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Interview

La ‘Marathon Mother’ juive de 5 enfants court pour la bonne cause

De mère "en mauvaise forme physique" au succès international et aux aspirations olympiques, Beatie Deutsch, 29 ans, utilise sa trajectoire unique pour aider les adolescents malades

Beatie Deutsch à Jérusalem, le 7 mai 2019. (Crédit : Michael Bachner/Times of Israel)
Beatie Deutsch à Jérusalem, le 7 mai 2019. (Crédit : Michael Bachner/Times of Israel)

Depuis qu’elle s’est découvert un talent pour la course à l’âge de 26 ans et qu’elle a impressionné les foules en finissant un marathon alors enceinte de 7 mois, la « Marathon Mother » (Mère marathonienne) ultra-orthodoxe Beatie Deutsch, de Jérusalem, connaît une carrière exceptionnelle pleine de premières places.

Elle a remporté les marathons de Tel Aviv et de Jérusalem, ainsi que le championnat national. La semaine dernière, elle est devenue la seule femme ultra-orthodoxe à gagner une compétition d’athlétisme internationale, finissant première du semi-marathon de Riga, en Lettonie, en 1 heure, 17 minutes et 34 secondes.

Connue pour courir en étant vêtue d’une jupe de manches trois-quart et d’un foulard sur les cheveux, Beatie Deutsch s’est fixée un nouvel objectif : les Jeux olympiques de Tokyo en 2020.

Mais pour l’intéressée, sa carrière veut dire bien plus que courir et chambouler les stéréotypes.

Depuis décembre 2017 — quand la cousine de son mari Daniella Pardes, 14 ans, s’est suicidée après une lutte contre l’anorexie — Beatie Deutsch utilise la course pour sensibiliser et récolter des fonds pour un nouveau centre de jour appelé Beit Daniella, destiné aux adolescents souffrant de troubles de l’alimentation et d’autres troubles psychiatriques hospitalisés ou ayant abandonné l’école.

Le site de Beit Daniella à Tzur Hadassah. (Crédit : autorisation du Harei Yehuda Ranch)

Situé dans une ferme équestre à Tzur Hadassah, une petite communauté à l’ouest de Jérusalem, Beit Daniella accueille des patients depuis plusieurs mois, mais a été officiellement inauguré vendredi dernier. La cérémonie fut l’occasion pour des membres de la famille de raconter la tragédie qu’ils ont vécue et de parler de leur mission pour aider d’autres jeunes en difficulté à se réintégrer dans la société après une longue hospitalisation.

Beatie Deutsch s’est également exprimée lors de l’événement, avant de se précipiter à l’aéroport pour arriver en Lettonie avant Shabbat et se préparer à la course.

« Qui est cette femme ? »

La femme de 29 ans a quitté le New Jersey pour Israël en 2009, où elle s’est mariée et a eu quatre enfants en l’espace de six ans.

« Il y a trois ans et demi, j’étais une simple mère en mauvaise forme physique », a-t-elle confié récemment au Times of Israel, lors d’une interview près de chez elle dans son quartier de Har Nof à Jérusalem.

Beatie Deutsch sur le podium avec l’un de ses enfants après sa victoire au Marathon de Tibériade le 4 janvier 2019. (Crédit : Beatie Deutsch/Facebook)

Cette aînée de cinq frères et sœurs a toujours été naturellement athlétique et faisait du sport quand elle était enfant. Sa famille organisait des courses sur la plage, où elle était souvent la plus rapide. Mais en 2015, sa famille en a organisé une autre, et elle a fini bonne dernière.

« Je ne me reconnaissais même pas. Je me demandais, ‘qu’est-ce qui m’est arrivé ?' » se souvient-elle.

C’est là qu’elle a pris la décision très originale — notamment dans la communauté ultra-orthodoxe — de « tout donner » et de courir tout un marathon.

Elle dit s’être entraînée de façon très rudimentaire pour cette course. Lorsqu’elle s’est inscrite au Marathon de Tel Aviv en février 2016, elle ne savait pas quoi indiquer comme temps prévu. Après consultation, son mari a finalement noté quatre heures et quarante minutes.

A l’arrivée, elle a fini le marathon en 3:27:26 heures, se classant sixième chez les femmes.

« Quatre mois auparavant, je n’arrivais même pas à courir 9 kilomètres et je ne pensais pas pouvoir courir pendant quatre heures et demie. Si je ne m’étais pas forcée à sortir de ma zone de confort, je n’aurais pas découvert que j’avais ce talent, » explique Beatie Deutsch. « Après ça, je suis devenue accro à la course ? Je ne m’étais jamais rendue compte à quel point j’en avais besoin ».

L’année suivante, elle épatait les organisateurs et la foule en finissant le Marathon de Tel Aviv alors enceinte de sept mois de son cinquième enfant. En 2018, elle était l’Israélienne la plus rapide de celui de Jérusalem, et en janvier dernier, elle décrochait le championnat israélien, en finissant le marathon officiel organisé à Tibériade avec un temps de 2:42:18 — le cinquième meilleur résultat de l’histoire pour une Israélienne.

« Marathon Mother » — de son pseudo sur les réseaux sociaux — court également sur des distances plus courtes. En décembre, elle a ainsi remporté le championnat de semi-marathon à Beit Shean. « Ils ne savaient même pas qui j’étais, les gens de la ligue israélienne demandaient, ‘qui est cette femme ?' ».

Cette année, elle a fini première du semi-marathon de Tel Aviv et deuxième de celui de Jérusalem, ainsi qu’en deuxième place des championnats sur 10 kilomètres et 15 kilomètres.

Cette série de succès l’a convaincue de passer de l’amateurisme au professionnalisme à plein temps.

Son objectif est de devenir la première athlète ultra-orthodoxe à participer aux JO. Mais le défi s’avère de taille, la Fédération internationale d’athlétisme ayant fixé un chronomètre plus dur que par le passé pour se qualifier. Au lieu des 2:45:00 — le seuil en vigueur pour les JO de 2016, que Beatie Deutsch a atteint — le temps garantissant une place automatique est désormais de 2:29:30. Seules 80 femmes pourront participer au marathon de 2020, avec une limite de trois coureuses par pays.

Oops — it somehow disappeared, sorry to repost –but this definitely made my day. The BEST part of my race on Friday –…

פורסם על ידי ‏‎Beatie Deutsch‎‏ ב- יום ראשון, 17 במרץ 2019

Peu des 80 femmes ayant couru un marathon en moins de 2:29:30, près de la moitié des qualifiées seront déterminées par un nouveau système de classement compliqué, qui privilégie comment les coureuses se placent par rapport aux autres et la qualité de la course pour les chronomètres réalisés. C’est ainsi que l’Israélienne tentera de se qualifier pour Tokyo, sachant qu’il lui sera très difficile d’améliorer son record personnel de 13 minutes.

Elle devrait participer à son premier marathon international en septembre, même si elle n’a pas encore décidé lequel.

« Je ne ressemble à aucune autre coureuse professionnelle »

Interrogée sur les difficultés qu’elle rencontrait en tant qu’athlète religieuse elle répond : « Pendant longtemps, je n’en ai pas vu, mais plus je pratique la course plus je vois apparaître certains défis. »

« Tout d’abord, quand ce qui compte, c’est le temps, la tenue fait une différence. Je cours avec deux fois plus de vêtements que les autres. Je suis sponsorisée par Nike, mais je ne peux pas porter ce qu’ils m’envoient, c’est assez frustrant. Je suis une anomalie ; je ne ressemble à aucune autre coureuse professionnelle.

Elle dit qu’elle doit encore trouver une tenue à la fois appropriée pour une femme ultra-orthodoxe et à la fois confortable pour la course.

Beatie Deutsch, qui a remporté le semi-marathon de Riga le 19 mai 2019. (Beatie Deutsch/Facebook)

Puis il y a la question du Shabbat. La plupart des grandes compétitions internationales ont lieu le vendredi soir ou le samedi, ce qui veut dire que Beatie Deutsch ne peut pas y participer.

« Je n’ai pas l’impression de renoncer à quelque chose. Je ne me pose même pas la question. C’est un choix dont je suis fière », assume-t-elle. « Mais j’ai beaucoup de respect pour les autres, et je ne pense pas que je mérite des choses en plus parce que je suis différente ».

Son autre défi est d’élever cinq enfants tout en maintenant un style de vie intense de professionnel. Elle explique rentrer souvent à la maison épuisée après ses sessions d’entraînement, « je jongle en permanence », mais elle est aussi reconnaissante de pouvoir être payée pour faire quelque chose qu’elle aime.

« Je veux servir d’exemple [à mes enfants] pour leur montrer tout est possible dans la vie. Peu importe que ce soit une chose classique ou quelque chose qui sorte de l’ordinaire. »

« Daniella nous manque à tous »

Le Marathon de Jérusalem l’année dernière s’est tenu plusieurs mois après le décès de Daniella Pardes, la famille et les amis songeaient déjà à Beit Daniella et à la façon de récolter des fonds.

Beatie Deutsch raconte qu’elle a alors accepté de parcourir les 42 kilomètres vêtue d’un t-shirt Beit Daniella, même si celui-ci n’était pas en micro-fibres. Elle a ouvert une cagnotte en ligne improvisée à destination de son compte bancaire et a réussi à récolter 25 000 dollars (22 000 euros) en un an. « c’est là que j’ai compris que la course était une plateforme exceptionnelle pour partager la mission de Beit Daniella ».

La ferme équestre du site de Beit Daniella. (Crédit : autorisation de Harei Yehuda Ranch)

« Je vois de nombreux liens entre la mission de Beit Daniella et le fait de courir », indique-t-elle, expliquant que, pour elle, courir, c’est se donner les moyens de faire quelque chose et découvrir la force intérieure dont elle ignorait disposer, et Beit Daniella « est conçu pour aider les enfants sortis de l’hôpital et pas encore repris leur vie en main, et sa mission est de leur donner les moyens et les outils et compétences requises pour reprendre une vie normale et être capables de reprendre la main dessus ».

Le nouveau centre thérapeutique traite des patients âgés de 12 à 18 ans et leur assure un enseignement scolaire ; les fait travailler avec des animaux comme des chiens et des chevaux ainsi que dans l’agriculture ; des groupes de parole, en complément des soins suivis personnellement par chaque adolescent ; et les aide à accomplir des tâches de la vie quotidienne en dehors du centre, dans le but de leur faire reprendre le contrôle de leur vie en 6 à 12 mois.

Hadassa Jakobovits Pardes à Jérusalem, le 7 mai 2019. (Crédit : Michael Bachner/Times of Israel)

« Après avoir passé trois, quatre, cinq mois à l’hôpital, un enfant s’est coupé de sa vie », explique la fondatrice du centre Hadassa Jakobovits Pardes, la mère de Daniella et la tante du mari de Beatie Deutsch, Michael.

« En plus de la maladie, il y a le traumatisme de l’hospitalisation, souvent, ils n’ont plus d’amis, ou du moins pas d’amis avec qu’ils partagent un même langage », poursuit Hadassa Jakobovits Pardes. « Ils ont changé, ils ont pensé à la vie et à la mort et à des choses très dures pendant des mois, puis ils rentrent chez eux et retournent voir leurs amis pour parler de choses normales ».

Daniella Pardes. (Crédit : Hadassa Jakobovits Pardes)

« Notre fille a essayé de retourner à l’école, au bout de deux ou trois semaines, nous avons compris que ça ne marcherait pas », confie-t-elle. « elle a donc arrêté d’y aller, et il n’y avait pas d’alternative pour elle. Elle avait besoin d’être auprès de sa famille, car elle en est très proche, elle devait rester à la maison, mais avait besoin d’une raison de se lever le matin, une structure, de gens qui l’aideraient à manger tous ses repas de la journée, et il n’existe pas de chose de ce type en Israël ».

Aujourd’hui, explique-t-elle, son centre constitue une structure d’accueil de jour pour les patients et une raison de sortir de son lit, puisqu’ils ont du travail et sont chargés de nourrir les chiens. Pour ceux souffrant de troubles alimentaires, une cuisine thérapeutique est présente, rénovée avec l’argent récolté par Beatie Deutsch, et propose une approche unique à l’alimentation sur les conseils du Koli, le Centre pour les troubles alimentaires de Jérusalem.

« Daniella nous manque à tous », conclut Beatie Deutsch. « Elle adorait mes enfants, elle s’occupait très bien des autres. A chaque course à laquelle je participe, j’ai Beit Daniella sur mon t-shirt. Pour moi, il n’y a rien de plus incroyable que de pouvoir faire ce que je fais déjà — courir — et de l’utiliser pour quelque chose de positif ».

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