Le cimetière national du mont Herzl est généralement rempli le jour du Souvenir, le 28 avril cette année, alors que des foules de familles, d’amis et d’anciens camarades visitent les tombes, récitent des prières et chantent, partagent leurs souvenirs et déposent des fleurs, des notes et des pierres.
Cette année, il sera vide et ses portes resteront closes – comme dans les autres cimetières militaires du pays – et des officiers de police monteront la garde à l’extérieur et refouleront toute personne qui tente d’y entrer, par mesure de précaution pour empêcher la propagation de l’épidémie de coronavirus. Mais la police a aussi indiqué qu’elle n’empêcherait pas les gens venus de se recueillir.
Il y a peu de jours aussi symboliques que Yom HaZikaron en Israël, pays qui a connu plus que de raison sa part de guerres et d’attentats terroristes – et où beaucoup, sinon la plupart, de ses citoyens ont déjà perdu un ami ou un parent.
La décision de fermer les cimetières militaires du pays a été accueillie avec une profonde déception et frustration par les familles endeuillées et les organisations qui les représentent.

Le gouvernement ne pouvait-il pas organiser des visites échelonnées tout au long de la journée afin d’éviter tout attroupement ? Ou limiter l’entrée aux proches immédiats des défunts, ou même à un seul représentant de chaque famille ?
Le ministre de la Défense, Naftali Bennett, a déclaré mercredi aux journalistes que toutes ces options avaient été envisagées et rejetées – jugées irréalisables pour une raison ou une autre. Laisser entrer les gens dans les cimetières militaires du pays créerait une « bombe à coronavirus », a-t-il dit.
« Nous protégerons nos vies »
Osnat Benovici, dont le frère, le lieutenant Uri Sal-Man, est décédé en 1978, a déclaré qu’elle comprenait la nécessité de fermer les cimetières, mais qu’il serait néanmoins difficile d’un point de vue émotionnel pour sa famille de modifier leurs traditions lors de Yom HaZikaron.
« Quelle est la phrase ? ‘Dans la mort, il a sauvé des vies.’ Alors nous protégerons nos vies », dit-elle à travers un masque multicolore.

Benovici a visité la tombe d’Uri jeudi, cinq jours avant le jour du Souvenir. « Je m’attendais à ce qu’il n’y ait pas trop de monde », a-t-elle déclaré au Times of Israël.
Elle avait raison. Les allées étaient en grande partie vides jeudi matin, avec seulement un petit nombre d’individus, de couples et parfois de familles qui marchaient dans le cimetière.
Des soldats des Forces de défense israéliennes et des adolescents de divers mouvements de jeunesse ont installé des tables aux entrées du mont Herzl, distribuant des fleurs et des bouteilles d’eau aux familles endeuillées en visite. Seuls les cris des oiseaux et le vent qui soufflait à travers les pins parvenaient à briser le calme. Au loin, on pouvait entendre également les ouvriers travaillant de l’autre côté de la colline, affairés à préparer les systèmes de sonorisation pour les cérémonies nationales qui se tiendront pour Yom HaZikaron puis Yom HaAtzmaout.

D’ordinaire, Benovici et son mari se trouvent sur la tombe de son frère lorsque la sirène nationale retentit à 11 heures, puis rentrent chez eux dans la banlieue de Jérusalem de Mevasseret Zion pour un déjeuner avec les amis et la famille de son frère. Dans la soirée, elle et son mari rendent visite à sa mère dans le quartier Beit Hakerem de Jérusalem.
Cette année, au lieu de cela, Benovici a visité seule le cimetière jeudi. Le rendez-vous habituel avec les amis et les proches se tiendra via l’application de vidéoconférence Zoom – « comme nous l’avons fait à Pessah » – et la visite à sa mère n’aura pas lieu cette année, a-t-elle déclaré.
« Tout est différent. Le fait que je sois seule ici aujourd’hui, que nous ne pouvons pas être ensemble, que nous ne pouvons pas nous soutenir, que nous ne rendons pas visite à ma mère – c’est différent », a-t-elle déclaré en essuyant ses larmes.
27 tombes
Jeudi, Chaim Frenkel n’a pas visité qu’une seule tombe sur le mont Herzl : il en a visité 27, déposant sur chacune une note, une fleur, et un caillou conformément à la tradition juive, et y ajoutant parfois un salut.

Les 27 tombes appartenaient à des membres de son unité de parachutistes, tués pendant la guerre des Six Jours de 1967. Frenkel n’en connaissait personnellement aucun.
« Ils sont tombés dans la bataille de Jérusalem. Je n’ai rejoint l’unité qu’un an plus tard », a-t-il expliqué au Times of Israël.
Il ne visite normalement pas ces 27 tombes. Mais les vétérans de son unité – la Brigade de parachutistes, 88e bataillon, Compagnie « Bet » – ont réalisé que les membres de leurs familles ne pourraient pas visiter les tombes de tous les membres de l’unité en raison des restrictions.
« Je visite donc les tombes de Jérusalem », a déclaré Frenkel, un avocat qui vit dans la capitale.
Tenant dans les mains une feuille indiquant les 27 tombes, avec une lettre personnalisée pour chaque soldat tombé et des fleurs, Frenkel s’est déplacé méthodiquement de tombe en tombe, vérifiant les noms sur sa liste au fur et à mesure.

Se déplaçant entre les rangées de tombes – des plates-formes surélevées en pierre de Jérusalem avec des plantes en leur centre – Frenkel en désigna une, appartenant à Eitan Nave, qui comptait également une petite plaque.
« Regardez ça – il a obtenu une médaille d’honneur et les mérites du commandant de la brigade. Il est célèbre. Vous connaissez cette chanson, ‘La Colline des Munitions’, où ils parlent d’Eitan ? », a-t-il demandé à travers son masque en tissu rayé.
Frenkel faisait référence à une chanson écrite par Yoram Taharlev au sujet d’une bataille acharnée sur la Colline des Munitions pendant la guerre des Six Jours, lors de laquelle des parachutistes en grande infériorité numérique ont affronté les troupes jordaniennes, cachées dans des bunkers renforcés et des tranchées.
« Je n’ai pas eu le temps de demander à qui que ce soit de se porter volontaire, alors j’ai envoyé Eitan. Eitan n’a pas hésité un instant, il est monté et a commencé à utiliser la mitraillette… Eitan nous couvrait d’en haut et nous nettoyions les bunkers de l’intérieur, jusqu’à ce qu’il soit frappé à la tête et tombe à l’intérieur », raconte la chanson.
« Eh bien, c’est cet Eitan », a déclaré Frenkel, prenant une photo de la tombe, avec la note et la fleur qu’il avait placées dessus.
Une promotion posthume
Jeudi, Irit Ramon-Tzuker et une partie de sa famille ont conduit à environ deux heures de leur domicile, depuis la communauté religieuse du kibboutz Meirav, à l’ombre de la montagne Gilboa, dans le nord d’Israël, jusqu’au mont Herzl de Jérusalem afin de rendre visite à la tombe de son père, le capitaine Uzi Ramon, tué lors de la guerre des Six Jours.
Les Ramon-Tzuker – Irit, son mari, leurs deux fils, leurs deux belles-filles et plusieurs petits-enfants – étaient de loin le plus grand groupe présent dans le cimetière peu rempli, nécessitant seulement quelques soldats et un journaliste pour pouvoir former un mynian [NdT : le quorum de dix hommes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah] afin que le mari d’Irit puisse réciter la prière traditionnelle du Kaddish.

Irit était enfant lorsque son père a été tué lors de la guerre de 1967, tombant lors d’une bataille près de la ville cisjordanienne de Jéricho.
« Je viens [au mont Herzl] depuis que j’ai six ans », a-t-elle déclaré. Présentant son fils, Yishai, et un petit-fils, elle a ajouté : « Il vient depuis qu’il a six ans, et il vient depuis qu’il a six ans. »
Cette année revêt une importance particulière pour la famille, car en 2019, l’armée a accordé à son père lieutenant une promotion à titre posthume de capitaine, qui lui avait été promise de son vivant, mais qui n’avait pas été accordée en raison de la bureaucratie inhérente et d’une certaine confusion.
« C’était 52 ans en retard, mais ils lui ont donné le grade », a expliqué Yishai, un masque en tissu bleu sur le visage.
En effet, la pierre tombale d’Uzi Ramon a été légèrement surélevée, la rendant plus haute que celles des voisins, en raison de la plaque avec son rang mis à jour qui a été apposée sur la pierre tombale d’origine.

Au lieu de visiter la tombe de son père le jour du Souvenir, Irit organisera une cérémonie virtuelle pour sa communauté du kibboutz Meirav, où vit la plupart, mais pas la totalité, de sa famille.
« Nous nous tiendrons ensemble, mais éloignés, pendant la sirène », a-t-elle déclaré, en référence aux réglementations gouvernementales exigeant que les gens restent à deux mètres l’un de l’autre.
Yishai explique qu’il s’attendait à ce que Yom HaZikaron cette année soit différent des autres éditions en raison des restrictions interdisant les grandes cérémonies et les activités de groupe qui marquent habituellement cette journée de commémoration. Mais un élément fondamental de cette journée – la connexion entre tous les Israéliens – restera.
« Cette année, vous ne le verrez pas », a-t-il dit, « mais vous le ressentirez toujours ».