Peu après avoir été interviewée lors de l’émission populaire américaine « The View », Noa Tishby a reçu un texto d’un ami. Un message qu’elle a détesté.
Dans sa discussion avec Meghan McCain, co-animatrice de l’émission, l’actrice et productrice israélo-américaine avait évoqué son nouveau livre : Israel: A Simple Guide to the Most Misunderstood Country on Earth. Tishby avait expliqué que dans la mesure où il avait été salué à la fois par le commentateur libéral Bill Maher et par son homologue conservateur Ben Shapiro, le livre semblait être équilibré. Elle avait ajouté que l’anti-sionisme était une version politiquement correcte de l’antisémitisme.
Des points de vue nullement partagés par son ami.
« Ce qu’il m’a écrit est tout simplement horrible », dit Tishby avant de partager le message avec moi à voix haute.
« Nous avons tous des décisions à prendre dans nos vies », lit-t-elle sur son téléphone. « Ben, Bill et Meghan sont trois des personnalités les plus odieusement islamophobes aux États-Unis et tout le monde est d’accord là-dessus. Noa, tu as joué un rôle profondément important dans ma vie et je t’en garderai une reconnaissance éternelle, mais si tu continues à dire des choses telles que ‘l’antisionisme, c’est de l’antisémitisme’, alors sache que des gens comme moi disparaîtront totalement de ta vie. Je continuerai pour ma part à défendre ceux qui ont conscience des choses dans le monde entier, et qui demandent la pleine libération des Palestiniens ».
Elle est clairement bouleversée lorsqu’elle termine de lire le texte.
« Et quand je pense que ce texto est écrit par l’un de mes amis les plus progressistes », s’exclame Tishby, 45 ans, qui vit à Los Angeles, après avoir passé la première moitié de sa vie en Israël. « Je veux dire, ce type est Juif et sa famille a péri pendant la Shoah. Dire que Bill Maher est islamophobe est absurde. Ce manque de nuance dans les propos, à gauche, est précisément le problème qui se pose aujourd’hui ».
« Des voix qui veulent éradiquer Israël utilisent des gens comme mon ami et l’ignorance des faits pour faire avancer leur agenda », déplore-t-elle.
C’est aussi l’une des raisons qui a donné à Tishby la motivation nécessaire pour écrire un livre qui s’attaque à l’ignorance et aux préjugés anti-israéliens. Pour une personnalité choyée à Hollywood, il pourrait sembler que traiter d’un tel sujet, dans un livre, est tout sauf un impératif de carrière. Mais ce projet n’a rien d’une nouveauté non plus – l’actrice s’étant souvent exprimée en public et ayant souvent écrit des lettres ouvertes défendant Israël au cours des dix dernières années.
« En tant qu’Israélienne et en tant que juive, on m’a toujours demandé de m’exprimer au sujet d’Israël et ça peut être compliqué », ajoute Tishby, qui parle un anglais presque impeccable. « Quand je dois répondre, je me retrouve parfois à rechercher une date ou un fait particulier pour expliquer quelque chose sur Israël. Les gens me demandent s’il existe un livre qu’ils pourraient lire et je leur parle de tous ces ouvrages historiques qui ont pu être écrits – mais ils recherchent souvent quelque chose de plus facile d’accès, de plus facile à lire, de plus distrayant – et j’ai toujours été incapable d’en citer un. J’ai donc pensé qu’il fallait que je l’écrive moi-même ».
L’ignorance n’est pas salvatrice
Comme Tishby l’indique dans son premier chapitre, elle a été surprise de découvrir, au fur et à mesure de sa vie passée aux États-Unis, l’ampleur de l’ignorance et des idées fausses sur Israël – y compris parmi les Juifs – et généralement au détriment du pays.
Après avoir perdu ses illusions sur le traitement offert par les médias des informations consacrées à son pays natal – c’est un sujet qu’elle a abordé dans de nombreux tweets – elle a fondé le groupe Act for Israel en 2011. Dans son ouvrage, elle le décrit comme « la première organisation en ligne de défense et de réponse rapide consacrée à la transmission de la vérité et à la lutte contre les trolls et les robots ». Quelques phrases plus tard, elle ajoute avoir fondé l’organisation « quand mon travail de défense d’Israël n’a plus seulement été l’anecdote qui caractérisait mes dîners mondains, mais qu’il est devenu un véritable appel ».
Dans les années qui ont suivi, tout en continuant sa carrière à la télévision et au cinéma, Tishby a travaillé avec des organisations et des ONG pro-israéliennes. En 2014, elle a été l’une des initiatrices du projet Reality Israel, une série de voyages organisés pour des professionnels, Juifs et non-Juifs, issus de différents secteurs. Dans le cadre de ses interventions – elle s’est notamment exprimée devant les Nations unies à New York, en 2016 et 2018 – et dans ses activités en ligne, elle s’efforce de débunker les mensonges diffusés au sujet d’Israël.
Prolongement naturel de ce travail de sensibilisation, Israel: A Simple Guide a aussi une forte part autobiographique. Le livre intègre l’histoire personnelle de l’actrice et celle de sa famille sur plusieurs générations, parfois très ouvertement, en l’entremêlant à l’histoire d’Israël et au développement du pays.
« Ce n’était pas mon intention quand j’ai commencé à écrire », indique Tishby, qui vient souvent en Israël. « J’avais prévu d’écrire un livre d’explication moderne au sujet d’Israël et, initialement, j’avais pensé consacrer le livre à 90 % à l’Histoire, tout en y introduisant 10 % de récits plus personnels. Mais mon agent et mon éditeur m’ont poussée à inclure plus de récits personnels ».
Le livre est drôle, rempli d’irrévérence, d’auto-dénigrement et de langage populaire made in USA. L’auteure veut pouvoir attirer les jeunes lecteurs en leur offrant un ton plus vif et en présentant une alternative à la lecture de tomes historiques plus austères et rébarbatifs.
« Dès le début, j’ai voulu que le livre soit interactif, drôle et facile à la fois à lire et à comprendre », explique Tishby, mère d’un fils de cinq ans à qui elle dédie son ouvrage en première page. « J’ai voulu écrire quelque chose de moderne, expliquer ce qu’est Israël à la nouvelle génération et aux plus anciennes qui souhaitent pouvoir se re-familiariser avec certaines informations et s’amuser en le faisant. Le sujet est suffisamment lourd. On peut l’alléger, ne serait-ce qu’un petit peu ».
Née à Tel Aviv dans une famille liée au milieu politique israélien, Tishby est très connue au sein de l’État juif depuis les années 1990 – lorsqu’elle avait tenu le premier rôle de l’une des séries télévisées diffusées en prime-time les plus appréciées par le public, « Ramat Aviv Gimmel, » et qu’elle avait enregistré un album en anglais qui était resté en tête du hit-parade. Pendant de nombreuses années, elle a été omniprésente, sur les plateaux des émissions de télévision comme sur le grand écran et dans les théâtres, mais aussi sur les couvertures de magazines et sur les panneaux d’affichage pour des campagnes de publicité nationales.
Elle est ensuite partie pour Los Angeles où, en plus de son travail d’actrice dans des films et de ses apparitions sur les plateaux des émissions de télévision, elle s’est faite un nom en tant que productrice. C’est Tishby qui a vendu la première série israélienne, « B’Tipul », à une chaîne américaine et qui a coproduit sa version américaine, « In Treatment, » qui a fait un énorme tabac et qui a ouvert la voie aux séries israéliennes de divertissement sur le marché des États-Unis.
Le place de Tishby dans l’industrie a aidé son livre à bénéficier d’une couverture médiatique dont ne sauraient généralement rêver des auteurs publiant leur premier ouvrage. Depuis sa sortie, au début du mois d’avril, elle a accordé plus de 35 interviews à la télévision américaine et israélienne, mais aussi à la radio, prenant part à des podcasts, intervenant également lors de webinaires, et ce n’est pas terminé. Précise, bien informée et passionnée par son sujet, Tishby va droit au but dans ses entretiens.
Et elle ne se lasse pas de le dire : « Si vous croyez en la démocratie, en la liberté d’expression, si vous croyez aux droits humains, aux droits des femmes, aux droits LGBT et en particulier si vous êtes libéral et progressiste mais que vous ne soutenez pas Israël dans le contexte du Moyen-Orient, c’est que vous êtes clairement un idiot ».
« Simple Guide » – mais pas simpliste pour autant
Son talent face à ses interlocuteurs et son travail de promotion de son ouvrage ont payé et les ventes du livre se sont envolées. Son éditeur va lancer une nouvelle impression pour répondre à la demande.
Rempli de faits, d’opinions et de positionnements – avec sept pages de cartes au début du livre – Israel: A Simple Guide n’est pas simpliste, comme pourrait le laisser penser son titre. Tishby emmène son lecteur dans un voyage rempli de découvertes sur l’histoire de sa famille et sur l’histoire riche et déchirée par le conflit de son pays. Conteuse dans l’âme, elle couvre beaucoup de terrain, de l’époque biblique à l’Israël d’aujourd’hui, en optant pour une approche informative pleine d’esprit.
Dans les premières pages, elle établit clairement présenter au lecteur une leçon d’histoire peu conventionnelle, peu soucieuse d’objectivité mais ancrée dans les faits.
Le second chapitre se concentre sur les racines historiques profondes d’Israël. Se référant à la ville antique de Césarée, sur la côte méditerranéenne, et à sa conquête par Hérode le Grand, elle décrit « un escroc Juif couplé d’un Édomite local, qui a grimpé l’échelle politique plus rapidement qu’un acrobate du Cirque du Soleil ».
Sur la page suivante, elle ajoute qu’Israël « repose sur une histoire et sur une archéologie tellement dingues que c’en est inimaginable. Quand vous faites des fouilles à Jérusalem, par exemple, c’est clair que vous allez trouver quelque chose d’ancien et d’une valeur inestimable sous la terre. Inutile de dire que ça complique gravement les rénovations ».
Tishby fait habilement la chronique de l’évolution d’Israël en offrant un contexte critique à ses combats et aux conflits successifs qui ont frappé la région, tout en racontant également l’histoire de sa famille quand c’est pertinent.
« Me reconnecter à mes ancêtres, c’est ce qui m’a donné le plus d’émotion en écrivant le livre », explique Tishby, dont les aïeux, originaires de l’Europe de l’Est, se sont installés dans le pré-État d’Israël, où ils ont tenu des rôles actifs au cours des toutes premières années du pays. « Je me suis sentie si honorée, si heureuse de pouvoir présenter au reste du monde l’histoire de mes grands-parents et de mes arrière-grands-parents en particulier », s’exclame-t-elle.
Si Tishby ne cache nullement à qui elle accorde sa sympathie, son portrait d’Israël n’est pas pour autant idéalisé.
Évoquant la guerre d’Indépendance de 1948 et certaines actions israéliennes, Tsihby écrit que : « Les atrocités offensives ont-elles été commises dans le cadre d’une guerre défensive ? Oui. État-ce juste ? Non. S’agit-il d’un nettoyage ethnique ? Arrêtez ça : Si c’était là la définition de ‘nettoyage ethnique’, alors tout pays étant entré en guerre (ou ayant été obligé de le faire) serait coupable de nettoyage ethnique ».
Racontant son déplacement dans la ville de Hébron, en Cisjordanie, pendant son service militaire, elle écrit : « Hébron est une ville importante pour les Juifs. C’est aussi une ville importante pour les musulmans. Et parce que les deux parties se disputent hautement Hébron, c’est le foutoir. »
Plus tard, elle se penche sur les attitudes au sein de la population majoritaire israélienne. « Le racisme est l’une des qualités de l’humanité les moins enviables et, ô surprise, voilà qu’il existe parmi les Juifs eux-mêmes », écrit-elle. « Alors, oui, on va aborder la question du racisme au sein de la société juive israélienne et pour ceux qui, parmi vous, vous sentez offensés, profitez-en pour aller enfiler quelques perles, non ? »
Dans l’un de ses chapitres les plus polémiques, Tishby évoque le mouvement BDS (Boycott, Divestment, and Sanctions). « Sur son site internet, BDS parle des atrocités israéliennes, meurtres, apartheid, génocide, nettoyage ethnique systématique », écrit-elle. « Le seul problème, c’est que tout cela est une pile géante de c*onneries – mauvaises informations, désinformation, manipulation des faits, éradication de l’Histoire et mensonges éhontés. Et ne prenez pas le risque de me lancer sur la question du deux poids, deux mesures chéri par BDS, concernant la seule démocratie du Moyen-Orient versus tous les autres pays de la région… »
« BDS est un mouvement où, bien trop souvent, des individus de mauvaise foi exploitent des individus dont les connaissances sont mauvaises », écrit-elle.
BDS est un mouvement où, bien trop souvent, des individus de mauvaise foi exploitent des individus dont les connaissances sont mauvaises
Les partisans du BDS – c’était prévisible – ont riposté avec véhémence, diabolisant en ligne Tishby, son ouvrage et Israël.
« Je reçois beaucoup de haine de la part des propalestiniens, ce qui est ridicule dans la mesure où je suis pro-israélienne, sioniste mais où je suis aussi propalestinienne », explique Tishby. « Et non seulement ce n’est pas contradictoire mais dans tous les documents concernant le sionisme, depuis son origine et jusqu’à aujourd’hui, c’est très clairement dit. Alors penser qu’on doit être propalestinien ou pro-israélien est une idée réductrice – ce qui n’est guère surprenant, mais ce qui est triste ».
Tishby, qui se qualifie à différentes reprises dans son livre comme « de gauche », « libérale » et « de centre-gauche », déplore que ses adversaires ne recherchent pas le dialogue, préférant largement les propos au vitriol. Elle souhaite qu’ils puissent se montrer ouverts à la discussion respectueuse, plutôt que prompts au blocage. Elle a déclaré à plusieurs occasions qu’elle serait heureuse d’avoir l’opportunité de débattre en public avec des personnalités âprement critiques d’Israël comme Roger Waters.
Quand Tishby avait commencé à réfléchir à son livre, raconte-t-elle, elle avait pensé qu’elle aurait besoin de faire appel à un écrivain pour le rédiger. Finalement, elle l’a écrit entièrement seule sur une période de 16 mois – avec une écriture claire, sans prétention et énergique, fidèle à sa manière de s’exprimer.
Et cette initiative – du travail de recherche jusqu’à la campagne de promotion de l’ouvrage auprès des médias – s’est avérée particulièrement gratifiante par rapport à toutes les autres qu’elle a été amenée à entreprendre, dit Tishby.
« J’ai fait beaucoup de choses dans l’industrie du divertissement, mais c’est le projet le plus personnel et le plus porteur de sens que j’ai mené à bien dans toute ma vie », dit Tishby, qui est actuellement en pourparlers avec des éditeurs israéliens pour une publication du livre en hébreu. « Et depuis qu’il est sorti, cela m’a permis d’avoir des discussions riches avec des individus différents au quotidien et de lancer une conversation qui est extrêmement importante, pas seulement pour Israël mais aussi pour la société occidentale. »