JTA — Comme de nombreuses femmes juives pratiquantes, Sandy Tapnack se rend au mikvé, le bain rituel, à la fin de ses menstruations, conformément aux règles de pureté familiale.
Sur place, elle se lave précautionneusement, de la tête aux pieds, avant de s’immerger trois fois dans l’eau pendant que l’intendante surveille qu’aucun cheveu ne sorte de l’eau, comme le veut la tradition que les femmes juives observent depuis des millénaires, avant de retrouver leurs maris.
Mais contrairement à la plupart des femmes qui fréquentent le mikvé, c’est une femme qui attend Tapnack à la maison. Et c’est ce qui rend la jeune avocate de 36 ans particulièrement nerveuse à l’approche de chaque visite au mikvé orthodoxe situé non loin de chez elle.
« Il y a une sorte de crainte. Et si l’intendante du mikvé sait ? Et si la réceptionniste à qui je paye sait ? », s’interroge Tapnack. « C’est le sentiment qui me vient. Ai-je ma place ici ? Est-ce que ces gens pensent que j’ai ma place ici ? Et sur le plan personnel, est ce que je pense vraiment avoir ma place ici ? »
Tapnack fait partie d’un groupe restreint mais croissant de juives homosexuelles qui adaptent les lois de la pureté familiale à leurs propres mariages, même si les règles concernent uniquement les unions entre un homme et une femme. Comme il existe peu de lignes directrices pour les personnes qui ne vivent pas en couple hétérosexuel, beaucoup s’appuient sur des réseaux et des conversations informels pour explorer la manière dont la pratique s’adapte à leurs relations.
« Il y a un véritable mouvement parmi les gens qui ne se considèrent pas comme faisant partie de la tradition pour dire : ‘Je veux suivre la tradition et si je suis en dehors, je veux en faire partie' », a déclaré Laynie Soloman, une juive non binaire [genderqueer] qui travaille comme directrice de l’apprentissage national pour Svara, une yeshiva queer basée à Chicago.
Tapnack n’a pas toujours envisagé d’aller au mikvé. « En grandissant dans un environnement orthodoxe moderne sans pairs homosexuels de référence, il ne m’est même pas venu à l’esprit que certains aspects de la taharat hamishpacha seraient pertinents dans le contexte d’une famille homosexuelle », a-t-elle déclaré, utilisant l’expression hébraïque pour désigner les lois de pureté rituelle.
Mais lorsqu’elle et sa femme, Leana, ont commencé à discuter des pratiques juives qu’elles voulaient intégrer dans leur couple avant leur mariage en 2018, elles ont réalisé que la pureté familiale avait quelque chose à offrir.
« Au fur et à mesure que nous discutions de certains aspects moins techniques et de la signification de certaines règles, je me suis dit : ‘en fait, cela nous concerne' », se rappelle Mme Tapnack.
En plus de respecter la casheroute et Shabbat, l’adhésion aux lois de la pureté familiale est considérée comme un pilier de la vie juive observante. En fait, la loi juive ordonne aux nouvelles communautés de construire des bains rituels avant une synagogue – et au milieu de la pandémie de coronavirus, de nombreuses communautés ont gardé les mikvés ouverts pour les immersions mensuelles même si les synagogues restaient fermées.
Les lois remontent au livre du Lévitique, où Dieu indique aux Israélites un certain nombre de sources d’impuretés. Les femmes en menstruation sont considérées comme « impures » pendant sept jours et tout homme qui a des relations sexuelles avec elle est également considéré comme « impur ». La loi rabbinique a modifié la pratique de sorte qu’une femme doit compter sept jours « propres » supplémentaires après la fin de ses menstruations avant de pouvoir s’immerger dans le mikvé et reprendre les relations avec son mari. Cela signifie que la plupart des couples hétérosexuels qui adhèrent à cette pratique peuvent avoir des relations conjugales pendant environ deux semaines par mois. De nombreux couples dorment dans des lits séparés et évitent toute marque de tendresse ou de contact pendant la période de séparation obligatoire, aussi appelée niddah.
Tapnack et sa femme ont découvert que différents aspects de cette pratique les interpellaient lorsqu’elles en discutaient avec Sarah Mulhern, le rabbin non confessionnel qui allait célébrer leur mariage. Toutes deux ont été convaincues que l’idée d’avoir un rituel pour marquer le passage du temps avait un sens, tandis que Sandy a également constaté que le fait d’avoir des moments où les rapports sexuels étaient interdits était bénéfique pour sa relation. Après avoir consulté Mulhern, elles ont mis au point une pratique qui prévoit que toutes deux s’immergent après leurs cycles et observent une période de niddah d’une semaine plutôt que de deux semaines.
Mulhern – qui a reçu l’ordination rabbinique à la fois du Hebrew College non confessionnel et de Daniel Landes, un rabbin orthodoxe progressiste basé à Jérusalem – a conseillé des dizaines de couples homosexuels sur les lois de niddah.
« Les gens qui viennent me voir sont des gens qui vivent généralement une vie où ils pensent que la halakha a quelque chose à dire sur les aspects fondamentaux de l’être humain et les éléments de base de leur vie et qui ne pensent généralement pas que cela soit incompatible avec leur homosexualité », a déclaré Mme Mulhern, en utilisant le mot hébreu pour désigner la loi juive. « Il y a donc un certain niveau où il est logique de dire : ‘Si la halakha a quelque chose à me dire en tant que juif, en tant qu’humain et en tant que personne homosexuelle sur la façon de réguler mon alimentation et le moment de ma journée… pourquoi n’aurait-elle rien à dire sur ma vie sexuelle ?' »
Si la halakha a quelque chose à me dire en tant que juif, en tant qu’humain et en tant que personne homosexuelle sur la façon de réguler mon alimentation et le moment de ma journée… pourquoi n’aurait-elle rien à dire sur ma vie sexuelle ?
Il existe peu de conseils formels pour les couples homosexuels intéressés par l’observation de la niddah et, contrairement aux Tapnack, certains couples n’ont pas accès à un rabbin homosexuel qui connaît bien les lois, puisque la pratique est principalement observée par les juifs orthodoxes.
« Le principal défi que j’ai entendu est que très peu de chefs rabbiniques ou religieux ont été aussi disposés à prendre cela au sérieux… Les gens ont du mal à être pris au sérieux quand ils veulent envisager de garder une version ou un semblant de cette mitzvah particulière », a déclaré Miryam Kabakov, la directrice exécutive d’Eshel, une organisation pour les Juifs orthodoxes LGBTQ.
Soloman, la juive non binaire qui travaille à Svara, se souvient d’avoir été renvoyée lorsqu’elle a posé des questions sur la pratique du mikvé.
« Quand j’ai commencé à envisager la possibilité de respecter la niddah dans ma vie, j’ai demandé à quelqu’un ce que je devais faire et il m’a répondu : « Oh, ne vous inquiétez pas, cela ne s’applique pas à vous », se souvient Soloman.
Depuis lors, Soloman est devenue une référence pour d’autres personnes dans une situation similaire, en répondant aux questions de dizaines de juifs queer et trans qui souhaitent en savoir plus sur la niddah et comment elle les concerne.
« Depuis qu’il y a des gens queer, les gens réfléchissent à ce sujet, mais je pense que souvent ce genre de Torah orale existe dans la clandestinité », a déclaré Soloman. « Il y a un moment où ces pratiques clandestines sont partagées et sont demandées plus largement ».
Certaines de ces questions portent sur la manière d’appliquer les lois créées pour un couple où une seule personne a ses règles à un couple où les deux ont leurs règles. À moins que les règles des deux partenaires ne commencent le même jour, ils finiraient par observer une période de plus de deux semaines où ils ne pourraient pas avoir de rapports intimes – et dans certains cas, cela pourrait durer tout le mois. Pour éviter cela, de nombreux couples homosexuels n’observent que la période plus courte de niddah décrite dans la bible.
« En général, je conseille aux couples qui ont leurs règles et qui veulent pratiquer la niddah de le faire pendant sept jours plutôt que deux semaines, afin qu’ils puissent être niddah à chacune de leurs périodes de menstruation, mais aussi, comme le rythme que les rabbins imaginent, être sexuellement disponibles l’un pour l’autre environ la moitié du temps », a déclaré Mulhern, la rabbine qui a conseillé les Tapnack.
La poignée de couples homosexuels conseillés par Nechama Barash, une enseignante orthodoxe qui enseigne aux futures mariées la niddah et d’autres sujets liés à la vie conjugale, a choisi d’observer une période de niddah plus courte.
Certains, au sein de l’orthodoxie, diront : « Vous ne pouvez pas appliquer un concept comme la kedousha à une relation non-halakhique. Ce n’est pas à moi de décider. J’enseigne la Torah, j’enseigne le Talmud, j’enseigne la halakha, j’enseigne les valeurs juives, et mes étudiants peuvent choisir de l’incorporer et de l’appliquer dans leur vie pour donner un sens à leur vie, et j’applaudis sans hésitation cela
« Une des choses que je souligne souvent est qu’il ne s’agit pas vraiment d’une conversation halakhique car la halakha ne reconnaît pas le mariage homosexuel comme elle reconnaît le mariage hétérosexuel et elle ne reconnaît pas vraiment la sexualité homosexuelle », a déclaré Mme Barash, qui est membre de la faculté de Pardes, une yeshiva non confessionnelle de Jérusalem. « Ils incorporent donc des éléments de la structure halakhique dans une relation essentiellement non-halakhique – mais ce qu’ils recherchent et ce qui m’a semblé les intéresser, c’est d’atteindre la kedousha [sainteté], d’atteindre une sorte de frontière, de séparation dans leur relation les uns avec les autres et avec Dieu.
Barash reconnaît que son travail avec les couples homosexuels peut faire sourciller le monde orthodoxe.
« Il y a des gens dans l’orthodoxie qui diront : ‘Vous ne pouvez pas appliquer un concept comme la kedousha dans une relation non-halakhique' », a-t-elle dit, en utilisant le mot hébreu pour désigner la sainteté. « Ce n’est pas à moi d’en décider. J’enseigne la Torah, j’enseigne le Talmud, j’enseigne la halakha, j’enseigne les valeurs juives, et mes étudiants peuvent choisir de l’incorporer et de l’appliquer dans leur vie pour donner plus de sens à leur vie et j’applaudis sans hésitation cela ».
Bien que de nombreuses communautés orthodoxes – en particulier celles du monde orthodoxe moderne – soient devenues plus tolérantes envers les personnes LGBTQ ces dernières années, les relations entre personnes du même sexe restent taboues. La grande majorité des rabbins orthodoxes ne célèbrent pas de mariages entre personnes du même sexe et il n’est pas rare que les rabbins plaident pour que les homosexuels restent célibataires ou que les familles envoient leurs enfants suivre une thérapie de conversion.
A LIRE / Homosexualité : La « thérapie de conversion » est loin d’avoir disparu en Israël
Ce type d’attitude signifie que les juives homosexuelles pratiquantes se sentent souvent mal à l’aise de se rendre dans des mikves orthodoxes. Bien que certaines villes à forte population juive aient des mikvés pluralistes ou non orthodoxes, de nombreuses personnes n’ont accès qu’à une option orthodoxe.
Une femme de 27 ans de Chicago, qui a demandé que son nom ne soit pas divulgué pour des raisons de confidentialité, a tenté à plusieurs reprises, lors de visites de mikvés orthodoxes, de cacher le fait que sa partenaire soit une femme. Une fois, lors d’un voyage à Paris, elle et sa partenaire ont dit aux préposés au mikvé qu’elles étaient amies.
« Nous avons dû mentir, évidemment. Nous avons dû retirer les vêtements très [religieux] et j’ai tourné une bague pour qu’elle ressemble à une alliance, des choses comme ça », a-t-elle dit. « Et je me sentais mal de mentir parce que ces femmes seraient probablement horrifiées si elles savaient ce qu’elles faisaient. Nous leur avons dit que nous étions des amies américaines et que nous voyagions avec nos maris ».
Certaines juives queer trouvent des moyens de transformer l’observance de la niddah d’une manière qui s’écarte totalement de la convention halakhique. Le rabbin Becky Silverstein, un rabbin transgenre et genderqueer basé à Boston, a été approché par une vingtaine de personnes queer qui lui ont posé des questions sur l’usage du mikvé. En 2018, il a donné un cours de six séances sur ce sujet à Mayyim Hayyim, un mikvé pluraliste en dehors de Boston.
Silverstein a « un menu d’idées » pour les personnes qui cherchent d’autres moyens de marquer leur cycle. Cela peut inclure la récitation d’une bénédiction existante ou l’écriture d’une nouvelle pour marquer les menstruations et la modification de la façon dont ils interagissent avec leur partenaire pour créer plus de distance.
« Il y a toutes sortes de façons de créer des rituels qui visent à célébrer son corps, qui consistent à voir son cycle menstruel comme un rappel puissant du processus de création », a déclaré M. Silverstein. « En réfléchissant à ce que cela pourrait signifier dans des relations conventionnelles d’observer une période de séparation, toutes ces questions sont vraiment des questions puissantes en elles-mêmes, et je dirais que pour beaucoup de gens, observer la niddah n’est pas la réponse. »
Mais pour d’autres, le pouvoir réside dans le fait de trouver un moyen de participer à une pratique qui, pendant des milliers d’années, a défini la vie du foyer juif.
« En ce qui concerne la façon dont nous avons été élevés, les familles juives pratiquantes font du mikvé un élément de leur fonctionnement général », a déclaré Leana Tapnack. « Même si ‘C’est ce que tout le monde fait’, n’est pas toujours le cas pour moi. J’ai dû faire le deuil d’un nombre considérable de rêves lorsque j’ai accepté mon identité homosexuelle et comme je suis devenue plus confiante dans ma capacité à gérer à la fois le fait d’être gay, homosexuelle et religieuse selon mes propres conditions, je me demande pourquoi je devrais faire le deuil de choses que je n’ai pas besoin de faire, de choses que je peux réclamer, de choses que je peux posséder ».