Israël en guerre - Jour 375

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Le rabbin Seth Farber, fondateur et directeur d'Itim. (Crédit : ITIM)
Le rabbin Seth Farber, fondateur et directeur d'Itim. (Crédit : ITIM)
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Ce qui compte maintenant pour le rabbin Seth Farber : les otages et les enterrements mixtes dans la loi juive

Les questions de religion et d’État peuvent devenir plus pressantes en temps de guerre ; le directeur de l’ITIM, une ONG qui aide les Israéliens à s’y retrouver dans la bureaucratie religieuse du pays, nous en parle

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Bienvenue à « What Matters Now » [Ce qui compte maintenant], un podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant façonnant Israël et le monde juif – aujourd’hui.

Plusieurs familles entières ont été massacrées lors de l’assaut du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre, qui a fait 1 200 morts. Ils ont été tués ensemble par les terroristes, mais ils ne peuvent pas toujours être enterrés ensemble.

L’affaire se complique lorsque le père n’est pas juif, du moins aux yeux de l’État hébreu.

« Dans l’État d’Israël d’aujourd’hui, une nouvelle boîte à outils est nécessaire à bien des égards. La halakha ne devrait pas être niée, ni ignorée, ou considérée comme non pertinente. Il faut plutôt trouver ces moments dans l’histoire des lois juives qui nous permettent de vivre ensemble avec nos communautés », a expliqué jeudi le rabbin Seth Farber, directeur de l’ITIM.

L’ITIM est une organisation qui aide les Israéliens à s’y retrouver dans la bureaucratie religieuse du pays. Dans sa déclaration de mission, l’organisation s’engage à renforcer la participation à la vie juive tout en veillant à ce que l’establishment religieux israélien respecte les divers besoins du peuple juif et y réponde.

Au cours de la guerre actuelle menée contre les terroristes palestiniens du Hamas, l’ITIM a été amené à apporter son aide pour les enterrements des personnes qui ne sont pas considérées comme juives d’un point de vue halakhique [conformément à la halakha, la loi juive], ainsi que sur la situation des agounot [littéralement, femmes ancrées ou enchaînées, à savoir les femmes dont l’époux a disparu sans laisser de traces, ou celles qui ont été abandonnées par lui, ou celles à qui le mari refuse de donner le guet, l’acte de divorce religieux]. Dans le cas présent, on s’intéresse aux épouses de soldats aux mains de l’ennemi.

Cette semaine, nous avons donc demandé au rabbin Seth Farber  : « Qu’est-ce qui compte maintenant ? »

Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.

Le Times of Israel : Seth, merci beaucoup de m’avoir rejoint aujourd’hui.

Rabbin Seth Farber : Merci, Amanda.

La prise d’otages est, bien sûr, un sujet qui préoccupe tout le monde aujourd’hui et, à travers son histoire, le judaïsme a été confronté à cette question à plusieurs reprises. Pour commencer notre conversation, pourriez-vous nous parler des sources traditionnelles et de ce qu’elles disent sur les otages ?

La première chose à noter est que nous avons aujourd’hui un État souverain et que nous avons la chance d’avoir une armée, une armée forte et un gouvernement.

Lorsque ces textes ont été écrits, ce genre de situation n’existait pas. Il est donc très, très difficile d’appliquer une décision particulière à ces circonstances particulières.

Cela dit, le Talmud parle déjà dans Masechet Gittin du fait qu’il n’est pas permis de dépenser plus que la valeur d’un individu pour le faire libérer de captivité.

Le Talmud donne deux raisons à cela : soit parce que cela priverait la population de fonds nécessaires à d’autres domaines critiques, soit peut-être parce que – c’est une deuxième opinion dans le Talmud, c’est une opinion qui traverse les générations et qui est vraiment l’opinion normative – parce que cela inciterait à faire plus de captifs. C’est certainement une pensée qui nous est tous familière.

Des portraits d’otages israéliens détenus à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre par le Hamas, à Tel Aviv, le 21 novembre 2023. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

En général, l’argent entre en jeu lorsqu’il s’agit d’évaluer la valeur d’une personne et d’en faire le commerce. En 1193, un illustre rabbin, Rabbi Meïr de Rothenberg, surnommé le Maharam [Morenou HaRav Meïr], l’un des derniers tossafistes, les premiers commentateurs du Talmud, a été fait prisonnier [pour avoir aidé de nombreux Juifs à quitter le pays afin d’échapper aux persécutions du nouvel empereur Rodolphe Ier de Habsbourg]. Il est fort possible que son meilleur étudiant ait été chassé de la ville – le rosh yeshiva a été chassé d’Allemagne à cause de cela et s’est retrouvé en Espagne parce qu’ils lui demandaient de payer plus d’argent que ce que voulait le Maharam. Le Maharam est finalement décédé en captivité et son corps n’a été racheté qu’en 1307. Il y a donc des sources qui en parlent.

Maïmonide en parle. Le Shulchan Aruch en parle. Et bien sûr, à l’époque moderne, un certain nombre d’éminents juges halakhiques, les poskim, se sont prononcés sur la question.

Mais encore une fois, il me semble que cette décision doit être prise par ceux qui sont chargés de répondre aux besoins militaires de notre communauté, primordiaux, surtout en temps de guerre. Certains commentaires soulignent que toute la discussion sur le Talmud n’a pas lieu en cas de danger de mort. Et il est très clair qu’aujourd’hui, ceux qui ont été emmenés en captivité sont en danger de mort.

Parlons-en. La question du « pikuach nefesh » [le principe de primauté de la vie] semble pouvoir annuler presque toutes les autres halakhot.

Selon le psak normatif, cela annule clairement la question de ne pas payer plus que la valeur des personnes, peu importe comment elle a été déterminée.

Cette question est déchirante à bien des égards. Nous entendons des histoires tous les jours, nous connaissons des familles, au sein même de notre communauté, qui ont des parents qui ont été pris en otage. Il est tellement douloureux de voir et d’entendre des gens dire qu’ils ont été soulagés d’apprendre que leurs proches avaient été assassinés, car l’alternative eut été pire. C’est horrible et surréaliste. Ce que nous vivons est inimaginable.

Et la vérité, c’est que nous vivons l’un des moments les plus tragiques de l’histoire juive. En tant que rabbin, mais aussi en tant que titulaire d’un doctorat en histoire juive, quelqu’un qui a étudié ces questions, j’ai l’impression que nous sommes revenus à l’époque médiévale et que nous sommes en train de vivre des événements sur lesquels j’ai lu et qui se sont produits pendant les croisades ou pendant la Shoah. On pense au pogrom de Kielce en 1946, où des dizaines de personnes ont été tuées, et ici nous avons 1 200 personnes tuées, et des personnes sont tuées chaque jour, et des centaines de personnes ont été kidnappées. C’est tout simplement déchirant.

La halakha sur la question des otages est donc quelque peu hypothétique, car il n’y avait pas d’État juif à l’époque. Mais la loi juive sur l’enterrement est très pragmatique. Malheureusement, elle n’est que trop concrète à la suite du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre. L’une des questions qui a fait la Une des médias, bien sûr, est de savoir comment enterrer une famille dont tous les membres ne sont pas juifs. Nous avons eu quelques cas de ce genre. Pouvez-vous, tout d’abord, expliquer ces cas ?

Mon organisation, l’ITIM, a déjà eu à traiter un certain nombre de ces cas, et nous avons en fait contacté le grand rabbin deux ou trois jours après le début de la guerre pour lui dire qu’il y aurait des questions qui se poseraient.

Israël a la chance, en ce moment, d’être un lieu de kibboutz galuyot, c’est-à-dire un lieu d’accueil des exilés. Près de 550 000 personnes ont fait leur alyah, ont immigré en Israël, en vertu de la Loi du retour, en tant que Juifs, mais ne sont pas considérés comme Juifs selon le système halakhique, ou ne peuvent en tout cas pas le prouver. C’est pourquoi leur statut est contesté. La plupart de ces personnes obtiennent la pleine citoyenneté. Les 550 000 personnes dont je parle obtiennent la pleine citoyenneté.

La famille et les amis assistnt aux funérailles du soldat israélien Noa Marciano, tué en captivité par le Hamas, au cimetière militaire de Modiin, le 17 novembre 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Comme vous le savez, Amanda, cela fait plus d’une dizaine d’années que je soutiens qu’il faut mettre en place un processus de conversion. Je suis un rabbin orthodoxe et je pense qu’il existe un processus de conversion halakhiquement viable qui permettrait à ces 550 000 personnes ayant des ancêtres juifs de rejoindre pleinement la communauté halakhique.

Mais aujourd’hui, elles ne l’ont pas encore fait pour toutes sortes de raisons. En dehors de leur statut de Juif, ces personnes sont des citoyens à part entière. Elles ont du mal à se marier, mais à part cela, ce sont des citoyens à part entière. En tant que tels, ils servent dans l’armée, ils étaient à la rave et ils ont été tués. Certains d’entre eux ont aussi, malheureusement, été tués au combat, en première ligne. Le Grand-Rabbinat est alors confronté à la question de savoir comment enterrer ces personnes.

Je pense qu’il existe un moyen halakhique de le faire. Il y a plus de dix ans, mon organisation, l’ITIM, a entrepris de convaincre le Grand Rabbinat qu’il était impératif de trouver une solution au sein de l’armée qui n’obligerait pas les personnes dont le statut juif est incertain à être enterrées « à l’extérieur de la clôture ». Et en effet, après un long travail de lobbying – que je croyais, jusqu’à il y a quelques semaines, derrière nous – un modus operandi a été créé dans les cimetières militaires qui répond à toutes les directives halakhiques les plus strictes tout en permettant aux soldats d’être enterrés comme ils ont servi à côté de leurs camarades d’armes, avec leurs compatriotes. La question de l’enterrement civil a été résolue dans une certaine mesure par la loi en autorisant l’enterrement civil. Mais il y a encore beaucoup de familles qui veulent être enterrées. Et tout d’un coup, on se retrouve dans une situation qui n’est pas sans précédent dans l’histoire juive. La Mishna traite déjà du cas d’une personne trouvée dans un champ, tuée avec des Juifs, et de la manière de l’enterrer. Un commentaire du XVIe siècle du Bach – Joel ben Samuel Sirkis de Cracovie – explique qu’il s’agit d’un psak normatif, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une personne qui a été tuée al kiddush Hashem, c’est-à-dire en sanctifiant le nom de Dieu. Si quelqu’un a été tué en tant que juif, même s’il n’est pas halakhiquement juif, vous pouvez l’enterrer dans le cimetière. Cette règle n’était pas toujours admise. Le Rav Gorin, grand rabbin d’Israël au début des années 1970, a discuté de cette question dans un certain nombre de teshuvot [réponses] et a proposé un modus operandi. Si l’on lit attentivement ses réponses, on constate qu’il est possible de trouver un moyen d’enterrer dans le cimetière des personnes dont le statut juif est douteux, même si elles ne sont pas juives mais ont été tuées al kiddush Hashem avec des juifs, et ce de différentes manières. Par exemple, en creusant une concession un peu plus profondément, si c’est un problème, afin qu’il y ait, pour ainsi dire, une distance appropriée ou une distance égale entre toutes les concessions. Ce sont des solutions qui sont déjà appliquées par l’armée.

Nous avons prévenu le Grand Rabbinat, le 12 octobre, à peine cinq jours après le début de la guerre, j’avais déjà des échanges avec les Grands Rabbins. Nous avions prévu que cela se produirait, malheureusement. Et je pense que cela a créé un énorme hillul Hashem, une énorme profanation du nom de Dieu. Plusieurs rabbins ont décidé d’agir de leur propre chef, y compris le rabbin de Beit Shean. Une des jeunes femmes, membre de longue date de la communauté, a été tuée. Sa judéité était contestée, car elle avait entamé un processus de conversion et le rabbin local avait déclaré : « Eh bien, comme elle n’a pas achevé le processus de conversion, elle ne devait pas être désireuse d’être juive. » Encore une fois, comme vous le savez, j’ai beaucoup à dire sur le processus de conversion en Israël, mais ce n’est pas parce qu’une personne n’a pas terminé le processus de conversion en Israël qu’elle ne veut pas être juive à part entière. Encore une fois, elle a des ancêtres juifs et ils l’ont enterrée de l’autre côté de la barrière. Ils l’ont enterrée en dehors du cimetière. Et c’est quelque chose que nous avons trouvé très contestable.

Les tombes des résidents du kibboutz Beeri qui ont été assassinés par des terroristes du Hamas le 7 octobre, au kibboutz Revivim, dans le sud d’Israël, le 15 novembre 2023. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Il y a eu de nombreuses réactions, bon nombre d’activistes et de membres de la Knesset se sont mêlés de l’affaire. Il y a une semaine, nous avons assisté à une audience à la Knesset sur cette même question. Et j’ai le plaisir d’annoncer que grâce à la pression publique, la jeune femme n’a pas été ré-enterrée dans le cimetière de Beit Shean, mais, la clôture a été enlevée ou abaissée. Là encore, le mal était fait. La famille a vécu, comme je l’ai dit, tragédie sur tragédie. La famille s’est sentie incroyablement privée de ses droits après avoir ressenti la douleur incroyable et déchirante qu’elle a dû éprouver lorsque sa fille a été tuée.

Je pense que la pression publique a fait la différence dans cette affaire. Encore une fois, je vais à l’encontre de mon meilleur jugement, car j’aurais vraiment préféré que les grands rabbins interviennent au moment où j’ai écrit la lettre, bien avant que cela ne devienne un incident public, et qu’ils trouvent une solution. Mais, avec un peu de chance, la pression publique pourrait permettre d’éviter que cela ne se reproduise.

N’étant pas une experte en halakha, pourriez-vous m’aider à comprendre le problème que pose le fait d’enterrer ensemble des juifs et des non-juifs ?

C’est une excellente question. Il n’y a certainement rien dans la Bible qui traite de l’existence de cimetières juifs séparés. Il est clair que dans toute l’Europe, à l’époque médiévale, il y avait des cimetières communs et des cimetières séparés. Mais à un moment donné de l’histoire juive, et encore une fois, cela a commencé bien plus tôt dans la période médiévale, les Juifs avaient leurs propres parcelles.

La mort est considérée comme contraire à l’idée maîtresse de la vie juive, qui est de sanctifier la vie. En même temps, il y avait ce sentiment que nous voulons sanctifier les gens même dans leur mort, et donc nous voulons qu’ils soient parmi ceux de leur communauté, etc. C’est ainsi que s’est développée cette tradition. Je ne dis pas qu’elle ne s’est pas développée, et certaines traditions faisaient état de l’existence de cimetières juifs séparés. Il en allait ainsi en Europe moderne, c’était à peu près ainsi que les choses se passaient, sauf si quelqu’un souhaitait vraiment quitter la communauté juive.

Cela dit, dans l’État moderne d’Israël d’aujourd’hui, nous avons besoin d’une nouvelle boîte à outils à bien des égards. À mon humble avis, il n’est pas nécessaire de nier le processus halakhique. Il n’est pas nécessaire de l’ignorer, ni de dire qu’il n’est pas pertinent. Il faut simplement trouver ces moments dans l’histoire halakhique, dans l’histoire juridique juive qui nous permettent de vivre ensemble avec nos communautés. Je pense que l’objectif à long-terme est de faire en sorte que toute personne qui le souhaite puisse faire partie intégrante de la communauté juive, se marier ici, se convertir ici si elle le souhaite, etc. Mais en temps de guerre, la question se pose, en particulier lorsqu’il s’agit de la question de l’enterrement. Nous voulons nous assurer que tous ceux qui souhaitent être enterrés dans le cadre d’une cérémonie juive au cimetière avec les personnes avec lesquelles ils sont morts, kiddush Hashem, en sanctifiant le nom de Dieu, puissent le faire.

Cette semaine, nous avons demandé à la procureure générale d’intervenir pour que cela ne se reproduise pas. Là encore, au sein de mon organisation, ITIM, nous utilisons les outils que nous avons utilisés dans d’autres domaines pour ce sujet particulièrement délicat. Nous essayons d’être aussi sensibles que possible, mais surtout de nous assurer que les familles reçoivent les réponses dont elles ont besoin, en particulier en cette période de profonde tragédie.

Il semblerait que cela relève non pas de la halakha, mais plutôt de la tradition, à ce niveau-là ? Ou s’agit-il vraiment de la halakha ?

Là encore, la ligne entre ces deux choses est parfois assez floue. Il s’agit d’une question halakhique. Je ne veux pas prétendre que ce n’est pas une question halakhique, mais c’est une question halakhique avec des solutions halakhiques. Et il existe des solutions halakhiques très, très claires. Et comme je l’ai dit, dans l’armée, ces solutions sont déjà appliquées. C’est juste que les autorités civiles chargées des enterrements – il y a 600 sociétés d’enterrement en Israël, environ 40 ou 50 grandes sociétés qui sont gérées par les conseils religieux – n’ont aucune notion en matière de nuances, elles n’ont pas la boîte à outils nécessaire pour pouvoir le faire. Quelqu’un doit leur dire : « Voilà ce que vous devez faire. Vous ne pouvez tout simplement pas travailler pour l’État d’Israël et priver de leurs droits des citoyens de l’État d’Israël qui sont morts en sanctifiant le nom de Dieu, qui sont morts en tant que Juifs. Vous ne pouvez tout simplement pas les garder à l’extérieur de la clôture. »

Des fleurs sur un cercueil drapé du drapeau israélien lors des funérailles de Dana Bachar et de son fils Carmel, au cimetière de Gan Shlomo, dans le centre d’Israël, le 24 octobre 2023. (Crédit : Petros Giannakouris/AP Photo)

Passons à un autre sujet que vous et moi avons abordé au fil des ans, à savoir, les femmes enchaînées, les agunot. Tant de soldats, malheureusement, ne rentreront pas chez eux en vie. Or, il existe une solution à ce problème, une solution préventive, n’est-ce pas ?

Des discussions sont en cours. Nous avons également contacté un certain nombre de rabbins éminents au cours de la première semaine de la guerre pour voir s’ils étaient prêts à faire avancer le dossier. En particulier, les cas où des hommes mariés partent au combat, nous ne voulons pas que les épouses voient leurs maris capturés ou qu’elles soient incapables d’identifier leurs dépouilles mortelles. Il est très, très difficile d’en parler dans ce genre de forum, car c’est très douloureux dans tous les cas. C’est pourquoi, une fois encore, j’utilise souvent le mot « déchirant ». Mais c’est ce que je ressens la plupart du temps. On se sent tellement impuissant face à ce à quoi nous avons affaire ici et au mal auquel nous sommes confrontés avec le [groupe terroriste palestinien du] Hamas.

Une solution talmudique, attribuée en partie au roi David, avait déjà été trouvée. Lorsqu’ils partaient au combat, les soldats de l’armée de David remettaient à leurs épouses des documents de divorce, anticipant ainsi le problème et prévoyant que s’il leur arrivait quelque chose au combat, les femmes ne seraient pas laissées comme agunot, sans connaître leur statut. Sont-elles encore mariées ou non ? Leurs maris sont-ils vivants ou non ? Cela s’est déjà produit. Nous l’avons vécu aux États-Unis le 11 septembre, lorsque des individus ont disparu et que leurs dépouille n’a jamais été retrouvée.

Dans le cas présent, lorsque des soldats partent à la guerre, il s’agit d’une situation très, très délicate. Je vais vous expliquer pourquoi. D’une part, il faut veiller à ce que les femmes soient protégées, en particulier celles qui désirent une telle solution. D’autre part, nous avons passé beaucoup de temps à discuter avec des hauts gradés de l’armée des conséquences que cela peut avoir sur le moral des troupes. Quand vous dites à un soldat, un soldat homme qui part au combat – bien sûr, nous avons de plus en plus de soldates qui participent également au combat, et c’est quelque chose dont nous pouvons vraiment être fiers, en particulier le rôle que les soldates ont joué au début de la guerre. C’est vraiment remarquable et même dramatique, et je pense que c’est un moment charnière pour les femmes qui servent dans l’armée ici – mais en laissant cela de côté pour un moment, qu’est-ce que cela fait au moral quand on dit à chaque soldat qui part : « Hé, donne le guet [acte de divorce] à ta femme maintenant parce que tu ne reviendras peut-être pas ? »

Illustration. (Crédit : iStock)

En réalité, ce que j’ai voulu souligner, c’est que la politique officielle de l’armée est que cela devrait être ainsi, car quand c’est une politique officielle, ce n’est plus aussi douloureux. Cela dit, cette politique n’est pas appliquée. Non seulement elle n’est pas appliquée de manière générale, mais elle ne l’est pas du tout. Elle n’est appliquée qu’au cas par cas, pour les rabbins qui savent de quoi il s’agit. Quelques familles se sont adressées à moi individuellement, ou à l’ITIM, et m’ont demandé si je pouvais intervenir dans ce sens. Je leur ai demandé d’y réfléchir, je leur ai présenté les deux côtés de la médaille et les deux familles ont renoncé à le faire. Mais c’est un moment très, très douloureux.

Aussi en 1973, nous avions des érudits, des rabbins et des grands rabbins qui avaient les épaules assez larges pour être en mesure de résoudre ces problèmes post facto. Aujourd’hui, nous avons certes de tels rabbins, mais ce ne sont pas les grands rabbins, et nous allons devoir trouver une solution. J’ai déjà entamé des discussions avec certains de mes collègues pour savoir qui pourrait répondre à ces questions si elles venaient à se poser. Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure elles seront soulevées. Mais il y a des rabbins qui ont les épaules assez larges pour pouvoir résoudre ces problèmes, et je crois qu’ils le feront.

Vous dites qu’il y a des rabbins qui pourraient éventuellement trouver une solution post-mortem pour ces femmes qui sont liées à ces hommes.

Ce qui peut se faire post-mortem est moins problématique, mais lorsque l’on ne sait pas ce qu’il en est des personnes.

Celles qui sont retenues en captivité ?

Oui, s’ils vont rester captifs pour toujours, ou dans les cas où l’on ne peut pas les identifier. Il y a un certain nombre de personnes, je ne sais pas ce que les auditeurs savent, mais seuls 900 corps ont pu être identifiés, or nous savons qu’il y a eu beaucoup plus de morts.

Oui, c’est un problème. Mais, si je vous comprends bien, l’autre point concerne la possibilité pour les soldats d’accorder ce type de guet avec effet rétroactif.

Il existe différents mécanismes qui permettent d’y parvenir. Mais en gros, imaginez que vous donniez un guet qui dit que si vous revenez de la guerre, alors le guet n’est plus valable, mais que si vous ne revenez pas, alors il l’est. Je simplifie à l’extrême, mais c’est un mécanisme simple. Donc, essentiellement, s’ils ne reviennent pas, cela signifie que le couple a divorcé ou que vous n’êtes pas revenu avant une certaine date ou quelque chose comme ça, n’est-ce pas ? C’est un mécanisme.

Mais entre-temps, ils ne divorcent pas, évidemment.

C’est l’un des défis à relever. Peut-on divorcer quand on vit encore ensemble ? C’est l’un des défis halakhiques. Mais encore une fois, il y a certaines nuances et échappatoires que l’on peut utiliser pour écrire une telle chose. Et il existe une formule, un texte de ce genre. Encore une fois, je simplifie à l’extrême parce que les détails techniques seraient trop complexes pour ce genre de forum. Mais cette formule existe, comme je l’ai dit, dans les livres. L’armée est censée l’appliquer, mais c’est très difficile à mettre en œuvre.

Et tout comme on peut, par exemple, télécharger un formulaire pour vendre son hametz avant Pessah, ce genre de texte déjà prêt existe-t-il ?

Il faudrait donc – encore une fois, on peut discuter de la nécessité d’un tribunal rabbinique pour un guet – mais il faudrait certainement trois rabbins pour pouvoir le faire ou deux rabbins et un shaliah, un émissaire. Encore une fois, les complexités de la question sont intéressantes et nous pourrons peut-être en parler davantage. Mais je pense qu’il s’agit essentiellement de nommer quelqu’un comme messager pour donner la réponse en cas d’absence, et c’est l’un des mécanismes. Ensuite, cette personne peut donner le guet, et vous dites, « Je le fais à partir de maintenant » , mais le guet n’est pas vraiment donné, ou peut-être qu’il est donné. Il y a différentes façons de procéder. Il est donc nécessaire que d’autres personnes soient impliquées. Vous ne pouvez pas le faire tout seul.

Des réservistes israéliens vus lors d’un entraînement militaire sur le plateau du Golan, dans le nord d’Israël, le 30 octobre 2023. (David Cohen/Flash90)

Comment voyez-vous la suite des événements ?

Pour l’instant, je ne pense pas que cela se fera. Je pense que si des cas se présentent, cela donnera lieu à une nouvelle série de discussions sur le sujet. Il y a certainement des gens qui se feront plus entendre. La question a été soulevée en 1973, puis lors de la première guerre du Liban, lorsque nous avons réalisé que tout le monde ne revenait pas. Sans citer de noms, il y a des gens qui ne reviennent pas et qui sont mariés. Il y a eu une série de discussions, de discussions halakhiques à ce sujet et cela a changé les choses. Mais encore une fois, il a fallu – Dieu merci, peut-être espérons-nous que cela ne se reproduira plus parce que nous aspirons à la paix et que nous voulons la paix – mais j’ai l’impression qu’il faudra voir où cela nous mènera. Il y a toujours des solutions créatives qui sont mises sur la table et, à chaque fois, la formulation et la direction qu’elles prennent, prennent de nouvelles significations. Il pourrait donc y avoir une nouvelle forme et quelqu’un pourrait trouver une nouvelle solution créative qui créerait un plus grand consensus et une plus grande volonté d’y parvenir. En fin de compte, je pense que cela doit se faire par l’intermédiaire de l’armée, car le rabbinat de l’armée s’est affaibli au fil des ans, il est désormais soumis au Grand Rabbinat, et le Grand Rabbinat lui-même n’est plus aussi fort qu’il l’était autrefois en termes de sensibilité aux questions militaires. Je pense que si cela changeait un peu, cela pourrait créer une nouvelle volonté de faire avancer les choses.

Et en conclusion sur ce sujet : C’est important pour les femmes qui voudraient se remarier ou qui sont prêtes à vivre avec quelqu’un d’autre et à avoir des enfants, parce que cela affecterait le statut de leurs enfants.

En d’autres termes, une aguna standard, une femme normale qui est enchainée ou liée est une femme dont le mari disparaît. Dans la société d’aujourd’hui, nous sommes plus souvent confrontés à des femmes dont le mari refuse de donner un guet ou dont la femme refuse d’accepter un guet. C’est ce qu’on appelle un messorevet, un refus. Mais dans le cas classique, le mari disparaît, que ce soit à la guerre ou non. Dans le Talmud, le cas classique est celui d’un homme qui part en voyage d’affaires sur un bateau et dont le bateau coule. Que se passe-t-il alors ? La femme est bloquée pour toujours parce qu’elle ne sait pas si son mari est encore en vie quelque part. Nous avons eu de nombreux exemples de ce type pendant la Shoah. Bien sûr, les auditeurs connaissent des cas où, une femme se remarie et son premier mari revient des années plus tard. Que faire dans ces cas-là ? Cela arrive de temps en temps. Et comme je l’ai dit, il existe des solutions halakhiques à ce problème.

Il est dans l’intérêt de tous d’essayer de trouver des solutions. J’espère que nous n’en arriverons pas là dans le cas de cette guerre. Mais si des cas se présentaient, il y aurait des juges de tribunaux rabbiniques sensibles à la question et qui, je pense, interviendraient et prendraient leurs responsabilités, comme l’a fait le Rav Ovadia Yosef à l’époque, en 1973, ou comme l’ont fait certains des principaux poskim après le 11 septembre aux États-Unis.

Maintenant, le troisième thème dont nous devons discuter, et je ne comprends même pas pourquoi c’est un problème, est le fait d’aller à la mikveh, au bain rituel, pendant la journée.

C’est un sujet particulièrement fascinant. Tout d’abord, vos auditeurs seront surpris d’apprendre que plus d’un demi-million de femmes vont au mikveh en Israël. Nous ne sommes plus au shtetl. Un très grand nombre de femmes se rendent régulièrement au mikveh, conformément aux traditions de pureté familiale de la loi juive orthodoxe. Toutes ne sont pas orthodoxes. Beaucoup d’entre elles sont ce que nous appelons traditionnelles, massorti, ici en Israël. Mais c’est un aspect de la vie juive que ces personnes ont adopté pour elles-mêmes.

Dans la société traditionnelle, les mikvaot étaient utilisés la nuit. Il s’agissait d’un acte privé, qui ne se faisait que la nuit, etc. L’ITIM a examiné la question des mikvaot dans un certain nombre de domaines, notamment l’autorisation pour les femmes d’utiliser les mikvaot sans la présence d’une balanit, l’extension des heures d’ouverture, etc. Dans le cas présent, notre centre d’appel a commencé à recevoir deux types d’appels. Il s’est avéré que le problème était beaucoup plus important que nous le pensions. Une partie des appels provenait de femmes qui devaient se rendre au mikveh, mais qui avaient de jeunes enfants à la maison et dont les maris étaient en service de réserve. Elles disaient : « Je ne peux pas laisser mes enfants à la maison le soir de peur que ne retentisse une sirène d’alerte sans que personne ne soit là avec eux, et je ne trouve pas de baby-sitter », spécialement au début de la guerre.

Un mikvé. Illustration. (Crédit : CC-BY-SA Tamar Hayardeni/Wikimedia Commons)

Une autre partie des appels venait de femmes qui disaient simplement : « Il faut que nous sachions où il y a un mamad – pièce sécurisée – dans le mikveh. Que se passe-t-il si la sirène retentit et que nous refusons d’aller au mikveh, nous seroins mieux en journée que la nuit pour cela. »

Il s’agit en fait d’une question juridique très intéressante, car les mikvaot relèvent d’un service public. Ils sont financés par l’argent des contribuables, ou des dons privés, selon le cas. Imaginez donc une situation où l’on vous demande, d’ouvrir à des heures qui ne sont pas les heures habituelles. Nous avons tous intérêt à aider ces femmes. Encore une fois, ce n’est pas un demi-million de femmes qui nous ont appelés, mais des dizaines, voire des centaines, qui nous ont téléphoné pour nous dire : « Qu’est-ce qu’on est censées faire ? » On a réalisé que chaque ville avait ses propres règles.

Ce que nous avons essayé de faire, c’est de soumettre une requête, de faire pression sur le rabbinat pour qu’il s’assure que dans chaque grande ville il y ait un mikveh ouvert pendant la journée et qu’il instaure un mécanisme permettant aux femmes de localiser avec facilité ce mikveh si elles le souhaitent et d’y aller pendant la journée. La manière dont cela fonctionne d’un point de vue technique, etc. est moins intéressante. Mais en supposant qu’il y ait un moyen d’y aller pendant la journée, comment ouvrir les mikvaot pendant la journée pour s’assurer que cela se produise ?

Au début, le rabbinat a dit que ce n’était pas un problème. Puis nous leur avons montré que nous avions reçu des centaines d’appels, et ils ont dit : « D’accord, nous reconnaissons le problème, mais nous ne pouvons pas vous aider parce que nous ne voulons pas ouvrir les mikvaot pendant la journée, parce que la tradition veut que vous y alliez la nuit. » Et nous avons dit : « Regardez ce qui se passe ici ! »

Et là encore, il y a le même décalage que celui dont j’ai parlé précédemment sur la question des enterrements ou des divorces. Souvent, les greffiers ou les rabbins qui travaillent au sein du rabbinat institutionnel ne peuvent pas comprendre les sensibilités de la rue. C’est pourquoi, quand nous avons commencé à nous impliquer, notre travail consistait essentiellement à dire : « Écoutez, il y a toute une partie de la population ici qui n’ira pas au mikveh. Selon vos critères, il est donc dans votre intérêt de trouver une solution pour elles. »

Le rabbin Seth Farber de l’ITIM et le grand rabbin David Lau en 2013. (Avec l’aimable autorisation de l’ITIM)

À Jérusalem, la solution qu’ils ont trouvée – et elle m’a beaucoup plu, en fait, parce que c’était inédit – au lieu de dire : « D’accord, s’il y a un problème, appelez tel ou tel rabbin », comme j’en ai été témoin 50 fois ces 15-20 dernières années, ils ont en fait désigné une femme. J’étais très content. Ils ont nommé une femme pour répondre à tous les appels des femmes qui avaient un problème. Ils nous ont dit : « N’hésitez pas à diffuser le numéro de téléphone de cette femme. Elle sera notre filtre et ouvrira les mikvaot si nécessaire. » Alors ce n’était pas parfait. Ce n’est pas comme s’ils avaient dit : « D’accord, nous allons ouvrir ce mikveh quoi qu’il arrive. » Mais ils avaient une adresse. Les habitants de Jérusalem, qui sont nombreux à fréquenter les mikvaot, avaient une adresse à laquelle se rendre.

En fait, le premier jour, nous avons suivi les appels que nous avons reçus pour nous assurer que cela fonctionnait. Et de fait, cela a fonctionné. Cela a fonctionné. Aujourd’hui encore, six semaines après le début de la guerre – et encore une fois, je n’arrive pas à croire que je prononce ces mots six semaines après le début de la guerre – mais six semaines après le début de la guerre, il y a encore une adresse à Jérusalem, et c’est ainsi qu’on l’a fait dans presque toutes les villes. Sur notre site web, nous avons publié une liste de tous les mikvaot. Avec quelques membres de notre personnel, nous avons appelé toutes les municipalités, tous les conseils religieux, et nous avons dressé une liste de tous les lieux et de la manière de résoudre le problème. Sont-ils ouverts pendant la journée ? Sont-ils fermés pendant la journée ? S’ils ne sont pas ouverts pendant la journée, qui pouvez-vous appeler pour qu’ils ouvrent pendant la journée ? S’il n’y en a pas dans votre ville, où pouvez-vous aller qui ne soit pas trop loin ?

Nous avons donc rassemblé toutes ces informations et nous espérons avoir pu aider un grand nombre de femmes à traverser cette période difficile. En d’autres termes, nous espérons que ce problème ne se posera plus. Nous espérons que le nombre de missiles diminuera. Nous espérons que la peur diminuera pour celles dont les maris sont partis. Et encore une fois, il n’y a pas que les maris qui s’en vont. Je tiens à préciser que de nombreuses femmes servent également, et c’est incroyable, nous sommes bénis de pouvoir compter sur elles, et elles protègent notre pays.

En ce qui concerne la question des mikvaot, ce sont principalement les maris qui sont absents et les femmes qui doivent utiliser les mikvaot, et nous avons été très heureux de pouvoir les aider.

C’est vraiment très intéressant. Merci beaucoup, Seth, de m’avoir fait découvrir tout cela aujourd’hui.

C’est moi qui vous remercie.

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