Les fermes laitières situées le long de la frontière israélienne avec Gaza continuent à produire du lait, et ce, sans interruption depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023, grâce à un petit groupe de personnes restées dans les lieux alors même que la plupart des habitants ont été évacués vers le centre du pays.
Parmi eux, un petit groupe assez improbable puisque ce sont des étudiants originaires d’Afrique et d’Asie.
« Sans nos stagiaires agricoles du Ghana et de Tanzanie, nous aurions eu du mal à traire toutes nos vaches et nourrir tous nos veaux », explique Gabo Altmark, directeur de la ferme laitière du kibboutz Zikim, située à moins de deux kilomètres au nord de la frontière de Gaza.
Les étudiants se sont vu offrir la possibilité de partir, précise Altmark, mais contrairement aux employés étrangers de Zikim qui sont rapidement partis, les étudiants, eux, ont insisté pour rester.
Les cinq stagiaires de Zikim font partie des plus de 3 200 étudiants originaires d’une trentaine de pays en développement qui suivent actuellement une formation dans des fermes en Israël. On estime à 250 le nombre de ceux qui se trouvaient dans des fermes près de Gaza lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut la frontière et brutalement massacré 1 200 personnes dans le sud d’Israël, sans oublier les 240 personnes otages dans la bande de Gaza, prélude à l’actuelle opération militaire israélienne destinée à libérer les otages et chasser le Hamas du pouvoir de la bande de Gaza.
« Le 7 octobre, j’avais terminé la traite matinale et étais retourné me coucher quand j’ai entendu tzeva adom, tzeva adom [alerte rouge] dans le haut-parleur », se souvient Kwabena Frimpong, 28 ans, alors tout en circulant dans la pouponnière de Zikim dans laquelle près de 500 veaux sont nourris au biberon. Étudiant à l’université ghanéenne de Cape Coast, il était arrivé à Zikim fin septembre.
« Je savais, grâce à notre programme d’orientation, que si nous entendions l’alerte tzeva adom, il fallait se précipiter vers l’abri anti-aérien. Les membres du kibboutz étaient là avec nous et nous nous sommes sentis protégés. Mon superviseur Gabo n’arrêtait pas de nous envoyer des textos avec des instructions », ajoute-t-il.
Frimpong n’en a rien su sur le moment, mais Altmark a envoyé certains de ces messages après avoir affronté des terroristes au niveau de l’enceinte du kibboutz, en compagnie de sept autres membres du service d’intervention d’urgence civil de Zikim. Altmark et ses collègues de la garde civile ont réussi à repousser les terroristes jusqu’à l’arrivée de soldats d’une base militaire voisine. Avec l’aide de ces derniers, ils sont parvenus à éliminer les terroristes avant qu’ils ne puissent entrer dans l’enceinte du kibboutz.
À midi, Altmark a pu retourner à l’étable et effectuer la traite de midi avec Frimpong et le reste des employés. Zikim a environ 500 vaches qui doivent être traites trois fois par jour. Grâce aux machines, l’ensemble du troupeau peut être trait par une dizaine de personnes, mais le rôle de chacun est crucial.
« Nous avons été aidés et protégés au moment le plus dur, ce qui nous a convaincus de rester », explique Frimpong, ajoutant que lorsque la cantine du kibboutz a fermé, on leur a donné les mêmes rations que les soldats et même des petits plats maison, au même titre que les autres membres du kibboutz.
« Parfois, les difficultés sont porteuses d’opportunités, note-t-il avec philosophie ; c’est pour nous l’occasion d’acquérir des connaissances en matière d’élevage laitier et aussi sur la façon de faire face à des situations difficiles. »
Les principales difficultés rencontrées par les Israéliens des environs de Gaza semblent être passées, estime Emily Di Capua, soulignant que les incessants tirs de roquettes de ces derniers mois ont quasiment cessé. D’origine belge, Di Capua est la directrice de la ferme laitière du kibboutz Karmiya, situé à deux kilomètres à l’est de Zikim.
« Les boums que l’on entend maintenant sont ceux des tirs d’artillerie israéliens », dit-elle en faisant visiter la ferme laitière en cette dernière semaine de décembre. Elle aussi rend hommage à la contribution des stagiaires étrangers.
« Robert nous a particulièrement étonnés », dit-elle à propos de l’étudiant Robert Acheampong, lui aussi originaire du Ghana. « C’est lui qui nous a remonté le moral. Il se lève à 3h30 chaque matin et aime nous dire avec un grand sourire : « Chaque pays a ses problèmes. » Il n’a jamais pensé à partir.
Acheampong, qui a 28 ans, estime que sa motivation lui vient à la fois de sa foi et du désir d’aller de l’avant.
« Les gens du kibboutz nous ont donné le sentiment de faire partie intégrante de leur communauté. Lorsque les soldats sont partis se battre, il était évident pour nous de rester pour les soutenir, spirituellement, par la prière, mais aussi physiquement, en préservant la production de lait », explique-t-il.
Après ses études au Wenchi Agricultural College, au Ghana, Acheampong a dirigé sa propre petite ferme, dans laquelle il élevait des porcs, des escargots et des chèvres.
« Je suis venu ici apprendre de nouvelles méthodes afin de développer mon entreprise d’élevage », explique M. Acheampong, ajoutant avoir d’ores et déjà acquis de nouvelles techniques pour soigner les animaux et leur assurer une bonne alimentation.
Stagiaire cambodgien, Phearan Ke travaille à la ferme laitière du kibboutz Gvar’am, située à 12 kilomètres de la frontière de Gaza. Selon lui, l’un des problèmes est la pression de ses proches pour qu’il rentre au pays.
« Ma mère m’appelle tous les jours depuis le début de la guerre », raconte Ke, étudiant à l’Université royale d’agriculture de Phnom Penh. « Je lui explique que cette année ici est une occasion unique et que, même si cela a été difficile dans les tout premiers jours, maintenant que les soldats patrouillent dans le kibboutz, nous nous sentons parfaitement en sécurité. »
Il ajoute que ses collègues, stagiaires cambodgiens tout comme lui, évacuent le stress en évoquant les enseignements du bouddhisme. « Quand nous pensons aux bonnes actions, cela nous aide à prendre de la distance avec les mauvaises choses », dit-il, citant un dicton bouddhiste.
Elevé au Cambodge, Ke a travaillé dans la ferme de son grand-père, au milieu des rizières et des vaches. « Il y a une grande différence entre l’agriculture pratiquée là-bas et celle d’ici, avec toutes les technologies ».
Ke fait référence aux technologies de pointe développées en Israël pour nourrir et traire les vaches. Dan Grossman, le directeur de la ferme laitière de Gvar’am, précise que les vaches israéliennes produisent la quantité record de 40 litres de lait chaque jour, soit plus du double que la moyenne de nombreux pays.
« Ces technologies se répandent un peu partout dans le monde et la présence, ici, d’étudiants comme Phearan va leur permettre de développer de nouvelles choses une fois rentrés chez eux », explique Grossman. Il explique qu’un étudiant cambodgien formé à Gvar’am travaille désormais dans une ferme laitière ultra-moderne au Cambodge, construite dans le cadre d’une joint-venture avec une entreprise israélienne.
Ces stagiaires agricoles sont employés par les fermes laitières du kibboutz dans le cadre d’un programme annuel géré par le MASHAV, l’Agence du ministère des Affaires étrangères pour la coopération au développement. En plus de l’élevage laitier, les étudiants suivent une formation dans le domaine des cultures fruitières et de plein champ, l’élevage de volailles et la pêche. Les étudiants travaillent cinq jours par semaine et passent une journée à étudier dans l’un des cinq centres internationaux de formation agricole.
Contrairement aux travailleurs étrangers intérimaires, qui viennent généralement de petits villages et ont un faible niveau d’éducation, ces stagiaires agricoles ont tous fait des études universitaires et nombre d’entre eux sont de jeunes entrepreneurs.
Ce programme de stages en agriculture a été lancé par le Centre international de formation agricole Arava en 1994, mais Israël accompagne depuis beaucoup plus longtemps les pays en développement, puisque cela remonte aux années 1950, lorsque le Premier ministre de l’époque, David Ben Gurion, créa des programmes qui ont duré des dizaines et dizaines d’années.
Un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) indiquait dès 1975 qu’Israël était le plus grand contributeur par habitant en matière d’aide au développement.
Nombre de ces programmes ont perdu de leur ampleur depuis, mais comme l’illustre le programme de stages agricoles, ces derniers mois, étonnamment, Israël continue de bénéficier de leurs effets positifs.
« C’est une situation gagnant-gagnant à trois niveaux », explique Tamar Yarden, qui dirige le programme de stages en agriculture. « Les étudiants sont formés dans l’emploi et acquièrent des compétences qu’ils vont ramener chez eux, les agriculteurs bénéficient de la main-d’œuvre et Israël renforce ses liens avec le monde en développement. »
Elle souligne que des étudiants du Bhoutan et du Timor oriental ont participé au programme avant même que ces pays n’établissent des relations diplomatiques avec Israël, tandis que l’Indonésie, qui n’a pas encore de relations diplomatiques officielles, a envoyé cette année un contingent de 92 étudiants.
Lorsqu’on lui demande pour quelle raison Israël apporte son aide à des pays qui votent souvent contre lui à l’ONU, Yarden évoque deux raisons.
« Déjà pour le principe du ‘tikkoun olam’ [concept de « réparation du monde »], qui invite les Juifs à aider les personnes dans le besoin, au cas présent à renforcer leurs connaissances et les aider à se nourrir. Ensuite, c’est un peu la question de l’œuf et la poule. Est-ce qu’on ne récompense que ceux qui nous soutiennent ou est-ce qu’on fait aussi des efforts pour créer de meilleures relations avec les autres ? ».