Bashir Ziyadne, qui est âgé de 28 ans, a passé les neuf derniers mois à militer en faveur de la libération de ses proches toujours aux mains du Hamas, à savoir son cousin germain Youssef Ziyadne, 53 ans, et le fils de ce dernier, Hamza, 22 ans, enlevés à Gaza lorsqu’ils travaillaient au kibboutz Holit, à la frontière de Gaza, le 7 octobre.
Les Ziyadne appartiennent à un clan bédouin du désert du Neguev, dans le sud d’Israël.
Les deux enfants de Youssef – Bilal, 18 ans, et Aisha, 17 ans – ont également été pris en otage, mais ils ont été libérés le 30 novembre dernier après plus de 50 jours de captivité aux mains du Hamas, à la faveur d’un cessez-le-feu ayant permis la libération de 105 otages, essentiellement des enfants et leurs mères, des personnes âgées ou des travailleurs étrangers.
Depuis ce jour tragique, Bashir Ziyadne se présente comme le porte-parole anglophone de la famille. Au moins une fois par semaine, il participe à des activités publiques de plaidoyer en faveur de la libération de ses proches otages ou donne des interviews à la presse étrangère lorsqu’il ne s’entretient pas avec des diplomates ou des visiteurs étrangers.
Son implication est devenue progressivement plus ouvertement politique. Il y a de cela deux semaines, il est monté sur scène lors d’un rassemblement appelant à la conclusion d’un accord pour faire libérer les otages et à la tenue d’élections pour remplacer le gouvernement Netanyahu.
« Le 7 octobre dernier, à l’instar de nombreuses familles du sud et du nord, ma famille et moi-même nous sommes réveillés dans un cauchemar qu’un gouvernement responsable aurait, à mon sens, pu facilement empêcher », a-t-il dit au début de son discours, sous les hourras de la foule.
Cette manifestation avait lieu à Beer Sheva, la ville du sud dans laquelle Ziyadne étudie le droit. Il est originaire de Rahat, la plus grande ville bédouine d’Israël.
Les deux premiers mois qui ont suivi le 7 octobre, Ziyadne s’est entretenu à deux reprises avec des membres de l’ancien cabinet de guerre, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant.
Mais peu après le cessez-le-feu d’une semaine avec le Hamas, fin novembre, les politiciens israéliens ont donné le sentiment d’avoir oublié sa famille, dit-il.
« Le problème, c’est que ce gouvernement ne fait pas ce qu’il est supposé faire, c’est-à-dire ramener les otages. Au lieu de ça, chaque homme ou femme politique mène sa petite campagne électorale », disait Ziyadne lors d’une récente interview avec le Times of Israel au siège du Forum des otages et des proches de disparus, à Tel Aviv.
Récemment, l’étudiant en droit s’est entretenu avec des acteurs internationaux de premier plan, comme l’ex-Secrétaire d’État américain Mike Pompeo ou le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan, lors de leur visite en Israël.
Le clan Ziyadne a été durement touché le 7 octobre. Outre Youssef et ses trois enfants enlevés à Gaza, un autre membre de la famille, Abd Alrahman Atef Ziyadne, 26 ans, a été assassiné par des terroristes alors qu’il campait sur la plage de Zikim, au nord de la bande de Gaza. Son corps n’a été retrouvé que quelques jours plus tard, criblé de 11 balles.
Un autre membre de sa famille, qui s’appelle lui aussi Youssef Ziyadne, 47 ans, aurait sauvé 30 personnes de la fête Supernova – voire plus d’une centaine – en les accueillant dans son minibus ou en leur montrant le chemin pour quitter les lieux du massacre.
Ziyadne ne cache pas la difficulté d’être étudiant alors que la guerre perturbe les cours, que ses proches et lui-même s’inquiètent du sort de leurs proches et qu’il consacre énormément de temps à ses engagements publics. « J’essaie de tirer le maximum de cette année », dit-il.
La tragédie qui s’est abattue sur la famille Ziyadne a eu des répercussions inattendues sur sa vie personnelle et la façon dont il se perçoit au sein de la société israélienne, en sa qualité de membre d’une minorité marginalisée.
« Avant le 7 octobre, je ne me sentais pas égal aux Juifs [israéliens], pour être honnête. Je sentais confusément qu’il y avait le moyen d’y arriver, mais en en faisant plus qu’eux », explique-t-il.
« À cause de la loi sur l’État-nation, j’avais le sentiment que tôt ou tard, je me heurterais à un plafond de verre », ajoute-t-il en parlant de cette loi controversée de 2018 définissant Israël comme un État-nation juif et abolissant le statut de langue officielle de l’arabe, « même si je perçois une aide publique qui prend en charge une partie de mes frais de scolarité au titre de la discrimination positive ».
« Mais avec ce qui s’est passé suite au 7 octobre, je me sens égal à tout le monde », confie-t-il.
La conversation qui suit a été légèrement amendée pour plus de clarté.
The Times of Israël : Quelles sont les dernières nouvelles que vous ayez reçues des deux membres de votre famille toujours détenus par le Hamas, à savoir votre cousin germain Youssef Ziyadne et son fils Hamza ?
Bashir Ziyadne : Ma famille n’a reçu aucune nouvelle depuis plus de 200 jours. Ce que nous savons, c’est ce que Bilal et Aisha nous en ont dit à leur libération, au bout de 54 jours, à la faveur du cessez-le-feu temporaire.
Ils n’ont même pas pu dire au revoir à leur père et à leur frère aîné. Quand est venu le moment de les libérer, le Hamas leur a dit de se lever : ils leur ont bandé les yeux et les ont fait sortir du tunnel.
Quand ils ont été capturés tous les quatre, ils ont dit au Hamas qu’ils étaient musulmans. Le Hamas leur a répondu en arabe « N’ayez pas peur ». Mais ils les ont quand même pris en otage.
Nous savons qu’ils ont été séquestrés ensemble dans un tunnel, qu’on leur a donné des Corans et des tapis de prière, et assez de nourriture pour ne pas mourir de faim. On ne leur parlait pas, ce qui est très étrange parce que les ex-otages juifs ont dit que le Hamas leur parlait beaucoup et leur livrait une guerre psychologique.
On a montré aux otages juifs des cartes d’Israël et on leur a dit : « Maintenant, c’est la Palestine. » On leur a dit que le gouvernement ne s’occupait pas d’eux. Mais à mes proches, le Hamas n’a rien dit.
Ils pensaient être les seuls à avoir été pris en otages, et ils supposaient qu’un petit nombre de personnes avaient été tuées.
A chaque instant, ils craignaient pour leur vie. Chaque jour, ils pensaient que le lendemain serait leur dernier jour. Et puis le lendemain, pareil.
Nous, leurs proches, n’étions pas d’accord qu’on les libère « contre rançon », c’est-à-dire en échange de prisonniers palestiniens lors d’un cessez-le-feu. Nous avons exigé dès le début qu’ils soient libérés sans accord. [Le Hamas] n’a pas le droit de faire des otages musulmans pour obtenir la libération d’autres prisonniers musulmans. Il prétend être un groupe islamique, ne pas faire de mal aux musulmans. Alors comment cela a-t-il pu arriver ?
Comment Bilal et Aisha se sentent-ils après ce qu’ils ont vécu, sept mois après leur libération ?
Ils vont bien, mais restent très effrayés. Ils ne se comportent plus comme avant, et ils se sentent coupables que leur père et leur frère soient encore là-bas.
Ils ont vu des thérapeutes, ce qui est très inhabituel dans notre culture. Avant le 7 octobre, je peux garantir que personne dans ma famille ne savait ce qu’était le stress post-traumatique. Ils ne croyaient même pas en la psychologie. Aujourd’hui, oui.
Cette thérapie est prise en charge par le Forum des familles d’otages. Ils donnent également à Aisha et Bilal des cours privés d’hébreu, qu’ils ne parlent pas car ils ont grandi dans un village non reconnu.
[Le grand clan Ziyadne est dispersé entre la ville de Rahat et plusieurs villages en dehors de la zone urbaine. Bilal et Aysha ont grandi dans un village qui n’est pas reconnu par l’autorité foncière israélienne, ce qui explique que le gouvernement ne fournisse ni infrastructures ni services de base à ses habitants, à commencer par l’éducation. Comme les autres enfants de leur village, Bilal et Aysha doivent se rendre à Rahat pour être scolarisés, mais les difficultés logistiques font qu’ils s’y rendent sporadiquement.]
En mars, votre proche, Ali Ziyadne, le frère de Youssef, a parlé avec l’envoyé palestinien à l’ONU [Riyad Mansour] et exigé des réponses à propos de la captivité prolongée de Youssef et Hamza à Gaza. Cela a-t-il eu un effet ?
Ma famille a été très déçue qu’Ali s’énerve en parlant avec le diplomate palestinien à l’ONU. D’abord parce que la personne en question était de l’Autorité palestinienne, et pas du Hamas, mais ce n’était clairement pas la bonne entrée. Il n’y avait aucun moyen qu’il puisse nous aider.
Ma famille a mal vécu ce qu’Ali a fait et la diffusion planétaire de la vidéo. Nous ne voulons pas toute cette attention, parce que nous avons très peur pour la vie des membres de notre famille qui sont toujours retenus en otage à Gaza. Nous ne voulons pas défier le Hamas.
Votre famille a-t-elle reçu un soutien de pays arabes et musulmans ?
Je sais qu’une délégation du Mouvement islamique à Rahat s’est rendue au Qatar, mais personne, des pays musulmans, n’a été en contact avec nous.
Les Juifs ont un pays juif chargé de prendre soin d’eux. Pour nous, il n’y a pas de pays musulman qui fasse de même, aucune obligation légale pour les autres pays de prendre soin de nous. Il y a peut-être une obligation morale, mais cela s’applique également à tous les autres otages, pas seulement aux musulmans.
Êtes-vous déçu de leur manque de soutien ?
Non. Nous sommes des citoyens israéliens, et nous demandons au gouvernement israélien qu’il fasse en sorte de faire libérer les otages – pas seulement mes proches, tous. Je viens régulièrement ici [au siège du Forum des otages et des proches de disparus], je parle avec les autres familles, et je sais bien que derrière chaque nom, il y a une vie humaine. Je m’inquiète aussi pour eux.
Je vois le gouvernement israélien et le Hamas traiter les otages comme des pions. Ils les prennent, les déplacent. Mais quand je rencontre les familles [d’autres otages] et qu’elles me racontent leur histoire, je me souviens que ce sont de vraies personnes, avec des objectifs et des rêves.
Si notre gouvernement considérait vraiment tous les otages comme des êtres humains et non comme des pions, je pense qu’il y aurait un accord.
Je n’ai rien à dire au Hamas, parce qu’ils ne me représentent pas, je n’ai rien à voir avec eux. Le Hamas est pour moi une organisation terroriste : je n’attends pas grand-chose d’eux.
Je suis citoyen israélien et c’est à ce titre Israël qui me représente. Je veux que mon gouvernement, qui est fier que nous choisissons la vie plutôt que la mort, joigne le geste à la parole.
À vrai dire, je suis un peu déçu par le Forum. Je pense que nous sommes trop polis. Nous faisons en sorte de ne blesser personne au sein de la société israélienne. [Le Forum a adopté une position explicite de neutralité politique]. Mais je pense que nous devrions être plus fermes dans notre demande de nouvelles élections.
Comment cela permettrait-il de surmonter l’impasse avec le Hamas, à votre avis ?
Je ne pense pas que le gouvernement actuel ramène les otages, cela aurait dû être fait il y a des mois maintenant. Avec un gouvernement qui compte des membres comme [Itamar] Ben Gvir ou [Bezalel] Smotrich, il est très difficile de rester optimiste. Ils sont prêts à sacrifier les otages pour leur carrière.
[Ziyadne fait référence au ministre de la Sécurité intérieure et au ministre des Finances, membres du gouvernement connus pour leurs positions intransigeantes dans les négociations avec le Hamas et d’autres groupes palestiniens.]
La principale condition du Hamas pour libérer les otages est que l’armée israélienne cesse toute activité militaire dans la bande de Gaza et en retire ses forces. Ce gouvernement israélien ou tout autre gouvernement israélien devrait-il accepter cette condition ?
Si c’est ce que veut le Hamas, qu’il en soit ainsi. Je ne pense pas que le Hamas s’abstiendra de tirer des roquettes sur Israël dans les mois qui suivront le cessez-le-feu, et quand il le fera, il sera légitime pour Israël de l’attaquer à nouveau. Mais détruire le Hamas est impossible ; même le porte-parole de Tsahal a récemment admis que le Hamas était une idée impossible à éradiquer.
Pour détruire une idée, il faut proposer une alternative. Je ne suis pas politicien et je ne peux pas dire quelle serait la bonne chose à faire en ce moment, mais je suis sûr à 100% que les objectifs de guerre ne sont pas réalistes. Il faut trouver le moyen d’obliger notre gouvernement à retrouver la raison.
Hamza Alziadna, kidnapped and still held captive in Gaza. This is Bashir Ziyadna, his family member. We must not forget him. #BringThemHomeNow pic.twitter.com/LUZwp30Nbl
— Ethan Felder (@Ethanforthecity) December 26, 2023
Les familles des otages bédouins, y compris la vôtre, sont très discrètes, limitant au strict minimum – quand elles ne les évitent pas complètement – leurs apparitions dans les médias. C’est très différent de la plupart des familles d’otages juifs, dont certaines se sont lancées dans des campagnes internationales pour demander la libération de leurs proches. Pourquoi ?
[Outre Youssef et Hamza Ziyadne, il y a deux autres otages bédouins aux mains du Hamas, Farhan al-Qadi, 52 ans, enlevé le 7 octobre sur son lieu de travail dans un moshav près de Gaza, et Hisham al-Sayed, qui, selon les autorités israéliennes, est mentalement instable et est entré à Gaza de son propre chef en 2014 et est depuis captivité au Hamas. Son père Sha’ban a lancé des appels à sa libération à plusieurs reprises ces dix dernières années. Un autre membre de la minorité bédouine, Mohammed Alatrash, était présumé avoir été pris en otage, mais l’armée israélienne a révélé la semaine dernière qu’il avait été tué le 7 octobre et que son corps avait été emmené à Gaza. Un sixième otage bédouin, Samar Talalka, a été tué par erreur par l’armée israélienne en décembre dernier en même temps que deux autres otages.]
Les familles des otages bédouins sont prises entre le marteau et l’enclume. Certains, dans les pays arabes ,nous considèrent comme des collaborateurs et des traîtres parce que nous faisons partie du Forum des familles et exigeons à ce titre la libération de tous les otages. Ils voient les choses de façon manichéenne : soit notre récit [arabe], soit leur récit [israélien], mais la situation des familles des otages bédouins est tout à fait la même que celle des otages juifs.
Al Jazeera n’a pas voulu nous parler, parce que nous contestons leur version selon laquelle le Hamas est un mouvement de résistance composé de bons musulmans. Certains téléspectateurs musulmans ne trouvent rien à redire au fait que le Hamas ait tué des Juifs en Israël parce qu’ils pensent que tous les Juifs sont des soldats, réels ou potentiels. Le Hamas dit toujours qu’il n’y a pas de vrais civils en Israël, même les enfants. Certains pensent que tous les [Israéliens] finissent tôt ou tard par faire l’armée, ce qui justifie de les tuer. Aucun membre de ma famille n’a servi dans l’armée israélienne.
Les gens aiment beaucoup cette vision polarisée des choses selon laquelle Israël est l’occupant et les Palestiniens, des combattants de la liberté, mais ce n’est pas vrai. Nous [les Bédouins] montrons que le Hamas a capturé des musulmans et a même tué 17 membres de notre communauté. Le Hamas ne veut ni la paix ni la prospérité. C’est un groupe terroriste dirigé par des fondamentalistes prêts à détruire tout et tout le monde pour atteindre son objectif, ce qui est totalement irréaliste et terrible.