Pour rallier le sud-est de Jérusalem et le centre de la ville, il y a peu de possibilités aussi directes que celle d’emprunter la route de Hébron.
Mais il y a également peu d’options aussi embouteillées et aussi dangereuses, que ce soit en circulant en voiture, en bus, en vélo ou à pied.
Aux heures de pointe, un parcours sur cette rue à quatre voies, avec deux autres voies situées au milieu pour les bus, est une aventure lente jusqu’à l’écœurement, qui se vit pare-choc contre pare-choc et qui remplit l’air de Jérusalem des fumées des pots d’échappement et du bruit strident des klaxons actionnés par les conducteurs frustrés et à bout de nerfs. Faire cinq kilomètres, à ce rythme, peut prendre pas moins de 45 minutes.
Et la situation n’est guère plus enviable pour les piétons ou pour les passagers des bus, qui doivent traverser cette route périlleuse pour atteindre son milieu et accéder ainsi aux voies rapides attribuées aux transports publics.
Avec la construction de 9 000 unités de logement supplémentaires prévue le long de l’artère et à ses abords, depuis la place Remez jusqu’au carrefour Rozmarin à Gilo, et alors que la croissance des quartiers environnants continue à une vitesse soutenue, difficile de savoir si une ligne de tramway qui doit venir remplacer les voies réservées aux bus pourra venir à bout des problèmes de circulation.
Mais selon l’activiste Yossi Saidov, originaire de Jérusalem, qui travaille sur les problématiques sociales, la route de Hébron a surtout besoin de deux choses : d’une cure de rajeunissement et d’une diète.

Saidov, qui a mené plusieurs campagnes réussies, en a lancé une autre visant à amincir la route de Hébron en la faisant passer de quatre voies à deux – un concept connu dans les cercles qui travaillent sur la planification sous le nom de « diète routière. » Il demande également à utiliser l’espace restant pour installer un large trottoir, similaire à ceux qui ornent les parcs, qui offrirait suffisamment de place pour accueillir les piétons, les cyclistes, des cafés, des commerces de proximité et des activités communautaires.
Un plan qui pourrait bien ne pas rester à l’état de chimère. Le maire de Jérusalem, Moshe Lion, a dit avoir déjà donné pour instruction aux responsables d’examiner l’idée « dans un esprit de positivité ».
La Route de Hébron, qui est l’une des artères les plus importantes de Jérusalem, relie la zone industrielle de Talpiot – un pôle majeur d’emploi et de shopping – au centre de la ville, traversant les quartiers résidentiels de Baka, à l’Ouest, et d’Arnona, de Talpiot et d’Abu Tor à l’Est.
La route, qui court depuis le sud de Bethléem en Cisjordanie, est l’un des seuls moyens d’accéder au centre de la ville pour ceux qui viennent de plusieurs quartiers de Jérusalem-Est ou des implantations du Gush Etzion.
Elle fait aussi partie des routes les plus dangereuse du pays, selon l’Association israélienne Or Yarok, qui se bat pour une conduite automobile plus sûre dans le pays. Les données du groupe, qui ont été publiées dans le journal de Jérusalem Kol Hair, ont révélé que trois personnes avaient été tuées sur cette artère entre 2018 et 2020. De plus, a ajouté le groupe, sept personnes ont été grièvement blessées et 30 autres ont été plus légèrement touchées dans des accidents de la circulation survenus route de Hébron dans la même période de temps.
Dans tout le pays, les experts mettent en garde contre des embouteillages de plus en plus importants avec l’arrivée d’un plus grand nombre de voitures sur le réseau routier, construit en grande partie à une époque où posséder un véhicule était considéré comme un luxe. Les bouchons ne portent pas seulement éprouvants pour les nerfs des conducteurs mais ils le sont aussi pour l’économie : ils coûtent 40 milliards de shekels par an, selon un reportage publié sur le site The Marker (lien en hébreu) – à hauteur de 50 % en raison de la perte d’heures de travail et de loisirs, et à hauteur de 50 % à cause des accidents de la route et de la pollution de l’air.

En 2021, le Bureau central des statistiques a décompté 3,84 millions de voitures sur les routes israéliennes – soit une hausse de 4,1 % par rapport à l’année précédente. Le nombre de sièges, dans les bus, a augmenté de 0,3 % sur la même période.
Comme une enquête du Times of Israel l’avait résumé au mois de décembre, la conclusion est qu’il y a trop de voitures et pas assez de solutions à portée des citoyens en matière de transport public.
Pendant des décennies, la réponse apportée par les services de planification aux engorgements routiers avait été de construire une plus grand nombre de voies et un plus grand nombre de routes – ce qui était considéré comme la solution la plus sage. A Jérusalem, plusieurs projets de construction massifs de ce type sont actuellement en cours, notamment pour relier l’entrée occidentale de la ville au mont Scopus, dans le nord de la capitale, et à Givat Mordechai, un quartier qui se trouve au Sud-Ouest du centre-ville. Plus près de la Route de Hébron, une section de la rocade de Jérusalem-Est faisant la liaison entre les quartiers palestiniens d’Umm Tuba et d’Abu Dis – comme convenu dans les Accords d’Oslo conclus en 1994 entre les Israéliens et les Palestiniens – a été récemment terminée.
Mais les experts estiment dorénavant qu’ajouter des voies ne fait qu’empirer la problématique des embouteillages en encourageant l’utilisation de la voiture. En 2017, ce sont 1 051 kilomètres de routes en Israël qui avaient été construits, reconstruits ou élargis. En 2021, ce chiffre a été de 460 kilomètres.

La ministre des Transports Merav Michaeli a fait savoir qu’elle était déterminée à trouver une solution à la crise des embouteillages traversée par Israël qui s’appuiera sur les transports publics, avec 80 % environ du budget de son ministère investi dans les transports publics et dans les projets de transport durable et 20 % seulement dans les infrastructures pour les véhicules privés.
Un principe qui correspond bien à la problématique de la Route de Hébron.
Selon les chiffres officiels transmis par l’équipe ministérielle chargée du plan-directeur en matière de transport, environ 3 000 voitures transportant approximativement 3 200 personnes circulent sur la route, dans une seule direction, en deux heures au moment des heures de pointe. Dans le même délai et dans les mêmes conditions, 160 bus à peu près circulent sur le même itinéraire.
De nombreux bus sont articulés et ils peuvent transporter 160 passagers chacun – même si d’autres, comme les minibus, en accueillent beaucoup moins. Il n’y a pas de chiffres officiels sur le nombre de personnes empruntant les bus sur la Route de Hébron, mais ce chiffre dépasse très probablement de loin le nombre de personnes se déplaçant en voiture – peut-être deux fois plus, voire encore davantage.
Saidov estime que le fait que la plus grande partie de la route soit allouée aux voitures est injuste dans la mesure où les personnes utilisant les transports publics sont finalement bien plus nombreuses.
Alors que la ville planifie d’ores et déjà une ligne de tramway pour remplacer les voies de bus, Saidov et d’autres rêvent de transformer la Route de Hébron en faisant de cette artère consacrée aux voitures un espace divisé de manière plus équitable, au bénéfice de tous les usagers.

En ce qui concerne la section longue de 4,5 kilomètres qui sépare la place Remez, à côté du complexe de la First Station, au quartier de Gilo, à l’extrémité sud de Jérusalem, l’organisation à but non-lucratif de Saidov, Our Streets, travaillant en partenariat avec le Merhav, le Mouvement pour l’urbanisme israélien et le groupe Bicyles for Jerusalem, propose de conserver deux voies du côté oriental de la Route de Hébron pour les véhicules avec une voie qui se dirigera vers le sud et l’autre vers le nord.
Les deux voies, à l’Ouest, seraient remplacées dans ce cadre par des arbres et des espaces verts traversés par des pistes susceptibles d’être empruntées par les cyclistes, les joggeurs et par les piétons, avec des périmètres qui seraient mis à disposition pour les activités communautaires et commerciales.
C’est au centre que seraient installées les deux voies pour le tramway circulant sur la Ligne Bleue qui doit faire la liaison entre Gilo, au sud de la capitale, et Ramat Eshkol et Ramot, au nord, via le centre-ville. Un embranchement distinct du métro longerait la rue Emek Refaim en rejoignant le quartier Malha.

Saidov et son équipe ont présenté leurs idées à Lion et à d’autres responsables de la ville.

Un communiqué émis par la municipalité a indiqué que le maire avait donné pour instruction aux officiels « d’examiner la proposition dans un esprit de positivité » même si, selon Saidov, Lion a fait part de sa préférence qui est d’attendre, avant toute autre chose, la mise en circulation de la Ligne Bleue.
Une fois que la Ligne bleue sera opérationnelle, elle sera en mesure de transporter 10 000 personnes vers le nord de la ville entre 7 heures et 9 heures du matin et 7 000 personnes vers le sud entre 16 heures et 18 heures, selon l’équipe qui a été chargée de concevoir le plan-directeur des transports.
Environ 110 bus continueront à circuler vers le nord aux heures de pointe de la matinée et vers le sud dans la soirée, transportant principalement les Palestiniens de Jérusalem-Est vers et depuis leur lieu de travail et vers et depuis les écoles. Les autobus emprunteront les voies de circulation utilisées par les voitures, les camions et les motos.
Les plans prévoient que la section du tramway reliant Gilo au centre de la ville sera opérationnelle en 2028 et que toute la ligne devrait être prête à l’horizon 2030.
When you realize that public space should serve a wide variety of societal goals instead of only vehicular throughput…
~ Segovia bridge, #Madrid 2005-2011 pic.twitter.com/BG05L7YaW9
— Cycling Professor ???? (@fietsprofessor) June 16, 2022
Saidov veut, en définitive, procéder sur la Route de Hébron à une « diète routière » – appelée aussi réduction de voirie ou transformation routière.
Ces « diètes routières » sont saluées parce qu’elles réduisent les accidents, qu’elles répartissent l’espace urbain entre les usagers de manière plus équitable, qu’elles ralentissent le trafic et qu’elles améliorent à la fois la qualité de vie et les activités économiques.
Selon l’Administration des autoroutes fédérales, au sein du département américain des Transports, les « diètes routières » entraînent « un environnement plus centré sur la communauté et elles permettent de créer un environnement, dans les rues, qui répond davantage aux besoins des différents usagers de la route ».
Une étude de l’agence, en 2018, avait établi que supprimer des voies de circulation pouvait réduire de 47 % le nombre de collisions, entraîner un trafic plus calme et modérer la vitesse des véhicules.
A San Diego, une « diète routière » sur le La Jolla Boulevard, une artère majeure, a réduit les incidents liés au déplacement des voitures et les accidents d’environ 90 %, renforcé la sécurité des piétons qui traversent la route et dynamisé les activités commerciales des magasins environnants d’environ 30 %.
A Séoul, les planificateurs ont redynamisé une partie du centre-ville en supprimant une autoroute toute entière et en réhabilitant une rivière que l’artère avait recouverte.
Saidov cite l’exemple de la Rue Jaffa à Jérusalem, qui a été transformée par une diète routière et qui ressemble maintenant à « une rue complète » – un terme qui désigne les rues qui permettent aux piétons, aux cyclistes, aux automobilistes, aux livreurs et aux passagers des transports publics de tous se déplacer dans des conditions de sécurité optimales.
Autrefois bruyante, polluée par la circulation automobile, la rue Jaffa est devenue une zone verdoyante, bordée de cafés où le seul transport est une ligne de tramway silencieuse, avec des rames circulant à quelques minutes d’intervalle les unes des autres.
Les critiques remarquent que les bus et les voitures qui envahissaient avant la rue Jaffa n’ont pas disparu mais qu’ils empruntent dorénavant deux rues parallèles, dorénavant saturées par la circulation. Mais pour Saidov, le résultat a été formidable au niveau économique pour tous les magasins situés des deux côtés de cette artère majeure du centre-ville.

« Chaque année, The Marker et Globes s’intéressent aux rues les plus profitables du pays », dit-il. « Après la rue Dizengoff à Tel Aviv, c’est la rue Jaffa qui arrive habituellement en deuxième – et Jérusalem est une ville pauvre. Quand vous marchez, vous achetez davantage ».
En contraste, il y a peu de magasins le long de la Route de Hébron, un grand nombre d’entre eux changeant fréquemment de propriétaire. Les voitures circulent vite et il y a peu de places de stationnement.

Plutôt que d’aggraver les embouteillages, la suppression de voies de circulation encouragera les potentiels usagers à se tourner vers les transports publics, selon Saidov, qui cite des statistiques démontrant que les gens ont tendance à choisir le bus ou le train si cela leur permet d’arriver plus rapidement à leur destination.
Un exemple : Les temps de trajet ont baissé et le nombre de passagers a augmenté à bord des bus reliant la ville côtière de Netanya et Tel Aviv aux heures de pointe après l’allocation d’une voie de l’autoroute entre les deux villes aux transports publics exclusivement, selon une étude qui a été réalisée par l’entreprise d’ingénierie Amy-Meton pour le ministère des Transports et qui a été publiée par The Marker (lien en hébreu).
La toute première ligne de tramway de Jérusalem, la Ligne Rouge – c’est actuellement la seule – qui relie le mont Herzl, à l’Ouest, à Pisgat Zeev au nord, ne devait transporter initialement, selon les prévisions, que 90 000 passagers par jour, avec des rames toutes les quatre minutes et trente secondes environ, note Saidov. Mais elle est utilisée par environ 170 000 personnes quotidiennement qui empruntent les rames qui circulent toutes les 6 à 7 minutes, et ce alors qu’aucun train supplémentaire n’est venu s’ajouter aux rames en circulation depuis le lancement de la ligne.
Dans une déclaration faite au Times of Israel, la municipalité de Jérusalem a semblé repousser l’idée de réduire le nombre de voies pour les voitures, ajoutant néanmoins que des pistes cyclables avaient été inclues dans le projet qui suivra la mise en opération du tramway.
« L’expansion du réseau de tramway, le système des stations de transit et l’encouragement du déplacement en transport public devraient réduire la circulation des voitures, même sans réduire le nombre de voies », a-t-elle commenté.

La ville a ajouté qu’avec des projets de construction majeurs prévus dans la zone industrielle de Talpiot – ils visent très largement à développer le commerce et l’emploi – un grand nombre des habitants de la Route de Hébron pourront se déplacer à pied en vélo jusqu’à leur lieu de travail, ce qui réduira la circulation.
Saidov, qui travaille dans un groupe qui fait la promotion d’initiatives urbaines dans le cadre du Forum du climat du président, échange beaucoup avec les résidents dans le cadre de réunions organisées dans les quartiers proches de la Route de Hébron. Alors que les élections municipales auront lieu l’année prochaine, il espère réunir les soutiens nécessaires pour faire de ce redéveloppement de la rue une véritable problématique de campagne.
Une stratégie qui, il faut le noter, s’était avéré payante lors de sa toute première campagne.
Saidov, âgé aujourd’hui de 45 ans, s’était lancé dans l’activisme en 2007 après avoir entendu parler du projet de construction d’une route à proximité de son domicile, situé dans le quartier Katamon, dans le sud de Jérusalem.
Il avait finalement lancé une campagne en faveur de la transformation d’un parc temporaire installé le long d’une ancienne ligne de chemin de fer en espace vert permanent, avec un sentier pédestre qui court aujourd’hui jusqu’à Malha, au sud de la ville, dans le cadre d’un tracé de sept kilomètres qui épouse la ligne de train d’origine qui faisait la liaison entre Jaffa et Jérusalem.
Dans les dix mois qui ont suivi la mise en service du chemin, la circulation des piétons a été multipliée par quatre le long des rails, explique Saidov. Ce qui a permis également, grâce à la traversée de quartiers Juifs et Arabes, aux différentes communautés de se côtoyer, faisant découvrir aux uns et aux autres des lieux qui leur étaient inconnus jusque-là.

Artère majeure dépourvue de rues parallèles susceptibles d’absorber un éventuel afflux de voitures supplémentaires, la Route de Hébron ne pourra pas facilement être mise à la diète sans que la ville n’investisse lourdement dans la connexion des quartiers qui s’appuient sur elle – en particulier à Jérusalem-Est. Saidov admet qu’il reste beaucoup à faire avant que son plan ne devienne tenable.
La municipalité, de son côté, affirme travailler sur des projets supplémentaires visant à encourager l’usage des transports publics, avec notamment la construction de six parkings-relais en plus des trois qui existent d’ores et déjà.
La ville a déjà mis en place plusieurs voies réservées aux bus et elle en prévoit un plus grand nombre. Elle doublera bientôt le nombre de stations de location de vélo en les faisant passer de 25 à 50, a fait savoir un communiqué.