JISH, nord d’Israël – À la vue d’un bastion du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, Shadi Khalloul scrute un figuier à la recherche du meilleur fruit à offrir à ses invités.
« Prenez-en si vous avez un sac en plastique », a déclaré Khalloul, 48 ans, lundi sur une colline de son village, à environ 3,5 kilomètres de la frontière avec le Liban.
L’indifférence de Khalloul à l’égard des tireurs d’élite du Hezbollah n’est pas due à l’ignorance. Originaire de Jish, il est conscient des capacités des terroristes, notamment grâce à son service passé en tant qu’officier de la brigade des parachutistes de l’armée israélienne et à sa fonction actuelle de réserviste au sein du Directorat des Opérations.
Comme la plupart de ses voisins, Khalloul est resté à Jish malgré les fréquents bombardements, parce qu’il ne veut pas se laisser intimider par le groupe terroriste chiite libanais.
Son audace est caractéristique de Jish et de sa petite communauté très unie de chrétiens maronites : un groupe ethno-religieux catholique d’à peine quelques milliers de personnes qui s’est rallié à l’État d’Israël. Leur patrimoine remonte aux anciens Araméens qui vivaient ici il y a 3 000 ans.
Contrairement à la plupart de leurs voisins juifs des villes voisines, les quelque 3 000 habitants de Jish sont restés sur place malgré l’escalade actuelle des hostilités avec le Hezbollah, qui a entraîné l’évacuation de quelque 60 000 personnes des communautés proches de la frontière.
Jish ne figure pas sur la liste des localités évacuées car la plupart de ses maisons se trouvent à plus de 3,5 kilomètres de la frontière. Mais beaucoup de ses habitants ne partiront pas de toute façon, a déclaré Nivin Elias, mère de trois enfants. Sa maison est située dans la ligne de mire du Liban, ce qui signifie qu’elle est exposée à des missiles antichars à tir direct, à des tirs de roquettes indirects et à des attaques de drones.
Au lieu de s’installer chez des parents à l’extérieur de Jish, Nivin et son époux ont préféré s’ancrer davantage.
« Nous avons eu une mauvaise expérience des évacuations temporaires. Nous ne le ferons plus »
Suite au déclenchement des affrontements le 8 octobre, ils ont construit un vaste sous-sol de la taille d’un appartement sous leur maison. Alors qu’Israël, le Hezbollah et l’Iran semblent s’approcher d’une escalade majeure des hostilités, les Elias se préparent à transformer cet espace en bunker pour leur famille élargie, avec un réfrigérateur de 600 litres et une salle de bain attenante.
Les parents de Nivin sont restés dans leur maison « à cause de notre passif avec ‘le départ' », dit-elle.
Elle faisait référence au sort des habitants d’Ikrit et de Biram, deux villages chrétiens maronites situés à proximité, que les autorités israéliennes ont ordonné d’évacuer en 1948, en promettant aux habitants qu’ils pourraient revenir dans les semaines suivantes. Biram a été détruit par l’armée et Ikrit n’a jamais été repeuplé en dépit d’une longue bataille juridique menée par les évacués, qui se sont installés à Jish.
« Nous sommes frères », a déclaré Nivin, faisant référence aux Juifs et aux chrétiens maronites, « mais nous avons une mauvaise expérience des évacuations temporaires. Nous ne le ferons plus ».
Profondément enraciné
Jish est une oasis de dynamisme et de normalité dans une région en grande partie déserte. L’axe de la vie communautaire ici est l’église et ses offices quotidiens. Sur le plan religieux, l’église est maronite, un courant local et ancien du catholicisme répandu au Liban et dans le nord d’Israël.
Cependant, d’un point de vue culturel, de nombreux fidèles sont Araméens et, fait unique, certaines prières à Jish sont prononcées en araméen.
Khalloul est un promoteur du patrimoine et de la culture araméens, qu’il a décidé de défendre après avoir réalisé, il y a environ 25 ans, que le reste du monde chrétien les croyait disparus. Il considère les Juifs et les Araméens comme « les véritables groupes indigènes » de la Terre d’Israël, « qui sont liés par l’histoire, les ancêtres et la culture », a-t-il souligné. Ce partenariat constitue la base d’un « lien indéfectible ».
La langue usuelle de la communauté est l’arabe et le village compte une mosquée et une minorité musulmane assez importante. L’église gère un camp d’été pour les enfants et les jeunes qui, le soir venu, traînent en ville, nombre d’entre eux portant les tee-shirts bleus du mouvement ecclésiastique.
Le restaurant local, El Layali, a rouvert le mois dernier. Des soldats participent à maintenir les lumières allumées, mais les propriétaires arrivent à peine à rentrer dans leurs frais en raison de la disparition de la majeure partie de la clientèle estivale – des familles juives qui visitent la zone touristique du mont Meron.
Selon Nivin, entre autres, il est difficile de rester à Jish. Son fils aîné sert comme soldat de combat sur le plateau du Golan, et elle craint chaque jour pour sa sécurité. Son cadet, Sharbel, aime filmer les attaques de roquettes au lieu de s’en cacher, a déclaré Nivin, qui est également réserviste et qui gère le bureau de la défense civile à Jish.
Les enfants de Jish avaient l’habitude de jouer sur le terrain de football local, mais celui-ci est devenu interdit depuis qu’une roquette du Hezbollah a tué, le 27 juillet, douze enfants et adolescents sur le terrain de football du village druze de Majdal Shams, qui est si proche de Jish qu’on peut le voir au loin.
Certains habitants de Jish ont été évacués, notamment Amir Makhoul, le frère de Nivin. Mécanicien, il est réserviste et répare les Hummers de l’armée, tandis que son épouse et son fils restent à Haïfa.
« Quitter Jish a été douloureux. Mais mon fils a trois ans et nous ne voulions pas qu’il soit émotionnellement marqué par les bruits de la guerre », a déclaré Makhoul, qui se rend à Jish deux fois par semaine depuis son départ.
Karema Haddad, une mère de trois enfants qui travaille comme enseignante dans un jardin d’enfants, a imaginé une activité alternative pour ses enfants et leurs amis l’après-midi : un stand de limonade juste à l’extérieur de leur cour.
Les enfants proposent avec enthousiasme aux passants du jus de tamarin glacé et du pop-corn fait maison dans des sacs à sandwich pour deux shekels.
Comme d’autres enfants de Jish, les Haddad suivent le cours hebdomadaire d’araméen dispensé à l’école primaire locale par l’ARAM – l’Association chrétienne israélienne d’araméen, une association non gouvernementale dirigée par Khalloul et Nivin. Les deux dirigent également la Kinneret Mehina, un cours de préparation à l’armée destiné aux jeunes chrétiens, juifs et araméens.
Comme pour les Bédouins et les Druzes, l’enrôlement dans l’armée n’est pas obligatoire pour les Maronites, mais c’est un choix populaire. De nombreux Maronites se considèrent plus proches culturellement, religieusement et idéologiquement des Israéliens juifs et du judaïsme que des Arabes et de l’islam. En 2014, l’ARAM a réussi à faire inscrire les Maronites sur la liste des minorités ethniques reconnues par l’État, au terme d’une bataille juridique qui a duré des années.
Dommages collatéraux
Plusieurs enfants de Jish fréquentent le lycée régional local, où la plupart des autres élèves sont des Juifs des kibboutzim et des moshavim. Certains parents de Jish inscrivent leurs enfants en âge d’aller à l’école primaire dans des institutions juives des kibboutzim, note Khaloul.
« Lorsque l’évacuation de la Galilée a eu lieu, nous avons souffert de multiples façons : elle nous a enlevé des lieux de travail ainsi que des cadres éducatifs », a ajouté Khalloul. Il s’oppose à l’évacuation en la qualifiant de « grande erreur stratégique qui encourage l’ennemi ». « Je n’aurais jamais cru que je vivrais assez longtemps pour voir le nord plier bagage et partir », a-t-il déclaré.
« Ce n’est que dans le cadre d’un État souverain juif que nous pouvons espérer vivre en tant qu’hommes et femmes libres »
L’évacuation et les succès tactiques du groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre, lorsque 3 000 de ses terroristes ont assassiné près de 1 200 Israéliens et en ont enlevé 251 autres, ont ébranlé la confiance de Khalloul dans la viabilité à long-terme d’Israël. Mais il est déterminé à se battre pour cela.
« Ce n’est que dans le cadre d’un État souverain juif que nous pouvons espérer vivre en tant qu’hommes et femmes libres. Ce n’est pas comme si nous pouvions nous protéger ou négocier avec les chiites. Ils nous élimineront. C’est une question de survie pour nous, comme pour vous », a déclaré Khalloul.
L’alliance avec Israël est pleine de déceptions, a-t-il reconnu. Il a rappelé le sort d’Ikrit et de Biram en 1948, le retrait de l’armée israélienne du sud-Liban en 2000 – qu’il qualifie d’abandon de ses alliés chrétiens dans cette région – et l’évacuation de la Galilée.
Mais le projet est prometteur : Khalloul envisage qu’Israël contribue à la création d’un État ou d’un canton chrétien dans un Liban fédéralisé.
« Nous sommes peu nombreux, mais notre histoire, notre histoire commune avec les Juifs, est loin d’être terminée », a-t-il déclaré à propos des Maronites et des Araméens.
Pour Nivin, le pogrom du 7 octobre a fait ressurgir des récits sur les atrocités perpétrées au Liban dans les années 1970 contre les Maronites (ces massacres sont largement considérés comme la toile de fond des massacres de Sabra et Shatila de 1982, perpétrés par des chrétiens contre des Palestiniens musulmans et des chiites au Liban).
« C’était effrayant parce que la même chose pouvait se produire ici », a-t-elle déclaré à propos du 7 octobre. « Mais c’était aussi un rappel au reste d’Israël – avant qu’il ne soit trop tard – de ce qui se passe quand on baisse la garde dans cette partie du monde. J’espère que nous avons intériorisé ce message. »
Elle a elle-même un message à adresser à ses voisins juifs exilés.
« Je sais que c’est difficile ici et si vous ne pouvez pas revenir, je comprends. Mais si vous le pouvez, faites-le. La seule façon de pouvoir rester ici, c’est justement d’y rester », a déclaré Nivin.