« Julia Haart » est née à 42 ans. Après avoir passé plus de vingt ans à se faire appeler Talia Hendler, ce petit bout de femme survoltée à quitté son mariage et sa communauté juive orthodoxe de Monsey, dans l’Etat de New York et s’est réinventée pour devenir une incontournable du monde de la mode.
Elle raconte désormais son histoire dans une série Netflix, « My Unorthodox Life », diffusé sur la plateforme depuis le 14 juillet.
« Quand j’ai quitté [ma communauté], je ne parlais pas de mon passé », a raconté Haart au Times of Israël dans une interview téléphonique le jour de la sortie de la série. « Je ne voulais pas que les gens sachent d’où je venais, ni mon histoire folle. »
Mais sept ans après avoir laissé derrière son ancienne vie, Haart s’est sentie prête à se livrer sur son passé… à des millions de téléspectateurs autour du globe.
« J’ai réalisé que si mon expérience n’est pas classique, il y a tant de femmes dans tellement de situations qui entendent qu’elles sont inférieures, où bien qui se sont senties inférieures, à qui l’on a dit qu’elles n’avait pas le droit ou la capacité à sortir travailler, à être indépendante », a-t-elle dit. « Et j’ai réalisé que j’avais ma part de responsabilité… que c’est une histoire que je me devais de raconter. »
Contre toute attente, Haart a lancé sa propre marque de chaussures quelques mois après avoir quitté la communauté. Elle a décroché un job chez La Perla, une marque de lingerie où elle a rencontré Silvio Scaglia, un milliardaire, alors propriétaire de la marque. Il deviendra son second mari. Aujourd’hui, Haart et Scaglia détiennent la multinationale Elite World Group, une agence de mannequinat et agence artistique, dont elle est la PDG.
Effrontée, franche et avec un nouveau penchant pour les vêtements suggestifs et les talons aiguilles vertigineux, Haart est une force tant à l’écran qu’à la ville. Et à mesure que la série gagne en popularité et en attention – ainsi qu’une vague de critiques de la part de certains juifs orthodoxes – Haart maintient qu’elle ressent toujours un amour et un respect profonds pour le judaïsme orthodoxe.
« J’ai des enfants religieux, j’ai une cuisine casher, j’ai un four à pizza casher. Ce n’est pas une femme qui a de la colère dans son cœur », a-t-elle déclaré. « Je veux que les femmes aient tout, je veux qu’elles sachent à quel point elles sont incroyables et ce dont elles sont capables ».
À bien des égards, la série s’articule autour des quatre enfants de Julia, qui suivent chacun leur propre chemin à la suite des décisions de leur mère, et dont le degré d’observance varie.
Batsheva, qui a maintenant 27 ans, a épousé son mari Binyamin à l’âge de 19 ans, quelques semaines seulement avant le grand chamboulement opéré par sa mère. Le couple reste pratiquant, mais s’est orienté vers une approche plus moderne. Shlomo, aujourd’hui âgé de 25 ans, respecte toujours le Shabbat mais se sent en conflit avec certains aspects de la religion. Miriam, 21 ans, a suivi le chemin de sa mère en abandonnant complètement la pratique religieuse, et explore sa sexualité et sa nouvelle liberté. Et Aron, 15 ans à peine, qui partage son temps entre Manhattan avec sa mère et Monsey avec son père, est déterminé à maintenir son style de vie religieux strict – et s’irrite des efforts déployés par son entourage pour le persuader du contraire.
« Au fur et à mesure que mes enfants ont grandi, je suis devenue de moins en moins religieuse », a expliqué Haart. « Donc la Talia [qui était la mère de] Batsheva et Shlomo n’était pas la même que [celle qui était la mère de] Miriam et Aron. »
Haart a expliqué qu’il lui a fallu plusieurs années avant de prendre la décision de se détacher complètement de son mariage et de son observance religieuse.
« Ce n’est pas comme si un matin je m’étais réveillée et que j’avais mis ma perruque et mes bas et que j’ai pris la porte », a-t-elle déclaré. « C’était très progressif. J’ai commencé à m’instruire et à apprendre à connaître le monde extérieur… donc leur expérience a été un peu différente de la mienne », dit-elle, car à mesure qu’ils ont grandi, elle s’est détendue.
Agréablement, l’émission a refusé de positionner l’ex-mari de Julia, Yosef Hendler, comme le méchant de l’histoire. Il apparaît même devant la caméra à plusieurs reprises.
« C’est un homme adorable, gentil, un homme bon », s’exclame Julia. « Le détresse que j’ai connue pendant mon mariage, je le réalise aujourd’hui… n’a rien eu à voir avec lui ».
« My Unorthodox Life » est aussi réel et authentique que peuvent l’être un grand nombre d’émissions de télé-réalité de ce genre – c’est-à-dire, absolument pas. Les conversations sont romancées et scénarisées ; les mises en scènes sont surfaites et les « personnages » parmi les membres de la famille sont triés sur le volet. Et pourtant l’émission est indubitablement et incontestablement divertissante.
« My Unorthodox Life » est aussi réel et authentique que peuvent l’être un grand nombre d’émissions de télé-réalité de ce genre – c’est-à-dire, absolument pas
Pour la vaste majorité des plus de 200 millions d’abonnés à Netflix, qui ignorent tout du monde religieux juif, les termes comme « frum, » « tzitzis, » « tzniut » et “rebbetzin » (« religieux pratiquant », « tresses rituelles », « pudeur » et « épouse de rabbin ») apparaissent sur l’écran avec des explications de glossaire.
Mais les personnes plus connaisseuses du monde des religieux pratiquants vont trouver un plaisir tout particulier à voir Julia faire ses courses dans l’immense supermarché casher Evergreen de Monsey, dîner au Mocha Bleu à Teaneck, dans le New Jersey, ou tenter d’expliquer le concept des « shells« , ces tee-shirts près du corps portés par de nombreuses femmes religieuses pour recouvrir la peau qui serait autrement exposée par un certain vêtement.
Si la trajectoire religieuse de l’ensemble de la famille est un élément central de la série, il est également question de la transition d’une appartenance à la classe moyenne à une vie où règnent les hélicoptères, les Hampton et le personnel de maison. Le penthouse de la famille à Tribeca a été l’une des transactions les plus chères du quartier, et la famille loue un château du XIIe siècle lorsqu’elle se rend en France pour participer à la Fashion Week de Paris et à la fête juive de Souccot.
Les différents témoignages des membres de la famille Hendler/Haart brossent un tableau révélateur de la fluctuation de leur niveau d’observance religieuse dans le passé. La communauté « yeshivishe heimishe » à laquelle ils appartiennent à Monsey n’est généralement pas aussi coupée du monde extérieur que la mouvance hassidique Satmar dépeinte dans la série Netflix « Unorthodox ». Haart a enseigné dans une école mixte et a ensuite travaillé secrètement comme agent d’assurance, et la famille a également vécu pendant une période à Atlanta.
Haart, née Talia Leibov, est l’aînée de huit frères et sœurs. Une seule d’entre eux – Chana, qui apparaît dans la série – continue de lui parler après son départ de la communauté, et ses parents ont également coupé les ponts, a déclaré Haart.
« J’ai juste de l’espoir », a-t-elle dit. « Je continue à envoyer de l’amour, et un jour j’en recevrai en retour. »
Je continue à envoyer de l’amour, et un jour j’en recevrai en retour.
Et Haart dit qu’elle a des raisons d’espérer, car son ex-mari a adopté une approche plus modérée de la religion, et son fils, Aron, fréquente maintenant la Frisch School, un externat juif modern-orthodox mixte du New Jersey qui met l’accent sur une solide éducation laïque parallèlement aux études religieuses.
« Son école est merveilleuse, je l’adore, j’adore les rabbins, ils ont été incroyablement positifs et favorables » à propos de la série, a déclaré Haart. « C’est ça, l’orthodoxie moderne. »
Sans surprise, les critiques de l’émission ont abondé dans certains cercles, en particulier de la part des femmes orthodoxes qui affirment que leur observance religieuse ne les a pas empêchées de réaliser leurs rêves. Beaucoup ont raconté leur propre histoire sous le hashtag Instagram « My Orthodox Life », notamment Beatie Deutsch, marathonienne et mère orthodoxe de cinq enfants.
« Comme Julia, je viens d’une communauté orthodoxe chaleureuse et aimante. Je suis une mère fière de cinq enfants, mais j’ai pu poursuivre une carrière qui est gratifiante et significative pour moi », écrit Deutsch, qui note que Netflix a refusé l’opportunité de réaliser un film sur l’histoire de sa vie. « Netflix ne partagera probablement jamais mon histoire parce que je ne suis pas assez controversée ou scandaleuse. Parce que je suis heureuse et fière de la vie que je mène… Mais je continuerai à me montrer ici et à partager mes histoires, ma voix authentique en tant que femme juive orthodoxe profondément fière et engagée, mère, athlète et représentante d’Israël. »
Haart maintient qu’elle n’a pas de problème avec le judaïsme, mais avec l’extrémisme et la misogynie qui tentent de contrôler la vie des femmes et leur parcours professionnel.
« Je pense que Shabbos est magnifique, et Yom Tov, si vous voulez respecter la casheroute – pourquoi pas ? » dit-elle, en utilisant les mots hébraïques pour le Shabbat, les vacances et les lois alimentaires strictes. « Je n’ai rien contre la Yiddishkeit [judaïsme]. Je pense que les Juifs sont incroyables. J’aime être juive, j’ai moi-même été victime d’antisémitisme à plusieurs reprises. »
Les restrictions imposées aux femmes « n’existent pas seulement dans le judaïsme, elles existent dans toute culture fondamentaliste… il ne s’agit pas du judaïsme », a-t-elle déclaré. « Mon problème, c’est le fondamentalisme, point final ».
Haart, qui dit se considérer comme « une femme spirituelle, je crois en Dieu », a encore des associations positives avec son ancienne vie. Quand elle était plus jeune, son frère de 5 ans a été tué dans un accident de voiture, et la réaction de la communauté juive a été bouleversante.
« La façon dont la communauté s’est rassemblée, nous a soutenus et a pris soin de nous – il y a tellement d’amour et de charité, de gratitude, d’appréciation, j’ai appris tellement de belles choses », dit-elle. « J’aime les beaux concepts et préceptes que j’ai appris dans ma communauté : l’attention, la gentillesse, prendre soin les uns des autres. »
Et avec l’énorme portée d’une plateforme comme Netflix, Haart est intimidée à l’idée d’être diffusée dans les foyers de millions de personnes à travers le monde. Elle dit avoir reçu des centaines de messages de personnes qui ont été inspirées par son parcours.
« Les gens ont des aspects peu orthodoxes de leur vie, ils ont souffert, ils ont été marginalisés ou on leur a dit qu’ils étaient inférieurs ou que ce qu’ils pensent qu’ils devraient être est mauvais », a-t-elle déclaré. Ce qu’elle souhaite que les téléspectateurs, en particulier ceux qui sont moins familiers avec le monde juif, retiennent de l’émission, c’est qu’il existe tout un éventail d’identités juives.
« J’espère que ce qu’ils retiendront de cette série, c’est qu’il existe tous les types de juifs », a-t-elle déclaré. « Il y a des gens comme moi et Miriam, qui sont extrêmement, vous savez, féministes, et qui ouvrent la voie. Puis il y a Batsheva, qui est une juive religieuse, qui ouvre également la voie à sa manière. Et vous avez Aron, qui est un juif encore plus religieux. »
En fin de compte, dit-elle, « j’espère que ce que les gens retiennent de tout cela, c’est que les Juifs sont comme tout le monde. Il y a différents types de juifs, nous avons différents systèmes de croyance, et nous sommes humains, nous saignons. »
« Il n’y a pas de colère ici. Il y a juste un désir de tout donner aux femmes », a déclaré Haart.