KIBBOUTZ BEERI – Alors qu’une nation traumatisée cherche à se remettre d’une tragédie nationale et d’une guerre toujours en cours, les signes de renouveau et de réhabilitation dans les régions les plus touchées d’Israël sont salués par les médias comme des victoires.
L’ensemencement du blé cette semaine dans les champs de Beeri a incité la chorale Givatron à produire une vidéo de son interprétation d’une chanson intitulée « Le blé repousse ». Elle a été partagée des dizaines de milliers de fois sur Facebook, tout comme les images du nouveau rouleau de la Torah, le 27 novembre, dans le même kibboutz.
Mais sur le terrain, dans les kibboutzim touchés et les villes proches de Gaza, où les terroristes palestiniens du Hamas ont assassiné 1 200 personnes le 7 octobre, les quelques habitants qui sont revenus ont du mal à se sentir à nouveau chez eux dans un endroit meurtri par la guerre.
Haïm Jelin, l’ancien maire du Conseil régional d’Eshkol, auquel appartient son kibboutz Beeri, a déclaré jeudi que les accords d’échange d’otages, une trêve et quelques efforts de réhabilitation des implantations ont émoussé la prise de conscience qu’Israël – et plus précisément la région du nord du Néguev – est en guerre.
Il s’est adressé au Times of Israel depuis Beeri quelques heures avant que les combats ne reprennent entre Israël et le Hamas à Gaza, à la fin d’un cessez-le-feu d’une semaine. Au cours de cette période, le groupe terroriste palestinien a relâché 105 des quelque 240 otages retenus en captivité à Gaza, et Israël a relâché 240 prisonniers palestiniens incarcérés pour atteinte à la sécurité en Israël.
Jelin, 65 ans, fait partie des centaines de personnes qui sont restées pendant toute la durée de la guerre dans la région israélienne de Tkumah. Le 19 octobre, le gouvernement a donné ce nouveau nom – qui signifie « réveil » ou « résurrection » en hébreu – à la zone située autour de la bande de Gaza.
« Nous exigeons l’anéantissement du Hamas. Nous ne pouvons pas parler d’un quelconque renouveau avant cela. D’ici là, nous restons ici pour faire avancer les choses », a déclaré Jelin, dont l’épouse, Ziva, séjourne, comme la plupart des habitants de Beeri, dans un hôtel de la mer Morte.
Permission de visiter leurs propres maisons
Huit semaines après l’assaut du Hamas et le début de la riposte de Tsahal à Gaza, de nombreux kibboutzim sont encore, pour ainsi dire, des bases de l’armée, fonctionnant comme des zones militaires fermées, même si ils abritent des infrastructures civiles et des résidents. Dans la grande imprimerie de Beeri, des dizaines de personnes travaillent sous le feu du Hamas depuis le 15 octobre.
À Nir Am, un kibboutz situé à 13 kilomètres au nord de Beeri, Ami Rabin, un exploitant de stand de tir et père de quatre enfants qui était jusqu’à récemment l’agent de sécurité du kibboutz, attend à la porte qu’un lieutenant l’autorise à entrer.
« Je suis un invité ici, comme vous », dit-il. « Je dois demander gentiment si c’est un moment propice pour me rendre dans ma propre maison. »
Un miklat – abri antiatomique – près de sa maison sert désormais de cellule de crise à l’armée. Les troupes en garnison à Nir Am ont transformé une partie du jardin de Rabin en cuisine de campagne, avec sa permission et celle de son épouse Nicole. Les soldats ont séjourné chez le couple pendant un certain temps. Jeudi, Nicole est venue nettoyer après les soldats.
« Je ne me sens pas encore chez moi ici », a-t-elle déclaré. « Peut-être quand tout sera nettoyé. Peut-être après la guerre, mais pour l’instant, je ne me sens pas chez moi. »
Mais Ami, un homme à la voix grave dont la diction trahit de nombreuses années de travail dans l’establishment de la Défense et des rôles adjacents, insiste sur le fait qu’il se sent « parfaitement chez lui. Pourquoi ne le serais-je pas ? », demande-t-il.
Si c’est vrai, c’est malgré l’atmosphère qui règne dans la région de Tkumah, où les soldats inspectent les voitures aux checkpoints installés à un carrefour sur deux, et où de multiples routes sont fermées en raison de la menace des missiles antichars.
Ami a découvert dans le jardin la dépouille en décomposition de Tuni, un chat que sa fille avait adopté il y a 16 ans. Une couche grouillante de mouches charognardes vertes recouvre la chair en décomposition du chat. Le couple, ainsi que deux journalistes qui leur rendaient visite, a dû se résoudre à se débarrasser de la dépouille à l’aide d’une pelle, d’un sac à provisions et d’une benne à ordures située à proximité. La fille, âgée de 28 ans, doit accoucher sous peu et les restes de Tuni se devaient d’être ramassés avant son arrivée.
Lorsqu’il a été interrogé sur comment il se sentait par rapport à la mort de Tuni, Ami a rejeté la question.
« C’est malheureux, mais bon vous savez, nous avons débarrassé des sacs mortuaires contenant des personnes d’ici. »
Plusieurs soldats sont morts à l’extérieur de Nir Am lors d’une fusillade contre une trentaine de terroristes du Hamas. L’équipe de sécurité du kibboutz, une poignée d’hommes dirigés par Inbal Rabin, la nièce d’Ami, s’est déployée le long de la clôture du périmètre avant que les terroristes ne puissent entrer, les repoussant suffisamment longtemps pour que les troupes de Tsahal arrivent, tuent la plupart d’entre eux et envoient les autres se replier dans la bande de Gaza, à seulement 1,6 kilomètre de là.
L’un des terroristes a été enterré provisoirement là où il est tombé, à 150 mètres du jardin des Rabin, qui borde la clôture de Nir Am. (Au cours de la bataille, une explosion avait dispersé les restes du terroriste sur une partie du terrain, dont le corps médical israélien a gardé l’emplacement pour référence future avant de recouvrir les restes de terre pour empêcher les animaux de les emporter).
De derrière des postes reculés en béton, Ami Rabin et d’autres membres de l’équipe de protection ont tiré sur les terroristes qui traversaient le champ alors que les balles retentissaient autour d’eux. Aucun Israélien n’a été tué au cours du combat, un fait que Rabin, qui est laïc, définit comme un miracle. Nicole, pendant ce temps, préparait du café le distribuait aux soldats sous le feu de l’ennemi.
« Ce n’était que du café, mais bon sang, quelle force nous en avons tirée ! » se souvient Ami.
De retour à la maison, que Nicole a visitée jeudi pour la deuxième fois depuis le 7 octobre, elle s’est surprise à penser à son amie Cyndy Flash du kibboutz Kfar Aza et à son époux Yigal. Nicole et Cyndy se sont parlées au téléphone tous les quarts d’heure le 7 octobre, depuis leur mamad – la pièce sécurisée – respectif. Le mamad des Flash n’avait pas de serrure et peu après 17h, ils ont cessé de répondre aux SMS et aux appels de Nicole, a déclaré cette dernière, qui a été ramenée à ce jour lors de sa brève visite de la maison.
Tourisme de destruction après le 7 octobre
À Beeri, Jelin et d’autres membres doivent faire face à une autre nuisance liée à la guerre : les visiteurs, dont une armada de journalistes locaux et internationaux.
Alors que Jelin, un homme hospitalier et amical né en Argentine, terminait une conférence qu’il avait donnée à un groupe de visiteurs haredim de Beit Shemesh dirigé par la maire Aliza Bloch, il a dit au groupe qu’il ressentait une impatience inhabituelle à l’idée de leur départ.
« Les gars, j’attends juste que vous partiez pour avoir un moment pour respirer », a-t-il avoué aux quelque 70 visiteurs, qui prenaient leur temps pour monter dans un bus chargé de les ramener chez eux.
Noam, une jeune membre du kibboutz Beeri, a expliqué sa propre exaspération face aux visiteurs.
« Vous venez ici pour observer. Pour voir un champ de bataille. Mais pour nous, c’est ce qu’il reste de chez nous. Alors nous la protégeons de plus en plus contre vous tous », a-t-elle dit à un journaliste au milieu d’une rangée de maisons démolies que de multiples visites organisées par Tsahal ont rendu si « célèbres » que les journalistes l’appellent « l’allée de la mort ».
Jelin a admis que le kibboutz ressemble aujourd’hui à l’ombre de l’endroit qu’il appelle « sa maison ».
« Regardez, ma maison peut être dynamitée. Mais ma maison n’est pas seulement un bâtiment. Ce sont les chemins, les plantes, les odeurs », a-t-il déclaré au Times of Israel.
« Il y a donc l’odeur et les bruits de la guerre en ce moment. Mais ma maison est une chose intérieure et elle continue à vivre, ici même. »