Israël devrait mettre en œuvre des politiques favorisant la concurrence dans les secteurs de l’alimentation et des biens d’équipement domestique, en ouvrant le marché aux importations, en encourageant la transparence des prix et en aidant les consommateurs à être davantage attentifs. C’est ainsi que la Dr. Karnit Flug, ex-gouverneure de la Banque d’Israël et actuelle vice-présidente de l’Institut israélien pour la démocratie (IDI), pense que l’État doit agir pour limiter la hausse des prix chez les grandes enseignes et détaillants pour avoir un effet de réduction des coûts sur le long-terme.
En février, Flug s’est confiée au Times of Israël à propos d’un différend peu habituel entre le gouvernement et les sept plus grands producteurs et importateurs de produits alimentaires et de biens d’équipement, au sujet de la hausse des prix attendue qui a provoqué la colère des consommateurs et des appels au boycott.
Le ministre des Finances Avigdor Liberman et la ministre de l’Économie Orna Barbivai avaient adressé des courriers aux directeurs de grandes enseignes alimentaires dont le groupe Strauss, Osem (propriété de la multinationale Suisse Nestlé), Sano et trois autres grands importateurs. Il leur a été demandé de renoncer à augmenter les prix, les accusant de profiter de la situation pour faire davantage de profits d’une manière particulièrement cynique et choquante, dans un contexte de pandémie. Les courriers évoquent la possible prise de « mesures nécessaires à la préservation d’une économie équitable et concurrentielle ».
Dans le sillage de ces courriers, Liberman a ordonné un examen attentif de la situation de concurrence sur le marché des biens de consommation, et l’économiste en chef du ministère des Finances a publié un rapport un peu plus tard cette semaine, détaillant les marges bénéficiaires des dix plus grandes enseignes alimentaires ces dernières années, pour un total de 188 millions de dollars en 2019.
Suivant les enseignes, la hausse de prix attendue fluctuait entre 10 et 50 %.
Le rapport indique que « les très hauts taux de profit enregistrés par les plus grands producteurs et importateurs d’Israël suggèrent que l’environnement n’est pas concurrentiel », selon Flug, ex-gouverneure de la Banque centrale de 2013 à 2018.
Les prix de l’alimentation en Israël ont augmenté de 50 % ces 20 dernières années et sont de 25 à 80 % supérieurs à la moyenne des pays de l’OCDE, particulièrement dans le secteur des produits laitiers, des boissons gazeuses et des produits céréaliers (chiffres de 2017, source OCDE).
Un rapport du contrôleur d’État publié l’an dernier relevait que l’économie israélienne était caractérisée par une concentration excessive dans certains secteurs, tels le secteur alimentaire, celui des biens d’équipement domestique et des produits de nettoyage.
« Entre 2015 et 2020, la part de marché des dix plus grands fournisseurs de produits alimentaires industriels et de produits de consommation a été en moyenne de 54 %, le plus puissant d’entre eux détenant à lui seul, en 2020, 12 % de la totalité du marché alimentaire », établit le rapport publié en mai 2021. Le document relevait également que les ménages israéliens consacraient en moyenne 18,5 % de leur budget à l’achat de nourriture et biens de consommation (à l’exclusion des boissons alcoolisées), représentant leur troisième poste de dépenses.
La réponse des industriels
En réponse aux avertissements de l’État, les producteurs alimentaires et importateurs avaient alors annoncé reporter la hausse des prix annoncée. Mais, selon Reuters, l’Association des Fabricants, qui représente 1 500 entreprises et 400 000 salariés, a indiqué que la hausse des prix était imputable au gouvernement.
« Si le gouvernement veut réduire le coût de la vie, il doit commencer par baisser les prix de l’électricité, de l’eau, des taxes foncières et de l’essence, qui ont augmenté de plusieurs dizaines de points ces dernières années », relève le président du groupement, Ron Tomer, selon le rapport.
« Le gouvernement ne peut pas, d’une main augmenter considérablement certains tarifs, et de l’autre main, s’attendre à une baisse des prix. »
En plus de la hausse des coûts des produits alimentaires, les Israéliens font face à des augmentations du prix de l’électricité (+5,7 % en février). Le prix de l’essence est en hausse de 0,34 shekels le litre, ce qui coûte en moyenne au consommateur israélien un supplément de 17 shekels, lorsqu’il fait le plein à la pompe.
Liberman a estimé que la hausse des prix de l’énergie en Israël était modeste, comparée au reste du monde.
En 2021, le prix des biens de consommation en Israël aura augmenté de 2,8 %, la plus forte hausse des treize dernières années selon des chiffres publiés par le Bureau central des statistiques. Dans l’index des prix à la consommation, des hausses ont été relevées dans le domaine de l’habillement et des chaussures (1,1 %), de l’ameublement (0,7 %) et de l’alimentation (0,5 %).
Flug a indiqué que, dans les secteurs de l’alimentation et du détail, une diminution des droits de douane à l’importation – que le gouvernement projette de mettre en œuvre – « devrait être efficace », de même que « l’application effective de la législation anti-monopoles ».
« Au sein du secteur de la grande distribution, il y a encore une forte concentration », explique-t-elle, et « l’application effective de la législation anti-trust contribuera à améliorer les choses dans une certaine mesure », pour limiter des « pratiques de fixation des prix et d’entente qui ne sont pas acceptables ».
L’Autorité israélienne de la concurrence a un rôle important à jouer, a indiqué Flug au Times of Israël, autant que les consommateurs eux-mêmes. Les consommateurs israéliens gagneraient à être plus proactifs et comparer les prix pour éclairer leur décision d’achat, faisant allusion à des comparateurs de prix tels que le site web ZAP.
Le rapport du Contrôleur d’État recommande à l’Autorité de la concurrence « d’utiliser les outils autorisés par le législateur pour libérer la concurrence dans l’industrie alimentaire et baisser le coût de la vie en Israël ».
Parmi ces outils, se trouvent celui dit des « importations parallèles », permettant aux détaillants et nouveaux importateurs d’acheter des produits alimentaires directement aux producteurs, à l’étranger, plutôt que de passer par l’importateur principal. Toutefois, encore maintenant, les importateurs parallèles sont soumis à des procédures lourdes et des coûts associés au dédouanement qui limitent la concurrence (c’est le cas dans l’industrie automobile).
« L’Autorité de la concurrence doit continuer à agir pour promouvoir les importations parallèles, examiner des alternatives et formuler des mesures appropriées pour agir avec les importateurs directs afin de prévenir les infractions à la concurrence », indique le rapport du Contrôleur d’État.
Un autre levier important est la transparence des prix, relève Flug, citant comme exemple les récentes réformes de la Banque d’Israël dans le secteur bancaire, destinées à rendre les emprunts bancaires à la fois plus transparents et compétitifs pour les emprunteurs.
Flug ajoute que la transparence en matière de prix est « un levier relativement simple… qui peut s’avérer très efficace pour stimuler la concurrence ».
Le rapport de l’économiste en chef du ministère des Finances relevait que, dans la mesure où les grandes enseignes et importateurs sont des entreprises privées, sans obligations de rendre publics leurs bilans financiers, il était difficile pour les consommateurs de comprendre les différences de prix constatées entre Israël et les autres pays, et encore moins dans quelle mesure la concurrence en Israël était plus limitée.
Regardons le bon côté des choses
Flug a insisté sur l’importance de considérer les choses dans leur globalité et d’évaluer le chemin parcouru par Israël ces dix dernières années.
Le pays s’est doté en 2013 d’une Loi pour la promotion de la concurrence et la réduction de la concentration, destinée à dynamiter les structures pyramidales et les conglomérats opaques. C’est à partir de ce moment que certains magnats à la tête d’empires industriels, comme Nochi Danker avec le groupe IDB, ont commencé à vaciller.
Mais surtout, indique Flug, « Israël est une économie relativement petite et, dans certains secteurs, les rendements d’échelle limitent d’emblée le nombre d’acteurs en jeu. Certains secteurs ont beaucoup progressé en réduisant la concentration et en dynamisant la concurrence, alors que d’autres ont encore beaucoup de travail devant eux. »
Flug relève les « réformes impressionnantes » des quinze dernières années dans le marché des télécommunications, qui ont permis de limiter significativement les prix des opérateurs de téléphonie mobile, « marché maintenant considéré comme très concurrentiel ». De la même manière, et plus récemment, le secteur des services financiers a fait l’objet de changements drastiques, encore en cours, qui vont ouvrir la voie à des taux plus compétitifs et à de nouveaux services financiers pour les consommateurs.
« Dans certains secteurs, le changement est en cours et dans d’autres, il y a déjà eu beaucoup de progrès », ajoute-t-elle.
Parfois, des concentrations sont autorisées. En 2020, l’Autorité de la Concurrence israélienne a approuvé l’acquisition par Cellcom de Golan Télécom, un nouveau venu dans l’industrie qui s’était fait connaître en pratiquant des prix bas depuis son entrée sur le marché en 2012. L’acquisition, estimée à 185 millions de dollars, a permis à Cellcom de devenir le leader israélien du marché de la téléphonie mobile.
Toujours en février, la plus grande enseigne de détail d’Israël, Shufersal, a annoncé avoir signé un accord portant acquisition d’un petit importateur de produits électroniques, Mini Line, pour la somme de 176 millions de dollars. Cette entreprise est l’importateur officiel de biens d’équipement domestique des marques AEG, Samsung et Electrolux. L’acquisition requiert l’approbation de l’Autorité de la concurrence.
Israël, une économie résiliente
Flug a indiqué que, globalement, l’économie israélienne avait fait preuve de résilience et connu une croissance significative, même dans le contexte de la pandémie.
« Israël a connu deux années difficiles et un déclin significatif de l’activité économique en 2020 – le PIB s’était contracté de 2,2 %, un taux important comparé à d’autres périodes de déclin ou de récession. Mais si l’on compare la diminution que nous connaissons à celles d’autres économies avancées, elle se révèle plus modeste et on le doit à la part relativement élevée des hautes technologies dans l’économie – elles représentent 15 % du PIB –, soit plus du double de la moyenne des pays de l’OCDE », précise-t-elle.
La structure de son économie a rendu Israël « relativement plus résiliente face au choc de la pandémie ».
« En 2021, on a enregistré une forte et rapide reprise, que ce soit au niveau des chiffres de la croissance, de la rapide diminution du chômage ou des rentrées fiscales. Et si l’on regarde où on en était au 3e trimestre 2021, le PIB par tête était déjà de 2 % supérieur à son niveau d’avant la pandémie. Bien des économies avancées non pas encore renoué avec leur niveau de PIB d’avant la pandémie. Notre situation relative a été plutôt bonne, si on considère le niveau macroéconomique », ajoute-t-elle.
Toutefois, elle concède que « les groupes ont été affectés différemment par la pandémie. Les secteurs les plus affectés ont été ceux dans lesquels les populations à faibles revenus travaillent, et celui qui a le plus profité, tiré par une forte demande, est celui de la high-tech, qui emploie les populations les mieux payées. Il est certain que le choc a accentué les inégalités de revenus, déjà élevées avant la pandémie et encore davantage maintenant ».
Le rythme actuel de reprise suggère que 2021 « s’est terminé avec un taux de croissance autour de 6,5 % avec des prévisions de croissance du PIB pour 2022 autour de 5,5 %. Ces chiffres sont entourés d’une grande incertitude dans la mesure où nous ne connaissons pas encore l’impact de la vague Omicron. Si cette vague est relativement courte, de l’ordre de quelques semaines, les effets macro-économiques devraient être relativement modestes, Car nous avons appris comment agir en temps de pandémie. Et si cette vague est courte, l’effet sera limité. Si elle est longue, de l’ordre de quelques mois, et si elle nous amène à des confinements, ses effets seront plus importants. »
« Même si nous sommes obligés de confiner, il y aura plus de commerces de détail et de secteurs autorisés à poursuivre le travail… Nous avons appris à faire face à la pandémie, dans une certaine mesure, mais dans des secteurs comme le commerce, la restauration, le tourisme, si la vague est longue, la baisse d’activité sera certainement importante », relève Flug.
Les politiques publiques, dit-elle, « ont soutenu les ménages et les commerces qui ont été affectés », les comparant aux mesures de soutien apportées par les gouvernements d’autres économies avancées.
« Après une courte hésitation au départ, quand on regarde la globalité des programmes mis en œuvre, on note qu’ils ont été efficaces pour limiter la dégradation du revenu disponible des ménages, que ce soit pour les employés ou pour les entrepreneurs », explique-t-elle.
Flug ajoute que l’environnement actuel, bien qu’incertain, est sensiblement différent de la situation de 2020.
« Au pire moment du premier confinement, le chômage était monté à 36 % : nous n’en sommes plus du tout là. C’est important de redonner de la confiance aux commerces des secteurs les plus affectés et de les assurer qu’ils vont être dédommagés. Certaines déclarations du ministre des Finances n’ont pas été très rassurantes en la matière, mais le gouvernement s’est aperçu qu’il y avait une vraie nécessité à soutenir ceux qui en avaient besoin. Et ces dernières semaines, des programmes d’assistance ont été présentés », rappelle-t-elle.
« Le soutien doit être ciblé et bénéficier à ceux qui ont été sévèrement touchés : la pandémie n’a pas touché tout le monde de la même manière. Il n’y a absolument aucune raison, à l’heure actuelle, de proposer un soutien indiscriminé. »
Flug ajoute qu’un autre sujet important requiert l’attention : il s’agit des personnes « en fin de droits », pour lesquels des mesures pourraient être prises pour leur assurer un revenu, particulièrement dans les secteurs directement affectés par la vague Omicron actuelle.
Le soutien du gouvernement « devrait aller aux populations des secteurs les plus affectés par les restrictions ou par la pandémie. Même dans des endroits où les restrictions gouvernementales ne s’appliquent pas, l’activité peut s’effondrer si les personnes sont réticentes à consommer des services impliquant de larges rassemblements de personnes et des contacts physiques », insiste-t-elle.