La vie de Leonid Berenshtein a tout de suite fasciné le réalisateur Roman Shumunov.
Juif né en Ukraine, Berenshtein était devenu un chef des partisans légendaire durant la Seconde Guerre mondiale. En 1944, il avait découvert une usine qui fabriquait l’arme secrète et redoutable de Hitler, la roquette V2. L’usine avait été bombardée en conséquence par l’Armée rouge, infligeant un coup cuisant au Troisième Reich. Des décennies plus tard, Berenshtein avait immigré en Israël.
L’histoire de cet ancien commandant de bataillon exemplaire est donc au cœur de « Berenshtein », le nouveau documentaire filmé sous forme de drame de Shumunov, qui a nécessité quatre ans de travail.
« J’étais assis à côté d’un homme qui était à l’origine de choses formidables, de choses qui s’étaient avérées déterminantes pendant la Seconde Guerre mondiale à l’échelle internationale et qui devaient changer le dénouement de la guerre », dit Shumunov au Times of Israel en évoquant ses entretiens avec ce héros qui s’est éteint en Israël, à l’âge de 98 ans.
« Quand je l’ai rencontré, il avait 95 ans. Il vivait dans un petit, tout petit appartement d’une pièce et demie. Personne ne savait quoi que ce soit sur lui – en Israël, dans son quartier… Personne. C’était un peu dingue, c’était vraiment étrange. Quand je l’ai rencontré, il a commencé à raconter son histoire ».
« C’était un genre de projet inhabituel », dit Shumunov. « Ce n’était pas comme si nous avions disposé d’un budget énorme pour tourner des images qui pourraient ensuite faire l’objet d’un montage. C’était très différent, et nous avons donc fait les choses différemment ».
Le tournage a eu lieu en Ukraine et Shumunov dit avoir fini avec des séquences « couvrant toutes les saisons » : « Nous avons eu de la neige, nous avons eu de la pluie, nous avons eu l’été, nous avons eu l’automne… Tous nos personnages ont traversé les mêmes quatre années pendant le tournage… comme les personnages réels, pendant la guerre. »
Dans la version finale, il y a des entretiens avec Berenshtein lui-même dans son appartement du nord d’Israël, à Kiryat Ata, ainsi que le récit de son histoire pendant la guerre, le jeune acteur Yaroslav Kucherenko lui prêtant ses traits.
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Berenshtein apparaît aux côtés de son aide-soignante, Olga Proskyrenko, elle aussi née en Ukraine.
Il revient sur sa carrière militaire remarquable qui avait commencé avec la Bataille de Kiev, en 1941, et qui avait connu son apogée avec la découverte, trois ans plus tard, de l’usine qui fabriquait les roquettes V2 – qui devait avoir un impact au-delà de la guerre dans la mesure où elle devait être un pilier fondamental des programmes spatiaux des États-Unis et de l’URSS.
Disant que la roquette V2 aura été le premier missile balistique de la guerre, Shumunov ajoute : « je pense que ça a été très important de la découvrir ».
Au mois de juin 1944, Winston Churchill, alors Premier ministre britannique, avait écrit à Joseph Staline, dirigeant de l’Union soviétique, pour lui demander d’aider les Alliés à localiser l’usine. Le Troisième Reich avait bombardé Londres en utilisant des roquettes V2.
« Les roquettes V2 étaient extrêmement dangereuses pour l’armée », explique Shumunov. « C’était quelque chose de complètement nouveau. Aucun autre pays ne disposait d’une telle arme à l’époque. En fait, elle aurait bien pu changer le cours de la guerre… Cette roquette était le dernier espoir de Hitler ».
La découverte de l’usine par Berenshtein a été « quelque chose d’énorme, qui a sauvé un grand nombre de vies », insiste Shumunov.
Au début de la guerre, pourtant, Berenshtein ne paraissait guère être une personnalité destinée à avoir une carrière de leadership militaire.
« C’est vraiment étrange, en fin de compte », s’exclame Shumunov. « A Kiev, il était un petit garçon juif qui semblait plutôt fragile de constitution et de tempérament… Il a grandi avec sa mère, seulement avec elle. Son père était décédé quand il avait environ cinq ans. » Mais il avait une raison d’être fort, ajoute le réalisateur : « Son père lui avait demandé d’aider sa mère et de faire preuve de force avant de mourir ».
« Il me racontait que quand il se trouvait dans une mauvaise situation, il se souvenait toujours des paroles prononcées par son père », indique Shumunov. « Je ne sais pas exactement ce qui l’a finalement transformé en leader… C’était quelque chose qu’il avait en lui ».
Berenshtein avait rejoint les partisans dans des conditions dangereuses. Les Allemands avaient capturé Kiev et ils avaient été soutenus par leurs collaborateurs. Résistant, Berenshtein avait tenté de garder le secret autour de sa véritable identité et de sa religion. Son commandant les avaient découverts, mais il l’avait toutefois accepté. Faisant preuve d’un don particulier pour détruire les trains allemands, il s’était distingué à de très nombreuses reprises et il avait accédé à un poste de commandement.
« Il était beaucoup plus difficile d’être dans les partisans que dans l’armée régulière », déclare Shumunov. « Un grand nombre d’entre eux n’avaient aucune règle. Vous n’aviez pas le temps de retourner chez vous. Vous n’aviez le temps de rien. Sinon celui de survivre, jour après jour… Vous étiez sur le front, proche de l’ennemi, à chaque instant. Vous n’aviez pas le temps de prendre une pause et c’était très, très dur ».
Dans une scène, Berenshtein doit faire un choix déchirant lorsque les Allemands pénètrent dans un village ukrainien. Les nazis incendient le hameau et massacrent ses habitants. Lui observe ce qui est en train de se passer depuis le haut d’une colline en compagnie d’une autre partisane, Marina – seul personnage fictif du film dont il dit, dans le générique de fin, qu’il lui a été « inspiré par des milliers de femmes partisanes ». Maria veut intervenir et parvient à s’approcher de la rivière avant que Berenshtein ne l’arrête. Lui aussi horrifié par les atrocités qui sont en train de se dérouler, il estime qu’une intervention est impossible dans la mesure où elle pourrait entraîner des représailles contre les partisans.
« Quand je l’ai rencontré, il avait 95 ans. Il vivait dans un petit, tout petit appartement d’une pièce et demie. Personne ne savait quoi que ce soit sur lui – en Israël, dans son quartier… Personne. C’était un peu dingue, c’était vraiment étrange »
Une scène montre également la répugnance de Berenshtein face à un crime de guerre qui a été commis par ses propres hommes.
Quand le lieutenant de son unité viole une institutrice collaborant avec les Allemands et qu’il lui vole ses effets personnels, Berenshtein préside l’exécution de quatre membres de son unité, notamment celle du lieutenant.
« Les pillages, les meurtres, cela ne devait pas arriver sous mon autorité », raconte Berenshtein lui-même dans le film. « Et cela n’arrivait pas. Et à partir de ce moment-là, tout le monde a su qu’il pourrait être exécuté pour une telle raison. Tous savaient qu’ils ne devaient pas piller, qu’ils n’avaient pas le droit de violer. Nous étions des soldats de l’armée rouge, et tous ceux qui pillaient, qui tuaient, qui violaient, devaient être tenus pour responsables de leurs actions. »
Plus tard dans le film, Berenshtein prend la tête de ses partisans pour une nouvelle mission. Tous embarquent dans un avion à l’aéroport de Slavuta, dans l’Ouest de l’Ukraine. Dans son équipe, une opératrice radio, Alexandra « Shura » Luneva, qui deviendra son épouse. De manière ironique, dans le film, elle n’arrive dans l’avion qu’au dernier moment.
A l’atterrissage, les partisans tombent, par hasard, sur un camp de concentration abandonné, en Pologne. La caméra se concentre sur la réaction de Berenshtein.
« Nous ne voyons pas les corps », indique Shumunov. « Nous ne voyons pas les parties des corps… On le voit lui, on voit son regard à lui, c’est tout… C’est notre esprit qui se charge de compléter l’image. Nos esprits sont largement supérieurs à n’importe quel caméra, à n’importe quels effets spéciaux. »
Berenshtein et Shura se sont mariés après la guerre, en 1946. Ils ont eu deux enfants. Lui avait écrit des livres au sujet de ce qu’il avait vécu pendant la guerre. Le couple avait immigré en Israël en 1993.
Pendant les dernières années de sa vie, Berenshtein avait pu avoir des propos durs sur le traitement qui lui était réservé en Israël. « Je n’ai jamais demandé de l’aide et je n’en demanderai jamais mais personne m’en a offerte ou personne n’a été intéressé à l’idée de m’en offrir : c’est comme ça que je vis », aurait-il dit, des propos repris dans un reportage. « Je suis passé devant de nombreuses commissions médicales et je suis considéré comme un vétéran de guerre, un blessé, mais ce n’est assorti d’aucune indemnité. »
De manière poignante, Berenshtein s’était éteint pendant le tournage du film. Des images de ses funérailles y figurent.
Depuis la sortie du documentaire, les villes de Boutcha et Irpin, où s’étaient déroulés les faits, sont redevenues des zones de conflit dans le sillage de l’invasion russe de l’Ukraine.
« Toute notre équipe était ukrainienne », note Shumunov. « Tous ont adoré raconter cette histoire parce que c’était la leur – un grand nombre de partisans se trouvaient en Ukraine et ils avaient lutté pour leur liberté, pour leur honneur, pour tout. Mais aujourd’hui, ce sujet devient très sensible à cause de son lien avec l’Armée rouge, avec la Russie et avec l’Union soviétique ».
Le film a été salué par la critique et il a remporté deux prix – celui du meilleur film et celui du meilleur réalisateur – lors du Festival du film israélien de Montréal, cette année.
En septembre, Shumunov a lancé « Munich ‘72, », une rétrospective à l’occasion du 50e anniversaire de l’attentat terroriste palestinien qui avait été commis lors des Jeux olympiques de 1972, avec la participation de Telepool, la société de distribution de la star de Hollywood, Will Smith.
Un autre de ses projets récents est la réalisation d’une mini-série pour la télévision, « Memory Forest, » un film de fiction qui raconte le voyage en Pologne d’adolescents israéliens, où ils découvrent les sites de la Shoah.
Certains pourront froncer le sourcil en observant les frasques et certains des comportements occasionnellement déroutants des quatre personnages principaux – les lycéens Shani, Kobi, Liluch and Omri. À un moment qui est supposé être grave, ils trouvent le temps de publier des posts sur les réseaux sociaux, ils boivent dans une chambre d’hôtel, ils se font remarquer à bord d’un bus – et Shani et Kobi se laissent aller à une romance. Ces jeunes sont pourtant autant touchés et meurtris que les autres par ce qu’ils découvrent au cours de ce voyage et ils gagnent la sympathie de Rivka, survivante de la Shoah qui les accompagne.
« Je voulais seulement montrer de manière réaliste le lien que nous entretenons avec notre passé », explique Shumunov. « Je veux présenter l’Histoire à une nouvelle génération ».
Il ajoute que « tous les jeunes disent que les personnages sont vrais, qu’ils sont comme eux. C’était ce que je voulais faire, rendre les choses bien plus réalistes – aussi réalistes que possible, pour ne plus tourner autour du pot. Aujourd’hui, cette nouvelle génération, elle n’a plus de temps, elle est beaucoup plus intelligente que nous pouvions le penser. Et si vous faites le film de la manière la plus réaliste possible… ça va marcher ».
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