Bienvenue à « What Matters Now » [Ce qui compte maintenant], un nouveau podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant façonnant Israël et le monde juif – aujourd’hui.
Il y a environ trois mois, lorsque le ministre de la Justice, Yariv Levin, a présenté le paquet de réformes judiciaires, il a semblé que tout le monde dans le camp israélien favorable à ces réformes se soit empressé de citer le Canada pour justifier les projets de loi largement controversés de la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Notre invité de cette semaine, l’ancien ministre canadien de la Justice Irwin Cotler, n’a pas manqué d’y être attentif.
Cotler m’a rejoint dans les bureaux du Times of Israel à Jérusalem pour expliquer en quoi l’utilisation du Canada comme exemple pour soutenir le projet de réforme du système judiciaire est fondamentalement une « fake news ».
Cet avocat chevronné et expert des droits de l’Homme nous explique comment le Canada a surmonté sa propre crise constitutionnelle dans les années 1980, comment Israël se prépare à avoir des problèmes avec la Cour pénale internationale (CPI) et nous transmet son fervent espoir que l’État juif marquera son 75e anniversaire avec une constitution populaire consensuelle et ratifiée.
Alors que des centaines de milliers d’Israéliens sont spontanément descendus dans la rue pour signaler leur opposition à la réforme du système judiciaire, nous avons demandé à Irwin Cotler : « Qu’est-ce qui compte aujourd’hui ? »
Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.
Times of Israel : Irwin, merci beaucoup de m’avoir rejoint aujourd’hui dans nos bureaux de Jérusalem. La fin du mois de mars a été mouvementée, avec une grève générale et toutes sortes de manifestations tumultueuses dans la rue. Des délégations se sont enfin réunies autour d’une table à la résidence du président Isaac Herzog et ont commencé à discuter de ce qui pourrait être, qui sait, peut-être les prémices d’une constitution. Alors, Irwin, dites-moi : qu’est-ce qui compte aujourd’hui ?
Je pense qu’il s’agit d’un moment important, non seulement d’un moment constitutionnel, mais aussi d’un moment décisif à tous les égards. Et j’espère que la Hidabrout, le rassemblement pour cette conversation nécessaire qui n’a que trop tardé, conduira à la fois à un processus de réconciliation et à un développement substantiel qui pourrait même nous mener, pour la première fois en Israël en 75 ans, à avoir enfin une constitution avec une charte des droits bien ancrée.
Les comparaisons avec le Canada ont été nombreuses tout au long de ces trois mois de, disons, chaos constitutionnel. De part et d’autre, nombreux sont ceux qui ont cité le Canada en exemple. Et l’un des points clés les plus controversés du paquet de réformes judiciaires annoncé a porté sur la clause dite « dérogatoire », qui me semble-t-il s’appelle la clause de « nonobstant » au Canada. Je crois savoir que vous avez protesté contre – lorsqu’elle est entrée en vigueur dans les années 1980. Mais qu’est-ce que la clause dérogatoire du Canada ?
Vous avez raison, je me suis opposé à l’inclusion de la clause dérogatoire dans la Charte canadienne des droits et libertés lors de notre moment constitutionnel canadien entre 1980 et 1982, mais elle a été incluse dans le cadre d’un accord politique.
Mais il existe des différences majeures entre la clause dite « dérogatoire », et la clause de « nonobstant ». Premièrement, la dérogation canadienne s’inscrit dans le cadre de la Charte des droits et libertés, dans un cadre constitutionnel, et non en dehors de celui-ci, comme ce serait le cas en Israël.
Deuxièmement, elle s’inscrit dans un système fédéral. Ce système a ses propres freins et contrepoids, et le gouvernement fédéral s’est engagé à l’époque – et lorsque j’étais ministre de la Justice et procureur général du Canada, je l’ai réaffirmé – à ne jamais invoquer la clause de « nonobstant », à ne jamais invoquer la dérogation. Cette disposition a donc été laissée aux seules provinces, et son impact est donc limité à cet égard.
Troisièmement, et c’est un point très important qui est toujours mis de côté, la dérogation au Canada ne s’applique pas aux principales catégories de droits de la Charte des droits et libertés. Elle ne s’applique pas, par exemple, aux droits linguistiques des minorités. Elle ne s’applique pas – et c’est intéressant parce que nous avons une autre clause dérogatoire dans la Charte canadienne des droits et libertés, qui dit que nonobstant toute disposition de la présente loi, les hommes et les femmes sont égaux à tous égards – à l’égalité des sexes. Il s’agit d’ailleurs de l’une des seules clauses dérogatoires de ce type dans le monde qui soit du « bon type » de clause dérogatoire, à savoir la promotion et la protection de la clause de genre. Elle ne s’applique donc pas aux grandes catégories.
Quatrièmement, elle est assortie d’une clause de caducité : elle devient caduque au bout de cinq ans et doit donc être à nouveau promulguée.
Cinquièmement, elle fait l’objet d’une contestation constitutionnelle. En d’autres termes, je peux donner une raison après l’autre.
Et je conclurais en disant que si Israël devait adopter une disposition dérogatoire dotée de toutes les protections de la Charte canadienne des droits et libertés et dans le cadre d’une constitution ici, je penserais différemment et je pourrais même être favorable à une telle dérogation, à condition qu’elle ait toutes ces protections et qu’une majorité de quelque 65 membres [sur les 120 membres de la Knesset] la soutienne.
65, c’est encore peu, étant donné que la coalition en compte 64. Mais il faudrait une voix de plus, au moins de la part de l’opposition.
Mais il faudrait aussi qu’il bénéficie de toutes les autres protections que j’ai susmentionnées.
Cela ressemble à la charte de Cendrillon : tu pourras aller au bal si tu t’acquittes de tes tâches ménagères et si tu trouves quelque chose de correct à porter. Je voudrais revenir sur le fait – comme vous l’avez noté – que le système israélien est complètement différent du système canadien. Le Canada, bien sûr, a un système bicaméral. J’y ai réfléchi hier soir : il y a environ 38 millions de Canadiens et environ 9 millions d’Israéliens et le ratio de parlementaires est à peu près le même, si je ne m’abuse. Mais que fait ce système bicaméral ?
Le système bicaméral est très important pour l’examen et l’adoption de la législation, car les deux chambres du Parlement doivent être impliquées dans ce processus. Le bicamérisme a joué un rôle crucial dans notre moment constitutionnel. En 1980, le Premier ministre canadien de l’époque, Pierre Trudeau, le père de l’actuel Premier ministre canadien Justin Trudeau, a proposé comme l’une de ses premières initiatives, lorsque les libéraux sont revenus au pouvoir, une Charte canadienne des droits et libertés, dont il avait déjà parlé auparavant.
Il s’en est suivi un processus de délibération soutenu, ancré dans la commission mixte Chambre-Sénat sur la constitution, qui s’est réunie à la fois en 1980 et en 1981, et devant laquelle des centaines de groupes ont présenté leurs observations. Des centaines d’autres ont également soumis des mémoires, etc. Comme je l’ai dit, il s’agissait donc d’un processus soutenu, délibératif et engagé, supervisé par les deux chambres du Parlement, avec une représentation de tous les partis. En fin de compte, lorsque la Charte des droits et libertés a été adoptée, elle était très différente de celle proposée par Trudeau. « Vous savez, cela a commencé par la Charte des droits et libertés de Trudeau et cela s’est terminé par la Charte des droits et libertés du peuple – et c’est encore mieux ainsi », a-t-il lui-même déclaré à la fin du processus, lorsque la Charte des droits et libertés et la constitution ont été adoptées.
J’aimerais donc qu’un processus similaire soit mis en œuvre ici. L’autre chose très importante, je pense, en ce qui concerne Israël, c’est qu’avec l’adoption de la constitution, de la Charte des droits et libertés, le Canada est passé d’une démocratie parlementaire à une démocratie constitutionnelle, de la souveraineté du Parlement à la souveraineté de la constitution. Les tribunaux, et la Cour suprême, ne sont plus seulement l’arbitre des litiges juridiques, du fédéralisme et des différends entre le gouvernement fédéral et les provinces, comme ils l’ont été pendant 115 ans – depuis la Confédération en 1867 jusqu’en 1982 – mais ils sont également devenus les garants des droits de l’Homme. Non pas parce que la Cour suprême l’a demandé, mais parce que le Parlement lui a confié l’autorité de protéger les droits de l’Homme dans le cadre d’une constitution et d’une Charte des droits et des libertés.
Remontons au début des années 1980, si vous le voulez bien. Pourriez-vous m’expliquer les avantages et les inconvénients des deux systèmes, car cela n’a pas pu se passer aussi facilement – tel que vous l’avez décrit. Cela semble très utopique … Et in fine, nous avons eu cette Charte du peuple. Mais j’imagine qu’il était terriblement important de savoir qui détenait le pouvoir : les politiciens ou les tribunaux, comme vous l’avez dit, le Parlement ou la constitution.
C’était intéressant. J’ai comparu devant la commission mixte Chambre-Sénat sur la constitution au nom de trois groupes différents. J’étais là au nom du Congrès juif canadien, dont j’étais le président à l’époque. Nous avons créé une commission spéciale sur la constitution, dirigée par d’importants juristes canadiens, dont l’ancien doyen de la faculté de droit de McGill, Maxwell Cohen. J’y suis venu au nom des peuples indigènes et de l’Association canadienne des libertés civiles.
C’est en rapport avec votre question, car nous avons comparu devant la commission mixte Chambre-Sénat et la constitution, et le lendemain de notre comparution, le Toronto Star a titré en première page : « Merci, mais non merci ». Nous avons dit : « Si c’est ce que vous nous proposez, nous n’en voulons pas parce que cela ne confère pas à la Cour suprême, au pouvoir judiciaire, l’autorité et l’indépendance suffisantes pour protéger la constitution et les droits ». Nous pensions que le gouvernement et le Parlement auraient encore trop d’autorité en vertu de la Charte des droits et libertés.
Nous avons donc cherché ce type de rééquilibrage, ce type de relation entre les trois branches du gouvernement afin de garantir des élections libres et équitables, le rôle du Parlement et la responsabilité de l’exécutif, mais aussi un pouvoir judiciaire indépendant doté de l’autorité nécessaire pour procéder à un contrôle judiciaire.
Le Canada n’est toujours pas un système parfait. Si je ne m’abuse, il y a neuf juges à la Cour suprême et ils sont nommés par des politiciens, n’est-ce pas ?
Là encore, la situation n’est pas toujours comprise, car non seulement le gouvernement israélien s’est tourné vers le Canada pour justifier sa clause dite « dérogatoire », mais il s’est également tourné vers le Canada en ce qui concerne le processus de nomination des juges. Mais c’est très différent.
Ils ont raison de dire que jusqu’en 2004, la situation était ce qu’ils prétendent qu’elle est aujourd’hui, à savoir que les nominations à la Cour suprême étaient effectuées par le Premier ministre sur recommandation du ministre de la Justice. Le processus n’était ni ouvert, ni transparent, ni public, ni interactif. Lorsque je suis devenu ministre de la Justice et procureur général en 2003, l’ironie a voulu que j’aie alors invoqué le modèle israélien pour choisir les juges de la Cour suprême parce que je pensais qu’il s’agissait d’un modèle représentatif beaucoup plus inclusif qui comptait dans son panel des ministres, des parlementaires et des juges de la Cour suprême, et que j’ai recommandé ce modèle pour le Canada.
Ce modèle n’a pas été retenu, mais il a conduit au modèle que nous avons maintenant, à savoir que la nomination finale est toujours faite par le Premier ministre sur recommandation du ministre de la Justice. Toutefois, cette nomination se fait à la suite d’une commission consultative indépendante composée de huit personnes, au sein de laquelle siègent trois personnes nommées par le ministre de la Justice, dont deux doivent être issues du public ; puis un représentant de l’Association du Barreau canadien ; un représentant de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, qui fait partie du système fédéral ; un représentant des doyens des facultés de droit du Canada ; un représentant de l’Association du Barreau autochtone, afin de refléter la diversité…
En d’autres termes, il s’agit d’une commission indépendante composée de huit personnes. Par exemple, la première présidente de cette commission consultative a été l’ancienne Première ministre conservatrice du Canada, Kim Campbell, qui a été nommée par un gouvernement libéral, Justin Trudeau, pour présider cette commission consultative indépendante et non partisane, composée des personnes les plus éminentes de ces huit peuples dans chacune des catégories. Ils doivent eux-mêmes s’engager dans un processus impliquant le recrutement et l’engagement de candidats potentiels. Il existe un inventaire – ou un protocole des personnes – bien spécifique qu’ils doivent consulter. Le processus est public, transparent, fait l’objet d’un rapport, etc.
À l’issue de ce processus, ils recommandent trois à cinq candidats. Ces candidatures sont présentées au ministre de la Justice. Celui-ci s’engage alors dans un autre processus, qui comprend également des réunions avec les membres des deux chambres du Parlement, etc. Ils finissent par dresser une liste qui fait l’objet d’un accord, d’un consensus, qui est ensuite transmise au Premier ministre, puis un candidat est choisi. Mais après un processus très soutenu, délibératif, ouvert, transparent et engagé.
Et il doit recommander quelqu’un de la liste établie par cette commission consultative ?
Il n’y est pas obligé, mais c’est ce qu’on attend de lui. C’est ce qui s’est passé.
C’est un long processus.
C’est en effet un processus très long. Et il est intéressant de noter que nous avons enfin, grâce à la dernière nomination à la Cour suprême, la première personne aborigène à siéger à la Cour suprême du Canada, une femme autochtone. Et avant cela, dans le cadre de ce même processus, nous avons eu le premier membre de la communauté bahá’íe, un bahá’í canadien, à siéger à la Cour suprême du Canada. Vous constaterez donc que la diversité et l’excellence sont le reflet de ce processus de délibération prolongé et soutenu.
Donc, maintenant qu’Israël est prêt – parce que fondamentalement cette législation sur les nominations judiciaires est prête, prête à être votée – à abandonner ce système plus diversifié de choix des juges de la Cour suprême, que présagez-vous ?
Eh bien, si la proposition de la commission de sélection des juges, telle qu’elle a été proposée par [le ministre israélien de la Justice Yariv] Levin et [le député Simcha] Rothman, je pense qu’il ne s’agira pas d’un processus inclusif, représentatif, ancré dans l’excellence.
Le processus de sélection des juges proposé par le gouvernement, qui, je l’espère, sera modifié, politise la nomination des juges. Les représentants du gouvernement au sein de cette commission disposent d’une majorité écrasante alors que sur les neuf membres de la commission proposée, ou sur les onze, il suffit d’une majorité restreinte. Et cette majorité est contrôlée par les représentants du gouvernement. Vous auriez donc un processus clairement politisé avec des nominations politisées qui, à mon avis, diminuerait le respect pour un pouvoir judiciaire indépendant et l’autorité de ses décisions.
Et cela ne s’arrêterait pas là, car il n’y a pas que le processus de sélection des juges qui soit politisé. Il y a aussi, en plus de la clause dite « dérogatoire », ce que j’appelle une dérogation préventive, qui exige un banc complet de 15 juges de la Cour suprême et, selon l’option de Levin ou de Rothman, l’unanimité – ou l’accord de 80 % des juges – ce qui n’arrivera tout simplement jamais.
Ainsi, même cette Cour politisée n’aura pas vraiment de légitimité, d’autorité ou de capacité de contrôle judiciaire. Vous allez donc à la fois la politiser et, en réalité, la neutraliser.
Vous avez parlé de votre rôle en tant que ministre de la Justice et procureur général. Cela semble assez important. Ici, en Israël, c’est également un rôle très vaste. Pensez-vous qu’ici, en Israël, ce rôle devrait rester aussi important ?
C’est une question intéressante. En réalité, lorsque je suis devenu ministre, j’avais trois responsabilités majeures. J’étais ministre de la Justice, procureur général et chef de l’Autorité chargée des poursuites. J’ai estimé que cela conférait trop de pouvoir à une seule et même personne. À la fin de mon mandat, j’ai donc recommandé au gouvernement qui m’a succédé, un gouvernement conservateur, de séparer l’Autorité chargée des poursuites et de la rendre indépendante. Cette recommandation a été acceptée.
J’ai fait une autre recommandation qui n’a pas encore été acceptée, à savoir que le ministre de la Justice et le procureur général soient également des personnes distinctes. En effet, à ce stade, il s’agit d’une sorte de contradiction dans les termes, car en tant que procureur général, je devais fournir des conseils juridiques indépendants au gouvernement. En tant que ministre de la Justice, je faisais partie du gouvernement et si le gouvernement prenait une décision qui rejetait l’avis que j’avais donné en tant que conseiller juridique indépendant, j’étais lié par la décision du gouvernement et je ne pouvais même pas en parler parce que j’étais lié par le secret professionnel. Je suis donc toujours favorable à ce que les positions du ministre de la Justice et du procureur général soient divisées.
En ce qui concerne Israël, les positions sont partagées, mais il faut se demander – et je pense qu’il faut revoir le rôle du procureur général ici – si les décisions du procureur général devraient en réalité être contraignantes ou non-contraignantes dans tous les cas.
Qu’en pensez-vous ?
Je pense que l’avis du procureur général, parce qu’il est indépendant et en raison de son expertise, doit être reconnu et respecté comme il se doit. Mais je me demande s’il doit être contraignant à tous les égards. Je pense que c’est là qu’il faut revoir la question. Certaines questions importantes en matière de sécurité et de politique publique ne devraient peut-être pas faire l’objet d’une recommandation contraignante de la part du procureur général.
Le Canada n’est que l’un des pays auxquels Israël a été comparé récemment. Bien sûr, ceux qui s’opposent à la réforme du système judiciaire comparent ce paquet de réformes en un moyen de transformer Israël en une Hongrie, une Pologne ou une Russie. Que pensez-vous de ces comparaisons ?
Je pense que la situation est différente. Bien que je me sois opposé à ce paquet de réformes parce que je pense qu’il porterait atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire – il éviscérerait plus ou moins le contrôle judiciaire pour les raisons que j’ai mentionnées, politiserait la prise de décision, et cetera, et cetera – je crois aussi qu’Israël est toujours une démocratie dynamique. Je pense que les centaines de milliers de manifestants, semaine après semaine, en sont la preuve. Et après tout, même si ces propositions étaient adoptées, il y aurait toujours des élections libres et équitables. La presse serait toujours indépendante, la liberté d’association et de réunion serait toujours respectée. Et plus important encore, vous auriez toujours une société civile dynamique.
Encore une fois, j’ai partagé toutes les raisons pour lesquelles je pense que le paquet de reformes proposé serait préjudiciable et nuisible, mais il ne transformerait pas pour autant Israël en une dictature. Je ne pense pas non plus qu’il conduirait Israël sur la voie de la Hongrie et de la Pologne pour toutes les raisons que j’ai susmentionnées.
Il s’agit d’une démocratie dynamique. L’une des banderoles qui m’a le plus ému lors de la manifestation de samedi dernier était celle d’une jeune femme sur laquelle était écrit en hébreu : « La démocratie est dans notre âme ». Et je pense que les manifestations que nous avons vues semaine après semaine et les rassemblements spontanés qui ont eu lieu après que le Premier ministre a renvoyé le ministre de la Défense Gallant – 600 000 à 700 000 personnes sont descendues spontanément dans les rues – étaient démocratiques.
La démocratie est dans notre âme. J’ai donc confiance dans le peuple israélien, dans la démocratie israélienne à cet égard. Je ne pense donc pas qu’Israël prenne le chemin de la Hongrie ou de la Pologne, mais si ces réformes étaient adoptées dans tous les domaines que j’ai mentionnés, il saperait, dans les faits, l’indépendance du pouvoir judiciaire et la capacité de contrôle judiciaire.
Pensez-vous que si ce paquet de réformes est adopté, la position d’Israël devant, par exemple, la Cour pénale internationale sera altérée ?
Je pense que, comme nous l’avons vu, la perspective même de l’adoption de ces réformes a déjà nui à la position d’Israël. Vous voyez les commentaires qui ont été faits, y compris de la part de l’allié stratégique le plus important d’Israël, les États-Unis. Mais en ce qui concerne la CPI, par exemple, vous avez soulevé un point très important – et j’ai soumis un mémoire à la CPI pour expliquer pourquoi elle ne devrait pas être compétente et le principal point que j’ai soulevé est le principe de complémentarité. Parce qu’Israël dispose d’un système judiciaire indépendant et d’une Cour suprême indépendante, la CPI n’est pas habilitée à ouvrir des enquêtes et des poursuites, car cela violerait le principe de complémentarité, qui exclut ce type d’enquêtes et de poursuites.
Toutefois, si cet ensemble de réformes devait être adopté, certains pourraient arguer qu’il n’y aura plus de système judiciaire indépendant et que le principe de complémentarité ne s’appliquera pas et, par conséquent, dire « ouvrons le dossier, poursuivons l’enquête, engageons des poursuites et délivrons des mandats d’arrêt ». Cela pourrait se produire en particulier si vous avez des membres de la communauté internationale qui, pour commencer, ne peuvent pas être considérés comme des examinateurs indépendants. Mais certains d’entre eux ont leurs propres préjugés, et ils pourraient alors utiliser ce qui se passe ici pour dire qu’il n’y a pas de complémentarité, et donc engendrer les poursuites.
Et lorsque vous parlez de mandats d’arrêt, vous parlez même des simples soldats, n’est-ce pas, qui pourraient quitter Israël et mettre les pieds dans un pays qui pourrait être hostile.
Oui, cela ferait de tout pays qui reconnaît la CPI, un endroit qui pourrait être appelé, non seulement à délivrer, mais à exécuter un mandat d’arrêt. Cela mettrait les Israéliens et Israël dans une position très délicate.
Pensez-vous que nous en serions loin si ces réformes venaient à être adoptées ?
Eh bien, comme je l’ai dit, j’espère que les têtes les plus froides et les plus rationnelles l’emporteront et qu’elles ne seront pas adoptées. Mais si elles l’étaient, elles ne mettraient pas fin, à mon avis, à la complémentarité. Elles permettraient à ceux qui voudraient politiser la CPI et l’armer à des fins de guerre juridique, comme on l’appelle, de l’utiliser ensuite comme moyen d’émettre des mandats d’arrêt. Je pense donc que nous devons nous protéger dans ce sens.
En d’autres termes, ceux qui appartiennent à la communauté des démocraties et qui sont préoccupés par ce qui se passe ici conseillent réellement Israël, entre autres choses, de ne pas s’engager dans cette voie parce qu’ils pourraient ne plus être en mesure de vous protéger si cette complémentarité devenait une arme suite à l’adoption de ce paquet de réformes.
Nombreux sont ceux qui parlent de ce paquet comme du retour du balancier de la révolution des années 1990, au cours de laquelle le président de la Cour suprême de l’époque, Aharon Barak, avait pris un peu plus de pouvoir qu’il n’en avait de facto. Et j’ai entendu des rumeurs selon lesquelles vous auriez été impliqué d’une manière ou d’une autre dans cette affaire, est-ce exact ?
C’est un point intéressant. Après l’adoption de la Charte des droits et libertés au Canada, j’étais ici en tant que professeur invité à l’université hébraïque en 1990 et j’avais été en contact avant cela avec Dan Meridor, qui était alors ministre de la Justice, avec Amnon Rubenstein et d’autres personnes du même acabit.
Ce qui est moins connu, c’est que la Loi fondamentale de 1992 sur la dignité et la liberté de l’être humain était elle-même fondée sur l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle n’était pas fondée sur tous les autres aspects, mais sur le principe fondamental de l’article premier.
Lorsque j’en avais discuté avec Dan Meridor, j’espérais qu’Israël allait connaître un moment constitutionnel similaire à celui du Canada et adopterait une charte des droits et des libertés. Il n’a adopté que la Loi fondamentale sur la dignité et la liberté humaines, qui est très importante. Cette révolution constitutionnelle n’était donc pas vraiment celle de Barak. C’est en réalité le gouvernement de l’époque et le Parlement qui l’avaient adoptée.
Je pense donc qu’il est erroné de parler de la « révolution Barak » parce qu’il s’agissait d’un texte parlementaire, de la même manière qu’au Canada, le Parlement a confié aux tribunaux le pouvoir de contrôle judiciaire et non aux tribunaux qui l’ont usurpé.
En 1992, c’est le gouvernement qui a investi la Cour suprême de cette autorité et non Barak – qui se l’est approprié.
Oui, dans la décision sur la faillite de 1995, il a donné effet à cette révolution constitutionnelle. Mais cette initiative était en réalité une initiative gouvernementale et parlementaire en Israël, et je pense qu’elle a été ignorée. J’aimerais que le gouvernement et le Parlement aillent plus loin et adoptent une constitution dont la pièce maîtresse serait la Charte, une charte des droits et des libertés, ancrée également dans la Déclaration d’Indépendance, un document officiel qui affirmerait le principe d’égalité à sept reprises, qui parlerait de l’indigénéité d’Israël et ainsi de suite. Je pense qu’il s’agirait là d’un cadre merveilleux pour une nouvelle constitution et une nouvelle charte des droits pour Israël.
Vous connaissez très bien Israël et les Israéliens, de près et de loin. Pensez-vous vraiment que nous sommes mûrs pour que ce moment constitutionnel porte ses fruits ? Pensez-vous, qu’alors même que les délégations se réunissent autour de la table du président, il en résultera quelque chose d’étonnant, de merveilleux ?
Si Israël, en 1948, alors en pleine guerre, a pu se réunir et adopter une Déclaration d’Indépendance dont les représentants de tous les partis, y compris le parti communiste, entre autres, étaient signataires, pourquoi ne pas célébrer aujourd’hui, 75 ans plus tard, ce moment constitutionnel initial de l’adoption de la Déclaration d’Indépendance ? Célébrer ce moment constitutionnel initial de l’adoption de la Déclaration d’Indépendance pour en faire la pièce maîtresse d’une nouvelle constitution et utiliser le moment constitutionnel actuel et peut-être la dialectique de ce qui s’est passé jusqu’à présent pour rassembler le peuple et l’ancrer dans une – comme nous l’avons dit au Canada, mais cela peut être dit pour Israël – une constitution du peuple, une charte des droits du peuple ancrée dans le principe d’Israël en tant qu’État juif, démocratique et juste.
Mais pensez-vous vraiment que cela se produira ?
Je suis optimiste. On m’accuse toujours d’être un optimiste congénital, mais je pense qu’il est bon d’avoir ce type de possibilité inspirante à l’esprit parce qu’elle pourrait donner lieu à un dialogue plus optimiste lorsqu’ils se réunissent, non seulement, disons, pour réviser les propositions qui ont été présentées par le gouvernement, mais aussi pour dire « Vous savez quoi ? Nous vivons un moment historique. C’est un moment constitutionnel. C’est un moment de l’histoire, à l’occasion de notre 75e anniversaire, où nous pouvons, en réalité, élaborer la constitution d’Israël en tant qu’État juif, démocratique, autochtone et juste ». Je pense que c’est vraiment le moment de le faire. Et ancré dans les principes, comme je l’ai dit, de l’égalité, de la diversité, etc.
Puissions-nous tous être contaminés par votre optimisme. Merci beaucoup de vous être joint à moi aujourd’hui.
Merci de m’avoir donné l’occasion de partager quelques réflexions avec vous.
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