Israël en guerre - Jour 564

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Un drapeau marocain et un drapeau arc-en-ciel pour les droits des homosexuels lors d'une manifestation aux Pays-Bas en 2014. (Crédit : Alex Proimos / Flickr / Creative Commons)
Un drapeau marocain et un drapeau arc-en-ciel pour les droits des homosexuels lors d'une manifestation aux Pays-Bas en 2014. (Crédit : Alex Proimos / Flickr / Creative Commons)

Homosexuel(le) dans le Maroc de 2020 : La triple peine

Au royaume, l’homosexualité est honnie par l’homme de foi, vilipendée par l’homme de rue, punie par l’homme de loi, et la plupart des gays dissimulent leur orientation sexuelle

Le jour touche à sa fin à Casablanca. En ce dimanche de juin, les derniers rayons de soleil éclairent de leur lumière rosée les toits de la ville blanche. Les temps les plus durs du confinement sont passés, mais l’état d’urgence sanitaire demeure maintenu sur l’ensemble du royaume. Le coronavirus a volé leur printemps aux Marocains, chacun trompe son ennui comme il peut.

Assis à la terrasse de son appartement, un verre de muscat à la main, Yassine esquisse un sourire distrait tout en faisant défiler les profils sur l’application Grindr : « J’ai vu le jour dans un pays d’Europe du Nord, au sein d’une famille traditionaliste. J’allais encore au jardin d’enfants lorsque mes parents, pris du mal du pays, ont décidé de rentrer au Maroc. Ils craignaient aussi que leurs enfants ne soient acculturés. Je me souviens avoir commencé à prier dès l’âge de 6 ans. »

De l’école à la mosquée, flirts et amitiés en tous genres

Dans le quartier populaire de la capitale économique où la famille de Yassine élit domicile, le désœuvrement et la quête de sensations fortes entraîne de nombreux jeunes dans le cercle vicieux des drogues et autres paradis artificiels bon marché. Les parents de Yassine sont rassurés de voir leur fils fréquenter un garçon de quelques années son aîné, Mounir*, connu pour son sérieux et sa piété : « On restait tous les soirs à la mosquée du quartier entre al maghreb (prière du crépuscule) et al ichâ’ (prière du soir) pour le dikhr (invocation du Divin) et le dars (lecture religieuse). »

Au collège, Yassine vit ses premiers flirts avec des filles : « J’étais aussi attiré par les garçons mais à cet âge, on s’initie généralement aux choses de l’amour avec les deux. Mon père et ma mère m’ont quant à eux prodigué une éducation conservatrice, mais comme ils avaient suivi un cursus scientifique, ils m’ont sensibilisé dès l’âge de 11 ans aux risques des rapports non protégés avec les filles. À leurs yeux, l’homosexualité n’existait même pas comme option. »

Au fil des jours, son intérêt pour les filles décline au fur et à mesure que grandit son attraction pour les hommes qu’il voit à la télévision et dans les magazines.

« J’ai définitivement su que j’étais gay quand j’ai commencé à coucher régulièrement avec un garçon de mon entourage. Avant, je ne me posais pas vraiment la question de mon orientation sexuelle. Dans les milieux où la mixité est très contrôlée, les attouchements entre garçons ou entre filles sont monnaie courante. On découvre son corps et celui de l’autre, généralement le cousin, le copain de jeu ou le voisin de quartier. Ça commence par des jeux de touche-pipi dans l’enfance et il arrive que ça évolue à l’adolescence vers une relation homosexuelle », explique Yassine.

Lever du soleil à Casablanca. (Crédit : SpreeTom / CC BY-SA 4.0)

Cachez cette turpitude que je ne saurai voir

L’homo-érotisme a longtemps existé dans la littérature et la poésie arabes, comme le montrent les célèbres pamphlets d’Abu Nuwâs sous le califat abbasside à la fin du 8e siècle. Les homosexuels et les travestis étaient aussi relativement tolérés dans la société marocaine avant la propagation, au lendemain de la révolution iranienne de 1979, de l’idéologie islamiste. Celle-ci a été diffusée par le mouvement des Frères musulmans puis par la nébuleuse salafiste au sein des universités, avant de conquérir les couches populaires et une partie de la classe moyenne. Ce retour en religiosité s’est sans surprise fait au détriment des femmes, des laïcs et des minorités sexuelles.

« C’est à travers Mounir que j’ai pris connaissance de la position des théologiens musulmans conservateurs quant à l’homosexualité, perçue comme une turpitude, une abomination telle que chaque union charnelle entre deux mâles ferait trembler le trône du Divin. À l’école, je me souviens que mes professeurs d’éducation islamique évoquaient à ce propos la sourate 27 dite an-naml (Les fourmis). Cette sourate reprend dans ses versets 54 à 58 l’épisode biblique de la destruction de Sodome, dans lequel Loth, neveu d’Abraham, admoneste son peuple car il préfère les hommes aux femmes pour assouvir ses désirs. Devant toute cette rhétorique sur l’infamie supposée de l’homosexualité, j’étais rongé par un sentiment de culpabilité permanent. Je me voyais comme un croyant à la foi trop faible pour combattre ses pulsions contre-nature. Je m’en suis délivré grâce à la philosophie et aux écrits d’intellectuels musulmans progressistes, dont l’imam français d’origine algérienne Ludovic-Mohamed Zahed, fondateur de l’association HM2F (Homosexuels Musulmans De France). Je tiens sincèrement à vivre mon orientation sexuelle en harmonie avec ma religion, mais à ce jour, nombre de mes interrogations demeurent sans réponse », se désole Yassine.

Moments de liberté volés

À ses 16 ans, il intègre un lycée situé au cœur de Casablanca. Si l’homophobie se moque des frontières urbaines, la mixité sociale et la modernité du centre-ville confèrent un certain anonymat plus propice à la floraison des rencontres particulières.

« Il y avait un garçon très solaire dans ma classe. On est tout de suite devenus amis, mais ce n’est qu’au bout d’un an et demi qu’il m’a confié qu’il était homosexuel. Après son coming-out, il m’a intégré à sa clique, une vingtaine de jeunes gays. Je me souviens qu’ils étaient tous très efféminés. Ils adoraient défier les filles du lycée en montrant qu’ils pouvaient eux aussi attirer des hommes riches et beaux. Par crainte d’être harcelés, on évitait de se rassembler dans les lieux publics. On se retrouvait dans des maisons ou, une fois par semaine, dans les locaux d’associations de lutte contre les MST. Hommes ou femmes, on s’y sentait moins seuls et en sécurité, on pouvait y discuter librement entre nous ou poser toutes les questions qui nous turlupinaient sur notre santé dans une atmosphère bienveillante », se remémore Yassine.

Défouloir du machisme ordinaire

Illustration : mariage homosexuel. (Crédit : nito100 via iStock)

La liberté de geste et de parole à l’intérieur de la communauté gay contraste sensiblement avec l’attitude de ses membres à l’extérieur.

Les règles de survie en milieu hostile sont tacites. Une fois dehors, il faut se fondre dans la masse. Changer son look et même sa façon de marcher ou de parler. Dans les quartiers populaires, ne pas s’afficher en compagnie d’autres homosexuels. Slalomer entre les ruelles pour éviter de tomber sur une bande de jeunes oisifs qui, effet de meute oblige, peuvent se montrer très violents. Ne jamais riposter ou porter plainte quand on se fait injurier ou même agresser physiquement. Eviter les esclandres à tout prix. Cette situation révolte Yassine, qui paie alors le prix de son refus de soumission aux diktats d’une rue homophobe : « On m’insultait, on me crachait dessus ou on me jetait des pierres. Je suis petit de taille et plutôt chétif. Une fois, une bande de jeunes voyous, ils devaient être huit, m’ont violemment tiré par mon tee-shirt puis entraîné dans une impasse où ils se sont tous mis à me tripoter. J’ai réussi à leur échapper pour me réfugier dans un supermarché. »

Yassine se tait un instant, songeur, avant de reprendre : « Dans cette société phallocrate, avec les femmes, nous sommes le défouloir des machos et de leurs frustrations. Le ressentiment des homophobes est encore plus fort envers les gays efféminés, perçus comme sexuellement passifs. Ils disent ne pas comprendre comment ces derniers acceptent de se rabaisser à la position des femmes alors que Dieu leur a donné la chance de naître hommes. C’est à cela que se résume la virilité à leurs yeux, au fait de prendre le dessus, d’avoir le contrôle jusque dans le lit. »

Le temps de l’apaisement

Lors de sa dernière année de lycée, Yassine commence à s’éloigner de son clan en voyant certains de ses membres sombrer dans la drogue, la délinquance ou la prostitution. Son baccalauréat en poche, il intègre une école supérieure de commerce. « J’y ai aussi subi du harcèlement de la part de quelques étudiants mais comme j’étais très studieux, les professeurs prenaient toujours ma défense », indique le jeune homme.

L’entrée dans la vie active permet à Yassine de gagner en indépendance et en liberté : « Je vis seul depuis plusieurs années maintenant. J’ai par ailleurs toujours bataillé pour travailler au sein d’entreprises internationales disposant d’une charte de diversité. Les gens qui y travaillent sont également plus ouverts. Dans ma carrière, je n’ai donc jamais eu à affronter une quelconque hostilité du fait de mon orientation sexuelle. Quant à mes parents, ils doivent se douter de quelque chose, même s’ils ne m’ont jamais rien dit à ce propos. Ils m’ont vu grandir entouré de filles et de garçons androgynes, accorder un soin poussé à ma toilette, les supplier de m’acheter un billet pour le concert de Rihanna. Si jamais ils me posent la question directement, je ne leur mentirai pas, mais pour le moment, je ne ressens pas la nécessité de faire un coming-out. Je l’annoncerai peut-être si je m’engage dans une relation durable. En tous les cas, ce sera très dur pour eux. Les connaissant, ils ne me rejetteront peut-être pas mais ils se sentiront certainement coupables de ne pas m’avoir assez ‘endurci’. »

Bienvenue en zone grise

Logo de Grindr. (Capture d’écran)

La seule boite de nuit ouvertement
« gay friendly » dans la métropole aux 6 millions d’âmes a fermé ses portes voilà quelques années. Assurant discrétion et anonymat, les applications de rencontre ont détrôné les lieux de « drague » classiques comme les bars et les cafés. Il est très rare qu’un inscrit sur Grindr, Hornet ou Planet Romeo affiche sa véritable identité. Les abonnés s’échangent quelques mots et des photos en privé avant de se donner rendez-vous.

« Je prends toujours un ou deux verres avec la personne avant de concrétiser, histoire de voir s’il y a un feeling ou pas. L’unique fois où j’ai dérogé à cette règle, je me suis retrouvé avec une canaille qui m’a dépouillé d’une belle somme. J’étais acculé, il avait menacé d’ameuter toute la résidence. De plus, en tant que gay, si j’avais porté plainte, c’est moi qui aurais risqué d’être coffré… »

De temps à autre, la presse locale rapporte en effet des agressions voire des meurtres crapuleux d’homosexuels par des bandits à la petite semaine. Certains sont attirés par l’appât du gain, d’autres par la commodité, à en croire notre jeune interlocuteur : « Sur les applications destinées aux minorités sexuelles, on rencontre aussi des hommes hétérosexuels qui recherchent la facilité. En fait, pour partager un moment d’intimité avec une fille, quand on ne vit pas seul, il faut louer un appartement ou prendre deux chambres dans un hôtel, vu qu’on y réclame un contrat de mariage pour les couples de sexe opposé. C’est stressant, risqué et coûteux. Avec un garçon, ces problèmes ne se posent pas, on peut même le recevoir chez sa famille. »

En effet, si l’article 489 du Code pénal marocain punit de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement « les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe », l’article 490 du même texte de loi stipule que les relations sexuelles hors mariage sont sanctionnées d’un mois à un an d’incarcération.

Se battre ici ou construire ailleurs

Les applications de rencontre au Maroc ont la réputation d’être prisées par les candidats aux aventures sans lendemain. Il arrive néanmoins que ces « matchs » sur la toile aboutissent à une union maritale. Mais pour les homosexuels, l’unique perspective est le concubinage, une cohabitation qui doit encore une fois rester clandestine.

« Il n’y a rien à construire ici en tant qu’homosexuel, tout ce que l’on vit est éphémère. On voit ses ex poster les photos de leur mariage ou de leur premier enfant sur Facebook ou Instagram. Beaucoup n’assument pas d’être gays. Ils affichent même une homophobie outrancière tout en continuant à vivre une homosexualité underground », déplore Yassine.

Avant de poursuivre : « Aujourd’hui, au Maroc comme ailleurs, tout se sait et tout se débat grâce aux réseaux sociaux. Les minorités sexuelles y sont activement présentes. Les stylistes, les maquilleurs ou encore les danseurs gays ont souvent beaucoup plus de followers que les artistes ou les professionnels de la mode et de la beauté hétérosexuels. De plus, ces dernières années, ce ne sont pas seulement les acteurs de la société civile, mais aussi les citoyens ordinaires qui expriment ouvertement leur solidarité envers les membres de minorités sexuelles lorsque ceux-ci sont victimes d’agressions sur la voie publique ou de mauvais traitements de la part des autorités. On l’a vu lors des sit-in dénonçant le lynchage du travesti de Fès en juin 2015 ou plus récemment lors de l’affaire du travesti de Marrakech en décembre 2018. La liberté de disposer de son corps fait partie des droits fondamentaux de l’être humain, quels que soient son genre, son orientation sexuelle, son origine ou son statut social. Je pense que de plus en plus de Marocains en sont conscients et finiront par arracher cette liberté. Les forces conservatrices ne font que tenter de retarder l’inéluctable. Personne ne peut aller contre le sens de l’histoire ! »

Puis Yassine de conclure avec résignation : « Mais le changement se fera peut-être quand j’aurai 70 ans… Je n’ai pas d’avenir ici. Soit je reste au Maroc et je me bats pour quelques miettes de droits, soit je décide de le quitter pour un pays où je pourrais vivre librement, en accord avec ce que je suis. La seconde option est celle que j’ai choisie. »

Notre discussion se termine alors que retentit l’appel à la prière du soir. Demain sera un autre jour…

Minorités sexuelles au Maroc : David contre Goliath ?

L’influenceuse transsexuelle marocaine résidant en Turquie, Sofia Taloni Sofia Taloni. (Crédit : capture d’écran Instagram)

La communauté LGBTI+ au Maroc vit des moments encore plus difficiles depuis la campagne d’outing forcé instiguée le 13 avril, en plein mois de Ramadan, par Sofia Taloni. Cette influenceuse transgenre marocaine établie en Turquie avait en effet encouragé ses plus de 600 000 followers à créer de faux profils masculins sur les applications de rencontre Grindr, Hornet et Planet Romeo, puis à diffuser en masse les photos des piégés, avec leur nom et leur adresse postale, sur des groupes Facebook et WhatsApp. Cette campagne de délation a fait jeter, au plus fort du confinement, de nombreux jeunes gays à la rue par leurs familles, appartenant pour la plupart aux classes moyennes et défavorisées. Les militants LGBTI+ ont même rapporté le suicide le 17 avril d’un étudiant de 21 ans à Rabat suite à la divulgation de ses photos auprès de son entourage.

Pourquoi Sofia Taloni a-t-elle agi à l’encontre de ses semblables ? Etait-ce par rancœur contre ce qu’elle a elle-même enduré au Maroc ou, comme elle l’a défendu par la suite auprès de l’agence de presse Reuters, pour
« humaniser et normaliser l’homosexualité » au sein de la société marocaine ?

Si les motivations de Sofia Taloni demeurent troubles à ce jour, cette affaire a eu quelque part le mérite de mettre en relief le délicat travail de sensibilisation contre les discriminations juridiques et sociales basées sur le genre et la sexualité, mené par une poignée de jeunes associations. Parmi elles : Kifkif, le collectif Aswat, Equality Morocco, l’Union Féministe Libre (UFL) ou encore Nassawiyat. Ces ONG apportent également un précieux soutien sur le plan psychologique et matériel aux victimes LGBTI+ de violences, de discrimination ou de marginalisation. Ceci dit, aucune de ces jeunes associations n’a obtenu la reconnaissance légale du ministère de l’Intérieur, ce qui entrave leur liberté d’action et confine leur parole aux réseaux sociaux et à quelques supports de presse indépendants.

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