans le même bateau. Respirez profondément. »

Ses pitreries font parfois sourire les forces de l’ordre ; elles lui ont aussi valu d’être accusée de trouble à l’ordre public et d’être détenue le temps d’un week-end dans une prison de Jérusalem.
Malgré ces revers, Idit a souligné que le comportement espiègle de son personnage a parfois donné des résultats inattendus.
« Une fois, lors d’une manifestation Balfour, la police a poussé tout le monde derrière une barrière et un policier m’a fait tomber à terre », a raconté Idit aux étudiants. « Je me suis alors approchée de lui et lui ai dit : ‘Voulez-vous entendre un poème ?' »
Elle a poursuivi en décrivant comment elle a récité une comptine qu’elle avait inventée sur le fait de donner et de recevoir.

« Plusieurs mois plus tard, lors d’une manifestation près de la résidence présidentielle, le même officier de police s’est approché de moi et m’a dit : ‘Allez, écoutons ce poème' », a poursuivi Idit. « J’ai commencé à le réciter et lorsque je suis arrivée à la dernière ligne, il l’a terminé en prononçant le mot ‘amour’. Tout cela s’est passé au milieu d’une situation chaotique où l’on utilisait des canons à eau pour disperser les manifestants. »
Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer la raison d’être de HaShoteret Az-Oolay, Idit s’est référée à la fois aux textes juifs traditionnels et aux promoteurs modernes de la paix.
« Dans le Zohar, nous apprenons qu’il est nécessaire de rendre notre monde intérieur plus fort que le monde extérieur, de vivre avec un sentiment d’espoir », a-t-elle dit en citant le texte kabbalistique.
Elle a également fait part de son interprétation d’une maxime bien connue de Qohélet – l’Ecclésiaste.

« Lorsque nous disons : ‘Il n’y a rien de nouveau sous le soleil’, si nous croyons que ce que nous voyons autour de nous est tout ce qu’il y a, alors nous pouvons sombrer dans la dépression en pensant que nous vivrons éternellement par le glaive. Mais si nous croyons que quelque chose, que nous ne voyons pas actuellement, peut arriver – qu’il y a des choses au-delà du soleil – alors il est possible de changer les choses et que quelque chose de nouveau se produise. »
En ce qui concerne les personnes qui l’ont inspirée, elle a mentionné le Mahatma Gandhi, le partisan indien de la résistance non violente, Charlie Chaplin et Etty Hilsome.
L’inspiration de Chaplin lui vient de sa parodie d’Hitler dans son film « Le Grand Dictateur », réalisé pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Je connais son dernier discours par cœur », a dit Idit, en référence à la scène où Chaplin s’adresse directement au public pour lui demander de s’élever contre les dictateurs et de s’unir dans la paix.

Le journal de Hilsome, une jeune femme juive néerlandaise qui a péri à Auschwitz en 1943, a également exercé une forte influence sur elle.
« Je garde son journal avec moi », a dit Idit. « Elle écrit sur la façon dont le monde intérieur d’une personne peut changer la réalité, une conviction qu’elle a conservée jusqu’à la fin. Elle aurait pu rester dans la clandestinité, mais elle voulait soutenir les autres. »
À la fin du séminaire, un étudiant a demandé à Idit si sa vision n’était pas un peu naïve.
« Qu’est-ce qui est préférable, des armes, des balles, des grenades assourdissantes ? », a-t-elle répondu.
« Si je dois choisir entre tout ça et être naïve, je choisis d’être naïve. Ce que je demande à tout le monde, c’est d’être naïf comme moi. »