Dix mois après son arrivée à son poste, Isaac Herzog se révèle être un président très actif – utilisant le soft-power « immense », selon lui, de son bureau pour promouvoir Israël et ses intérêts à l’international, et pour tenter de guérir les divisions au sein de l’État juif.
Herzog, 61 ans, est issu de l’une des familles les plus légendaires d’Israël. Son grand-père, Yitzhak Halevi Herzog, avait été grand rabbin pendant plus de deux décennies, avant et après l’indépendance du pays ; son père, Chaim, avait été président du pays pendant dix ans, à partir de 1983 et son frère, Michael, occupe le poste prestigieux d’ambassadeur d’Israël aux États-Unis. Herzog, de son côté, est arrivé à sa fonction avec un réseau relationnel incomparable et fort du travail de toute une vie dans la politique et dans la diplomatie israélienne.
Et c’est dans ce contexte qu’il est parvenu à transformer la présidence – le chef de l’État, en Israël, bénéficie traditionnellement d’un statut officiel plutôt cérémonial – en outil déterminant qui lui permet de promouvoir les intérêts israéliens. Ce travail de promotion, il le fait en harmonie – ce qui est digne d’éloge – avec la coalition au pouvoir, l’alliance de partis la plus diversifiée et la plus improbable de toute l’histoire du pays. Et, ce qui est peut-être plus remarquable encore compte-tenu de sa propre carrière politique en tant que leader du parti travailliste, il réussit à le faire sans s’attirer les foudres particulières d’une opposition israélienne profondément aigrie.
Cet entretien avec le Times of Israel, qui a été réalisé de manière à coïncider avec la 74e Journée de l’Indépendance, Yom HaAtsmaout, est l’occasion d’expliquer les coulisses et les secrets de sa réussite. Herzog fait preuve de fermeté dans ses principes, il est extraordinairement diplomate et il est sincère lorsqu’il affirme être convaincu par la valeur unique d’un dialogue en toute franchise.
« La priorité qui figure en tête de mon agenda », dit Herzog, offrant ainsi le résumé de l’approche qu’il a adoptée face son rôle, est « d’œuvrer à abaisser autant que possible les murs qui se dressent entre les différents groupes et d’encourager le dialogue, la confiance ou, tout du moins, de convaincre de la nécessité d’apprendre à connaître l’autre ».
Avec cette ligne directrice, Herzog s’est rendu en Turquie, ayant graduellement aidé à préparer le terrain pour un réchauffement potentiel des liens entretenus par Israël avec l’imprévisible président Recep Tayyip Erdogan ; il a élargi les canaux de communication avec l’administration Biden ; il est allé en visite aux EAU ; il a téléphoné au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas pour lui présenter ses vœux chaleureux à l’occasion de l’Aïd al-Fitr; et il a accueilli un dîner de l’Iftar à sa résidence qui a réuni environ 200 notables arabes israéliens.
Au vu de son soutien apporté, en tant que leader travailliste, à la solution à deux États ; de sa déclaration faite lors d’une réunion avec Abbas, en 2015, où il avait confié au chef de l’AP qu’il lui semblait qu’un accord de paix serait potentiellement possible au cours des deux années qui suivraient ; et compte-tenu de ses critiques, en tant que leader de l’opposition, à l’encontre du Premier ministre de l’époque, Benjamin Netanyahu, qui était incapable de soumettre des propositions permettant de réaliser des avancées, peut-être que les passages les plus révélateurs de notre entretien sont ceux dans lesquels il explique purement et simplement que « nous n’aboutirons pas à un accord de statut permanent » dans un avenir proche, ou que « de l’originalité et une pensée nouvelle » seront indispensables pour parcourir le long chemin qui mènera à la résolution du conflit israélo-palestinien.
« Je ne crois pas fermement aux vieux paradigmes parce que je ne les vois pas nécessairement porter leurs fruits », dit Herzog. « Et je tente d’expliquer à ceux qui répètent toujours ces mêmes paradigmes qu’ils doivent les réexaminer, tenter de déterminer là où les choses ont mal tourné et pourquoi elles ont mal tourné. Enfin, je crois de tout mon être que la cause israélienne est juste, sans aucune ambigüité. Et qu’il sera possible d’aller de l’avant quand les gens le comprendront, et qu’ils nous accepteront dans la région… ».
Si la bataille semble difficile, le principal message que veut transmettre Herzog est un message d’optimisme, et il insiste là-dessus. Il pense que l’État d’Israël est finalement moins divisé qu’il paraît l’être de prime abord aux yeux d’un grand nombre ; il a la conviction que les relations entre les Juifs du monde entier sont arrivées à maturité et qu’elles se réchaufferont ; il constate « un moment historique d’inclusion d’Israël dans la région » et il s’émerveille que l’État juif fête aujourd’hui son 75e anniversaire, confiant dans ce que le pays saura encore réaliser dans les années à venir.
« J’ai foi en l’énergie du peuple israélien et je crois dans son enthousiasme », nous confie-t-il. « Aujourd’hui, une opportunité nous est offerte de nous développer encore davantage et je suis impatient de fêter notre centenaire… il n’est pas si loin ».
L’entretien s’est fait en anglais et a été légèrement révisé à des fins de clarté et de brièveté.
Le Times of Israel : M. le président, parlons d’abord, si vous le voulez bien, du Mont du Temple et des violences et de ce qui semble être le rejet, dans le monde arabe, de toute idée de légitimité juive là-bas.
Président Isaac Herzog : Nous vivons des journées très délicates et Israël fera tout ce qui est possible pour protéger le droit à la pratique religieuse pour tous, pour laisser les sites accessibles aux fidèles, pour protéger tous ceux qui prient.
Comme je l’ai déclaré durant un dîner de l’Iftar que nous avons organisé pour rompre le jeûne du ramadan avec des centaines de responsables musulmans en Israël, nous sommes bombardés de fake news, de diatribes et de mensonges concernant les agissements d’Israël sur le Mont. Prenez par exemple le problème du sacrifice juif. On a affirmé que des jeunes boucs allaient être sacrifiés. En fait, un groupe d’extrémistes voulait monter sur le Mont, la police israélienne a arrêté les membres de ce groupe, elle les a empêchés de mener à bien leur projet avant qu’ils n’entrent sur le site.
Il y a eu des vagues et des vagues de mensonges – des fake news publiées partout dans le monde musulman afin de provoquer la haine et de pousser les parties dans un nouveau conflit.
Malheureusement, dans la nuit qui a précédé la soirée du Seder, à quatre heures du matin, il y a eu une attaque préméditée en bande sur le site – avec des pétards, des pierres qui ont été jetées en-dessous, sur le mur Occidental et ailleurs. Ce qui a obligé la police qui ne voulait pas entrer dans la mosquée à arrêter les individus impliqués dans ces troubles pour pouvoir permettre à des dizaines de milliers de fidèles d’entrer dans la mosquée et d’y prier. Chaque jour, il y a des milliers de personnes qui viennent prier. Avant de se plaindre et de jouer au jeu des responsabilités, il faut connaître les faits. J’espère, pour ma part, que les choses se calmeront parce que nous allons faire de notre mieux pour apaiser la situation.
Etes-vous vous-même impliqué dans les négociations visant à calmer les choses ? Nous avons pu entendre le Premier ministre de la Jordanie encourager les émeutiers et c’est très dommageable pour les relations délicates entretenues par Israël avec la Jordanie, des relations que vous-même tentez de reconstruire avec d’autres.
Avant tout, nos relations avec la Jordanie sont toujours importantes – et j’ajoute qu’elles sont d’une importance particulière pour nous. Des efforts sont entrepris à tous les niveaux, et j’en assume ma part. Je ne peux que faire part de ma tristesse concernant le positionnement adopté par le Premier ministre jordanien. J’espère que lorsqu’il sera informé des faits tels qu’ils se sont déroulés, il fera marche arrière.
Nous disons aussi clairement qu’en ce qui concerne les accusations qui peuvent être lancées à l’encontre des actions entreprises par Israël, nous sommes évidemment prêts à examiner et à contrôler les faits. Nous sommes ouverts là-dessus. Je l’ai clairement dit aux responsables internationaux et régionaux et je sais que le Premier ministre l’a également dit.
Mais commençons par mettre les choses au point. Les tensions récentes sur le Mont du Temple sont le résultat direct d’initiatives qui avaient été préparées et qui visent à enflammer la situation, dans le but d’impacter défavorablement les progrès énormes qui ont été réalisés par les pays arabes et Israël au niveau relationnel dans la région, et pour faire en sorte d’attribuer la responsabilité exclusive des événements à Israël. Et j’ai la certitude que cela ne fonctionnera pas. Nos efforts ont été salués par les responsables du monde entier – par exemple, la décision audacieuse qui a été prise par l’establishment de la Défense, sous l’autorité du gouvernement et du ministre de la Défense, d’abandonner toute idée de fermeture de la Cisjordanie pendant la plus grande partie du ramadan, ou les nombreuses initiatives qui ont permis à un grand nombre de musulmans des territoires placés sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, des autres territoires de Cisjordanie ou de Gaza de passer un ramadan plaisant.
M. le président, vous avez dit que vous aviez l’intention de vous entretenir bientôt avec le président de l’Autorité palestinienne [Herzog a en effet téléphoné au président Mahmoud Abbas dans la soirée de dimanche.] Considérez-vous qu’il est une force d’apaisement, même si l’AP a été fortement impliquée dans les incitations à la violence anti-israéliennes, notamment dans les semaines qui ont précédé ces événements ?
Je crois toujours au dialogue. Et je crois très certainement au dialogue avec les responsables palestiniens. J’ai dit que j’espérais être en mesure d’appeler le président Abbas pour lui présenter mes vœux à l’occasion de l’Aïd-al-Fitr. Toutefois, j’ai aussi dit que nous avions eu beaucoup de déconvenues dans cette situation, avec notamment la rhétorique hautement inexacte et sans fondement qui est employée par les leaders palestiniens à l’encontre d’Israël ainsi qu’avec les initiatives prises par ces mêmes dirigeants contre Israël.
Je pense que nous devons trouver les moyens d’avoir un dialogue – pas au niveau politique, mais plus au niveau individuel, un dialogue de personne à personne. Je pense qu’il y a une sorte de blocage mental entre les deux nations auquel nous devons nous attaquer différemment.
Nous ne trouverons pas d’accord de statut permanent actuellement. La situation ne permet pas d’avoir la capacité de mettre réellement en place un processus – alors que la nation palestinienne est divisée entre deux factions différentes, alors que le terrorisme est en embuscade, alors que le système politique est dysfonctionnel, etc… Mais on peut trouver des moyens qui renforceront les capacités de dialogue individuel, d’échange de personne à personne. Et c’est toujours une idée séduisante pour moi. Parce qu’en fin de compte, les Palestiniens sont nos voisins et que de la même manière que j’ai le sentiment que nous sommes en train de vivre une période historique avec l’inclusion d’Israël dans la région, j’ai aussi la conviction qu’il faut que cette inclusion intègre une quelconque forme de dialogue avec les Palestiniens.
Pouvons-nous évoquer l’Ukraine ? Pensez-vous qu’Israël est du bon côté de l’Histoire ? Devrions-nous soutenir plus clairement l’Ukraine ? Avez-vous été troublé ou satisfait par la manière dont nous avons pris en charge les réfugiés désireux de venir en Israël ?
Israël fait de son mieux, fait tout son possible pour aider le peuple ukrainien. La tragédie qui se déroule actuellement en Ukraine est énorme. Elle me brise le cœur et je l’ai dit dès le premier jour.
J’ai offert toute l’aide que nous sommes en mesure de fournir à des fins humanitaires. Il y a des milliers d’Israéliens qui sont impliqués sur le terrain dans l’aide au peuple ukrainien. J’étais quotidiennement en contact avec notre hôpital de campagne – un grand hôpital qui offrait tous les services sur le terrain. Un hôpital unique en son genre : aucune autre nation n’a installé un hôpital semblable.
Israël fait de son mieux pour aider le peuple ukrainien. La tragédie en Ukraine est énorme. Elle me brise le cœur et je l’ai dit dès le premier jour
[Mon épouse] Michal et moi-même avons accueilli une famille juive qui avait fui l’Ukraine pour le Seder, une famille dont le père est pour sa part resté en Ukraine.
Nous sommes excessivement tristes de ce qui se passe actuellement là-bas. Israël a adopté un positionnement clair dans l’arène internationale.
Il faut néanmoins bien garder toujours en mémoire que nous avons également des intérêts sécuritaires évidents. Nous devons combattre les Iraniens dans la région – c’est une donnée qui est acceptée par la communauté internationale – pour leur faire quitter la Syrie. Nous avons donc des considérations à prendre en compte. Je pense, en ce qui me concerne, qu’Israël fait les choses de manière correcte.
Et les efforts livrés par le Premier ministre Bennett pour tenter d’apaiser la situation, il y a quelques semaines, ont été aussi appropriés, selon moi. J’apporte mon soutien à tous les moyens qui sont ou qui seront mis en œuvre pour calmer les tensions et pour atteindre enfin un cessez-le-feu.
Concernant les frictions entre les Juifs de courant différent au mur Occidental et les arrangements permettant à tous les courants du judaïsme d’y prier, vous avez mis en place, au mois de décembre, une commission dont le travail est de tenter de négocier une solution. Où en est-elle dans sa mission ?
Je fais de mon mieux pour que tous les Israéliens, quels qu’ils soient, apprennent à se connaître et à se respecter, et tous les Juifs doivent apprendre à se connaître et à se respecter. Il y a toujours des éléments qui seront plus conservateurs dans leur approche de l’autre, qui se montreront se montrer plus négatifs dans cette approche et je crois fermement, là-aussi, aux vertus du dialogue.
Je prédis malheureusement que l’antisémitisme, dans le monde, va connaître un nouvel essor en raison de la situation géostratégique, pas seulement post-COVID mais aussi en raison de l’effet d’entraînement du conflit en Europe
Et je suis aussi un vrai partisan des arrangements au mur Occidental. J’espère qu’il y aura des solutions sur le terrain avec la prise en compte, en particulier, de la solution d’origine [de l’an 2000] qui était envisagée sur le site de l’Arche de Robinson [pour la prière non-orthodoxe]. Je l’ai personnellement prônée. Et j’espère vraiment que nous serons capables de reprendre certaines des initiatives qui avaient été prises dans le passé par mon bureau. Mais ce n’est pas facile sur tous les fronts, je le reconnais.
L’unité juive est nécessaire. Je prédis malheureusement que l’antisémitisme, dans le monde, va connaître un nouvel essor en raison de la situation géostratégique, pas seulement post-COVID mais aussi en raison de l’effet d’entraînement du conflit en Europe.
J’ai œuvré à empêcher les troubles et les tensions au mur Occidental au cours des derniers mois, et à permettre aux groupes différents d’y prier. Ce que nous nous efforçons de faire, c’est de permettre aux fidèles de prier sans que cela n’entraîne de conflit.
Vous avez dit que les propos tenus par le leader du parti de la Liste arabe unie, Ayman Odeh, qui avait appelé les Arabes israéliens à ne pas servir dans les forces de sécurité du pays, vous avaient retourné l’estomac.
Oui, absolument, parce que je connais Ayman Odeh depuis des années comme étant une personnalité qui croit par ailleurs en l’inclusion des citoyens arabes israéliens dans tous les domaines de la société. Après ma réaction à ses paroles, j’ai reçu un message qui me précisait que ce qu’il avait dit avait été mal interprété au moment de la traduction en hébreu – il s’était exprimé en arabe. Je me contenterai de dire, pour ma part, que je crois en l’inclusion de tous les citoyens d’Israël dans toutes les sphères de la société.
Et je voudrais voir en particulier un plus grand nombre de Haredim et un plus grand nombre d’Arabes dans tous les domaines de la société, que leur présence soit croissante. On voit aujourd’hui beaucoup plus d’Arabes israéliens dans toutes les sphères économiques et aux différents paliers du gouvernement. Je suis vraiment impatient de procéder à la prestation de serment du nouveau juge musulman nommé à la Cour suprême, ce qui fera partie de l’Histoire, et j’espère qu’ils seront nombreux à venir après lui.
Pendant le ramadan, Michal et moi-même sommes allés rendre visite à l’unité militaire musulmane – le Bataillon de reconnaissance bédouin – et nous l’avons trouvée sur le terrain, à la frontière, travaillant de manière impressionnante ; ce sont des Israéliens qui sont vraiment convaincus de leur identité israélienne même s’ils sont musulmans ou s’ils sont issus d’une autre religion. Et c’est là la vraie nature de l’évolution de la société israélienne.
Et à l’autre extrémité du spectre politique, nous avons un dirigeant de parti, Bezalel Smotrich, qui déclare que l’entrée dans les synagogues devrait être interdite aux membres de la coalition à Pessah.
Et c’est quelque chose que j’ai critiqué, bien sûr – tout comme j’ai critiqué la communauté juive britannique quand le Board of Deputies a mis au ban Bezalel Smotrich, qui était alors en visite en Grande-Bretagne. J’ai dit que l’organisation avait fait une erreur parce que je pense que quand un responsable israélien visite une communauté juive, il doit être écouté et il doit aussi écouter de son côté. C’est beaucoup plus efficace de discuter que de mettre au ban.
De la même manière que je demande et que nous demandons que tous les responsables israéliens rencontrent tous les leaders des communautés juives de la Diaspora issus de tous les styles de vie et de tous les courants du judaïsme, quand ils se trouvent en Israël, j’attends des responsables des communautés juives à l’étranger et des membres actifs de la communauté qu’ils écoutent les voix venues d’Israël – mais j’attends aussi qu’ils soient eux-mêmes entendus. Ils peuvent les critiquer pendant la rencontre, ils peuvent s’attaquer à eux, mais ils doivent le faire lors d’une rencontre en face à face. Je demande instamment à tous et à toutes d’abandonner l’idée d’une mise au ban. Une mise au ban, ça ne fonctionne jamais. C’est contre-productif.
Suite à votre récente visite en Turquie, pouvons-nous nous attendre à un séjour au ministre turc des Affaires étrangères dans un avenir proche ?
Je suppose que des réunions vont avoir lieu après le ramadan. Quand, où et comment, tout cela sera déterminé entre les ministres des Affaires étrangères eux-mêmes.
Etes-vous satisfait des résultats de votre visite ?
Très satisfait. Cette visite a eu un fort impact sur les deux peuples. J’ai aussi appelé le président Erdogan pour lui transmettre mes vœux pour le ramadan et lui-même a condamné avec beaucoup de véhémence les attentats terroristes qui ont été commis en Israël.
Le mouvement de l’Histoire, aujourd’hui, est celui d’une opportunité de dialogue bien plus importante que dans le passé entre les nations islamiques et Israël – en particulier en ce qui concerne les nations sunnites, bien sûr. C’est ce qui symbolise la période actuelle et nous devons saisir cette opportunité
Cette relation sera jugée à l’aune des actes, des actions sur le terrain. Comme je l’ai fait remarquer au cours de la visite, notre commerce avec la Turquie est croissant, et il y a aussi une augmentation des activités touristiques. Et bien entendu, tout cela doit aller de concert avec les relations uniques qui nous lient à la Grèce et à Chypre, et la visite du ministre des Affaires étrangères Lapid dans ces deux pays a été très positive – comme l’ont été aussi ses entretiens avec les deux dirigeants.
Et pouvons-nous nous attendre à ce qu’un nouveau pays normalise ses relations avec Israël ? L’Indonésie, peut-être, dans la mesure où certaines initiatives interconfessionnelles sont en train de se mettre en place entre le gouvernement indonésien et certaines communautés juives – est-ce que ce serait d’actualité ?
Je n’en ai pas personnellement connaissance. Mais je pense, somme toute, que le mouvement de l’Histoire, aujourd’hui, est celui d’une opportunité de dialogue bien plus importante que dans le passé entre les nations islamiques et Israël – en particulier en ce qui concerne les nations sunnites, bien sûr. C’est ce qui symbolise la période actuelle et nous devons saisir cette opportunité, utiliser la période actuelle en profitant de la tribune des Accords d’Abraham, qui ont ouvert une nouvelle page de l’Histoire. Je rends hommage à ceux qui ont permis de faire en sorte que ces accords soient conclus.
C’est aussi un mouvement qui émane également d’intérêts communs clairement définis – en particulier au vu des efforts livrés par l’Iran de fabriquer une arme nucléaire, de la nécessité de développer une stratégie commune de défense dans la région et bien sûr, de l’avenir qui se profile à l’horizon. J’entrevois personnellement un très bel avenir pour la région qui pourra pourvoir en énergie l’Europe, l’Asie et l’Afrique ; en particulier alors que nous nous attaquons au problème du climat, il y a l’idée de l’énergie solaire… Il y a de nombreuses idées. Et si nous y croyons, alors nous pourrons vivre cet avenir.
Quel regard portez-vous sur les relations que nous entretenons aujourd’hui avec le gouvernement américain ? Vous avez mentionné l’Iran. Le gouvernement américain semble désireux de rejoindre l’accord sur le nucléaire iranien que la majorité des responsables israéliens considèrent comme très dérangeant.
Michal et moi avons été très heureux d’accueillir l’ambassadeur Tom Nides lors de notre Seder et j’ai eu une conversation très plaisante et réfléchie avec la vice-présidente Kamala Harris, qui m’a appelé à la veille de Pessah pour condamner les attentats terroristes et pour me présenter ses vœux pour Pessah, et pour transmettre aussi les condamnations des attentats du président Joe Biden et ses vœux pour la fête. Et je lui ai souhaité, de mon côté, une bonne fête de Pessah parce que c’était le tout premier Seder à avoir été organisé à la résidence du vice-président américain de toute l’Histoire américaine.
J’ai rencontré le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan et le secrétaire d’État Antony Blinken pour des discussions très ouvertes et très franches.
Nous n’avons pas de meilleur ami que les États-Unis – de meilleur ami et de meilleur allié.
Le JCPOA est, bien entendu, une question dont nous avons parlé ouvertement, franchement, avec les nations du groupe P5+1 – mais majoritairement avec les États-Unis. Nous nous opposons catégoriquement au retrait du corps des Gardiens de la révolution islamique de la liste liste noire des groupes terroristes des États-Unis. C’est l’une des principales questions figurant à l’ordre du jour. Attendons de voir comment les choses évoluent. Mais nous sommes très clairs sur notre positionnement à l’égard de l’accord sur le nucléaire iranien parce que nous nous inquiétons de son impact sur la région et de ses répercussions négatives sur la région sur dans la lutte contre le terrorisme.
Votre prédécesseur, le président Rivlin, a dû donner le mandat permettant de former un gouvernement à quatre ou cinq reprises pendant son mandat. Nous nous attendons à des agitations potentielles ici, à ce que le gouvernement ne parvienne pas à se maintenir. Vous pourriez, vous aussi, rencontrer le même problème – en devant confier le mandat visant à former un gouvernement à une personnalité qui est non seulement mise en examen, mais qui est actuellement traduite devant les juges. Quel est votre regard sur la crise politique et sur votre rôle ?
Israël exige une stabilité politique, toujours. Elle est importante pour notre nation et pour notre capacité à avancer à court et à long-terme… C’est le consensus national
Jamais je ne répondrai à une question hypothétique et je n’ai aucunement l’intention de plonger dans le bourbier politique. Je pense qu’il y a une seule chose sur laquelle nous sommes tous d’accord : Israël a besoin de stabilité politique. Peu importe quel côté du spectre sera chargée de l’assurer. Ce n’est pas à moi d’en décider. En revanche, Israël a besoin de stabilité politique, toujours. C’est indispensable. Elle est importante pour notre nation et pour notre capacité à avancer à court et à long-terme… C’est le consensus national.
Vous avez investi beaucoup de temps et d’efforts à rassembler les différents groupes, à leur parler. Vous êtes accueilli par les résidents juifs de Hébron ; vous êtes aussi accueilli dans la ville arabe de Kafr Qasim. Vous êtes accueilli dans tous les secteurs de la société israélienne. Mais le fait que le président soit accueilli par tous ces groupes ne les fait pas se rencontrer à un croisement pour autant.
La priorité qui figure en tête de mon agenda est d’œuvrer à abaisser autant que possible les murs qui se dressent entre les différents groupes et d’encourager le dialogue, la confiance ou, tout du moins, la nécessité d’apprendre à connaître l’autre.
Il y a de nombreuses choses positives qui, bien sûr, ne retiennent habituellement pas l’attention des médias et autres. Par exemple, comme je l’ai mentionné, nous avons eu un dîner de l’Iftar qui a rassemblé des centaines de personnes issues de tous les secteurs de la société, avec des centaines de leaders musulmans. Et j’ai commencé la soirée avec l’hymne juif « Hinei Mah Tov.. »[– Ah, qu’il est bon pour des frères de demeurer ensemble]. Cela a été une soirée formidable parce qu’il y avait vraiment un désir, une nécessité de dialogue.
Il y a un grand désir de dialogue – y-compris dans ce qu’on appelle les villes mixtes [ces villes où se côtoient Juifs et Arabes]. J’aborde cela discrètement, habituellement de très près – en ouvrant un dialogue franc et transparent avec toutes les parties en conflit. Et je retrouve ce désir énorme de vivre ensemble dans la paix et dans l’harmonie. Je crois que notre nation est beaucoup plus unie que certains peuvent aujourd’hui le penser. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de divisions, mais il y a un sentiment majeur de destinée commune. Il y a un sentiment majeur de mission.
Je suis allé, avec Michal, distribuer des mishloah manot à Pourim aux enfants pris en charge pour des dialyses au sein du service pédiatrique de néphrologie, à l’hôpital Shaare Zedek. Nous sommes entrés dans la pièce et nous avons regardé autour de nous, et il y avait des enfants orthodoxes, des gamins laïcs, des petits arabes, des petits druzes et des enfants palestiniens, et même des petits malades de Gaza, croyez-le ou non.
Et j’ai donc regardé autour de moi et j’ai dit au médecin : tout le monde naît à égalité aux yeux du tout-puissant. Il m’a répondu : « Bien sûr, monsieur le président. » Et je me suis dit que c’était ça, la vérité, et qu’il fallait tout simplement transmettre ce message le plus largement possible.
Nous avons une grande nation, une histoire formidable à raconter, une nation incroyablement brillante, une énergie intérieure énorme, une force morale, de la lumière en nous. J’ai foi en notre peuple, et je suis optimiste.
Après presque une année au poste de président, comment vous sentez-vous dans cette fonction ?
Je suis très heureux. J’ai le sentiment de faire de bonnes choses et je tente d’avoir un impact avec le soft-power qui m’a été confié – un soft power qui est finalement très fort, immense. L’institution de la présidence est très importante dans la psyché de notre nation. Et je considère mon travail, pour ma part, comme une mission formidable. Michal et moi avons une charge énorme de missions et de tâches à accomplir, mais nous mettons également en œuvre un agenda dans lequel tout le monde peut se retrouver – comme le défi représenté par la crise climatique, ou l’avenir dans l’espace, ou encore la capacité à promouvoir les sciences, la culture, la littérature ou l’inclusivité.
L’institution de la présidence est très importante dans la psyché de notre nation. Et je considère mon travail, pour ma part, comme une mission formidable
Nous faisons la promotion de l’idée que si nous sommes l’État-nation du peuple juif, et que tout le monde doit être fier de l’identité qui est la sienne, nous avons toutefois une table en commun à laquelle nous sommes tous invités à prendre place – et que cette table est notre nation, l’État-nation du peuple juif, qui est aussi une société multiculturelle.
Et pouvons-nous clore cet entretien en revenant au conflit israélo-palestinien ? La menace est potentiellement forte pour Israël si nous ne parvenons pas à trouver un moyen de nous séparer des Palestiniens, sans encourir de danger. Je sais ce que vous avez dit sur ce qui serait réalisable actuellement mais à moyen-terme et à long-terme, qu’allons-nous, selon vous, pouvoir faire pour résoudre le conflit ?
Eh bien, je pense que cela nécessite de l’originalité et un mode de pensée nouveau. Cela nécessite de porter un regard lucide sur les faits sur le terrain et, bien sûr, de prendre en compte l’aspect psychologique entre les deux nations. Comment faire en sorte que les nouvelles générations dialoguent ? Après tout, on voit des personnalités réellement brillantes, de l’originalité aussi dans la nouvelle génération – et peut-être qu’un espoir découlera de là.
je tente d’expliquer à ceux qui répètent toujours les mêmes anciens paradigmes qu’ils doivent les réexaminer, tenter de déterminer là où les choses ont mal tourné et pourquoi elles ont mal tourné
Je ne crois pas fermement dans les vieux paradigmes parce que je ne les vois pas nécessairement porter des fruits. Et je tente d’expliquer à ceux qui répètent toujours ces mêmes paradigmes qu’ils doivent les réexaminer, tenter de déterminer là où les choses ont mal tourné et pourquoi elles ont mal tourné. Enfin, je crois de tout mon être que la cause israélienne est juste et qu’elle est bonne, sans aucune ambigüité. Et qu’il sera possible d’aller de l’avant quand les gens le comprendront, et qu’ils nous accepteront dans la région…
Et je m’efforce de contempler les choses dans leur juste proportion : l’année prochaine, nous allons célébrer le cinquantième anniversaire de la guerre de Yom Kippour. Dans cette guerre, nous étions entourés de nations qui étaient toutes nos ennemies. Cinquante ans plus tard, certains de nos voisins sont devenus nos alliés les plus proches. C’est la réalité. Et c’est ainsi que nous devons regarder les choses – avec un point de vue à long-terme. Et nous devons voir aussi voir comment nous pouvons avancer pas à pas – en privilégiant les petits pas par rapport aux grands – pour faire évoluer la situation d’une manière qui sera bénéfique pour nos deux peuples. Nous sommes voisins et parce que nous sommes voisins, nous pouvons trouver des moyens de mettre en place un dialogue qui a du sens.
Je ne vois aucune autre possibilité, pour le moment, de trouver une nouvelle alternative.
Et quel souhait aimeriez-vous émettre pour notre État, en cette journée de l’Indépendance, pour l’année à venir ?
Israël entrera dans sa 75e année d’existence. C’est une réussite étonnante de la part d’une nation littéralement partie de zéro et devenue aujourd’hui un leader mondial dans un si grand nombre de domaines, qui compte des esprits si brillants.
J’ai foi en l’énergie du peuple israélien et je crois dans son enthousiasme. Les gens viennent aujourd’hui en Israël si nombreux, en groupes, pour visiter le pays et ils me disent qu’il y a un état d’esprit, ici, qui fait entrevoir les choses de manière très positive – et j’en suis moi-même convaincu.
Oui, nous avons des défis à relever. Il y a des menaces. Je ne les évite jamais mais nous avons toujours connu les menaces, dans chaque génération.
Mais aujourd’hui, c’est l’opportunité pour nous de nous développer davantage et je suis impatient de fêter notre centenaire. Cela devrait être notre objectif. Je souhaite à la population israélienne de prendre de la hauteur pour regarder ce centenaire qui se profile à l’horizon- il n’est pas si loin – et de chercher comment nous pouvons au mieux améliorer la situation.
Et je veux transmettre aussi à la population d’Israël mes meilleurs vœux à l’occasion de Yom HaAtsmaout. Pour une journée, ignorons les querelles et les désaccords, regardons autour de nous et soyons fiers de tout ce que nous avons réussi.