Israël en guerre - Jour 624

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Couverture de la bande dessinée "M. Gouevo veut guérir de la Shoah", de Mikhael visuel page 172 ?et Ana Waalder. (Autorisation)
Couverture de la bande dessinée "M. Gouevo veut guérir de la Shoah", de Mikhael visuel page 172 ?et Ana Waalder. (Autorisation)
Interview"Tout est là pour qui sait voir"

Le temps est venu de refonder les politiques mémorielles. C’est une BD qui le suggère

Dans un geste esthétique, ludique et irrigué de vie, Ana Waalder et Mikhaël Allouche se plongent dans l’héritage de la Shoah pour les futures générations sur fond de 7 octobre

Que M. Gouevo veuille « guérir de la Shoah » inclinerait-il à diagnostiquer qu’elle est un peu folle, cette BD à laquelle pourtant ne manque aucune case ? L’ouvrage fait en tout cas preuve d’une ambition et d’un courage inédits, à commencer par son titre, chargé d’une forte dose de chutspah (audace). Mais il faut, on l’aura compris, lire entre les lignes et surtout entre les cases : cette proclamation, volontairement provocatrice, a pour objectif de faire surgir de nombreux questionnements, comme autant de symptômes révélateurs d’une affection de longue durée (ALD) souvent silencieuse : la conscience (ou non) de la judéité, l’héritage des générations après-Shoah, la transmission de la mémoire, l’irruption du 7 octobre, le glissement sémantique sionisme = nazisme… Au-delà des constats, l’album, adossé à une somme impressionnante de recherches et d’interviews, ouvre des pistes et soutient que guérir – qui n’est pas oublier – est une injonction, une obligation, une urgence vitale, une « sortie d’Egypte »…

Entretien avec le couple (à la ville comme dans les cases), le temps d’un échange qui permet de comprendre la complicité et la complémentarité à l’œuvre dans l’album.

The Times of Israel : Mikhaël Allouche, vous êtes dessinateur, fondateur de l’école de bande dessinée Cesan à Paris. Ana Waalder, vous êtes journaliste, spécialiste des sujets de société et scénariste BD. Votre BD précédente traitait du diabète, Escroqueuse. Quand l’hypo frappe. On peut dire que vous avez le sens du titre…

Mikhaël Allouche : Notre volonté est de mettre les personnes qui ont vécu les événements au cœur de notre travail. S’agissant de M. Gouevo, le sujet n’est pas tant la Shoah que la 3e génération et ce qu’elle va léguer à la 4e…

Les thèmes abordés et les intervenants sont très nombreux. La BD permet-elle de gérer cette densité, d’aborder des sujets difficiles, d’inviter à la réflexion et de faire passer des messages de façon esthétique et ludique ?

M.A. On dit de la bande dessinée qu’elle est l’art de l’invisible, en ce sens que la narration se niche entre les cases, là où le lecteur est libre d’imaginer et peut-être de recréer des images mentales. Les images ne sont, en somme, que les points d’appui de la narration. Dans une bande dessinée, on ne donne du monde immense qu’une vision parcellaire.

Ana Waalder et Mikhael Allouche. (Crédit : Hermance Triay)

Ana Waalder : La BD a ses propres codes. Comme le dit Mikhaël, l’espace entre chaque case donne au lecteur la possibilité de s’investir, de s’identifier aux personnages et de créer lui-même sa propre narration. Elle lui permet aussi d’imposer son propre rythme de lecture. La BD telle que Mikhaël et moi essayons de la faire s’attache à ce que les sujets didactiques soient ludiques et romanesques.

Mikhaël est dans l’écriture du scénario et le dessin et je travaille, pour ma part, sur l’enquête journalistique, même si ce livre l’a conduit à mener une enquête familiale. Le fait de conjuguer nos compétences permet d’obtenir ce genre d’ouvrage qui simplifie ce qui est complexe. Pour réaliser cet album, nous avons interviewé, pendant environ quatre ans, une trentaine de personnes dont il a fallu synthétiser les propos, notamment dans la partie consacrée à la transmission de la mémoire. Interroger ces chercheurs, historiens, linguistes, psychologues et sociologues nous a permis de tirer un fil, de tisser une sorte de construction idéale de notre rapport à la mémoire aujourd’hui et d’ériger une pensée.

M.A. Tu as tout dit !

Votre préfacière, l’historienne et sociologue Sarah Gensburger, évoque les couleurs vives de l’album. Font-elles écho à la légende de l’une des cases affirmant que les ex- enfants cachés ne parlent jamais des « heures les plus sombres de notre Histoire » ?

Couverture de la bande dessinée « M. Gouevo veut guérir de la Shoah », de Mikhael visuel page 172 ?et Ana Waalder. (Autorisation)

M.A. Il y a de cela mais il s’agit aussi de mettre en avant une mémoire pleine de vie, contemporaine et non une mémoire mortifère. C’est également pour permettre au lecteur d’être réactif et pour le détourner d’une forme de contemplation. L’enjeu n’est pas de susciter les larmes mais la réflexion.

A.W. Les couleurs invitent à se projeter dans le monde actuel. Nous avons décidé de ne pas parler des camps.

Notre objectif a été de restituer la vivacité d’un monde que la Shoah a fait disparaître.

La culture judéo-espagnole est très riche, très drôle et très imagée.

Sarah Gensburger parle d’un style presque « futuriste ». Etes-vous d’accord ?

M.A. Futuriste, dans la mesure où nous parlons de transmission et donc du futur et de la 4e génération. Nous avons essayé d’être contemporains tout en allant chercher les mondes d’avant, pour les recréer de manière romanesque, avec le peu de connaissances léguées par nos familles. En cela, nous avons permis à Monsieur Gouevo, le héros, de retrouver un socle. En dessin, quand on a un point d’appui, on peut se permettre d’avoir des lignes de force, dites lignes de vie. Ce point d’appui est donc extrêmement important. Les familles qui l’ont vécue ont souvent fait commencer le récit de leur vie après la Shoah. Il est difficile d’avoir des impulsions de vie sans mondes de départ, lesquels ont pour la plupart disparu…

Il y a des portraits très reconnaissables, des visages très expressifs et une façon particulièrement réussie de mettre en scène le mouvement. Un personnage faisant des cabrioles en criant « Yallāāh » permet-il de faire passer un message tel que « Ni oubli, ni pardon. Guérir, c’est rock and roll » ?

M.A. Cela rejoint ce que nous disions au sujet des couleurs. Nous n’avons pas voulu représenter la Shoah mais le XXIe siècle et la façon dont nous nous inscrivons aujourd’hui dans cette mémoire.

Être juif impose à notre génération d’être en mouvement constant, entre les enjeux politiques et la quête identitaire propre, me semble-t-il, à beaucoup de Juifs. C’est d’ailleurs le point de départ de Monsieur Gouevo qui est en quête d’identité. Reste que si tous les personnages sont expressifs, la difficulté a été de poser des expressions fortes sur un visage sans visage, ce qui est le cas de M. Gouevo, le personnage principal !

La BD, qui propose des images fixes, impose d’insuffler de la vie à ces images. On y parvient en cherchant le déséquilibre. En dessin, les personnages vivants sont toujours en déséquilibre. Au dessinateur de rééquilibrer en permanence les lignes de force.

Page 8 de la bande dessinée « M. Gouevo veut guérir de la Shoah », de Mikhael visuel page 172 ? et Ana Walder. (Autorisation)

A.W. Quant à la phrase que vous citez : « Guérir, c’est rock and roll », elle ne signifie pas que guérir, c’est oublier. Guérir de la Shoah est une quête que nous proposons, pour éviter de transmettre les évènements traumatiques aux générations d’après. Guérir de la Shoah, c’est proposer à nos enfants d’avoir, aussi, un autre regard sur cette histoire.

Le point de départ de cet album est une découverte familiale : celle de déportés dont l’histoire ne vous avait pas été transmise…

M.A. Entreprendre des recherches sur cette famille issue de l’Empire ottoman nous est apparu comme une nécessité. Rien ne nous avait été dit de la Shoah, si ce n’est que « Tout s’était bien passé parce qu’on était en zone libre ». Et cela se finissait toujours par : « Nous, on a eu de la chance, on est passés entre les gouttes ». Or, plus Ana et moi progressions dans notre enquête, plus nous prenions conscience qu’on a beau « passer entre les gouttes », on en ressort quand même mouillés.

Comme l’album le montre, la difficulté, pour notre enquête, est qu’après-guerre, la famille s’est scindée en plusieurs branches : l’une qui comptait des disparus dans les camps, une autre dont un membre était revenu des camps et la nôtre, qui est celle des enfants cachés. Aucune des branches n’a voulu voir ce que le reste de la famille avait vécu et elles se sont petit à petit séparées. Après la publication de cette BD, nous avons réuni les trois branches, en faisant, pardonnez-moi de le dire ainsi, un « gros fuck au projet nazi » : nous n’étions dès lors plus définis par ce projet qui, s’il avait réussi à nous séparer à un certain moment, n’a finalement pas pu empêcher nos retrouvailles, nonobstant certains manques d’affinité… Nous avons eu le sentiment que toutes nos petites familles appartenaient à une grande famille. Cela a été très émouvant.

L’impression de recoller les morceaux d’un « héritage en toc » comme le dit Gouevo ?

M.A. Oui, il s’agit de toutes ces archives et de ces photos sans nom, sans lieu et sans histoire dont nous ne pouvions rien faire.

A.W. « L’héritage en toc » signifie aussi que le fait d’avoir transmis quelques recettes de cuisine et quelques mots de Djudio (ndlr : mélange de vieil espagnol, d’hébreu et de turc, parlé par les Judéo-Espagnols) ne représente pas grand-chose par rapport à l’immensité de la culture.

Vous rendez d’ailleurs un bel hommage à cette culture, à sa langue imagée (« du dodu et de la poésie »), à sa cuisine (biskotchos, borekas…) et aux romanses (histoires romancées chantées dans le Djudio)… Un titre à nous conseiller ?

A.W. Une comptine : Durme, Durme.

M.A. Les descendants que nous avons retrouvés ont perdu toute référence culturelle judéo-espagnole. Par contre, ce qui est resté, ce sont les insultes et les gros mots ! Une femme de la famille, convertie après-guerre au catholicisme par peur que cela se reproduise, nous a raconté être un jour allée dans une synagogue et s’être emmêlée. Au lieu de souhaiter « Chabbat Chalom », elle s’est entendue dire « Chabbat Chavan ». C’est que, en judéo-espagnol, Batchavan signifie andouille… Un mot qu’elle avait dû entendre souvent ! Comme quoi des choses restent gravées dans notre mémoire…

Pourquoi avoir choisi le pirate juif Sinan comme révélateur de l’ignorance de Gouevo ?

M.A. C’est un personnage historique, que l’on dit être né en 1492 et dont la famille, expulsée d’Espagne, s’est retrouvée dans l’Empire ottoman. On recense dans la piraterie un certain nombre de Juifs expulsés d’Espagne et Sinan a été le bras droit de Barberousse. Cela nous a amusés de reprendre ce personnage haut en couleur, de lui faire traverser les siècles et d’en faire le père de mon grand-père. À travers la mise en place de cette mythologie, nous nous sommes recollés à cette culture disparue. Si bien que notre fils pense que ce pirate fait vraiment partie de la famille ! Ce qui nous fait plutôt du bien.

A.W. Nous en avons fait un personnage symbolique car Sinan a gagné la bataille de Prévéza, en 1538, contre les Espagnols. Son discours revient à dire qu’il vaut mieux faire démarrer l’histoire des Judéo-Espagnols de l’Empire ottoman en 1538 plutôt qu’en 1492 : partir d’une victoire plutôt que d’une défaite, pour construire son histoire.

M.A. On conserve la mémoire de 1492 mais on célèbre la date de la victoire.

Pouvez-vous nous expliquer la symbolique du dessin de couverture ?

M.A. Le carré lumineux représente la mémoire aveuglante. Il y a tellement de lumière dans cet espace de narration représenté par la case, qu’on n’y voit plus rien. Mais c’est aussi un carré qui montre du vide, dans la mesure où le dessin est hors-champ. C’est en ouvrant l’album que Sinan apparaît dans le champ.

A.W. Le blanc, c’est le vide, c’est aussi la mémoire mortifère.

M.A. Aussi, c’est vrai. L’horreur de cette époque est telle qu’on ne veut plus la voir, ce qui crée un grand vide. Tu ouvres un autre sujet : comment se reconnaît-on dans notre identité, notre filiation ? Comment remplit-on cette identité après la guerre ? D’un trouble immense. Dans notre lignée, en tout cas, on n’a pas d’identité heureuse. Ce qu’on nous a transmis, c’est une panique.

On a bien compris que le titre, de prime abord un peu déstabilisant, pose une question : comment transmettre la mémoire ? Ce questionnement suscite une autre interrogation, à laquelle vous ne vous dérobez pas : parle-t-on trop de la Shoah ?

A.W. Nous l’avons entendu, quand nous avons commencé à annoncer notre projet d’album sur le sujet ! Nous avons posé la question aux chercheurs que nous avons interviewés. Comme nous l’a dit l’historien et écrivain Georges Bensoussan : « C’est comme si on avait dit à Monet que la cathédrale de Rouen avait déjà été peinte 20 fois et que ça suffisait. Différents regards sur un même sujet d’étude apportent toujours un nouvel éclairage ». Nous avons également relayé dans l’album les propos de l’historien spécialiste des commémorations de la Shoah Simon Perego, qui souligne le décalage entre le reproche souvent fait aux Juifs de trop parler de la Shoah et le sentiment des Juifs de ne pas en avoir assez parlé. J’ai envie d’ajouter quelque chose : si on s’attaque au peuple du Livre, il ne faut pas s’étonner qu’après, on fasse des livres.

M.A. George Bensoussan explique aussi que la médiatisation traite la Shoah comme n’importe quel sujet, ce qui entraîne des effets de répétition et de surenchère victimaire.

Dans l’une des cases, Georges Bensoussan ajoute : « Quand on voit l’avenir des Juifs dans le monde, on peut se demander s’il est judicieux de nourrir encore une mémoire de victimes ». Que veut-il dire ?

A.W. La reconnaissance du fait d’avoir été victimes est nécessaire. Mais il faut pouvoir en sortir. Et pouvoir en sortir, c’est entamer un chemin de guérison, c’est sortir de l’état victimaire.

Page 172 de la bande dessinée « M. Gouevo veut guérir de la Shoah », de Mikhael visuel page 172 ?et Ana Walder. (Autorisation)

Le message de Pessah ?

A.W. C’est toute la parabole de Moïse qui se rapproche des siens, se reconnecte à son identité, défie l’identité qu’il pensait être sienne et libère son peuple de l’esclavage. C’est ce chemin, salvateur, que nous recherchons, à notre manière. C’est se délivrer de la définition que les Nazis ont faite de nous et du projet qu’ils avaient pour nous.

Au « devoir de mémoire », culpabilisant et quasi comminatoire, Bensoussan préfère l’idée d’un « devoir d’histoire ». Les historiens Sébastien Ledoux et Simon Perego préconisent également d’aller « Vers plus d’histoire, moins de mémoire »…

M.A. C’est une manière de s’intéresser à l’histoire en mettant un peu de côté les émotions, en étudiant les faits et les lieux, en allant chercher ce qui s’est passé concrètement. Sarah Gensburger le dit dans l’album : tout est là pour qui sait voir. À Paris, les traces de la Shoah sont partout. Cette démarche nous permet d’affronter les sujets, au-delà des traumas transmis de générations en générations.

Reste un écueil : les difficultés, pour les enseignants, de transmettre l’histoire dans certains établissements…

A.W. Qui est à l’aise avec la Shoah ? Qui est capable de la raconter sans être soit dans l’outrance, soit dans l’émotion ? Cette histoire, cette faille dans l’humanité, sont trop énormes pour tout le monde. Résultat, aujourd’hui, notre rapport à la Shoah se cristallise sur la douleur et la compassion ou bien pour certains, de plus en plus nombreux, sur le négationnisme, en perdant de vue la spécificité historique. Du génocide, on ne retient plus que le degré d’horreur. Des Juifs, on ne perçoit plus que le statut de victimes.

Et dans ce contexte, nous assistons, comme on l’a dit, à des surenchères victimaires doublées de ce sentiment, pour certains, que les Juifs s’octroient une place privilégiée dans ce registre.

La guérison a besoin d’être collective.

Une autre proposition serait, pour tout un chacun, de retrouver ses racines, dans l’idée de se redensifier et d’être en paix avec son identité propre.

Du côté des juifs originaires d’Europe, cette proposition a pour fonction de réparer les blessures psychiques de la Shoah et de lutter contre le sentiment d’insécurité lié à celui de n’appartenir à plus rien puisque les mondes d’avant ont disparu. Cela permettrait d’affronter avec moins de difficultés les événements actuels.

Du côté de l’ensemble des citoyens de nos sociétés occidentales, l’enjeu serait de se recentrer sur ses origines, son lieu de naissance, celui de sa famille, les métiers des grands-parents… pour saisir à quel point sa propre identité est riche et arrêter d’en vouloir à l’autre d’avoir une identité assurée.

À ce moment peut-être, serons-nous collectivement en capacité de comprendre ce qu’est précisément ce génocide, et d’éviter les confusions en cours aujourd’hui.

Densifier son identité permet également de reconnaître l’intérêt de l’universalisme, c’est-à-dire de l’égalité pour tous et d’éviter à des gens perdus de se jeter dans les bras de la première idéologie mortifère et antisémite venue.

Puisque la Shoah a été enseignée pendant longtemps du point de vue de l’émotion, logiquement suscitée par l’assassinat de six millions de personnes, cela a laissé à penser que cette émotion était si intense, si présente, qu’elle écrasait toutes les autres, notamment celles ressenties par des populations qui, dès le départ, se sont perçues comme mises à l’écart.

Enseigner la Shoah dans une perspective plus historique et politique, en décortiquant la mécanique qui a permis qu’elle advienne devrait permettre une divulgation plus aisée.

Refonder les politiques mémorielles impliquerait également, selon vos intervenants, d’arrêter de viser les jeunes en priorité…

A.W. On est là à vouloir éduquer les jeunes sur le sujet mais il faudrait aussi éduquer les « plus âgés » ! Et notamment les politiques qui ont souvent des discours très creux. On le voit à chaque commémoration où reviennent toujours les mêmes mots, qui, au bout d’un moment, ne veulent plus rien dire.

Page 104 de la bande dessinée « M. Gouevo veut guérir de la Shoah », de Mikhael Allouche et Ana Walder. (Autorisation)

Le 7 octobre est présent dans l’album, avec la légende : « Israël, c’était l’assurance d’un autre récit pour les Juifs, une autre lecture de notre histoire. Le 7 octobre est venu l’entailler ». S’agissant des otages, l’une des cases reproduit le titre d’un article du Times of Israël

A.W. The Times of Israël parvient à couvrir l’actualité du monde juif d’une façon très large.

M. A. Et à la questionner aussi, c’est cela qui est intéressant. Ce ne sont pas que des constats. Le fait est que le 7 octobre nous a sidérés, à tel point que nous avons arrêté de travailler sur l’album pendant deux mois. Nous avons pu reprendre cette quête quand nous avons été capables de respécifier la Shoah et le 7 octobre dont la visée génocidaire est évidente. Mais ce n’est pas la même chose que la Shoah et il est important de ne pas comparer en permanence.

La mère de Gouevo lui envoie un message : « Pour votre BD, si vous parlez d’Israël, attention de ne pas tomber dans le piège grossier du rapprochement avec la Shoah »…

M.A. Ma mère, puisqu’il s’agit d’elle, m’a envoyé un sondage selon lequel pour 23 % des Israéliens, la comparaison n’est pas pertinente et entraîne une « banalisation de la Shoah ». Cela nous a permis de penser qu’il était légitime d’aller comprendre cette histoire et de soutenir qu’elle ne se répète pas, qu’elle est différente et que, bien sûr, la vigilance se doit à l’avenir d’être importante.

A LIRE : Les spécialistes de la Shoah s’expriment sur les comparaisons entre le Hamas et les nazis

Des pages abordent les parallèles établis, un peu partout dans le monde, entre Auschwitz et Gaza et ce que Sarah Gensburger appelle une équation efficace : Sionisme = nazisme, « destinée à présenter d’Israël une image répulsive ». Dans l’album, Pierre-André Taguieff parle de « distorsion de la Shoah »…

A.W. La distorsion de la Shoah est un symptôme de la maladie qui ronge notre société. Se rendre compte que dès 1945, trois ans avant la création d’Israël, il y avait déjà des intellectuels pour dire que le sionisme était du nazisme, fait prendre la mesure de la folie de la chose. Que cela ressorte aujourd’hui de manière amplifiée montre l’incapacité, pour beaucoup, à saisir réellement cette histoire.

Si guérir de la Shoah est possible et vertueux, pensez-vous qu’il existe un remède à l’antisémitisme ?

M.A. Ce que je peux dire, en tout cas, c’est que je constate, notamment à travers mes parents dont nous avons fait des personnages de la BD, que ce n’est pas, pour les Israéliens, une problématique prioritaire. Dans l’album, on voit mon père, qui vit à Tel-Aviv, faire part de ses « difficultés » avec le gouvernement actuel. Ce qui les inquiète surtout, c’est le chemin emprunté par Israël dans l’avenir. Nous, ici, nous ne réfléchissons pas de la même manière, nous ne sommes pas confrontés aux mêmes priorités et nous ne savons pas comment réagir face à cet antisémitisme. Sortir de l’ère victimaire dont nous parlions serait peut être une manière d’affronter le sujet.

A.W. J’ai quand même l’impression qu’il n’y a que les Juifs pour vouloir que ceux qui en sont atteints guérissent de l’antisémitisme. C’est un sujet ardu qui pourrait faire l’objet d’un album…

Page 79 de la bande dessinée « M. Gouevo veut guérir de la Shoah », de Mikhael Allouche et Ana Walder. (Autorisation)

Quand Sinan déclare : « Le 7 octobre n’effacera pas Sinan le Juif » : n’incarne-t-il pas le plus beau message de résistance et de résilience ?

A.W. Sinan veut dire qu’il faut reprendre du poil de la bête et surtout ne pas faire de lien entre le 7 octobre et la Shoah. S’il y a, dans le 7 octobre, des intentions génocidaires, on n’est pas face à la même histoire. En tant que descendants de survivants, nous devons faire attention à bien nommer les choses pour pouvoir y répondre correctement.

M.A Dans l’album, Sinan apparaît comme un réveil, un déclencheur. D’ailleurs, il disparait à la fin car il a moins besoin d’être là. Sinan a également été la voix d’Ana qui m’a aidé à comprendre ce que, enfermé à l’intérieur de la famille, je n’arrivais pas à saisir. C’est sans doute aussi une part de sur-moi, qui est toujours là. Nous sommes tous habités par nos fantômes. Advient un moment où des choses sont révélées et où nous prenons conscience d’une urgence. Ce n’est pas le 7 octobre qui nous a conduits dans cette quête mais le 7 octobre nous a fait comprendre qu’il ne s’agissait pas uniquement d’une recherche liée à la Shoah et qu’il s’agissait aussi de nous réapproprier ce qui peut nous permettre d’être plus forts et de mieux affronter les événements.

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Mikhaël Allouche, Ana Waalder, M. Gouevo veut guérir de la Shoah, Ed. Seuil, 176 pages, 25 €

Une rencontre est organisée le jeudi 15 mai 2025 à 19 heures au Mémorial de la Shoah, auditorium Edmond J. Safra.

En présence des auteurs et de Nathalie Zajde, maîtresse de conférences à Paris 8. Conférence animée par Guillaume Erner, sociologue, journaliste à France Culture.

Entrée 5 € 

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