La semaine dernière, une délégation de professeurs américains en visite à l’université de Tel Aviv a écouté un groupe d’étudiants venus témoigner de leurs expériences des derniers mois.
En écoutant les récits de proches enlevés par le Hamas le 7 octobre, les dangers auxquels sont confrontés les réservistes de Tsahal à Gaza et les difficultés de revenir terminer un doctorat alors que la guerre entre Israël et le Hamas continue de faire rage, le groupe de professeurs principalement juifs de Harvard, Stanford et Dartmouth a fait exactement ce qu’il avait prévu de faire lors de sa visite de solidarité : donner et recevoir du soutien.
Depuis le début de la guerre, les campus américains sont le théâtre de manifestations, de pétitions et d’incidents antisémites. En venant en Israël et en s’impliquant directement dans les événements sur le terrain, les membres de la communauté universitaire juive et pro-israélienne ont voulu agir, comme l’explique la Dr Miri Bar-Halpern, psychologue clinicienne et experte en traumatismes basée à Boston, qui participait elle aussi à la mission.
Le voyage des enseignants est à la fois « unique et important », a-t-elle déclaré au Times of Israel. « Nous savons, grâce à la recherche, que le meilleur antidote au traumatisme est l’action. La croissance post-traumatique provient du sens, et c’est en agissant que l’on y parvient. Je pense que nous recherchons ce sentiment d’avoir le contrôle de la situation. Nous voulons avoir l’impression d’aider à distance, et c’est en partie l’objectif de ce voyage ».
Israélienne vivant aux États-Unis depuis 15 ans, Bar-Halpern est directrice des services des soins intensifs ambulatoires du Boston Child Study Center. Au lendemain du 7 octobre, elle a « organisé de l’aide en matière de santé mentale pour la communauté israélienne du Massachusetts » et a été appelée par la Harvard Medical School, où elle est chargée de cours, pour fournir des services de traumatologie à la communauté universitaire.
« J’ai constitué une équipe d’une dizaine de cliniciens parlant hébreu et nous aidons tous ceux qui en ont besoin », a-t-elle déclaré. « L’expérience des Israéliens aux États-Unis aujourd’hui est complètement différente : …. Chaque jour, nous recevons 5 ou 6 cas de la communauté israélienne. Ils se sentent abandonnés et seuls, c’est un changement dans leur identité. La culpabilité des survivants est très présente, car ils ne sont pas là, mais ici », a-t-elle expliqué.
Une grande partie de la communauté israélienne est confrontée au traumatisme secondaire et au phénomène « d’invalidation traumatique », a expliqué Bar-Halpern. Il s’agit d’un « terme clinique qui désigne le fait de vivre une expérience très difficile et d’être accusé d’en être responsable, ou que ses émotions ne comptent pas… C’est ainsi que l’on remet les choses en question ».
« Comment est-il possible que tant de personnes aient été assassinées et enlevées, mais que l’on continue à vous accuser ? C’est soit ça, soit les gens n’ont aucune compassion, ce n’est même pas de la culpabilisation, c’est juste un manque de compassion », a-t-elle ajouté.
Solidarité et perspectives d’avenir
Pour le professeur Gabriel Kreiman, jeune neuroscientifique et principal organisateur de la visite d’une semaine des quelque 35 académiciens, « une partie de l’objectif de ce voyage est d’exprimer la solidarité, mais aussi d’adopter une perspective optimiste et de voir comment nous pouvons aider, comment nous pouvons construire des ponts ensemble », a-t-il déclaré.
« Nous avons parlé à tant de gens. Il est éclairant pour nous d’entendre le récit de leurs luttes », a-t-il expliqué au Times of Israel.
La visite du site du massacre de la rave-party Supernova a été « particulièrement marquante », a indiqué Kreiman. « Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mes enfants, qui ont 22 et 18 ans. Je les imaginais en train de danser, de tomber amoureux, de penser à leur avenir, et puis tout d’un coup… Je ne peux pas imaginer ».
Interrogé sur le climat qui règne à Harvard, au vu, notamment, de l’atmosphère propalestinienne très répandue, du témoignage retentissant de l’ancienne présidente Claudine Gay devant le Congrès et de sa démission ultérieure, Kreiman a répondu « qu’aux États-Unis, il est frustrant de constater à quel point les gens sont ignorants, et ne comprennent pas vraiment ce qui se passe, ni l’histoire d’Israël ».
La délégation universitaire n’a pas été officiellement parrainée par les institutions et les visiteurs ont payé eux-mêmes le voyage, manquant dans la plupart des cas une semaine de travail pour le faire.
Cela ne représente « qu’une fraction » d’une communauté plus large d’universitaires qui veulent manifester leur soutien à Israël, a suggéré Kreiman.
« Je pense qu’il existe une très large communauté de personnes au sein du milieu académique qui est désireuse d’aider, en dépit de l’antisémitisme flagrant et des choses scandaleuses qui se sont produites dans les médias aux États-Unis », a-t-il insisté.
Kreiman a souligné la « nette différence » entre les départements de sciences naturelles et de sciences humaines pour ce qui est des opinions des professeurs et des étudiants sur le conflit entre Israël et le Hamas, ces derniers étant plus susceptibles d’avoir une orientation propalestinienne.
Dans son domaine, les neurosciences, il n’a pas vraiment ressenti d’impact direct, mais « les académiciens d’ici nous ont dit : nous sommes seuls, nous nous sentons isolés, les gens bloquent et boycottent les Israéliens ». Il s’agit de projets, de collaborations, de financements, de bourses, d’échanges d’étudiants, de cours communs… d’efforts divers pour mettre en place un réseau d’aide aux étudiants et aux professeurs israéliens.
L’angle d’une étudiante
Shai-Li Ron, étudiante en économie à Harvard, accompagnait les membres du corps enseignant ; cette Israélienne est devenue une activiste sur le campus. Avant le 7 octobre, Shai-Li Ron avait déjà organisé la visite de plusieurs grands groupes d’étudiants de Harvard en Israël, et c’est en raison de cette expérience qu’elle a été invitée à participer à la visite du corps enseignant.
Au cours de ces visites, auxquelles assistaient principalement des étudiants non juifs, « on a pu constater que cette expérience directe en Israël leur a permis de mieux comprendre la réalité et ses complexités », a-t-elle expliqué.
Au lendemain des événements du 7 octobre, ces étudiants se sont montrés « beaucoup plus compréhensifs, compatissants et solidaires que la plupart des étudiants de Harvard. Nous avons pu constater à quel point leur perception de la réalité israélienne était différente de celle des autres étudiants, qui n’ont accès qu’aux informations diffusées sur le campus. »
Le climat qui règne à l’université donne « un sentiment général d’insécurité et de manque de respect pour la vie des Israéliens… Vous entendez toutes sortes d’appels sur le campus, ‘Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre’ et ‘Du fleuve à la mer, la Palestine sera simplement arabe’ – ils le disaient en arabe », a déclaré Ron.
« J’ai eu quelques incidents personnels », a-t-elle poursuivi, en racontant comment, plusieurs semaines après le 7 octobre, elle s’est retrouvée face à une personne qui demandait aux étudiants de signer « une carte de remerciement au Hamas » qui serait envoyée « à la direction du Hamas ».
« J’étais en état de choc total », a-t-elle indiqué. « Il m’a montré tous les étudiants qui avaient signé. Je lui ai demandé : ‘Que ressentiriez-vous si, après le 11 septembre, quelqu’un avait voulu envoyer une carte de remerciement à Ben Laden’ et je suis partie. C’était une situation très inconfortable ».
Résilience
Les délégations de Harvard, Stanford et Dartmouth, ainsi qu’une autre délégation de Yale qui s’est rendue sur le site la semaine dernière, font partie de la série de visites universitaires de solidarité organisées après le 7 octobre, auxquelles ont également participé l’Université de Pennsylvanie et l’Université de Californie (UCLA).
Lors des réunions à l’université de Tel Aviv, ce journaliste s’est brièvement entretenu avec Yair Jablinowitz d’Israël Destination, l’agence de voyage qui a organisé les missions universitaires.
Yair Jablinowitz a expliqué qu’après l’audience du Congrès sur l’antisémitisme du 5 décembre, au cours de laquelle les présidentes de Harvard, de l’université de Pennsylvanie et du MIT ont refusé de condamner explicitement les appels au génocide contre les Juifs sur leurs campus, il s’est donné pour mission de faire venir en Israël des délégations académiques de ces trois universités.
Il y a quelques mois, UPenn a été la première de plusieurs universités à se rendre en Israël. Jablinowitz a indiqué qu’un groupe du MIT et de Berkeley était attendu la semaine prochaine. Ces visites en Israël à un moment comme celui-ci sont « extrêmement importantes », a ajouté Jablinowitz.
« Il ne s’agit pas pour eux de tourisme ordinaire », a-t-il souligné, « c’est très personnel ».