La baie de Tzeelim, dans la mer Morte, semble appartenir à une autre planète.
Avec ses broderies ou ses bandes de sel semblables à de la neige sur les piliers émergeant des eaux hypersalines, la baie de Tzeelim offre un spectacle extraordinaire composé de trésors révélés par le déclin de la mer Morte.
La baie, qui appartient à la franchise Dead Sea Works (DSW) et n’est pas ouverte au public, est aujourd’hui menacée.
Pour y accéder, il faut passer par P88, une vaste structure en fer rouillée abandonnée – un site idéal pour le tournage d’un film dystopique apocalyptique. P88 servait autrefois de station de pompage pour la société minière DSW, jusqu’à ce que le rivage recule et qu’elle soit laissée à l’abandon sur la terre ferme. Une nouvelle station, P9, a ensuite été construite plus près de l’eau.
Au-delà, s’étend la baie, dont le rivage accidenté et craquelé offre un spectacle à ciel ouvert des formations salines.
Si aucune solution n’est approuvée, la baie est condamnée à devenir le lieu de déversement des tonnes de sel extraites du fond du plus grand bassin d’évaporation minérale de l’usine.
Le mois dernier, le professeur Zohar Gvirtzman, directeur du service géologique israélien, a déclaré lors d’une conférence à la mer Morte que l’accumulation de sel dans la baie de Tzeelim créerait en six ans une montagne de sel qui serait non seulement visible depuis Masada – une ancienne fortification au sommet d’une montagne d’une grande importance symbolique pour les juifs – mais qui serait aussi haute.
« Nous voulons sauver le P88 et la baie », a-t-il déclaré.
Protéger les hôtels de la mer Morte
Comme son homologue jordanien sur la rive orientale, Dead Sea Works pompe l’eau en amont de la mer dans de vastes bassins. L’eau s’évapore au soleil, laissant une saumure riche en minéraux dont sont extraits le brome, le phosphate, le magnésium et la potasse. Le sous-produit, l’halite (sel de table), coule au fond de l’eau.
Le sel accumulé dans le plus grand bassin a fait monter l’eau à un niveau dangereux pour les hôtels d’Ein Bokek. En 2012, le gouvernement a ordonné à DSW de maintenir l’eau à un certain niveau en raclant le sel au fond du bassin.
Le gouvernement a également ordonné à l’usine, qui appartient à l’entreprise de fabrication de produits chimiques ICL, d’élaborer un plan de déversement du sel récolté dans la mer.
Le raclage a commencé en 2020. En attendant l’approbation d’une solution pour le déverser dans la mer, le sel, qui représente 16 millions de mètres cubes par an et pèse 20 tonnes, selon la société, a été entassé autour du bassin.
Jusqu’à présent, le plan envisagé prévoyait la construction d’un grand tapis roulant reliant le bassin à la baie de Tzeelim via un pont terrestre connu sous le nom de péninsule de Lisan.
Le sel pourrait être déversé dans la baie jusqu’à ce qu’une solution à plus long terme soit trouvée pour le transporter vers la mer.
Les solutions envisagées pour les rejets en mer comprennent un pipeline depuis la côte ou des barges depuis un port à construire dans la baie de Tzeelim.
Le Service géologique israélien prévoit toutefois de faire de la baie de Tzeelim et de P88 le point de départ dans le sud d’une série de sentiers de randonnée le long de la mer Morte, assortis d’excursions en kayak.
L’industrie touristique malmenée de la mer Morte
La diminution de la superficie de la mer Morte remonte à plusieurs dizaines d’années, et est imputable au détournement des cours d’eau à des fins humaines par la Syrie, la Jordanie et Israël, ainsi qu’au pompage de l’eau de la mer Morte par les usines israéliennes et jordaniennes.
À la fin des années 1970, le niveau de la mer a tellement baissé qu’elle s’est scindée en deux. Une bande de terre qui était auparavant sous l’eau a été exposée. C’est la péninsule de Lisan, du mot arabe signifiant « langue ».
En reculant, le lac a laissé derrière lui un paysage aride surmonté d’une couche de roches salines. L’eau douce des pluies d’hiver qui coule des montagnes vers le fond marin maintenant exposé, entraîne la dissolution de la roche saline souterraine et provoque l’effondrement des terres qui la surplombent.
Ce phénomène est à l’origine de plus de 7 000 dolines le long de la seule côte israélienne, exposant ceux qui s’y promènent à un danger mortel.
Le déclin de la mer Morte a gravement affecté le tourisme dans la région. Les seules plages accessibles de la « vraie » mer Morte se trouvent à l’extrême nord.
De nombreuses propositions ont été faites pour remplir tout ou partie de la mer Morte.
Le plan le plus récent, dévoilé en mai lors de la même conférence sur la mer Morte par le ministère de l’Environnement, prévoit de puiser l’eau de la Méditerranée dans la baie de Haïfa, au nord d’Israël, et de l’acheminer à travers la vallée de Jezréel jusqu’à une usine de dessalement située près du pont Sheikh Hussein. De là, l’eau dessalée serait envoyée en Jordanie (pour autant que les Jordaniens acceptent de payer), et la saumure produite serait acheminée vers la mer Morte afin de ralentir, mais non d’arrêter, l’assèchement de cette dernière.
Gvirtzman et ses collègues sont convaincus qu’indépendamment de toute décision politique sur le remplissage de la mer Morte, les formations géologiques uniques exposées par le recul du littoral devraient être rendues accessibles au public dès que possible et sans risque.
La protection de la P88 et de la baie de Tzeelim pour le tourisme dépendra toutefois de la volonté de la DSW d’accepter un plan alternatif.
Un autre site pour le sel
Une fois les minéraux extraits de la saumure par les usines israéliennes et jordaniennes, les effluents restants redescendent des bassins vers la mer par gravité, via un canal surnommé « la rivière secrète » à la suite d’une émission de télévision qui lui a été consacrée.
Ces effluents ont creusé un canal à travers la péninsule de Lisan, qui se transforme rapidement en canyon.
Les réactions chimiques qui se produisent lorsque les effluents atteignent la mer Morte ont conduit à la formation d’un delta salé qui semble naturel à l’œil non averti.
Selon Gvirtzman, le fait d’amener le sel à cet endroit et de le pousser ensuite dans la mer à l’aide de bulldozers (ce qui est moins cher que de construire un port et de charger le sel sur des barges) entraînerait l’expansion du delta, qui aurait l’air naturel à la fois depuis Masada et depuis le rivage de la mer Morte.
Des sources fiables ont confirmé que la DSW envisagait de déplacer la route de transport vers le delta, qui est plus bas que la baie, et d’utiliser des bulldozers plutôt que des bateaux pour renvoyer le sel à la mer.
La société a également étudié la possibilité d’utiliser la « rivière secrète » pour transporter une partie du sel de l’étang directement vers la mer, mais les premières indications suggèrent que cette solution ne permettrait de transporter qu’environ 10 % du sel, ont ajouté les sources.
Faciliter l’accès à une géologie unique
Le professeur Nadav Lensky, chercheur principal au Geological Survey, expert de la mer Morte et co-auteur d’un projet publié en 2021 pour développer le tourisme le long de la côte de la mer, juste en dessous de Masada, a expliqué lors de la conférence que les touristes visitent quand même les dolines, malgré les nombreux panneaux d’interdiction, et qu’ils se garent dangereusement sur la route 90.
Selon le document 2021, les phénomènes géologiques et morphologiques révélés par le déclin de la mer Morte ont transformé le lac en un « laboratoire de terrain » d’intérêt mondial.
Lensky a déclaré au Times of Israel qu’il était temps que l’État prenne une décision sur l’avenir de la mer Morte, car les dolines continueront à se former pendant des siècles.
Il a ajouté qu’avec la croissance rapide de la population en Israël et dans la région, l’eau resterait en demande.
Les partisans du remplissage de la mer Morte ont donc dû mettre en balance les avantages pour l’industrie du tourisme et les coûts pour le paysage et l’environnement de la construction d’usines de dessalement supplémentaires (actuellement alimentées par des combustibles fossiles) pour fournir cette eau.
Ohad Karni, responsable de la stratégie et de l’élaboration des politiques au ministère de l’Environnement, a déclaré que « le ministère de l’Environnement est favorable à toute option permettant de réduire l’impact visuel et environnemental sur la péninsule de Lisan, et en particulier dans et autour de la baie de Tzeelim, dont la formation naturelle est unique ».