Quelques jours après le 7 octobre 2023, l’administration de l’hôpital Sheba a pris, de son propre chef, l’initiative de se préparer à l’éventuel retour d’otages en provenance de Gaza.
Mais face à un assaut meurtrier « sans précédent » mené par des milliers de terroristes palestiniens du Hamas et du Jihad islamique, « aucun protocole n’existait », a expliqué au Times of Israel le Dr Noya Shilo, 46 ans, médecin interne en chef de l’établissement.
Plus de 1 200 personnes ont été massacrées dans le sud d’Israël lors de ce pogrom, et 251 autres ont été kidnappées et emmenées en otages dans la bande de Gaza par les terroristes du Hamas et d’autres qui avaient envahi le pays.
« La littérature médicale offre très peu de lignes directrices sur la manière de gérer une telle situation », a-t-elle souligné. Le personnel a donc dû élaborer ses propres protocoles.
Depuis, alors que la guerre à Gaza s’éternise, l’hôpital Sheba a pris en charge 46 personnes libérées de captivité. Shilo dirige aujourd’hui le Centre de retour à la vie, une unité dédiée aux otages libérés et à leurs familles, où l’on continue de naviguer en territoire largement inexploré en matière de rééducation post-captivité.
« Nous apprenons, réapprenons et désapprenons chaque jour quelque chose de nécessaire et d’inconnu », dit Shilo.
Le Times of Israel s’est entretenu avec Shilo, ainsi qu’avec plusieurs membres du personnel des hôpitaux Beilinson et Schneider pour enfants, qui ont accueilli certains des 139 otages libérés depuis le début de la guerre, afin de comprendre comment les soignants ont développé de nouveaux protocoles pour accompagner des personnes qui, comme le dit Shilo, « ont survécu à l’impensable ».

Des équipes transdisciplinaires
Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, lorsque Shilo a eu ouïe des préparatifs engagés à l’hôpital pour accueillir les otages libérés, elle a découvert qu’aucun médecin interne ne faisait partie de l’équipe.
Elle se souvient d’avoir dit à la direction de l’hôpital : « Il faut un médecin interne ». Elle avait ressenti un « instinct intérieur très fort » lui faisant comprendre qu’elle possédait les compétences nécessaires pour contribuer au projet.
Alors que la guerre faisait toujours rage, elle s’était dit : « Je ne suis pas une soldate. Je ne suis pas experte en traumatologie. Mais c’est la seule chose que je puisse faire. »
Elle a donc rejoint l’équipe. Dans le cadre de la préparation, l’hôpital a fait appel à deux acteurs pour simuler l’arrivée d’anciens otages.
« Les seules instructions qu’on leur a données étaient de s’asseoir dans un fauteuil roulant et d’avoir l’air tristes et émus », raconte Shilo.
Une première trêve est intervenue fin novembre 2023, aboutissant à la libération de 105 otages. L’hôpital Sheba en a alors accueilli 30. Il en a pris en charge 16 autres lors d’un second cessez-le-feu, au cours des premiers mois de 2024.

Les médecins travaillent ensemble au sein de ce que Shilo appelle une équipe « transdisciplinaire ».
« Je me rends auprès des patients avec un psychiatre », expliquait-elle. « Je vérifie leur cœur, je fais des analyses de sang, et nous parlons de tout. Des choses très intéressantes émergent, comme l’essoufflement — un symptôme très physique — mais au fil de la discussion, on se rend compte que cet essoufflement s’aggrave lorsque le patient prend l’ascenseur, parce qu’il y a beaucoup de monde. Cela nous donne une lecture bien plus profonde et intégrée de ce qu’il vit — et c’est ainsi qu’il faut l’aborder. »
Shilo indique que le personnel s’est appuyé sur l’étude longitudinale de la professeure Zahava Solomon, consacrée aux anciens prisonniers de guerre de la guerre du Kippour en 1973. Celle-ci a révélé que « les séquelles du traumatisme peuvent apparaître des années après la libération ».
Sur la base de ces travaux, l’équipe de l’hôpital a poursuivi le développement de stratégies centrées sur la santé à long terme des ex-otages.
La plupart des otages étant jeunes, précise Shilo, l’objectif n’était pas simplement de leur prodiguer une « médecine préventive ».
« Nous travaillons avec des experts en longévité », explique-t-elle. « Nous disons aux otages : ‘Vous devez vivre jusqu’à 100 ans. Nous voulons que vous viviez longtemps, en bonne santé et heureux — et nous serons à vos côtés pour que vous y parveniez’ ».

Shilo a également parlé du trouble de stress post-traumatique (TSPT), bien connu, qui survient « lorsque des personnes restent parfois bloquées ou enfermées dans leur traumatisme, avec des symptômes persistants qui finissent par ruiner leur vie ».
Croissance post-traumatique
Mais le TSPT a une « sœur moins connue », a expliqué Shilo : la croissance post-traumatique, ou PTG (Post-Traumatic Growth), un concept formulé au début des années 1990 par les psychologues américains Richard Tedeschi et Lawrence Calhoun.
« Les personnes qui ont traversé un traumatisme grave, extrême — le pire des traumatismes — peuvent parfois non seulement apprendre à le surmonter, mais aussi en ressortir renforcées et trouver une vie plus riche de sens », a-t-elle déclaré.
« On observe une force immense, immense, chez ceux qui parviennent à surmonter et à survivre à une atrocité aussi inimaginable », a déclaré Shilo. « Nous avons vu apparaître la croissance post-traumatique dès les premiers jours. Notre rôle est de leur laisser l’espace pour cela, de faire tout ce qui est en notre pouvoir afin d’aider chaque otage à avancer à son rythme, sur son propre chemin, vers l’endroit où il pourra se reconstruire. »
Shilo a confié que travailler avec les otages libérés était à la fois « une immense responsabilité et un privilège ».
« Les voir retrouver leurs familles, retrouver leur vie, porter la douleur insupportable de leurs pertes, porter la douleur insupportable de ce qui est arrivé à l’État d’Israël, et les voir non seulement faire face, mais aussi trouver un sens à ce qu’ils ont vécu — la seule façon dont je peux décrire ma mission, c’est en disant que je l’accomplis avec un respect sacré », a-t-elle déclaré.
Premiers secours psychologiques pour les enfants
Selon les estimations du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), entre 2 500 et 4 000 enfants seraient enlevés chaque année à travers le monde par des groupes armés non étatiques, à des fins de représailles, d’intimidation, de travail forcé, de recrutement ou de violence sexuelle

Et malgré cela, comme l’a souligné au Times of Israel le professeur Silvana Fennig, pédopsychiatre et directrice du département de médecine psychologique de l’hôpital pour enfants Schneider, il n’existait aucune ligne directrice pour le traitement d’enfants libérés d’une captivité prolongée en temps de guerre, car « c’est extrêmement rare », soulignait-elle.
Lors de l’accord d’échange d’otages finalisé en novembre 2023, 19 enfants et sept mères ont été pris en charge à l’hôpital Schneider pour enfants.
Le personnel a utilisé les principes des premiers secours psychologiques (Psychological First Aid, PFA), conçus pour aider les personnes après des situations de crise, mais il a adapté ces lignes directrices pour traiter des enfants.
Fennig et quatre autres chercheurs ont récemment publié leurs conclusions dans la revue scientifique Child Abuse and Neglect, après évaluation par les pairs.
Selon Fennig, l’un des enseignements les plus importants tirés de cette expérience a été de créer pour les otages un « espace de transition, un lieu qui ne soit ni imaginaire ni réel, mais qui ne soit plus la captivité ».
Elle a insisté sur le fait qu’ils avaient besoin « d’un endroit sûr, parce que la vie reste difficile ».
Au départ, le personnel pensait que les otages libérés devaient quitter l’hôpital et rentrer chez eux le plus rapidement possible.
« Mais beaucoup d’entre eux n’avaient plus de maison où retourner », constatait-elle. Les équipes ont alors compris que ces enfants avaient besoin de temps pour retrouver un certain équilibre, une routine, et pour « s’adapter à leur nouvelle réalité ».
Avec les enfants, a-t-elle ajouté, il est « particulièrement important de réfléchir à la manière de leur annoncer les mauvaises nouvelles ».

« Nous avons appris qu’il fallait travailler avec les familles pour décider qui annoncerait aux enfants qui est vivant et qui est mort », a expliqué Fennig. « L’annonce elle-même est aussi traumatisante. Il faut confier cette tâche à quelqu’un qu’ils connaissent, pas à un thérapeute. »
Fennig a également souligné que les enfants qui avaient le mieux supporté la captivité étaient accompagnés d’un adulte référent.
« Les soignants étaient très protecteurs, car ils devaient défendre leurs enfants », a-t-elle déclaré.
Le personnel a aussi été surpris de constater que les enfants voulaient continuer à suivre les mêmes routines que pendant leurs presque deux mois de captivité.

« Ils voulaient porter les mêmes vêtements que ceux qu’ils portaient en captivité », a-t-elle déclaré. « S’ils avaient des chemises à manches courtes, ils tenaient à continuer à en porter. »
Ce besoin de continuité, notait-elle, leur procurait un sentiment de sécurité et de routine, « comme lorsqu’on lit la même histoire chaque soir avant d’aller se coucher ».
« Pour les enfants, il n’est pas toujours facile de comprendre où ils sont ni ce qu’ils vivent. Même si cela nous paraissait illogique, nous l’avons compris, et nous avons respecté leur rythme. »
« Malgré la dénutrition et la perte de poids, les enfants n’ont pas subi de dommages physiques irréversibles », a ajouté Fennig. « Les séquelles psychologiques, en revanche, ne sont pas toujours réversibles. »

Dans une étude menée immédiatement après leur libération sur les enfants otages, la Dr Noa Ziv, médecin cheffe du service de pédiatrie de l’hôpital, ainsi que les docteures Yael Mozer-Glassberg et Havatzelet Yarden-Bilavsky, membres du personnel hospitalier, ont constaté que les anciens otages présentaient « les effets d’une terreur psychologique provoquée par des stratégies de guerre telles que l’isolement, l’intimidation, la privation de nourriture et d’eau, ainsi que des violences émotionnelles ».
Les effets à long terme sur les enfants restent encore inconnus.
« Je ne peux pas dire ce que l’avenir leur réserve », a déclaré Fennig, « mais d’une manière générale, les enfants atteints de stress post-traumatique peuvent souffrir d’anxiété et de dépression, parfois même des années plus tard. »
Adapter les protocoles
La Dr Michal Steinman, directrice des soins infirmiers à l’hôpital Beilinson, a également souligné que se préparer au retour des otages relevait d’un véritable « travail de détective ».

« Nous avons réuni une équipe composée de médecins, d’infirmiers, de nutritionnistes, de professionnels de la santé mentale, d’assistants sociaux, et de toute personne que nous estimions devoir faire partie de cette unité », a-t-elle expliqué. « Nous avons procédé système par système : oreilles, yeux, bouche, cheveux, peau, reins, urine, muscles… pour anticiper ce que pouvait subir un corps après une telle captivité. »
À partir de là, le personnel a adapté les protocoles pour une détention de 100 jours, a-t-elle précisé. Mais après 100 jours, « nous nous sommes réunis à nouveau pour établir des protocoles adaptés à 200 jours de captivité, puis à 300, puis à 400, et ainsi de suite. »
En février 2024, lorsque l’hôpital a reçu neuf otages, « je suis très fière de dire que nous avions pensé à tout. Il n’y a eu aucune surprise. Nous étions prêtes à tout. Ce sont de bons protocoles, mais j’espère, pour l’humanité, que personne n’aura plus jamais à les utiliser. »
Elle a indiqué que les équipes des six hôpitaux ayant accueilli des otages libérés — notamment les hôpitaux Soroka, Sheba, Wolfson, Ichilov, Shamir et Schneider pour enfants — avaient partagé leurs connaissances et coopéré.
Anciens otages et soldats en rééducation ensemble
À l’hôpital Beilinson, le personnel « a mis au point un traitement sur mesure pour chaque otage », a indiqué Steinman. « Ils viennent toujours à l’hôpital deux fois par semaine, et nous poursuivons un suivi personnalisé avec chacun. »
Certains des otages libérés participent même à des séances de rééducation aux côtés des soldats blessés. « Aujourd’hui, les otages et les soldats font de la rééducation ensemble », a-t-elle ajouté.

Actuellement, 58 otages sont toujours retenus en captivité dans la bande de Gaza.
Steinman a déclaré qu’en parallèle de leur propre rééducation, les otages libérés « se battent pour leurs frères et sœurs encore à Gaza ».
« Certains jours où ils sont censés venir à l’hôpital, ils partent à l’étranger pour parler avec le président [américain] Donald Trump ou dans d’autres lieux », a-t-elle indiqué. « Ils ne sont pas entièrement engagés dans leur processus de réhabilitation en raison des autres captifs. »
Elle a ajouté que, bien qu’ils aient été libérés, les otages « auront toujours une partie d’eux-mêmes qui restera à Gaza. Quand on a passé 500 jours en captivité à Gaza, une part de soi y demeure à jamais. »

Autant le personnel aide les otages, autant ces derniers ont aussi appris beaucoup au personnel, affirme Steinman.
« Comment survivre, comment mobiliser son intelligence et toutes ses ressources pour tenir 24 heures de plus sans perdre la raison », dit-elle. « C’est incroyable tout ce qu’ils ont développé comme stratégies, et la façon dont ils y sont parvenus. Ils incarnent véritablement la force de l’esprit humain. »