TORONTO – Igal Hecht, réalisateur israélo-canadien de documentaires, n’a pas été le témoin direct des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre dernier – mais il dit que les horreurs de cette journée fatidique hantent son quotidien depuis maintenant presque un an.
Ces horreurs sont au cœur de son nouveau film, « The Killing Roads », qui sortira cette semaine – soit juste avant le premier anniversaire du pogrom qui avait été commis par le groupe terroriste dans le sud d’Israël. Les hommes armés, se livrant à des atrocités, avaient tué plus de 1 200 personnes, des civils en majorité, et ils avaient kidnappé 251 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
Mais au lieu de se concentrer sur les kibboutzim qui ont été ravagés ou sur le festival de musique électronique Supernova où un autre carnage s’était produit, « The Killing Roads » s’intéresse à ce qui s’est passé sur les routes 232 et 34, où des terroristes qui avaient franchi la frontière entre l’enclave côtière et Israël avaient abattu 250 personnes de sang-froid.
Hecht a décidé de mettre « The Killing Roads » gratuitement à disposition sur les réseaux sociaux et sur un site internet spécifique. Son objectif : Lutter au mieux contre le déni de ce qu’Israël a pu vivre à l’occasion de la journée la plus terrible, la plus dramatique de toute son Histoire moderne.
Hecht note que ce documentaire a été le plus traumatisant de toute sa carrière de réalisateur – il compte pourtant déjà 52 films à son actif. Et son contenu bouleversant le hante encore aujourd’hui.
« Ça a été – de loin – le film le plus difficile à réaliser pour moi en raison de son impact émotionnel », explique Hecht lors d’une rencontre récente, dans un café de Toronto, avec le Times of Israel. « Il m’a demandé plus d’efforts que mes autres films. D’habitude, j’adore faire des films. J’aime la réalisation. J’aime être sur le terrain. Mais pas cette fois-ci. Je n’ai éprouvé aucune joie à faire ce film. J’ai détesté chaque instant du tournage. Chaque endroit où nous avons tourné m’a brisé le cœur ».
Si ce film de près de deux heures a été pénible à réaliser pour Hecht, il est aussi extrêmement difficile à regarder. Comme son titre l’indique, c’est la mort qui plane à chaque instant dans « The Killing Roads ». Le film se penche sur le massacre perpétré les terroristes palestiniens sur les artères de circulation du sud d’Israël, le 7 octobre, combinant des images des atrocités aux témoignages poignants des survivants, des secouristes et des proches des victimes. Il emmène les téléspectateurs dans un voyage sanglant le long de ces funestes routes, retraçant le périple des terroristes qui étaient entrés dans le sud d’Israël à 6 heures 30 du matin, et consignant les horreurs qu’ils avaient commises.
Pourtant, Hecht connaît bien les sujets difficiles – il a réalisé des films sur la Shoah et sur les génocides rwandais, bangladais, cambodgien et yézidi.
« Ces projets étaient éprouvants, mais celui-ci était un projet qui touchait ma propre intimité », déclare Hecht, âgé de 47 ans, qui est né en Israël où il conserve de nombreux parents, amis et collègues. « Chaque journée passée sur le plateau de tournage éveillait en moi une nouvelle vague de chagrin », confie-t-il.
« Ça peut paraître dramatique, grandiloquent, mais j’avais vraiment le cœur qui se brisait lors de chaque journée de tournage », ajoute-t-il. « Il y a eu des moments où mon caméraman, Lior Cohen, et moi-même restions silencieux, submergés par l’ampleur de ce que nous étions en train de filmer. Au fur et à mesure que nous entrions plus profondément dans les différentes histoires, je me sentais envahi par une rage qui ne cessait de croître. Je me disais en permanence : ‘Mais comment a-t-on pu permettre que cela se produise ?’. »
Il est difficile de ne pas se poser cette question en regardant le film, qui a été réalisé en grande partie à partir de trois sources de matériel brut qui sont dans leur majorité inédites : Il s’agit de 30 heures de film réalisé par Hecht en Israël, au mois de mars dernier ; de 50 heures d’images tournées par les premiers secouristes de la United Hatzalah et des nombreux enregistrements vidéo glaçants qui avaient été effectués et postés sur les réseaux sociaux par les terroristes du Hamas eux-mêmes.
Les images violentes sont nombreuses dans « The Killing Roads » – elles sont rendues à peine un peu moins choquantes par le fait que les visages des victimes ont été floutés, une marque de respect à leur égard et à l’égard de leurs familles. Le réalisateur a aussi utilisé des images provenant des caméras de surveillance ou des vidéos personnelles qui avaient été tournées, le 7 octobre, par certains survivants du pogrom. Des survivants qu’il interroge, ainsi que les familles des victimes et les membres des services de premier secours venus sur les lieux du carnage – des interviews qui ajoutent au caractère poignant du documentaire.
Né à Ashkelon, Hecht s’était installé à Toronto avec sa famille en 1988. Il avait alors 11 ans. Ses parents, d’origine ukrainienne, avaient quitté Israël à la recherche d’une vie meilleure au Canada – pour eux comme pour leurs deux fils. Lorsque ses parents lui avaient offert une caméra VHS comme cadeau lors de sa bar mitzvah, il s’était rapidement passionné pour la réalisation de films – et il devait finalement fonder sa société de production, Chutzpa Productions Inc., en 1999. Ses documentaires et ses séries télévisées – un grand nombre d’entre eux ont été tournés sur le sol israélien – ont été diffusés à la télévision et dans des festivals du film dans de nombreux de pays, remportant régulièrement des prix.
Igal Hecht suit de près l’actualité israélienne et ce, en permanence. Comme la majorité des Juifs, il se rappelle parfaitement du moment où il a appris la nouvelle du pogrom du 7 octobre. Il était 23 h 30, c’était un vendredi soir et il était en train de regarder un film dans son appartement situé dans la banlieue de Toronto, où vivent de nombreux autres Canadiens d’origine israélienne. Il raconte que son téléphone s’est soudain mis à sonner de manière rapide et successive. En jetant un coup d’œil, il s’est rendu compte qu’il s’agissait de l’application signalant les tirs de roquette en direction d’Israël qu’il avait installée sur son appareil. Il se souvient que c’est en regardant les informations sur son écran qu’il s’est rapidement rendu compte que ce qui était en train de se passer était différent des attaques habituelles du groupe terroriste.
« Je suis resté réveillé toute la nuit », se souvient M. Hecht. « Il était hors de question que je puisse m’endormir. Je suis allé sur Telegram, parce que c’est là qu’on obtient le maximum de nouvelles dorénavant et que j’y ai également accès à tous les messages transmis par le Hamas. J’ai commencé à voir qu’ils attaquaient Sderot, Netivot et les kibboutzim. Pendant les premières heures, on entendait tout et n’importe quoi, beaucoup d’informations erronées. On ne savait pas exactement ce qui se passait et on se demandait où était l’armée. Le matin suivant, j’ai fini par dormir quelques heures et ensuite, je suis resté accroché à mon écran pendant cinq jours, complètement déconnecté du reste du monde ».
Peu après, Hecht a décidé de consacrer un film au 7 octobre. Après avoir visionné d’autres images du pogrom, après avoir lu des articles sur le massacre et étudié minutieusement une carte, il s’est dit que ce qui s’était passé sur les routes du sud du pays – y compris dans les abris antiaériens qui se trouvent en bordure – constituerait un angle intéressant.
Hecht a soumis l’idée à des chaînes canadiennes qui, ensemble, avaient diffusé une dizaine de ses documentaires antérieurs. Elles s’étaient montrées peu intéressées dans un premier temps et elles avaient refusé de participer au projet lorsqu’il leur avait envoyé une maquette et une bobine de démonstration de neuf minutes. Il raconte ne pas s’être laissé décourager.
« J’ai décidé que je n’avais pas besoin d’elles », explique Hecht. « J’ai été influencé par la sortie de ‘Screams Before Silence’ [le documentaire de Sheryl Sandberg sur les violences sexuelles faites aux femmes dans le cadre du massacre du 7 octobre]. J’ai adoré le fait qu’il soit diffusé gratuitement sur YouTube, qui est aujourd’hui la plus grande plateforme de diffusion en continu au monde. »
Hecht avait d’ores et déjà compris que YouTube et X offraient une plus grande accessibilité et un plus grand nombre de spectateurs que les chaînes et les plateformes de streaming.
« Je me suis dit que si je diffusais mon film sur YouTube, X, Vimeo et sur un site web créé à cet effet, alors il pourrait atteindre des millions de personnes », explique-t-il. « Il pourrait vraiment avoir un impact. Une fois que je me suis calmé, après la réponse apportée par les chaînes, j’ai décidé d’opter pour la diffusion gratuite ».
Malgré les difficultés financières, Hecht s’est engagé dans son projet.
« Je me suis dit que je serais en capacité de faire face aux coûts s’il le fallait », explique-t-il. « J’ai lancé une campagne GoFundMe, qui n’a pas été aussi fructueuse que je l’espérais [elle n’a permis de récolter que 14 000 dollars canadiens], mais je me suis dit que ce n’était pas grave, que je gagnais de l’argent avec d’autres émissions que je produisais pour la télévision et que je pouvais mener à bien ce projet-là. Je me suis dit que je pouvais le faire ».
Hecht, dont la polyvalence technique et l’ingéniosité lui avaient permis, dans le passé, de réaliser des films avec un budget serré, a reçu le soutien de Pino Halili, le producteur exécutif du film, qui a pris en charge une partie des frais de post-production. Ses collaborateurs habituels, pour leur part, ont travaillé à tarif réduit.
Dans « The Killing Roads », contrairement à la plupart de ses films précédents, c’est Hecht qui assure sa propre narration. Il apparaît plusieurs fois devant la caméra.
« C’est un film dont le sujet me met extrêmement en colère et je ne pouvais pas mettre cette colère de côté », s’exclame-t-il. « Et je suis toujours en colère. Je ne sais pas quand cette colère disparaîtra, si elle disparaît un jour. Je suis en colère à cause de ce qui arrive dans ce pays [le Canada] aux Juifs, dans mon secteur d’activité, je suis en colère à cause de ce qui arrive à des gens comme moi qui n’ont pas peur de dire qu’ils sont sionistes et pro-israéliens. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la réalisation de ce film ».
Il s’inquiète dorénavant du type de public qu’attirera son documentaire.
« Parce qu’il veut être une condamnation du mal qui s’est déchaîné le 7 octobre et une condamnation des mensonges antisémites qui tentent actuellement de justifier ou de nier une telle barbarie, j’espère que le film atteindra un public très large », dit-il. Il encourage les organisations, juives ou non, à l’utiliser gratuitement pour des projections publiques.
« Aucun pays ne devrait avoir à endurer la sauvagerie qu’Israël a subie en ce jour sombre, et pourtant le monde semble vouloir l’oublier », ajoute-t-il.