Les spécialistes de la Shoah s’expriment sur les comparaisons entre le Hamas et les nazis
Les propos du président américain Joe Biden, à Tel Aviv, ont ému - en particulier pour le lien qu'il a fait entre le massacre du 7 octobre et l'Histoire juive plus généralement. Mais que vaut cette analogie ?
NEW YORK — Les premières comparaisons entre la Shoah et les massacres perpétrés par les terroristes du Hamas, le 7 octobre, ont fait leur apparition pendant l’assaut lui-même, lorsque certains Israéliens avaient invoqué la Shoah alors qu’ils tentaient d’échapper aux terroristes qui se livraient à un déchaînement génocidaire.
Au festival de musique électronique Supernova, aux abords de Reim – où 260 Israéliens ont été assassinés – May Hayat, qui travaillait lors de l’événement, était là quand les hommes armés sont soudainement arrivés en parapente ou dans des jeeps.
Comme plusieurs autres survivants du massacre commis à Reim, Hayat et son ami se sont cachés dans une voiture en stationnement, alors que les terroristes prenaient en chasse leurs victimes.
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« Nous sommes ensuite sortis de la voiture et nous avons remarqué un trou devant nous, dans un champ. Nous nous sommes réfugiés à l’intérieur, nous nous sommes pris la main et nous avons prié. Nous étions tous les deux comme seuls au monde », a expliqué Hayat en racontant son calvaire.
« Je lui ai dit : ‘Est-ce que tu connais les histoire de la Shoah, quand les gens faisaient semblant d’être morts de façon à ne pas se faire remarquer ? C’est ce qui va nous arriver », a écrit Hayat sur Instagram en évoquant cette funeste matinée.
Quand le Times of Israel fait part du témoignage de Hayat à Avinoam Patt, spécialiste de la Shoah, ce dernier garde d’abord le silence.
« Je ne pense pas que l’un d’entre nous ait jamais pensé à enseigner l’Histoire de la Shoah sous la forme d’un manuel d’auto-défense, comme un mécanisme de survie », dit Patt, qui va bientôt prendre une chaire en Histoire de la Shoah à l’université de New York.
« Cet événement a été dévastateur pour les survivants de la Shoah, qu’ils en aient été témoins directs ou qu’ils l’aient observé de loin », note Patt. Son livre portant sur la relation entretenue entre Israël et la Shoah sera publié en février.
Alors que la Shoah est profondément ancrée dans la psyché israélienne, Patt dit ne pas être surpris que le génocide juif commis pendant la Seconde Guerre mondiale soit devenu « le cadre de référence par défaut » d’un si grand nombre d’Israéliens et ce de manière « presque immédiate », fait-il remarquer.
Selon Patt, « le 7 octobre semble avoir fait exploser l’idée qu’Israël existait pour protéger les Juifs innocents face aux déchaînements meurtriers susceptibles d’être perpétrés par des auteurs malveillants. Et pourtant, il semble clairement établi que, pour les Israéliens – comme pour de nombreux Juifs et non-Juifs dans le monde – le souvenir de la Shoah reste le rappel le plus puissant de la nécessité, pour Israël, de pouvoir se défendre contre tous ses ennemis », écrit-il.
La guerre contre le Hamas a été déclenchée dans le sillage du massacre du 7 octobre. En cette funeste matinée, quelque 2 500 terroristes ont fait irruption en Israël depuis la bande de Gaza par voie terrestre, aérienne et maritime, tuant plus de 1 400 personnes et prenant en otage 230 personnes de tous les âges, sous couvert d’un déluge de milliers de roquettes tirées sur les villes et villages israéliens.
Le plus jeune otage retenu en captivité au sein de l’enclave côtière n’a que neuf mois.
La grande majorité des personnes tuées étaient des civils – dont des bébés, des enfants et des personnes âgées –, au fur et à mesure que les terroristes prenaient le contrôle des communautés frontalières, exécutant des familles entières dans leurs maisons, et massacrant plus de 260 personnes lors d’un festival de musique en plein air, parmi d’autres actes de barbarie commis par les terroristes.
« La Shoah par balles »
Le 24 octobre, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait évoqué la Shoah lors d’un discours prononcé pendant la visite de solidarité en Israël effectuée par le président français Emmanuel Macron.
« Cela a été le pire acte de violences antisémites depuis la Shoah. Je vous ai décrit certaines de ces horreurs. Il est impossible de les décrire toutes. Mais comme Anne Frank, des enfants juifs se sont cachés dans des greniers pour échapper à ces monstres et ils ont été découverts massacrés », avait dit Netanyahu.
Comme il l’avait fait lors d’un entretien téléphonique avec Biden, il y a deux semaines, Netanyahu avait ensuite comparé l’un des massacres perpétrés par le Hamas à Reim à « l’Aktion » allemande la plus meurtrière pendant la dite « Shoah par balles » – un carnage qui avait eu lieu dans un ravin situé aux abords de Kiev, en 1941.
« Comme à Babyn Yar, les Juifs ont été abattus dans des fosses. Le Hamas a égorgé. Le Hamas a décapité. Le Hamas a violé. Le Hamas a enlevé des otages – plus de 200 : des bébés, des enfants, des personnes âgées, des survivants de la Shoah », avait énuméré Netanyahu.
Quand Biden s’était rendu en Israël, le 18 octobre, il avait établi des comparaisons entre les nazis et le Hamas. Lors d’une allocution prononcée à Tel Aviv, Biden avait promis que les États-Unis n’abandonneraient pas les Juifs face à des ennemis génocidaires une deuxième fois.
« Le monde observait, le monde savait et le monde n’a rien fait. Nous ne resterons pas à ne rien faire. Ni aujourd’hui, ni demain, jamais », avait indiqué Biden.
Les paroles prononcées par le président américain ont reflété « le profond sentiment d’abandon et d’isolement » qui avait été ressenti par les Juifs pendant la Shoah, dit Patt.
En hébreu, les leaders politiques israéliens se sont tournés vers les réseaux sociaux après la visite de Biden, certains évoquant les nazis.
« L’ennemi nous a pris par surprise et il a choisi le moment qui était le bon pour lui », a ainsi écrit l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett dans une publication.
« J’ai bien conscience que tout le monde voudrait une entrée immédiate à Gaza mais notre devoir est de faire ce qui est bon à faire, ce n’est pas de se conformer à ce qui est populaire », avait-il ajouté.
Enfin, « il faut écraser l’ennemi nazi avant de faire entrer nos soldats, nos fils. Il faut écraser ces nazis avec une puissance de feu inconnue jusqu’à présent », avait-il poursuivi, parlant dans sa publication de l’importance de bien planifier l’opération avant d’engager les soldats dans le combat.
« Une comparaison inappropriée »
Mais tous les historiens pro-israéliens ne sont pas convaincus par la justesse de l’analogie entre le massacre du 7 octobre et le génocide juif commis par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale.
« La comparaison avec la Shoah est inappropriée. L’ennemi est différent, nous sommes différents et pourtant, le venin est le même », déclare le professeur Michael Berenbaum de l’American Jewish University en Californie.
« L’ennemi n’a ni la puissance, ni les infrastructures de l’Allemagne nazie qui avait conquis la plus grande partie de l’Europe continentale. Et Israël est un pays puissant, il n’est pas sans défense », commente Berenbaum auprès du Times of Israel.
« La description la plus pertinente de ce qui est arrivé, c’est un pogrom, avec le massacre de Juifs, femmes et enfants, pas seulement des hommes ; les viols, la destruction gratuite des biens, la violation des habitations alors que le gouvernement regardait ailleurs », explique Berenbaum, qui a aidé à créer des musées de la Shoah dans le monde entier.
L’assaut du 7 octobre a été aussi un pogrom en raison d’une autre caractéristique « stupéfiante », indique Berenbaum.
« Cette fois-ci, ça a été un gouvernement juif qui a échoué à respecter son obligation la plus élémentaire de protéger les citoyens, contrevenant en cela au principe fondamental du sionisme qui était qu’un État juif, une puissance juive, serait capable d’assurer la sécurité des Juifs », continue Berenbaum.
Autre facteur déterminant distinguant le monde d’aujourd’hui et la Seconde Guerre mondiale : la première super-puissance mondiale a apporté son soutien à l’État juif en paroles et en actes, note Berenbaum.
« Nous ne sommes pas seuls. Le président Biden a dit des choses qui n’avaient presque jamais été dites par un président américain. Il est venu en Israël. Les États-Unis envoient des équipements militaires, ils demandent au Congrès d’approuver l’aide américaine », fait remarquer Berenbaum. « Les présidents et les Premiers ministres d’autres pays européens ont fait le déplacement. Tout cela n’était pas arrivé il y a 80 ans », ajoute-t-il.
« Sauvagerie en gros plan »
Un éminent spécialiste de la Shoah a confié au Times of Israel qu’il avait toujours évité d’établir des comparaisons avec le génocide – jusqu’à présent.
« La raison expliquant que les analogies avec la Shoah sont habituellement inappropriées, c’est qu’elles sont erronées – elles exagèrent largement le comportement d’une partie ou d’une autre », dit Rafael Medoff au Times of Israel. « Mais il y a des moments où il y a de telles similarités entre des atrocités contemporaines et la Shoah que les comparaisons deviennent inévitables », continue-t-il.
En tant que directeur de l’Institut David S. Wyman d’études de la Shoah, Medoff a publié des livres critiquant la réponse apportée par les États-Unis au génocide juif pendant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir entendu les propos tenus par les responsables américains, dans le sillage du 7 octobre, l’expert estime que leurs comparaisons ont été appropriées.
« Le secrétaire d’État Blinken a eu raison quand il a dit que le pogrom du Hamas était ‘un écho déchirant’ de la Shoah », déclare Medoff, qui évoque spécifiquement la déshumanisation intense des Juifs qui imprègne toute la société palestinienne.
« La sauvagerie montrée en gros plan par les auteurs de ce pogrom, avec notamment la décapitation des bébés ; leur usage de la violence sexuelle en tant qu’arme et la déshumanisation des Juifs dans les médias et dans les manuels scolaires arabes et palestiniens sont autant d’exemples d’un comportement justifiant des comparaisons avec les nazis », explique Medoff.
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