Israël en guerre - Jour 397

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L'ancien ministre canadien de la Justice et défenseur des droits de l'Homme Irwin Cotler, à Jérusalem, en 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/The Times of Israel)
L'ancien ministre canadien de la Justice et défenseur des droits de l'Homme Irwin Cotler, à Jérusalem, en 2023. (Crédit : Jeremy Sharon/The Times of Israel)
Interview

Irwin Cotler : L’adoption de la réforme judiciaire en l’état est imparfaite

L’ex-ministre canadien de la Justice estime que les propositions actuelles « éviscéreraient le contrôle judiciaire » et insiste pour que toute réforme soit adoptée consciencieusement

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

L’ancien ministre de la Justice et Procureur général du Canada, Irwin Cotler, a déclaré que l’adoption de l’ensemble des réformes judiciaires proposées par le gouvernement annulerait pratiquement le système israélien de contrôle et d’équilibre du pouvoir gouvernemental et transformerait le pays en une « démocratie imparfaite ».

S’adressant au Times of Israel cette semaine, Cotler a déclaré que la législation proposée par le gouvernement « éviscérerait le contrôle judiciaire », « saperait l’indépendance du pouvoir judiciaire » et « conférerait un pouvoir indu » au gouvernement.

Ce juriste de renommée internationale a déclaré qu’il ne connaissait aucune démocratie occidentale qui exerce un contrôle sur le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif tel que celui dont jouirait le gouvernement israélien si son programme de réforme était adopté dans son intégralité.

Malgré ses vives critiques, Cotler a affirmé qu’il y avait de la place pour des réformes judiciaires en réponse à plusieurs préoccupations soulignées par les partisans de la refonte, mais il a insisté pour que ces réformes soient menées dans le cadre d’un « processus consultatif » réfléchi, permettant d’amender les propositions, et d’une manière moins précipitée que l’actuelle démarche expéditive du gouvernement.

Cotler – qui a été acclamé pour sa carrière en matière de défense internationale des droits de l’Homme, mise en lumière dans un nouveau film documentaire intitulé « First to Stand : The Cases and Causes of Irwin Cotler » (« First to Stand : Les cas et les causes d’Irwin Cotler ») qui sera projeté à la Cinémathèque de Jérusalem à la fin du mois – a également mis en garde contre la rhétorique extrémiste des opposants au projet de réformes.

Il a également rejeté les récents commentaires du Premier ministre Benjamin Netanyahu dans une interview avec CNN, dans laquelle il a déclaré que le mécanisme de dérogation de la Haute Cour de justice demandé par le gouvernement était comparable à un outil législatif similaire au Canada.

Le Premier ministre Prime Minister Benjamin Netanyahu avec le ministre de la Justice, Yariv Levin, lors d’un vote à la Knesset, le 13 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Cotler a souligné que la loi canadienne de dérogation a été créée dans le cadre d’une Charte des droits et libertés fondamentaux, dont Israël est dépourvu, et que certains des droits les plus fondamentaux ne sont de toute façon pas soumis à la clause dite « dérogatoire ».

Cotler a entretenu une relation intime avec l’État d’Israël tout au long de sa longue carrière. Il a vécu en Israël en 1966-1967 alors qu’il était étudiant de troisième cycle, puis a pris un poste de professeur invité à l’université hébraïque en 1977.

Il a servi d’intermédiaire informel entre le Premier ministre Menachem Begin et le président égyptien Anwar Sadat avant l’ouverture des négociations de paix entre les deux pays, et a épousé une Israélienne que lui avait présentée la femme de Begin, Aliza.

Cotler a également conseillé les architectes parlementaires de la Loi fondamentale : Dignité humaine et liberté, le ministre de la Justice de l’époque, Dan Meridor, et le député Amnon Rubenstein, dans les années 1990, avant l’adoption de la loi en 1992, dont découle finalement le contrôle judiciaire de la législation que le gouvernement actuel a l’intention de restreindre.

Le projet de refonte du ministre de la Justice Yariv Levin, qui est soutenu par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, prévoit de restreindre de manière importante la capacité de la Haute-cour à invalider des lois et des décisions gouvernementales avec l’adoption d’une clause dite « dérogatoire » qui permettrait au Parlement de surseoir aux décisions de la Cour suprême avec un vote à la majorité simple de 61 députés. Ces propositions prévoient aussi de donner au gouvernement le contrôle total de la sélection des juges ; de faire disparaître la notion juridique du « caractère raisonnable » du code pénal israélien, une notion sur laquelle s’appuient les magistrats pour juger une législation ou une décision prise par la coalition et elles prévoient également que les ministres seront autorisés à nommer leurs propres conseillers juridiques au lieu de devoir faire appel à ceux qui opèrent sous les auspices du ministère de la Justice. Le plan a suscité des critiques intenses et des avertissements de la part des plus éminents experts, ainsi que des manifestations massives et des pétitions publiques lancées par des officiels variés, des professionnels et des entreprises privées, qui ont tous averti que ces réformes porteront atteinte à la démocratie et à l’économie.

L’ancien ministre canadien de la Justice, Irwin Cotler, avec l’ancien juge de la Cour suprême, Neal Hendel, lors d’une conférence marquant le 70e anniversaire du système judiciaire en Israël, et marquant la retraite de l’ancienne présidente de la Cour suprême, Miriam Naor, à la résidence présidentielle, à Jérusalem. le 23 octobre 2018. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Les critiques virulentes de la Procureure générale, Gali Baharav-Miara, à l’encontre du projet de loi de Levin la semaine dernière et sa détermination à le soumettre à un examen plus approfondi ont toutefois eu pour conséquence que le projet de loi actuellement à l’étude est une proposition de loi d’initiative parlementaire soumise par le président de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice de la Knesset, le député Simcha Rothman, du parti ultra-nationaliste HaTzionout HaDatit.

Dans une interview parsemée d’anecdotes tirées de sa carrière dans les branches législative et exécutive du pouvoir, de son expérience de défenseur des prisonniers politiques dans le monde entier et de sa connaissance approfondie des principaux juristes israéliens, Cotler a exposé son point de vue sur le programme de politique gouvernementale sans doute le plus important depuis une génération.

Préoccupation pour le bien-être démocratique d’Israël

« Ce qui me préoccupe dans l’ensemble du paquet de réformes, c’est qu’il sape fondamentalement l’indépendance du pouvoir judiciaire, il émascule le contrôle judiciaire, il politise le processus de nomination, il érode tout semblant de séparation des pouvoirs ou d’équilibre des pouvoirs, et il sape l’indépendance du processus de consultation juridique », a déclaré Cotler.

« Tous les principes et cadres importants du système judiciaire israélien, et pas seulement le système judiciaire, sont diminués par ce paquet de réformes », a-t-il poursuivi.

« Si l’ensemble du paquet de réformes était adopté dans son format actuel, Israël deviendrait une démocratie imparfaite ou diminuée », a affirmé Cotler.

L’ancien ministre canadien de la Justice Irwin Cotler s’adressant à une commission de la Knesset, à Jérusalem, en mars 2012. (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

Il a néanmoins rejeté les affirmations selon lesquelles les propositions du gouvernement transformeraient Israël en un État totalitaire, et a déclaré que cette rhétorique était contre-productive.

« Même si ces propositions de réforme constitutionnelle devaient être adoptées, vous auriez toujours une Knesset élue, une société civile forte, la liberté de la presse, etc… », a-t-il fait valoir.

« Lorsque vous obtenez ce type d’excès dans la mise en accusation des propositions, vous aboutissez à une situation où un côté, le gouvernement, dit qu’il essaie de restaurer la démocratie, et l’autre côté dit que c’est la fin de la démocratie, sans qu’aucune de ces affirmations ne soit vraie », a-t-il expliqué.

« Ce qu’il faut, c’est un engagement sans ce genre de langage apocalyptique. »

En examinant les réformes individuellement, il a souligné que la clause dite « dérogatoire » était particulièrement problématique, puisque le gouvernement cherche à l’instituer sans avoir mis en place une déclaration des droits ou une Constitution officielle pour protéger les droits civils fondamentaux.

Cotler a également souligné que la clause dite « dérogatoire » permettrait à la Knesset de légiférer à nouveau sur toute loi, quel que soit le droit qu’elle enfreint, si elle était annulée par la Haute Cour.

En revanche, la clause dérogatoire canadienne, semblable à ce que l’on appelle en Israël la clause dite « dérogatoire », ne peut être utilisée pour violer un groupe de droits fondamentaux définis dans la Charte canadienne des droits et libertés, notamment les droits démocratiques, les droits à l’égalité des sexes, le droit de quitter le pays et d’y entrer, ainsi que les droits linguistiques et éducatifs des minorités, entre autres.

« En Israël, rien ne serait protégé par la loi proposée », a fait remarquer Cotler, ajoutant qu’à son avis, aucune démocratie occidentale n’exerce un tel contrôle sur le pouvoir judiciaire et sur les pouvoirs législatif et exécutif comme ce serait le cas en Israël si les réformes du gouvernement étaient adoptées dans leur intégralité.

Il a également vivement critiqué les restrictions sévères imposées à la capacité de la Haute Cour d’invalider les lois en premier lieu. Selon le projet de loi proposé par le gouvernement, de telles décisions ne pourraient être prises que par un panel des 15 juges de la Cour, soit dans une décision unanime, soit avec 80 % des juges en accord.

La présidente de la Cour suprême Esther Hayut et d’autres juges lors d’une audience de la Haute Cour de justice sur les requêtes contre la nomination du chef du Shas, Aryeh Deri, en tant que ministre en raison de sa récente condamnation pour des délits fiscaux, le 5 janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« Cela exclut et monopolise le contrôle judiciaire pour commencer, et émascule fondamentalement l’ensemble du processus de contrôle judiciaire », a déclaré Cotler.

Et, a-t-il poursuivi, le changement proposé au processus de sélection des juges est très troublant car il « politise le processus et donne le plein contrôle à l’exécutif et le plein contrôle de la nomination des membres de la commission au parti majoritaire et au gouvernement ».

Cotler a également déclaré que la transformation des conseillers juridiques des ministères en personnes nommées pour des raisons politiques « porterait atteinte à l’indépendance du processus de consultation juridique ». Il a également rejeté l’idée selon laquelle la notion juridique du « caractère raisonnable » ne devrait pas faire partie de la boîte à outils dont dispose la Haute Cour dans le cadre du processus de révision judiciaire.

Problèmes liés au processus

Mais ce n’est pas seulement le fond des réformes qui le dérange. C’est aussi la manière dont elles sont avancées, et l’objectif de terminer le processus avant la fin de la session d’hiver de la Knesset, le 2 avril.

Le processus d’élaboration de la Charte canadienne des droits et libertés a duré deux ans et a impliqué un processus consultatif large et approfondi dans lequel toutes les parties prenantes de la société canadienne ont pu donner leur avis et, surtout, avoir un impact sur le résultat, a-t-il fait remarquer.

« Chaque disposition de la Charte des droits et libertés a été réformée au cours de cette période », a déclaré Cotler.

Une image de la Charte canadienne des droits et libertés. (Crédit : Wikimedia Commons)

« Le résultat a été que lorsque la Charte des droits et libertés a été adoptée, elle a été appelée la ‘Charte du peuple' », a-t-il poursuivi, et il a souligné que les sondages d’opinion ont révélé que plus de 80 % des Canadiens la soutiennent.

« Si le gouvernement [israélien] veut s’engager dans une réforme constitutionnelle sérieuse, il devrait prévoir un processus sérieux, soutenu, engagé, représentatif et dans lequel, en fin de compte, le gouvernement serait ouvert à l’amélioration de toutes ses propositions, à leur affinement et autres, à la suite de cet engagement public », a-t-il déclaré.

Un tel processus impliquerait une commission spéciale de la Knesset, des « audiences soutenues » sur une période d’au moins un an, et la participation d’un large éventail de groupes de la société civile.

Si un tel processus consultatif était établi en Israël, le résultat, selon Cotler, serait une solution bénéficiant d’un large soutien comme au Canada.

Une place pour la réforme

Cotler a déclaré qu’il y a effectivement de la place pour des réformes dans le système judiciaire israélien.

Il estime que le statut juridique permettant à presque tout le monde de saisir la Haute Cour, même sans démontrer qu’il a été affecté par la loi ou la décision administrative en question, est trop vaste et pourrait être réduit.

De même, l’application très large de la justiciabilité, c’est-à-dire la compétence de la Haute Cour, à pratiquement tous les aspects de la politique gouvernementale et de la législation de la Knesset, doit être « définie plus efficacement », a-t-il déclaré.

Il s’agit là d’une des principales plaintes des partisans du paquet de réformes du gouvernement, qui affirment que la Haute Cour a souvent outrepassé son autorité lorsqu’elle a inversé la politique du gouvernement sur diverses questions, notamment en ce qui concerne les questions économiques et les nominations gouvernementales – la plus notoire étant la récente décision d’empêcher le chef du Shas, Aryeh Deri, d’occuper un poste ministériel.

Le ministre de la Santé et de l’Intérieur, Aryeh Deri, aux abords de son domicile de Jérusalem, le 19 janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Cotler a également recommandé la création d’une cour d’appel pour traiter les appels des tribunaux de district du pays au lieu de les confier à la Cour suprême comme c’est le cas actuellement, ce qui allégerait l’énorme charge de travail de la Cour suprême chaque année.

Il a également proposé de scinder le puissant poste de Procureur général en deux rôles distincts : celui de procureur en chef et celui de conseiller juridique en chef du gouvernement. Il s’agit là d’un autre objectif de la coalition actuelle, et il est probable qu’il fasse l’objet d’une législation lors des prochaines étapes du programme de réforme judiciaire du gouvernement.

Cotler a déclaré que la clause dérogatoire pourrait être acceptable, mais seulement si le nombre de députés requis pour légiférer à nouveau sur une loi qui aura été annulée est plus élevé que les 61 députés actuellement stipulés par le gouvernement.

Il a déclaré qu’un seuil de 70 députés pourrait être acceptable, même s’il préférerait qu’il atteigne 80. Même 70 semblerait un objectif de compromis improbable compte tenu des déclarations de Rothman et d’autres membres de la coalition, qui affirment qu’une telle exigence rendrait l’utilisation du mécanisme presque impossible.

« L’objectif de la réforme constitutionnelle devrait aboutir à une Constitution écrite qui regrouperait les Lois fondamentales d’Israël et serait étayée par une déclaration constitutionnelle des droits, qui définirait la relation entre le gouvernement, la Knesset et le pouvoir judiciaire et qui préciserait la séparation des pouvoirs de ces branches du gouvernement », a déclaré Cotler.

« Comme l’expérience canadienne l’a montré, si les réformes constitutionnelles doivent être un paquet du peuple et pas seulement les réformes de Levin, cela nécessite un processus soutenu et délibératif, et non un processus résolu dans une période de seulement deux ou trois mois. »

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