Israël en guerre - Jour 373

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Image de la Shoah, à Skede, en Lettonie, en 1941. (Crédit : Yad Vashem)
Image de la Shoah, à Skede, en Lettonie, en 1941. (Crédit : Yad Vashem)

De tragiques photos du massacre de la plage de Šķēde, en Lettonie sous occupation nazie

Un nouvel ouvrage publie des images de la Shoah, où 2 749 femmes, hommes et enfants juifs ont été assassinés par des Allemands et des Lettons

Lorsque David Zivcon, prisonnier juif pendant la Seconde Guerre mondiale, a découvert 12 photos du massacre des Juifs sur la plage de Šķēde en Lettonie en 1941, l’électricien alors réduit en esclavage a reconnu certains de ses voisins en train de se déshabiller avant d’atteindre la fosse d’exécution.

Zivcon travaillait dans la maison du commandant SS Karl Strott lorsqu’il a découvert des négatifs de photos témoignant du meurtre des Juifs de Liepāja, selon le site web de Yad Vashem. Zivcon a secrètement copié les négatifs et renvoyé les images originales, avant d’en remettre une série aux enquêteurs soviétiques en 1945.

Après avoir été utilisées comme preuves lors des procès de Nuremberg, les images du « massacre de la plage » sont devenues un raccourci visuel de la « Shoah par balles », lorsque les pelotons d’exécution SS allemands et les collaborateurs ont assassiné 1,5 million de Juifs en Europe de l’Est et dans les territoires anciennement contrôlés par l’Union soviétique.

Le mois dernier, l’historienne Valérie Hébert a publié un nouveau volume d’essais pluridisciplinaires intitulé Framing the Holocaust : Photographs of a Mass Shooting in Latvia, 1941 (« Encadrer la Shoah : Photographies d’une fusillade de masse en Lettonie, 1941 »), qui propose une analyse globale de ces terrifiantes images.

« J’espère que cet ouvrage contribuera à atténuer l’ambivalence que les chercheurs ressentent généralement à l’égard de l’utilisation, de la publication et de l’enseignement des photographies, en examinant les problèmes éthiques qu’elles posent et en montrant leur richesse en termes de compréhension », a déclaré Hébert au Times of Israel. Elle a imaginé ce livre alors qu’elle dirigeait un atelier au United States Holocaust Memorial Museum, a-t-elle précisé.

Les photographies de Šķēde sont reconnaissables pour des millions de personnes qui les ont vues dans les musées de la Shoah ou dans des films documentaires, mais jusqu’à présent, presque rien n’avait été publié sur les circonstances dans lesquelles les images avaient été capturées.

Le massacre de la plage de Šķēde en Lettonie, en décembre 1941 (Crédit : Domaine public)

Chaque chapitre raconte une manière distincte de « lire » ces photographies », a déclaré Hébert, professeure d’histoire à l’Université Lakehead d’Orillia et auteure du livre Hitler’s Generals on Trial : The Last War Crimes Tribunal at Nuremberg (« Le procès des généraux d’Hitler : Le dernier tribunal pour les crimes de guerre à Nuremberg »).

Dans son essai intitulé Not to Tiptoe Away in the Face of Suffering : Why We Look at Holocaust Photographs (« Ne pas reculer devant la souffrance : Pourquoi nous regardons les photographies de la Shoah »), Hébert écrit : « Les victimes [du photographe] peuvent regarder en arrière vers l’objectif, mais les circonstances nient le consentement (…). De plus, les images, dans leur immuabilité, prolongent la violence et la dégradation à perpétuité. »

Hébert a invité les chercheurs à se pencher sur les problèmes éthiques posés par les photos, sur la manière dont les images résonnent avec les tropes littéraires et photographiques et sur la vulnérabilité de l’identité des victimes lorsque d’autres personnes écrivent les légendes, a déclaré Hébert.

Bien que presque toutes les étapes de la Shoah aient été filmées, les historiens traditionnels n’ont commencé que récemment à analyser les photographies avec de nouvelles approches. Parmi celles-ci, l’intelligence artificielle (IA), qui a permis d’identifier des personnes sur les photos de Šķēde.

Le massacre de la plage de Šķēde en Lettonie, en décembre 1941. (Crédit : Domaine public)

« Le livre ne raconte pas seulement l’histoire des images du massacre de la plage de Šķēde, il propose également une façon d’aborder la photographie de la Shoah et des atrocités de manière plus générale », a déclaré Hébert. « J’espère que ce livre montrera aux lecteurs que ces photos, malgré leur histoire sordide et leur contenu presque insoutenable, devraient encore retenir notre attention attentive et soutenue. »

Le regard de l’agresseur

Lors du massacre de décembre 1941 sur la plage de Šķēde, 2 749 femmes, hommes et enfants juifs ont été assassinés par des SS allemands et des collaborateurs lettons. Les victimes étaient originaires de Liepāja, où vivait l’une des communautés juives les plus dynamiques de Lettonie.

Outre une douzaine de synagogues, la communauté juive finançait des clubs de jeunes Maccabi et un groupe culturel sioniste. Quatre des six cinémas de la ville appartenaient à des familles juives avant la Shoah, et les Juifs passaient leurs vacances avec leurs voisins sur les dunes de Šķēde, à l’extérieur de la ville.

Inauguration du terrain de sport Maccabi de Liepāja, le 30 juillet 1925. (Crédit : Domaine public)

À l’instar des photos de Juifs hongrois dites « Album d’Auschwitz » découvertes par Lily Jacob, une survivante, en 1945, les images des Juifs de Liepāja ont été capturées par un photographe doué d’une grande finesse professionnelle.

« Le photographe [des images de la plage de Šķēde] a centré les sujets dans le cadre et s’est tenu directement en face ; les images sont mises au point ; il a tenu l’appareil photo à niveau », écrit Hébert. « Ses sujets sont immobiles et regardent vers l’avant, en contraste avec les personnes qui les entourent : d’autres Juifs en train de se déshabiller et des membres de la [police auxiliaire] lettone qui supervisent et dirigent la scène. »

Certains des auteurs du livre ont dissipé les mythes associés aux images, notamment ceux qui découlent des légendes contradictoires que les chercheurs ont données aux photos. Pour ajouter à la confusion, les chercheurs ont longtemps été réticents à s’intéresser aux photos de Šķēde, et ce, pour plusieurs raisons, a expliqué Hébert.

L’auteure et historienne Valérie Hébert. (Autorisation)

« Les questions de la nudité et du regard du photographe servent souvent de justification pour rejeter complètement ces photos (et d’autres du même genre) », a déclaré Hébert.

« En identifiant et en expliquant les différentes façons dont nous pouvons regarder ces photos, nous minons le regard de l’agresseur qui les a initialement définies », a-t-elle ajouté.

Dans The Mystery of an Iconic Photograph (« Le mystère d’une iconique photographie’), l’historien Daniel Newman a détaillé des aspects du massacre qui n’ont jamais été imprimés à côté des photos de Šķēde.

Les officiers SS allemands et la police auxiliaire lettone « remplissaient quatre fonctions sur la plage : ils gardaient la zone pour empêcher quiconque d’entrer ou de sortir, supervisaient le déshabillage des victimes, escortaient les Juifs jusqu’à la fosse commune et procédaient aux fusillades », écrit Newman.

Le massacre de la plage de Šķēde en Lettonie, en décembre 1941 (Crédit : Domaine public)

« De cette manière, trois pelotons d’exécution, deux lettons et un allemand, se sont relayés du 15 au 17 décembre, assassinant méthodiquement 2 749 Juifs », écrit Newman, qui a effectué plusieurs voyages de recherche à Liepāja, qui se trouve à 10 kilomètres au sud de la plage de Šķēde.

Le massacre de la plage de Šķēde a fait naître une fosse commune plus longue que trois terrains de football.

À Babi Yar, à l’extérieur de Kiev, 33 771 Juifs ont été assassinés en deux jours, au début de l’automne. Ce n’est qu’à Šķēde, cependant, qu’un photographe a immortalisé de manière méthodique une aktion – ou rafle opérée par le régime nazi en vue d’exécuter les victimes – du début jusqu’à la fin, y compris la mise en scène cynique des victimes pour former des tableaux.

Pour provoquer un sommeil éternel

À 15 ans, Edward Anders a échappé de peu au sort de sa famille juive, de ses amis et de ses voisins lors du massacre de la plage de Šķēde.

« Mon père avait imaginé une ruse pour sauver au moins sa femme et ses fils », écrit Anders, aujourd’hui âgé de 96 ans, dans la préface du livre d’Hébert.

« Nous avions tous les trois l’air aryen : nous étions blonds, nous avions les yeux bleus et le nez droit. Ma mère devait prétendre qu’elle n’était pas l’enfant biologique de ses parents juifs, mais une enfant chrétienne trouvée sur le pas de leur porte avec un bout de papier portant son nom, Erika, et une croix », écrit Anders.

Le massacre de la plage de Šķēde en Lettonie, en décembre 1941. (Crédit : Domaine public)

La « ruse » consistant à faire passer Anders pour un aryen lui a sauvé la vie, en lui fournissant un vrai « laissez-passer » à présenter à un fonctionnaire alors que les Juifs de la ville étaient rassemblés en direction du peloton d’exécution.

« Certaines personnes savaient ce qui se préparait et ont essayé de rassembler suffisamment de somnifères pour induire un sommeil éternel », écrit Anders, auteur de Amidst Latvians during the Holocaust (« Au milieu des Lettons pendant la Shoah »), publié en 2011.

« Huit familles y sont parvenues. Leurs corps ont été emmenés à Šķēde et jetés dans la fosse commune qui les attendait », écrit Anders, à qui Hébert a dédié Framing the Holocaust.

Après avoir échappé de justesse à Liepāja, Anders a étudié la cosmochimie aux États-Unis. Au cours des dernières décennies, il a été choisi pour examiner des lots d’échantillons lunaires provenant des missions lunaires du pays.

Le Mémorial aux Juifs assassinés et massacrés sur la plage de Liepāja. (Crédit : Patrimoine juif de Liepāja)

Il y a une vingtaine d’années, Anders a entamé des recherches intensives sur le sort de chacun des 7 140 résidents juifs de Liepāja, déterminant que moins de 300 personnes avaient survécu. Son père faisait partie d’un groupe de Juifs assassinés une semaine avant le massacre de la plage.

« Très peu de personnes ont survécu aux fusillades de masse, et les négationnistes de la Shoah refusent de les croire », écrit Anders.

« Mais ces photos fournissent des preuves indéniables des principales étapes d’une exécution à Šķēde près de Liepāja », écrit Anders. « Trois familles identifiées de Liepāja apparaissent sur ces photos : les Grinfeld et les familles de Haïm et Jakob Epstein. Cette preuve est incontestable », écrit le survivant.

Comme l’a expliqué Hébert au Times of Israel, « nous voulions redonner des noms aux personnes prises en photo. De cette manière, le livre a une fonction à la fois historique et commémorative », a-t-elle déclaré.

Le massacre de la plage de Šķēde en Lettonie, en décembre 1941. (Crédit : Domaine public)

Une journée à la plage

La « raison » pour laquelle un photographe a pris les photos de Šķēde a été examinée par plusieurs essayistes d’Hébert, notamment dans le cadre des études de genre.

« Sur les photos, nous voyons les victimes dans une situation qu’elles n’ont pas créée mais qui documente leur meurtre », écrit l’historienne Tanja Kinzel dans son essai Reading Against the Gaze (« Lire contre le regard »).

« Il convient de souligner ce que les photos ne parviennent pas à capturer », écrit Kinzel. « Le bruit, les odeurs, l’atmosphère de terreur (…). Les photos ne communiquent rien de tout cela, ni l’odeur des coups de feu ou des excréments, ni le vent de la mer, ni le froid humide de la plage. Pourtant, elles peuvent nous en apprendre beaucoup sur cette horrible journée. »

Le massacre de la plage de Šķēde en Lettonie, en décembre 1941. (Crédit : Domaine public)

Selon Kinzel, spécialiste des photographies prises à l’intérieur du ghetto de Lodz, les Allemands et les Lettons impliqués dans le massacre de la plage auraient utilisé les photos comme des « trophées pornographiques à conserver et à faire circuler, de fiers ouvrages de documentation, et une source consciente de son potentiel d’incrimination ».

« Photographier les victimes avant de les assassiner, alors qu’elles étaient face à la mort, ne reproduit pas seulement le regard de l’auteur du crime, mais reflète également leur assujettissement et préserve cette dynamique de pouvoir inégale dans l’impression », écrit Kinzel.

Dans A Day at the Beach : The Šķēde Massacre and Littoral Photography (« Une journée à la plage : le massacre de Šķēde et la photographie littorale »), l’historien Daniel H. Magilow a analysé les images dans la tradition de la photographie littorale.

« Le cadre de ces photos d’atrocités est significatif parce qu’il diffère nettement d’un imaginaire visuel qui associe volontiers la Shoah à l’espace des camps, des ghettos, des forêts, des bunkers, des greniers et des wagons à bestiaux », écrit Magilow, dont les livres se concentrent sur les « intersections » des études sur la Shoah avec la photographie et le cinéma.

Après l’assassinat de 33 771 Juifs à Babi Yar, les Allemands et les Ukrainiens marchant sur le charnier, en Ukraine, en octobre 1941. (Crédit : Domaine public)

Mettant en contraste le passé historique de la plage de Šķēde en matière de photographie littorale avec les photos du massacre de 1941, Magilow a qualifié l’une des images de « satire cruelle des traditions de la photographie de plage ».

Dans ce qui pourrait être l’image la plus reconnaissable de la série Šķēde, quatre femmes juives de Liepāja ont été forcées de poser avec une fille qui a réussi à cacher son visage à l’appareil photo. Le groupe est entouré d’autres Juifs qui se déshabillent sous la menace d’une arme.

« Il ne s’agit évidemment pas d’un groupe de femmes posant en maillot de bain devant un appareil photo sur une plage bondée, mais les échos de ce type de photos de loisirs et de mode, ainsi que le passé de Liepāja en tant qu’espace touristique, sont présents de manière troublante dans le regard de l’auteur du crime », écrit Magilow.

Hébert travaille actuellement sur un autre ouvrage consacré aux photos d’un massacre de type « Shoah par balles ». Plus précisément, elle examine une série d’images prises en octobre 1942 lors de la liquidation du ghetto de Mizocz, dans l’Ukraine occupée par les Allemands.

Après le massacre de 33 771 Juifs à Babi Yar en septembre 1941, les biens des victimes ont été pillés. (Crédit : Domaine public)

« Le livre est une exploration continue de ce que ce type de photos peut nous apprendre », a déclaré Hébert, qui estime que les sources primaires de photographies de la Shoah sont considérablement sous-utilisées par les éducateurs et les chercheurs.

« Nous ferions bien de nous rappeler que les jeunes d’aujourd’hui sont une génération encore plus visuelle que la nôtre : leurs réseaux sociaux sont tous basés sur des photos », a déclaré Hébert.

« Ils prennent et consomment des photos par milliers. Et je garantis qu’ils ont vu des photos d’atrocités dans leurs explorations en ligne. »

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