Israël en guerre - Jour 338

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Ladislav Trajer, à gauche, et Mirko Štark, les deux principaux dirigeants de la communauté juive de Novi Sad, en Serbie, discutent juste devant l'entrée de leur synagogue. (Crédit : Larry Luxner/JTA)
Ladislav Trajer, à gauche, et Mirko Štark, les deux principaux dirigeants de la communauté juive de Novi Sad, en Serbie, discutent juste devant l'entrée de leur synagogue. (Crédit : Larry Luxner/JTA)

Une communauté juive serbe qui a survécu de peu à la Shoah risque de disparaître

Bien que la ville se soit considérablement développée depuis la Seconde Guerre mondiale, les Juifs de Novi Sad ne se sont toujours pas remis malgré une ténacité redoutable

NOVI SAD, Serbie (JTA) – Au centre de la deuxième ville de Serbie, dans une rue verdoyante, une grande synagogue se dresse entre deux immeubles en briques.

Avec son dôme central de 40 mètres de haut et sa façade en briques jaunes délavées, son école juive et ses bureaux situés de part et d’autre, ce complexe de trois bâtiments est devenu une attraction touristique incontournable.

Construite pour accueillir jusqu’à 950 fidèles durant la première décennie du XXe siècle, la synagogue, à l’image de la ville et de la Serbie en général, a connu des jours meilleurs. Il y a deux jours, une famille campait devant l’entrée, mendiant de l’argent aux passants.

Avant la Seconde Guerre mondiale, Novi Sad comptait environ 60 000 habitants, dont 4 300 Juifs, soit environ 7 % de la population totale. La plupart d’entre eux étaient de riches commerçants, des avocats, des médecins et des enseignants. Leur richesse se reflétait dans l’opulente synagogue de la ville, construite entre 1906 et 1909 par l’architecte juif hongrois Lipot Baumhorn, dont l’œuvre intégrait des éléments du mouvement Art nouveau.

Aujourd’hui, cet édifice remarquable dessert une communauté en déclin qui, comme d’autres, a été non seulement dévastée par la Shoah, mais aussi affaiblie par les guerres qui ont ravagé les Balkans dans les années 1990. Cette communauté craint pour son avenir car ses membres se dispersent à l’étranger. Novi Sad ne compte, aujourd’hui, plus que quelque 640 juifs, les autres étant partis à la recherche d’un avenir meilleur en Israël ou dans des pays offrant plus d’opportunités économiques.

« Nous n’utilisons notre synagogue que pour Yom Kippour », a déclaré Ladislav Trajer, originaire de Novi Sad et vice-président de la Fédération des communautés juives de Serbie.

Photo de l’intérieur de la synagogue de Novi Sad, en Serbie. (Crédit : Larry Luxner/JTA)

« Nous accueillons six à dix personnes le Shabbat – parfois quinze – mais moins de la moitié sont des hommes, et il n’y a donc pas de minyan [quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie (NDT)] », explique Trajer. Il a passé huit ans en Israël et a également servi dans l’armée israélienne. « Même à Belgrade, où la communauté est beaucoup plus importante, le rabbin ne parvient pas toujours à former un minyan. Et personne ici ne pratique la casheroute. On ne trouve pas de viande casher. »

Novi Sad était un centre important et prospère de la vie juive dans la Yougoslavie d’avant-guerre, et la ville – aujourd’hui une métropole de 370 000 habitants parfois appelée « l’Athènes serbe » – a été nommée capitale européenne de la culture en 2022 pour ses arts, sa gastronomie, son architecture et sa vie culturelle.

Mais la plupart des Juifs locaux ont peu de perspectives dans un pays en pleine tourmente économique. Entre 1990 et 2000 – après l’éclatement de la Yougoslavie, les guerres ethniques en Croatie, en Bosnie et plus tard au Kosovo, et l’imposition de sanctions paralysantes par les États-Unis, l’Union européenne et les Nations unies – le PIB de la Serbie a chuté de 24 milliards de dollars à 8,7 milliards de dollars. En 1993, près de 40 % de la population serbe vivait avec moins de 2 dollars par jour. Aujourd’hui, le Serbe moyen gagne entre 430 et 540 dollars par mois.

Malgré cela, en 2017, la Serbie a accepté de verser un peu plus d’un million de dollars par an au cours des 25 prochaines années à ses Juifs restants, à titre de compensation pour les biens nationalisés par le régime communiste d’après-guerre. La moitié de cet argent va directement aux organisations communautaires juives, 20 % aux survivants de la Shoah et les 30 % restants à des projets visant à préserver les traditions juives.

Depuis 2012, la communauté de Novi Sad perçoit également des revenus provenant de la location de son immense synagogue à la municipalité qui y organise des concerts de musique classique. En contrepartie, la ville entretient le complexe classé monument historique et procède actuellement à la réparation du toit de la synagogue et des fuites d’eau.

« Ces bâtiments étaient sur le point de s’effondrer », a déclaré Trajer. Il a ajouté que le cimetière juif de la ville, laissé à l’abandon, ressemblait parfois à une forêt. « Nous taillons les arbres et nous nous efforçons de mettre en place des clôtures ».

Des échafaudages entourent la façade de la synagogue de Novi Sad, en Serbie, qui est en train d’être rénovée. (Crédit : Larry Luxner/JTA)

Bien que les incidents antisémites ne soient pas trop fréquents, la Serbie, comme la plupart des autres pays d’Europe de l’Est, est également confrontée à une forte tendance nationaliste. Trajer, qui recense de près la montée de l’antisémitisme, a déclaré que quelque 1 500 Serbes appartiendraient à des groupes extrémistes, et que 120 d’entre eux seraient actifs. L’Action serbe, un petit groupe de néo-nazis, organise occasionnellement des rassemblements et appose des graffitis antisémites, anti-immigrés et anti-gays sur des bâtiments publics.

« Au lycée, mon professeur d’histoire plaisantait et disait qu’Hitler avait décidé de tuer les juifs parce qu’il n’avait pas été admis dans une académie d’art », raconte Teodora Paljic, une étudiante universitaire juive de 20 ans. « Je ne parle de ces choses qu’avec des personnes avec lesquelles je me sens en sécurité ».

Elle a ajouté que « la vie en Serbie est très difficile » parce que « tous les prix ont augmenté, mais les salaires n’ont pas augmenté depuis 2019 ».

Teodora Paljic, 20 ans, étudiante à l’université, aide à organiser des programmes culturels pour la jeunesse juive à Novi Sad, Serbie. (Crédit : Larry Luxner/JTA)

Novi Sad est la capitale de la Voïvodine, une province autonome qui couvre une grande partie du nord de la Serbie. À son apogée, la communauté juive locale comptait 86 synagogues dans la province. Aujourd’hui, il n’en reste que 11, et la plupart sont tombées en désuétude.

Mirko Štark, président de la communauté juive de Novi Sad, a déclaré que les premiers juifs sont arrivés dans la ville au XVIIe siècle, peu après sa fondation en 1694 du temps de l’ancienne monarchie des Habsbourg.

« Lorsque l’Empire austro-hongrois, où vivaient la plupart des Ashkénazes, a introduit de nouvelles lois interdisant aux Juifs de vivre dans les villes, un grand nombre d’entre eux se sont réfugiés dans la zone frontalière, où ces lois n’étaient pas appliquées de manière aussi stricte », a expliqué Štark. Lorsque les Serbes ont conquis la Voïvodine, ces restrictions ont été levées et la communauté juive a prospéré.

Après la Première Guerre mondiale et la création du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes – qui deviendra plus tard la Yougoslavie – les Juifs de Novi Sad ont connu une renaissance culturelle et économique qui a vu la création d’un centre communautaire juif, de clubs d’athlétisme, de chorales et de plusieurs journaux juifs.

Selon Ladislav Trajer, la communauté de Novi Sad, en Serbie, s’emploie à entretenir le cimetière juif de la ville (Crédit : Larry Luxner/JTA)

Cette renaissance a pris fin brutalement en 1941, lorsque l’armée hongroise, en collaboration avec l’Allemagne nazie, a occupé Novi Sad, rendant la vie des Juifs intolérable. En janvier 1942, en l’espace de trois journées désormais connues sous le nom de « massacre de Novi Sad », les Hongrois ont rassemblé plus de 1 400 Juifs, se sont emparés de leurs biens, leur ont tiré une balle dans le dos et les ont jetés dans le Danube glacial.

Après la reddition de la Hongrie à l’Allemagne, des gardes armés ont rassemblé les 1 800 Juifs restants de la ville dans la synagogue et les ont détenus pendant deux jours dans des conditions déplorables, sans eau ni nourriture. Le 27 avril 1944, les nazis ont conduit leurs captifs juifs affaiblis jusqu’à la gare, où ils les ont obligés à monter dans un train à destination d’Auschwitz ; le train a mis deux mois à arriver en raison des bombardements alliés.

Seuls 300 des Juifs de Novi Sad ont survécu à la Shoah, et, dans le chaos qui a suivi la guerre, ils ont rebâti leur communauté à partir de rien ou presque.

« Il n’y avait plus de religieux, et pas de rabbin », a déclaré Štark. « Beaucoup étaient partis en Israël lors de la première alyah. Les quelques Juifs qui sont restés ont essayé de préserver la communauté, en ouvrant une cuisine pour nourrir ceux qui ne pouvaient pas s’acheter de nourriture. Ma grand-mère a survécu à Auschwitz. Elle travaillait dans cette cuisine. »

Ladislav Trajer, à gauche, et Mirko Štark, les deux principaux dirigeants de la communauté juive de Novi Sad, en Serbie, discutent juste devant l’entrée de leur synagogue. (Crédit : Larry Luxner/JTA)

Selon Trajer, aucun office de Shabbat n’a été organisé de 1948 à 2022. Aujourd’hui, Trajer dirige tous les offices religieux car il est le seul à connaître les prières en hébreu.

Avec 640 membres, Novi Sad possède la deuxième plus grande communauté juive du pays, après Belgrade. La capitale abrite plus de la moitié des 3 000 Juifs du pays, sur une population totale de 7,1 millions d’habitants. On trouve également des communautés juives plus petites à Subotica, Niš et dans d’autres villes. Seules les synagogues de Belgrade et de Subotica – cette dernière est située à quelques kilomètres de la frontière hongroise – fonctionnent encore.

La plupart des membres de la communauté de Novi Sad, dont Štark, ont épousé des non-Juifs.

« Ma femme n’est pas juive. Ma mère non plus. Seul mon père était juif », a-t-il déclaré. « Après la Seconde Guerre mondiale, les possibilités de trouver des maris et des femmes au sein de la communauté étaient limitées. C’est pourquoi nous acceptons des conjoints non juifs comme membres. C’est notre seul moyen de perdurer. »

Štark, 70 ans, est un professeur de journalisme à la retraite. Il a travaillé pendant des années à la principale chaîne de télévision de Novi Sad. Il est également le président de longue date de la chorale de la synagogue, HaShira, qui chante en hébreu, en ladino et en yiddish et qui a récemment remporté un prix pour ses prestations au Monténégro voisin. Seuls trois des 35 membres de la chorale sont juifs.

Une menorah artisanale à neuf branches fabriquée à partir de tuyaux d’eau recyclés, installée à l’extérieur de la synagogue de Novi Sad, en Serbie (Crédit : Larry Luxner/JTA)

« Lorsque j’ai pris mes fonctions de président il y a un an et demi, nous avons relancé de nombreuses activités, qui n’existaient auparavant qu’à petite échelle, au sein de la communauté juive », a-t-il confié.

Outre la chorale, ces activités comprennent la troupe de danse Zmaya ainsi qu’un club de culture juive qui se réunit tous les mardis à 18 heures pour discuter de livres et de films israéliens. Il existe également un « baby club » pour les jeunes enfants et un autre club pour les adolescents, dont les activités sont dirigées par deux adultes. Hanoukka et Pessah sont célébrés en famille, et à l’occasion de la fête juive de Tou Bichvat, la communauté plante des arbres.

La communauté investit également dans ses membres, et Paljic est emblématique de cet espoir.

Paljic, interviewée au café branché Petrus, à 15 minutes à pied du cimetière juif de Novi Sad, est la fille de parents juifs qui se sont rencontrés lors d’une fête de Pourim à Belgrade.

« Mes grands-parents ont été tués à Jasenovac [un camp de concentration notoirement brutal], mais la grand-mère de mon meilleur ami a survécu à Auschwitz », explique-t-elle. « Le problème est que les gens ne parlent pas du judaïsme parce qu’ils ont peur. L’antisémitisme est toujours présent. L’année dernière, quelqu’un a dessiné une croix gammée à l’entrée du cimetière juif de Belgrade. Nous étions tous sous le choc ».

Cet été, Paljic a travaillé comme conseillère à la colonie de vacances Szarvas en Hongrie, qui rassemble des jeunes juifs de toute l’Europe centrale et de l’Est. Le camp a accueilli cette année 20 enfants de Novi Sad, dont les frais de scolarité ont été pris en charge par l’American Jewish Joint Distribution Committee (AJJDC).

Bien qu’elle veuille rester près de sa famille, Paljic explique qu’elle doit être pragmatique.

« J’aimerais quitter la Serbie à la fin de mes études », dit-elle. « Je ne me vois pas faire carrière ici. J’aime l’histoire de l’art et la photographie, mais il n’y a pas d’argent pour cela en Serbie. »

Malgré les difficultés, Štark n’est pas encore prête à réciter le kaddish pour les Juifs de Novi Sad.

« L’esprit juif perdurera ici. Nous y travaillons sans relâche, en commençant par les enfants », a-t-il déclaré. « Si nous ne le faisons pas, la communauté aura disparu d’ici cinq ou dix ans. Tout dépend donc de nous. »

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