Israël en guerre - Jour 566

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Une affiche commémorant Nirel Zini et Niv Raviv est accrochée à l'extérieur de la maison où ils vivaient dans un quartier pour jeunes familles au kibboutz Kfar Aza, février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)
Une affiche commémorant Nirel Zini et Niv Raviv est accrochée à l'extérieur de la maison où ils vivaient dans un quartier pour jeunes familles au kibboutz Kfar Aza, février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)

Assassinés le 7 octobre, ces Roméo et Juliette modernes ont uni leurs familles – et la nation

Le centre Niv Nirel réalise la vision de Nirel Zini et Niv Raviv, issus de familles aux convictions religieuses opposées et engagés à aider la société

Par une matinée du mois de février, Amir Zini se tenait devant les ruines calcinées de la maison du kibboutz Kfar Aza où son fils Nirel avait été assassiné avec sa compagne, Niv, lors du massacre perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas, le 7 octobre 2023. Apercevant un groupe de lycéens qui passait par là, Zini avait demandé à leur professeur si les jeunes aimeraient en savoir plus sur le jeune couple disparu.

Ses premiers mots avaient été accueillis par les regards surpris des élèves.

« Nirel et Niv sont restés ensemble pendant huit ans. Et pendant toutes ces années, ils ont eu peur que nous rencontrions les parents de Niv et ils ont eu peur que ses parents nous rencontrent », avait expliqué Zini. « Aujourd’hui, ça paraît insensé. Et quand nous nous demandons pourquoi – qu’il s’agisse de nous ou des parents de Niv – plus personne n’est là pour nous apporter une réponse. »

Zini, 60 ans, portait une kippa et une longue barbe grise comme celle des rabbins. Il avait marqué une pause avant d’ajouter : « Nos familles sont aux antipodes au sein de la société israélienne, mais nous n’aurions jamais dû nous retrouver dans une telle situation. »

Poursuivant son récit, Zini avait raconté que Nirel, qui avait 31 ans quand il a été assassiné, et Niv, qui en avait 27, étaient des officiers de l’armée. Tous deux avaient orienté leurs études universitaires vers des carrières dédiées à l’accompagnement des soldats souffrant de traumatismes de guerre.

Notant l’âge de son public improvisé, Zini avait ajouté que Nirel, d’abord recalé pour son service militaire en raison de « fautes de jeunesse », avait persévéré, menant finalement, pendant une décennie, une carrière de combattant qui l’avait hissé à un poste de haut rang. Il s’était ensuite investi dans le bénévolat auprès d’adolescents en difficulté qui risquaient d’être exclus du service militaire.

Après le départ du groupe, Zini était entré dans la petite cour de la maison que Nirel et Niv avaient louée dans un quartier du kibboutz dédié aux jeunes couples.

Revenant sur les lieux, il confie : « Ils avaient choisi de vivre ici parce qu’ils pensaient que c’était l’un des endroits les plus paisibles et les plus beaux d’Israël ».

Le quartier, entouré de champs verdoyants, est étrangement silencieux – c’est un calme pesant, amplifié par le vide laissé par les maisons détruites.

La tragédie 

Zini vit au Moshav Tlamim, à environ 23 kilomètres de Kfar Aza. Le 7 octobre, en apprenant que les localités proches de la frontière de Gaza étaient sous le feu des bombardements, il avait appelé Nirel. Son fils lui avait raconté qu’il avait tenté de récupérer une arme à l’armurerie du kibboutz, mais que celle-ci était encerclée par des terroristes, dont certains avaient déjà pris position sur le toit de leur maison. Il n’avait qu’un couteau pour se défendre.

« Je lui ai dit de garder la porte de la chambre sécurisée fermée et de veiller sur Niv », raconte Zini. « Il était 10 h 04. Ce fut notre dernière conversation. »

Amir Zini à l’intérieur de la maison détruite où son fils, Nirel Zini, vivait avec sa petite amie, Niv Raviv, dans un quartier pour jeunes familles au kibboutz Kfar Aza, février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)

Au mois de février, lors d’une réunion d’information organisée par l’armée pour les familles de Kfar Aza, Tsahal a présenté les conclusions de son enquête sur les événements du 7 octobre. Zini a appris, à cette occasion, que plus de 250 hommes armés avaient envahi la communauté, qui comptait alors 950 habitants. Seule une équipe de sécurité de 14 membres était présente au début de l’attaque. Même après l’arrivée des renforts militaires, il avait fallu trois jours pour éliminer tous les terroristes, dont certains s’étaient retranchés dans les maisons du kibboutz.

Lorsque l’armée avait enfin sécurisé la zone, 62 résidents avaient été tués et 19 autres avaient été enlevés, emmenés dans la bande de Gaza. Au total, ce 7 octobre, plus de 1 200 personnes avaient été massacrées dans le sud d’Israël, et 251 avaient été kidnappées avant d’être retenues en otages dans la bande de Gaza.

Alors qu’il entre dans la chambre sécurisée noircie par l’incendie de la maison de Nirel et Niv, Zini évoque un détail de l’enquête militaire qui le hante particulièrement.

« Quand j’étais soldat, on nous enseignait qu’une fois un territoire sécurisé, on devait y rester jusqu’à l’arrivée des renforts », dit-il, faisant référence au fait que les forces de sécurité étaient parvenues dans le quartier de son fils tôt dans la matinée mais qu’ils avaient ensuite poursuivi leur mission ailleurs.

Il est difficile de dire si Nirel et Niv étaient encore en vie à l’arrivée des troupes.

Après avoir perdu tout contact avec son fils, Zini avait multiplié les appels aux officiers supérieurs de l’armée qu’il connaissait personnellement. Mais personne n’était parvenu à localiser Nirel et Niv. L’hypothèse qui avait alors prévalu avait été qu’ils avaient été enlevés.

Nirel Zini, à gauche, et Niv Raviv sur une photo non-datée. (Crédit : Autorisation)

Unis dans le chagrin

Nirel Zini avait également passé de nombreux coups de fil aux parents de Niv, Tami et Yoel Raviv, ce matin-là et dans les jours qui avaient suivi. Et soudain, les familles s’étaient retrouvées liées par une tragédie commune.

Six jours plus tard, le vendredi matin, Tami Raviv avait appelé Zini pour lui dire que des représentants de l’armée étaient venus lui apprendre le décès de Niv et que les funérailles auraient lieu le samedi dans la soirée.

« Je lui ai dit que si Niv n’était plus en vie, alors j’étais certain que Nirel ne l’était plus non plus », se souvient Zini. « Je me suis tourné vers ma femme, Osnat, et je lui ai demandé si elle souhaitait qu’ils soient enterrés ensemble. Elle m’a répondu qu’il était impensable qu’ils soient séparés. J’ai donc demandé à Tami si elle était d’accord. »

Tami Raviv, fondatrice et directrice générale du centre Niv Nirel, à l’extérieur, sur le terrain pastoral du centre, février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)

Zini raconte que Tami avait essayé de le convaincre de ne pas perdre espoir, mais que lui avait préféré se préparer au pire.

Il était sorti de chez lui, là où personne ne pouvait l’entendre, et il avait téléphoné à la Hevra Kadisha, la société funéraire religieuse, pour s’enquérir de la procédure à suivre pour organiser un enterrement commun, si les familles en faisaient la demande.

Quelques heures plus tard, juste avant l’entrée de Shabbat, des membres de l’armée étaient arrivés pour lui annoncer la confirmation de la mort de Nirel.

« J’ai éteint mon téléphone et j’ai dit à mes enfants que la guerre avait déjà gâché mon précédent Shabbat, mais que maintenant que je connaissais le sort de Nirel, je voulais observer Shabbat et ne pas être dérangé », confie Zini.

Le samedi soir, les Zini avaient pris la route pour Netanya, où vivent les Raviv. « J’ai entré l’adresse que Tami m’avait donnée dans Waze. Nous n’étions jamais allés chez eux auparavant », raconte-t-il.

Ce qui s’était passé ensuite avait bouleversé les deux familles.

« Tout a commencé avec notre rencontre avec la famille Zini, un moment forcément très émouvant », se souvient Tami Raviv. Installée dans son bureau à Beit Yanai, au nord de Tel Aviv, près d’un an et demi plus tard, elle parle toujours de cette soirée avec une voix brisée par l’émotion.

« Nous sortons pour nous rendre au cimetière, et je vois une femme religieuse, un bébé dans les bras, tenant une pancarte sur laquelle est écrit : ‘Niv est dans nos cœurs.’ Je veux m’arrêter et la remercier d’être venue, mais je me rends compte qu’elle n’est pas seule », raconte Raviv. « Derrière elle, une immense foule. Des gens brandissent des drapeaux, portent des torches, chantent Hatikva [l’hymne national israélien]. Tout le chemin vers le cimetière est bordé de personnes que nous ne connaissons même pas et qui rendent hommage à Niv et à Nirel. »

Amir Zini se tient à l’intérieur de la maison détruite où son fils, Nirel Zini, vivait avec sa petite amie, Niv Raviv, dans un quartier pour jeunes familles au kibboutz Kfar Aza, février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)

À l’insu des familles Raviv et Zini, la nouvelle de la tragédie s’était répandue dans toute la ville. D’après les estimations de la police, plus de 30 000 personnes avaient pris place dans les rues. Depuis, d’autres processions funéraires massives ont bien eu lieu à travers le pays – mais celle de Niv et Nirel avait probablement été la première.

« Au cimetière, dans la salle où avaient lieu les éloges funèbres, la différence entre les personnes très religieuses et les personnes laïques était flagrante », poursuit Raviv. « Ils étaient tous entassés, mais avec un immense respect les uns pour les autres. Ensuite, nous avons commencé à marcher vers le cimetière. Il faisait très sombre. Soudain, il s’est mis à pleuvoir. Personne n’avait de parapluie. Les gens étaient trempés, mais personne ne s’est arrêté. »

« Soudain, un grand rayon de lumière est apparu sur la tombe », raconte Tami. « On voyait la pluie tomber violemment — c’était une scène complètement surréaliste. Puis ma sœur, une femme laïque qui avait été très active dans les manifestations [contre le projet de refonte radicale du système judiciaire du gouvernement] s’est tournée vers moi et, au milieu de la cérémonie, m’a dit : ‘Tami, Niv et Nirel ont été choisis pour unir notre nation’. C’était un moment tellement fort. J’ai ensuite regardé à l’extérieur du cimetière. Tout était sec. Cela semblait impossible. Il pleuvait à verse. Mais c’était comme si le nuage était juste au-dessus de nos têtes ».

Lorsque les deux familles sont retournées chez les Raviv, Tami a découvert que les parents de Nirel avaient eu le même sentiment.

« Nous avons eu le sentiment d’avoir un rôle à jouer dans l’unification de notre nation », se sont-ils dit, se souvient-elle. « Mais nous ne savions pas encore comment à ce moment-là. »

Une maison dévastée dans le quartier des jeunes couples du kibboutz Kfar Aza, où vivaient Nirel Zini et Niv Raviv, photographiée en février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)

Une vision réalisée

C’est le mois d’août 2024. Dans un cadre bucolique à Beit Yanai, face à une pelouse surplombant la Méditerranée, le Centre Niv Nirel ouvre ses portes. Une équipe de 15 professionnels y propose une approche holistique pour accompagner les personnes affectées par la guerre à travers différentes méthodes thérapeutiques favorisant la guérison. À la tête du centre se trouve Tami Raviv, qui a abandonné une carrière florissante dans les affaires internationales pour concrétiser la vision commune des deux familles.

Raviv a conçu le centre avec le docteur Kfir Feffer, un psychiatre spécialisé dans les traumatismes de guerre, et avec le centre de santé mentale Lev Hasharon, qui participe à sa gestion. Le projet est financé par le ministère israélien de la Santé ainsi que par la campagne d’urgence pour Israël des Fédérations juives d’Amérique du Nord.

Selon Raviv, les activités du centre reflètent ce qui aurait pu être la mission commune de Niv et de Nirel.

« Niv avait une âme de thérapeute. Elle aidait toujours les autres. C’est pour cela qu’elle avait choisi d’étudier la psychologie », explique Raviv.

Nirel faisait partie de ceux qu’elle avait soutenus. Il souffrait de TSPT après avoir été gravement blessé au combat, en 2015.

Si Nirel étudiait le droit, c’était en raison d’un autre combat : celui qu’il avait dû mener pour obtenir des indemnités pour blessures de guerre face à une bureaucratie lente et rigide. Il espérait faciliter l’accès aux droits pour d’autres soldats ayant vécu des traumatismes similaires.

Raviv insiste sur le fait que le centre est ouvert à tous, sans qu’il soit nécessaire d’être identifié comme souffrant de TSPT. « Ce sont simplement des personnes qui, à cause de la guerre, sentent que quelque chose en elles a changé », explique-t-elle.

Intérieur du centre Niv Nirel avec vue sur la mer Méditerranée à travers la fenêtre, photographié en février 2025. (Crédit : Bernard Dichek)

Mais comme le souligné un soldat, il peut être difficile de reconnaître sa propre souffrance.

« Lorsque je suis revenu, j’étais constamment à cran. Je me suis disputé avec mon patron et j’ai perdu un emploi bien rémunéré. Je ne pensais pas avoir le droit de me plaindre, car il y avait tant de soldats blessés, dans un état bien pire que le mien », raconte Gilad Bremer, qui a rejoint le centre en novembre dernier après avoir servi dans une unité d’artillerie à la frontière libanaise.

« J’étais sceptique et je n’ai pas été au premier rendez-vous », se souvient-il. « Mais quand j’y suis enfin allé, j’ai compris qu’il y avait des gens capables de voir ce que moi-même je ne percevais pas. »

Quatre mois plus tard, Bremer raconte son expérience, attablé dans un café aux côtés de sa petite amie, Nastya, et de leur chien, Biggy. « Une fois que j’ai réalisé que je n’étais pas seul dans cette situation, j’ai pu avancer et retrouver un emploi », dit-il, avant d’ajouter avec un sourire qu’avec « Nastya, [nous] avons trouvé un endroit où vivre ensemble… et nous avons adopté un chien ! »

Raviv a accompli beaucoup de choses en relativement peu de temps, apportant au Centre des thérapies innovantes, dont certaines font appel à des technologies de pointe, et initiant des collaborations avec des centres de traumatologie internationaux.

Niv Raviv, à gauche, et Nirel Zini. (Autorisation)

En repensant à cette aventure, Raviv revient sur l’inspiration qu’elle a ressentie le soir des funérailles de Niv et Nirel.

Pour elle, « Niv et Nirel nous ont confié une grande mission, et nous devons la poursuivre. Je comprends désormais que nous ne partageons pas tous la même tradition, mais nous sommes tous Juifs. Il y a quelque chose qui nous unit et que les mots ne peuvent expliquer ».

Ce sentiment fait écho aux paroles d’Amir Zini, qui avait conclu son témoignage devant les lycéens de Kfar Aza en affirmant qu’il ne savait pas « pourquoi ils redoutaient tellement que nous, leurs parents, nous nous rencontrions. Mais le simple fait qu’ils aient réussi à se connecter l’un à l’autre prouve qu’il est possible de relier ces deux mondes. »

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