Israël en guerre - Jour 425

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La professeure Mona Khoury, vice-présidente de la stratégie et de la diversité à l'Université hébraïque de Jérusalem. (Crédit : Motasem Zaid)
La professeure Mona Khoury, vice-présidente de la stratégie et de la diversité à l'Université hébraïque de Jérusalem. (Crédit : Motasem Zaid)
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Ce qui compte pour Mona Khoury: Le cercle vicieux de la violence dans la société arabe d’Israël

Alors que plus de 130 Arabes israéliens sont morts dans des violences au premier semestre 2023, la professeure dit qu’il est temps de mettre au point un plan approfondi

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Bienvenue à « What Matters Now » [Ce qui compte maintenant], un nouveau podcast hebdomadaire qui examine un sujet déterminant façonnant Israël et le monde juif – aujourd’hui.

Ce week-end, Israël a franchi un cap tragique : Dans les six premiers mois de l’année 2023, ce sont plus de cent citoyens arabes israéliens qui ont été tués dans des violences.

Comme c’est le cas lorsque la violence se manifeste dans toutes les communautés et dans le monde entier, ce fléau a de nombreux visages – le crime organisé, les violences conjugales, les actes irrationnels qui peuvent être entraînés par la colère, etc… Mais selon un sondage réalisé par le groupe Abraham Initiative, les membres de la communauté arabe déclarent depuis plusieurs années que les problématiques qui les inquiètent le plus sont le crime et la violence – bien avant le statut civil, les législations racistes ou l’impasse dans le processus de paix.

Toutefois, de nombreux citoyens arabes en Israël ont aussi le sentiment que l’État juif ne fait pas le choix d’investir les ressources nécessaires pour combattre ces violences à long-terme et de manière globale.

« On parle de ce sujet comme du sujet des violences dans la société arabe. Avant tout, il s’agit de la violence qui se trouve dans la société israélienne », commente la professeure Mona Khoury, vice-présidente de la stratégie et de la diversité au sein de l’Université hébraïque de Jérusalem.

Khoury, professeure à l’École de travail social de l’Université hébraïque, a pris le temps, cette semaine, de s’entretenir avec le Times of Israel dans son bureau, sur le mont Scopus. Une grande partie de ses recherches se concentrent sur les comportements déviants et délinquants chez les enfants et chez les adolescents.

Mais loin de se contenter d’examiner le phénomène, elle a aussi des suggestions concrètes à faire pour briser le cycle des violences.

Cette semaine, alors que tous les regards se sont enfin portés sur la recrudescence des violences au sein de la communauté arabe, nous avons demandé à Khoury : « Qu’est-ce qui compte maintenant ? »

Notre entretien a été édité et condensé dans un souci de clarté et de concision.

Le Times of Israel: Mona, merci infiniment de m’avoir permis de me joindre à vous dans votre bureau de l’Université hébraïque ici, sur le campus du mont Scopus.

Mona Khoury : Merci à vous d’être venue.

C’est un tel plaisir pour moi de me trouver là. Le sujet que nous allons évoquer est beaucoup moins plaisant, bien sûr. Le week-end dernier, nous avons franchi un cap qui est aussi un record – celui des plus de cent membres de la population arabe israélienne qui ont perdu la vie en raison des violences qui touchent cette communauté. Et je vous le demande donc : Qu’est-ce qui compte maintenant ?

Je pense que ce qui compte, c’est ce que les gens sont amenés à ressentir aujourd’hui, ce manque de sécurité que de nombreuses personnes, des parents, des enfants… ce manque de sécurité que tout le monde ressent dans la société arabe israélienne ces derniers temps – même des personnes qui ne sont nullement impliquées dans des violences, dans la délinquance ou dans une forme ou une autre de comportement déviant. Nombreux sont ceux qui ne se sentent plus en sécurité dans leurs habitations et dans leur quartier.

Et en réalité, la majorité de ces gens ne sont manifestement pas impliqués dans des violences et ils n’ont pas de comportement délinquant.

Bien sûr, et c’est en fait ce que les gens doivent savoir avant tout le reste. Même si nous avons aujourd’hui cent personnes qui ont été tuées, un grand nombre des membres de la communauté ne sont pas impliqués dans ces crimes, même les victimes ne sont pas impliquées dans les violences – certaines étaient simplement au mauvais endroit au mauvais moment et malheureusement, elles ont été tuées.

Mais il y a une autre chose que les gens doivent savoir : c’est que malgré ce fort pourcentage de personnes impliquées dans des violences au sein de la société arabe, c’est encore un tout petit nombre comparé au fait que nous sommes deux millions ici, en Israël. Le meurtre d’une personne, ça semble toujours trop élevé, pourtant, si on le compare à la taille de la population, c’est une population très large et la plupart des Arabes israéliens ne sont pas violents. Et malheureusement, ces gens donnent l’impression qu’il y a une violence intrinsèque de la population arabe, ou que c’est toute la population arabe qui est violente.

Et en fait, se contenter de dire « la population arabe », ce n’est pas exact. Il y a de nombreuses populations arabes. Ainsi, pour ceux qui nous écoutent et qui ne sont peut-être pas encore venus en Israël, pouvez-vous nous dire dans les grandes lignes : Quelles sont ces populations arabes qui constituent la population arabe au sens large du terme ?

Si nous parlons de la population arabe ou des citoyens d’Israël d’origine arabe, alors nous parlons de trois groupes, principalement. La population arabe musulmane, qui constitue la majorité de la population arabe en Israël, et elle constitue presque 84 % de cette catégorie de la population. Nous avons la population arabe chrétienne, qui forme 8 % de la population. Et nous avons un troisième groupe, la population druze, qui constitue presque 8 % de la population arabe israélienne.

Et il y a également des différences au sein de ces groupes, entre les Arabes qui vivent dans les villes, les Arabes qui vivent dans les villages, les Arabes qui vivent dans le nord d’Israël – en comparaison avec ceux qui vivent dans le centre du pays ou avec la population bédouine qui, dans sa majorité, vit dans le sud.

La plus grande partie de vos recherches, si j’ai bien compris, portent sur les jeunes et l’un des chiffres que j’ai pu voir dans l’une de vos études, c’est que, je crois, environ 28 % des jeunes qui avaient pris part à votre recherche avaient commis des faits liés à une forme ou une autre de violence. C’est bien ça ?

Pour commencer, c’est bien ça. C’est un chiffre malheureux qui nous permet de savoir que les jeunes Arabes sont en effet impliqués dans ces violences et dans cette délinquance, et qu’ils le sont de manière disproportionnée si on compare ce pourcentage à celui la population israélienne. Et si on examine en particulier les données officielles, il semble que 54 % des crimes soient commis par des jeunes Arabes alors que le pourcentage, dans la population israélienne, n’est seulement que de 26 %. C’est donc beaucoup plus élevé. Et quand on observe les signalements de faits de violence dont nous disposons, nous constatons aussi que les jeunes Arabes signalent davantage de violences que ce n’est le cas des jeunes Juifs.

Et pourtant, les différences entre les deux populations – ou l’écart qui les sépare – sont plus importantes si on parle de certains exemples de violences graves. Quand il y a des violences physiques qui réclament une prise en charge médicale, ou quelque chose d’approchant. Il n’y a pas de violence qui serait modérée – la violence, c’est la violence – mais afin de faire la différence entre les différents types de violences, quand on parle de bousculade, de gifle donnée ou des violences à l’école, nous constatons que les jeunes Juifs et les jeunes Arabes sont impliqués presque au même pourcentage – dans ce type particulier de violence.

La police sur la scène de coups de feu meurtriers dans la ville de Qalansawe, dans le centre d’Israël, le 10 juin 2023. (Autorisation)

Alors juste pour répéter ce que vous venez de dire – quand il s’agit de bagarres à l’école, des choses de ce genre, les jeunes Juifs et Arabes sont à peu près au même niveau. Mais lorsque vous montez d’un cran en passant à des violences nécessitant une prise en charge médicale, ou des choses similaires, alors les jeunes Arabes – c’est sur la base de leur signalement des faits, il faut le rappeler – creusent l’écart.

Exactement. Et en réalité – en soulignant encore une fois l’aspect du signalement – c’est parce que c’est la même chose quand on parle du crime ou des rapports officiels. Ainsi, nous savons que les jeunes Arabes signalent également eux-mêmes spécifiquement les violences graves. Ils les signalent plus que les enfants Juifs. Par exemple, s’agissant de l’introduction d’armes à l’école, nous savons que les enfants arabes effectuent plus de signalements que les enfants Juifs. C’est une sorte d’acte grave de violence et de délinquance.

Est-ce que c’est peut-être parce qu’il n’y a pas de gardiens de sécurité à l’entrée des écoles, comme il y a des gardiens de sécurité à l’entrée des écoles juives ? Qu’est-ce qui pourrait être la cause de ce phénomène ?

Je ne pense pas que la raison soit la question des gardiens de sécurité, parce qu’il y en a parfois dans les écoles arabes. Je ne suis pas sûre que ce soit dans toutes les écoles, je ne suis pas sûre qu’ils contrôlent vraiment ce qui se passe autour d’eux, ce n’est donc pas la présence d’un gardien de sécurité qui va changer quelque chose. Mais la majorité des études montrent que ce n’est pas le contrôle qui sera principalement à l’origine d’une diminution de ces chiffres.

Une des choses que nous savons – et qui, d’une certaine manière, nous rappelle ce qui se passe aux États-Unis – c’est l’accessibilité des armes. Nous pouvons le constater maintenant, avec tous ces meurtres commis dans la société arabe. Nous pouvons constater le nombre d’armes qu’il y a dans les habitations, dans la société arabe. Et j’ai donc la conviction que l’une des raisons expliquant ce phénomène est ainsi un accès aux armes plus facile pour les enfants arabes, dans certains cas du moins.

Nous devons aussi nous souvenir que nous parlons d’un nombre très petit d’enfants qui ont amené des armes à l’école – mais vous le savez, une seule arme peut tuer beaucoup de gens.

C’est sûr, c’est ce que nous avons vu, la semaine dernière, avec ces coups de feu malheureux qui ont tué cinq personnes dans une station de lavage automobile. Maintenant, je voudrais vous interroger sur quelque chose que j’ai lu dans un de vos documents – qui évoque une sorte de cercle vicieux. Ce cercle vicieux, c’est que les jeunes Arabes qui ont assisté à des violences au sein de leur communauté seront plus susceptibles de se livrer eux-mêmes à des violences. Parlez-nous un peu de cette idée.

Oui, en fait, c’est très exactement ce qui arrive. Et les résultats nous montrent, pour commencer, que les jeunes Arabes sont très exposés aux violences au sein de leurs communautés. Si on parle d’expérience personnelle, 50 % des participants ont indiqué qu’ils avaient été victimes d’une forme de violence ou d’une autre le mois dernier, dans leur quartier. Et quand on leur demande s’ils ont connu une victime de violence, ce pourcentage grimpe à 80 %.

Ainsi, les jeunes Arabes, même s’ils n’ont pas été directement victimes, assistent en permanence à des violences dans leur environnement. Et nous avons établi que c’était un indicateur de futures violences chez les jeunes.

La scène d’une fusillade à Yafa an-Naseriyye, le 8 juin 2023. (Crédit : Magen David Adom)

En conséquence, les jeunes Arabes qui vivent dans cet environnement sont hautement exposés aux violences, puis ils vont laisser libre cours à leur propre violence, dans certains cas, à l’égard de leurs parents, à l’égard de leur fratrie, à l’égard de leurs amis à l’école. C’est donc comme un cercle vicieux – et nous devons faire quelque chose pour changer cette situation. Et, bien entendu, l’une des choses principales, c’est de stopper les violences dans la société arabe.

Mais c’est une tâche énorme. Tentons de la décomposer en plusieurs éléments comme vous le faites dans vos études, dans les différentes sphères de l’environnement – en commençant par le foyer.

Oui. Avant tout, c’est un gros problème, c’est un problème grave et il faudra du temps pour le résoudre, le problème de la violence dans la société arabe. Ainsi, il y a de nombreuses choses que je peux dire en tant que travailleuse sociale, il y a des programmes d’intervention et de nombreuses choses que nous avons apprises grâce aux recherches et qui sont très utiles. Par exemple, dans la situation qui nous occupe, j’ai donné des explications sur les violences communautaires qui prédisent d’autres violences. Mais l’une des choses que nous avons pu constater dans nos études, c’est que quand un gamin a une bonne relation avec ses parents, quand les parents sont impliqués dans la vie des enfants et qu’ils ont une bonne communication avec eux, l’effet des violences communautaires ou l’exposition aux violences communautaires sont mois forts, plus bas, que lorsqu’un enfant entretient une mauvaise relation avec ses parents.

Alors c’est quelque chose qu’on peut faire même si cela ne permet pas de résoudre la situation actuelle au sein des communautés arabes, face auxquelles, je le dis, nous devons faire quelque chose – au moins, nous pourrions commencer déjà à travailler avec les parents. Et les professionnels qui ont travaillé dans les écoles, dans les services sociaux et ailleurs doivent savoir, ils doivent avoir conscience de l’effet énorme que les parents peuvent avoir sur leurs enfants et sur leurs adolescents. Dans de nombreux cas, nous entendons dire que les parents n’ont pas tant d’influence que ça sur leurs adolescents, mais ce n’est pas vrai. Les recherches montrent qu’ils en ont. Et nous devons aussi travailler sur les thérapies familiales et ne pas seulement nous focaliser sur l’enfant violent ; nous devons impliquer les parents qui doivent être considérés comme un élément déterminant dans nos interventions.

Alors je vais le répéter de manière plus simple : Si nous avons deux enfants qui sont exposés au même degré de violence, que l’un d’eux entretient une bonne relation avec ses parents et que ce n’est pas le cas de l’autre, nous pouvons clairement constater que celui qui entretient une bonne relation avec ses parents ne sera pas touché de la même manière que l’autre par cette exposition à la violence.

Il semble que ce que vous dites, c’est que pour éviter d’avoir « un enfant à problème » (je déteste ce terme) ; pour éviter d’arriver à la situation du passage à l’acte chez l’enfant, les parents doivent apprendre au préalable à être de meilleurs parents, à élever de meilleurs enfants ?

Bien sûr. Et l’une des choses principales, c’est de travailler avec les parents quand leurs enfants sont très jeunes. Je sais aussi, à partir de mes recherches, que les enfants commencent à se montrer violents très, très tôt – et nous savons que les violences commencent aussi en maternelle.

Les enseignants, en maternelle, signalent les enfants qui sont dans leurs classes, ils signalent qu’ils sont violents. Des mères ont déclaré, dans mon étude, que leurs enfants de trois à cinq ans étaient violents. Et l’une des choses que nous évoquons le plus, c’est ce travail avec les parents. Dans de nombreuses situations, on apprend que les personnels – les enseignants en maternelle ou les employés des écoles dans les cas qui nous occupent – disent que les parents utilisent, eux aussi, la violence à l’encontre de leurs enfants. Et ils disent qu’ils ne peuvent donc rien faire.

Et c’est bien là le principal problème, et la principale difficulté quand on dit qu’il n’y a rien à faire – on abandonne l’enfant, on ne peut pas le blâmer mais on ne peut pas laisser cette situation perdurer. Ce qu’il faut que nous fassions, c’est travailler avec les parents et leur démontrer que cette violence entraînera un enfant qui laissera lui-même libre cours à sa violence, et il faut lancer des efforts d’intervention et de prévention à cet égard.

Ainsi, je suis mère de quatre ados et vous me dites que j’ai de l’influence sur eux – mais je n’en ai pas toujours le sentiment, j’ai vraiment le sentiment que c’est leur groupe d’amis qui a le plus d’influence sur eux à l’heure actuelle. Alors comment créer aussi, à cet âge, de meilleurs groupes d’amis non-violents ?

Vous évoquez ici quelque chose de très important – les amis. Nous savons qu’un groupe d’amis, pendant les années de l’adolescence, ça a un impact immense sur les enfants. Mais les amis de vos enfants ne sont pas arrivés de nulle part. Ils sont habituellement, dans de nombreux cas, comme vous l’avez dit – vous avez un ado de 14 ans, vous savez qu’un grand nombre de ses amis sont ses amis depuis de nombreuses années et il faut travailler là-dessus aussi, il faut être conscient de qui votre enfant fréquente, avec qui il sort, ce qu’il fait pendant ces sorties…

Et dans certains cas, oui, il faut impliquer les autres parents si vous apprenez quelque chose d’inquiétant ; il faut aller voir un professionnel avec votre enfant, il faut parler avec les enseignants parce que dans un grand nombre de cas, les amis de votre enfant sont des camarades de classe ou des camarades d’école. Si vous observez les enfants, ils sortent habituellement avec des gens qu’ils ont connu dans leur environnement du quotidien, dans les écoles, dans les classes du quartier, et on peut faire aussi quelque chose avec le groupe d’amis.

Mais une fois encore, les études montrent aussi que l’impact du groupe d’amis est plus faible que celui des parents. Même si ces amis sont des délinquants, l’impact sera plus faible si vous entretenez une bonne relation avec vos parents. Alors nous sommes amenés, d’une certaine manière, à croire que parce que nos enfants passent beaucoup de temps avec leurs amis, nous n’avons pas autant d’influence que ça, mais nous l’avons en réalité, cette influence. Parce que rappelez-vous que votre enfant a grandi à vos côtés, avec les valeurs que vous avez choisi de lui enseigner, avec tout ce que vous avez pu lui dire, avec la manière dont vous vous êtes comporté pendant de nombreuses années – ça ne disparaît pas.

La violence est quelque chose qui se développe – mais un comportement pro-social, ça se développe aussi. Nous allons développer un comportement pro-social sur la base de ce que nous voyons dans notre environnement. Ainsi, si vous élevez votre enfant sur la base de ces valeurs, alors il ne devrait pas être violent ; vous lui donnez les outils, les compétences nécessaires pour ne pas être violent et même dans une situation de conflit, il les utilisera plus tard. Il n’a pas besoin que vous soyez à ses côtés en permanence. Parce que je le dis, il n’est pas nécessaire que vous soyez en permanence avec vos enfants – quelque chose qui est malheureusement considéré par les parents comme une obligation, ce qu’ils font ensuite en les pistant par le biais de leur téléphone ou autre. Nous savons que ce n’est pas utile. Il est préférable d’être conscient de tout ce qu’on peut faire avec un enfant quand il est jeune, plutôt que de le pister via son téléphone ou via les autres applications qui peuvent être utilisées.

Trouvez-vous, dans vos recherches, des différences entre les garçons et les filles ?

Oui, nous savons que les garçons sont beaucoup plus violents que les filles et ce, dans presque tous les indicateurs de violence. Il y a des résultats incohérents concernant ce que nous appelons « les violences indirectes ». Au début, les résultats indiquaient que les filles étaient plus violentes dans ce genre de violence. Quand je parle de « violences indirectes », je parle de commérages. Propager des rumeurs, et…

La tactique de la « vilaine fille ».

Oui, on peut le dire comme ça. Et de nombreuses personnes aiment dire : « Oui, c’est quelque chose que les filles aiment faire ». Mais l’étude montre que même lorsque les filles sont plus plus nombreuses, les garçons restent malgré tout dans la course. Et nous devons le garder à l’esprit. Ce n’est pas comme si les filles le faisaient à 60 % contre 1 % pour les garçons. Non, c’était peut-être 65 % contre 55 %. Filles et garçons se livrent à ce type de violence. D’une certaine manière, les filles s’y livrent davantage. Mais l’une des explications, c’est que les filles le font dans le cadre d’une violence, mais d’une violence qui est culturellement acceptée, alors qu’elles n’utilisent pas et qu’elles n’utiliseront pas la violence physique comme le font les garçons. C’est ainsi que, d’une certaine façon, elles vont exprimer leur colère, qu’elles résoudront des conflits – en utilisant ce genre de violence.

Vue du quartier arabe de Silwan, à Jérusalem-Est, le 27 mai 2015. (Crédit : Nati Shohat / Flash90)

Nous avons identifié un grand nombre des problématiques en jeu pour les jeunes en particulier, maintenant j’aimerais aborder la question des moyens qui permettraient de les résoudre.

Nous avons mis en œuvre un programme approfondi dans lequel un grand nombre de collaborateurs se sont impliqués, avec les services sociaux, des agents de probation, des travailleurs sociaux qui travaillent au sein de la Division des enfants en situation de risque, la police, le ministère de la Justice, et d’autres qui se sont impliqués dans le projet. Tous ont travaillé dans le but de changer la situation, avec notamment la municipalité de Jérusalem et le système de l’éducation.

Tous ces acteurs ont fait quelque chose dans leur domaine de spécialité. La police, par exemple, a changé la manière dont elle agit dans ces quartiers. Le système de l’éducation a mis en place des activités extra-scolaires, à la fin des classes. Les agents de probation ont été davantage encore sollicités. La Division chargée de s’occuper des enfants en situation de risque – qui a été, je pense, l’élément le plus important du programme dans la mesure où c’est elle qui a organisé toutes les activités – a fait des interventions auprès des enfants et elle a aussi travaillé avec les parents.

Ainsi, ces activités approfondies ont eu un effet sur les jeunes qui ont participé au programme. En réalité, il s’agissait d’une étude d’évaluation et nous avons constaté que leur participation avait un effet sur leur comportement et qu’ils étaient moins violents à la fin de ces interventions.

Combien de temps ont donc duré ces interventions ?

Elles ont duré au moins un an. Ces enfants – certains sont encore impliqués dans ce projet ; ce sont des gamins qui risquent d’avoir ou ont un casier judiciaire parce qu’ils se sont livrés à des jets de pierre. Mais ce qui leur a été proposé, c’est qu’ils ne seraient pas traduits devant les tribunaux s’ils participaient au projet, que leur casier resterait gelé dans un premier temps et que s’ils allaient jusqu’à la fin du projet, il resterait vierge après un petit moment.

Lors de la première année, un grand nombre de parents et d’enfants ne voulaient pas participer, ils étaient très soupçonneux. Et récemment, j’ai rencontré la cheffe de la Division des enfants en situation de risque et elle m’a dit que les parents, aujourd’hui, lui demandaient de faire entrer leurs enfants dans ce programme d’intervention pour les aider. Parce que nous avons également constaté dans le cadre de cette étude – et dans une étude plus importante qui a été réalisée auprès d’un large échantillon de jeunes issus de Jérusalem-Est, cette étude s’est concentrée sur les jeunes de Jérusalem-Est – qu’il y a un lien fort entre l’implication des jeunes dans des jets de pierre et ce que nous appelons « la violence ordinaire ».

Et ces enfants étaient donc également impliqués dans d’autres types de violence et de délinquance et lorsqu’ils ont participé au programme d’intervention ou aux activités, ça a aidé à baisser leur participation aux violences et pas seulement à cette violence spécifique.

Ils avaient une incitation énorme à participer au programme ! Mais en laissant même cela de côté, il semble que les parents aient constaté beaucoup de changement chez les amis de leurs enfants et qu’ils aient ainsi demandé à intégrer le programme. S’agit-il d’un programme susceptible d’être élargi au niveau national ?

En réalité, ce n’est pas un programme national pour le moment. On l’étend parce qu’il avait commencé dans un quartier et que dorénavant, il est mis en œuvre dans trois quartiers supplémentaires de Jérusalem. C’est ce qu’on tente de faire et je crois qu’à l’avenir, il sera mis en œuvre ailleurs, dans le pays. Mais il devait être adapté ainsi parce qu’on parle, ici, d’un type spécifique d’activité criminelle et des circonstances spécifiques qui sont celles de Jérusalem-Est.

Mais l’idée principale de ce programme d’intervention, c’est qu’il implique toutes les ressources avec lesquelles les jeunes sont habituellement en contact et que toutes ces ressources sont en capacité de venir soutenir le projet, d’apporter leur aide. Les services sociaux n’ont pas la capacité de mettre en place des activités extra-scolaires mais quand le système d’éducation s’en mêle, alors des changements peuvent avoir lieu dans les écoles et quand la police s’en mêle, alors des changements peuvent survenir dans le quartier. Et c’est ainsi qu’on peut tout changer mais s’agissant de se concentrer sur un enfant violent, c’est très difficile de changer les choses parce qu’à la fin de la journée, ils rentrent chez eux, ils vont dans des quartiers qui, comme nous l’avons dit, débordent de violences.

Et il semble qu’un tel programme nécessite beaucoup de supervision et un budget énorme. Pensez-vous qu’ils pourraient être accordés aux communautés arabes ?

Je l’espère. La situation est tellement mauvaise que si on ne le fait pas, les choses vont encore empirer, rien ne sera résolu. Il est impossible que cette situation s’améliore sans investir toutes ces ressources. Il faut faire quelque chose.

Aujourd’hui, les gens parlent du phénomène comme étant celui « des violences dans la société arabe ». Pour commencer, il faut dire que cette violence est celle de la société israélienne. Une fois qu’on considérera le phénomène de cette façon, qu’on le définira de cette façon, alors les choses pourront commencer à changer. Parce que tant qu’on dira qu’il s’agit seulement du problème de la société arabe en Israël, cela ne présentera aucun intérêt aux yeux des membres du gouvernement. Mais quand on examinera la problématique sous l’angle du problème plus général de la société israélienne et malheureusement, je n’ai pas envie de le dire, mais ce qui arrive dans les villages et dans les villes arabes se développera aussi dans les quartiers et dans les villes juives…

Et ce que je tente maintenant de dire, c’est qu’il est préférable de résoudre le problème maintenant, sinon, nous allons connaître une autre forme de conflit et il est impossible de dire comment la situation pourrait évoluer après ça.

Une manifestante brandissant la photo de Muhammad Abdelrazek Ades lors d’une manifestation contre la recrudescence de la criminalité et de la violence dans les communautés arabes, à Tel Aviv, le 13 mars 2021. (Crédit : Flash90)

Il semble que vous fassiez allusion à une population plus extrémiste, plus militante… Et déjà aujourd’hui, me semble-t-il, de nombreux citoyens arabes d’Israël ne font pas vraiment confiance à la police ou à la bureaucratie israélienne en général, est-ce que je me trompe ?

Oui, les études montrent en réalité que ce n’est pas seulement de l’ordre du ressenti ou de la connaissance – les études qui se penchent sur le sujet montrent que la population arabe a le sentiment d’être traitée différemment par la police et par les autres bureaux par rapport à la population israélienne et si on n’a pas confiance dans la police, malheureusement, on va se tourner vers d’autres ressources pour résoudre les problèmes. Et c’est, d’une certaine manière, ce qui se passe actuellement au sein de la société arabe : les gens ne font pas appel à la police parce qu’ils n’ont pas confiance, parce qu’ils pensent que les policiers ne sont pas là pour les aider.

La population arabe a l’impression que la police est contre elle. Et si vous regardez comment la police traite les Arabes depuis de nombreuses années, elle nous traite comme si nous étions des ennemis. Et ainsi, ça vient des deux côtés – il n’y a pas de confiance et c’est donc ce qui se passe. Alors on peut expliquer la situation ; certains disent : « Oh, mais de toute façon, ils ne veulent pas coopérer avec la police ». C’est parce qu’ils ne lui font pas confiance.

Je pense que c’est un problème global. Mais vous avez précédemment dit aussi qu’il y avait l’accessibilité des armes, la facilité de l’achat des armes de poing et autre et en fait, il me semble que si vous vous faites arrêter en possession de ce type d’arme, la condamnation est généralement très légère, il n’y a pas de réelle incitation à ne pas acheter des armes… Est-ce que vous partagez ce sentiment ?

Je n’en suis pas sûre, en réalité. Un grand nombre des études révèlent qu’une lourde condamnation n’est pas efficace. Il faudrait d’abord faire appliquer les sanctions. On attrape ces gens et on les envoie en prison. Et ce qui arrive dans la société arabe c’est que seulement un faible, un très faible pourcentage des crimes commis sont résolus ou que le pourcentage des gens qui sont envoyés en prison pour possession d’une arme est également très, très bas.

Le problème est là. Le problème, ce n’est pas la condamnation elle-même. Ce qui arrive, c’est que ces gens ne sont jamais rattrapés, qu’ils ne sont pas arrêtés. Et même s’ils sont arrêtés, ils ne sont pas traduits devant les juges. C’est ce qui arrive, c’est pour ça que les gens considèrent que ce n’est pas efficace. Ils sont renvoyés dans leurs communautés avec leurs armes. Et ils se vengent parfois de ceux qui, pensent-ils, en ont parlé à la police.

Il semble que ce que vous me dites, c’est que ces violences au sein de la communauté sont du même type que les violences que nous constatons dans toutes les communautés. C’est le crime nationaliste, c’est le crime organisé, c’est toutes sortes de choses de cette nature. Mais il n’y a pas de moyen de reprendre le contrôle, il n’y a pas moyen de l’arrêter et tout déborde. Et aujourd’hui, nous nous trouvons à une période où le sujet est plus présent dans les médias parce que, bien sûr, le nombre de morts est plus élevé – mais ces violences bouillonnent toujours, la cocotte bouillonne toujours. C’est ça ?

J’ai envie de dire que ces violences existaient déjà dans le passé. Certains disent que tout ça arrive à cause de ce gouvernement. Je vais vous le dire honnêtement: J’ai envie de blâmer ce gouvernement pour beaucoup de choses. Mais pas pour ça. Les violences étaient déjà présentes avant dans la société arabe. Les chiffres que j’ai mentionnés quand nous avons commencé à discuter, c’était des chiffres antérieurs à l’arrivée du gouvernement. Peut-être que quelque chose est en train aujourd’hui de se passer à nouveau avec ce gouvernement et avec son incapacité à résoudre le problème.

Mais j’attends de ce gouvernement qu’il prenne maintenant ses responsabilités, qu’il commence à chercher le moyen de résoudre cette problématique. Il ne peut pas dire comme il l’a fait : « C’était avant, nous n’avons donc rien à faire aujourd’hui ». Quelqu’un doit mettre un terme à tout ça. Et cela relève de la responsabilité du gouvernement, de la police, ils doivent en assumer la responsabilité.

Des Arabes israéliens manifestant contre la violence, le crime organisé et les récents meurtres au sein de leur communauté en bloquant une route, à Tel Aviv, le 28 octobre 2021. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90)

Et ce qui est évident, c’est qu’attribuer la responsabilité de ce phénomène à la société arabe les empêchera d’assumer les responsabilités qui sont les leurs. Je ne suis pas en train de dire que nous, la société arabe, ne soyons responsables de rien. D’accord ? Non, nous devons aussi assumer nos responsabilités parce qu’il y a des choses qui sont liées à nous, et dont nous sommes responsables.

Mais pour tout ce qui concerne le crime organisé, les citoyens ordinaires ne peuvent rien y faire : Nous ne pouvons rien résoudre. Et aussi nos politiciens – certaines personnes disent : « Mais pourquoi nos politiciens ne mettent-ils pas un terme à ça ? » Mais qu’est-ce qu’ils attendent donc d’eux, qu’ils aillent collecter eux-mêmes les armes ? Comme si ce n’était pas d’ores et déjà la règle ? Il y a une police dans ce pays et la police ne devrait pas réagir, comme c’est le cas en maternelle, comme si elle était humiliée par la société arabe quand elle est attaquée. Non, vous êtes la police. Vous devez continuer, vous devez persister dans votre objectif de résoudre le problème. Vous ne pouvez pas dire si vous êtes attaqué que vous n’irez plus dans tel ou tel quartier, comme si vous étiez à la maternelle. C’est un problème énorme et vous devez assumer votre responsabilité, en tant qu’État, de résoudre ce phénomène dans la société israélienne. Une fois encore, ce n’est pas un phénomène propre à la société arabe.

Les mots sont puissants, comme vous le savez. Et je comprends que dans les médias israéliens, par exemple, on parle beaucoup des « violences arabes » et ça peut arriver bien sûr aussi dans les médias anglais, qu’il ne s’agisse plus des « violences au sein de la communauté arabe » mais des « violences arabes ». Constatez-vous cela vous-même ?

Oui. Et bien sûr, ce n’est pas que dans les médias, ici. Les politiciens disent que ces violences surviennent parce qu’elles sont intrinsèques à notre culture. Et c’est la raison pour laquelle j’ai souligné, quand nous avons commencé à discuter, que malgré le nombre malheureux de meurtres, malgré les gens qui sont tués aujourd’hui, malgré les victimes de violences, la majorité d’entre nous sommes non-violents. Alors on ne peut pas parler de culture : je serai violente envers vous, le cas échéant. Non, ce n’est pas la réalité apte à expliquer la situation.

Nous sommes deux millions. Un certain nombre d’entre nous sommes violents, mais ce n’est pas à cause de notre culture. Cette violence qui survient a de nombreuses origines. Et si vous voulez voir si c’est une affaire de culture de la violence ou quelque chose comme ça, il suffit d’observer deux enfants élevés au même endroit, dans le même foyer. L’un des deux est violent et l’autre travaille, il a fait de très bonnes études, il mène une existence normale. Il y a donc quelque chose qui rend certains individus violents, et pas les autres. Et nous savons qu’il n’y a pas une raison unique qui puisse rendre violent. Il y a de nombreuses raisons.

Et si nous voulons résoudre le problème, il faut aborder toutes ces raisons. On ne peut pas dire que c’est seulement la culture, que c’est seulement la police, que ce sont seulement les Arabes, que c’est seulement une question de statut socio-économique. Et l’exemple que je vous ai donné avec ce programme d’intervention global, c’est que lorsque tout le monde assume ses responsabilités, que tout le monde fait son devoir, les violences peuvent baisser, le problème peut être résolu. En revanche, si on continue à se blâmer mutuellement, rien ne se résoudra jamais.

Mona, merci de m’avoir fait part de vos pensées, réellement.

Merci, merci beaucoup d’avoir échangé avec moi sur cette triste situation.

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Vous pouvez retrouver l’épisode de la semaine dernière du podcast : « Ce qui compte maintenant » :

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