LONDRES (JTA) — La Grande-Bretagne doit se rendre aux urnes ce jeudi au cours d’un scrutin qui devrait refléter un changement notable de l’attitude et des préférences des électeurs juifs du pays.
Le parti du Labour, actuellement dans l’opposition, devrait remporter une victoire historique face aux conservateurs. Des élections qui marqueront aussi un tournant pour les 290 000 Juifs qui vivent au Royaume-Uni, et très précisément parce que eux aussi devraient voter largement pour le Labour après l’avoir boudé pendant des années.
Le leader du parti Travailliste, Keir Starmer — dont l’épouse est juive – devrait devenir le prochain Premier ministre, écartant Rishi Sunak qui endossait ce costume jusqu’à présent. Et l’ampleur de cette victoire, selon les projections, serait immense : Les sondages indiquent que les Tories, au pouvoir depuis 14 ans, pourraient gagner moins de cent sièges sur 650 à la Chambre des Communes. Ce qui serait leur pire défaite depuis l’avènement, en 1832, de la démocratie moderne en Grande-Bretagne.
La communauté juive britannique avait été largement considérée comme centriste pendant des décennies – mais tout avait changé quand Jeremy Corbyn, politicien d’extrême-gauche, était devenu chef du parti du Labour. La formation avait rapidement fait l’objet accusations d’antisémitisme persistantes – une problématique que Corbyn n’avait pas paru vouloir ou pouvoir résoudre. En conséquence, les Juifs britanniques avaient abandonné en masse ce qui était à l’origine leur foyer politique au cours des élections de 2017 et 2019 – et Corbyn avait essuyé une cuisante défaite lors des secondes.
Dans les années qui ont suivi l’arrivée de Starmer, qui a succédé à Corbyn à la tête des Travaillistes, l’homme s’est attaqué avec détermination à l’antisémitisme qui sévissait au sein de la formation et il a tendu la main à la communauté juive, tentant de regagner la confiance qui avait été perdue. Ce qui semble avoir fonctionné. Après presque une décennie, de nombreux Juifs déclarent dorénavant qu’ils prévoient de glisser dans l’urne un bulletin du Labour.
« Aujourd’hui et avec bonheur, les communautés juives de Grande-Bretagne peuvent décider de voter pour les problématiques du quotidien comme n’importe qui d’autre », a écrit dans l’édition londonienne du Jewish Chronicle Ian Austin, membre juif non-affilié de la Chambre des Lords. « C’est un changement énorme en comparaison avec les inquiétudes existentielles qui étaient celles des Juifs en 2019. »
De plus, les derniers jours de la campagne ont été l’occasion d’une controverse juive : Les conservateurs ont attaqué Starmer qui consacre à sa famille le vendredi soir – des critiques qui ont mis mal à l’aise certains Juifs britanniques.
Voici donc tout ce que vous devez savoir sur les élections et la manière dont elles affecteront les Juifs britanniques – et les responsables juifs dont le siège est aujourd’hui en péril.
Le Labour se prépare à remporter le vote juif
Selon un sondage publié la semaine dernière par l’Institute for Jewish Policy Research, les intentions de vote des membres de la communauté reflètent globalement le pays dans son ensemble.
L’enquête d’opinion a déterminé que dans le système multipartite du pays, 46 % des Juifs prévoyaient d’accorder leur préférence au Labour contre 30 % qui ont fait savoir qu’ils apporteraient leur soutien aux conservateurs. D’autres formations se tailleront des parts plus modestes du vote juif : Le parti des Verts (avec 10 % des intentions de vote de la communauté) ; les Libéraux-démocrates (8 %) et 6 % pour Reform UK, une faction populiste qui a fait sa campagne sur la lutte contre l’immigration. Un nombre de voix négligeable devrait aller aux partis nationalistes écossais et gallois.
Le plus gros changement, au sein de la communauté juive, est le vote en faveur du Labour. En 2019, au sommet de la crise de l’antisémitisme qui gangrénait le parti Travailliste sous Corbyn, le soutien apporté à la formation par les Juifs avait atteint un niveau historiquement bas, à 11 %. Mais Starmer, s’engageant à adopter une approche « de tolérance zéro » sur la question, a depuis mis en œuvre les recommandations émises par une commission gouvernementale qui avait jugé que les membres juifs du Labour étaient traités de manière inéquitable. Le dirigeant Travailliste a aussi exclu Corbyn du parti et il a travaillé à faire disparaître l’antisémitisme. Il a déclaré à Jewish News, au mois de mai, que « les changements que j’ai pu effectuer au sein du Labour seront permanents ».
Un message que la formation a clairement tenté de souligner. Elle a distribué un prospectus à Hendon, une circonscription électorale qui compte une large population juive, signé par quatre personnalités politiques de premier plan qui avaient particulièrement été attaquées à l’ère Corbyn. Un prospectus où il est notamment écrit : « Nous sommes fiers qu’avec Keir Starmer, le Labour ait changé pour de bon ».
Aujourd’hui, les Juifs expliquent qu’ils voteront pour les Travaillistes à un pourcentage un peu plus élevé que le reste de la population.
« Les Juifs sont notablement similaires à la population du Royaume-Uni dans son ensemble », a écrit Jonathan Boyd, directeur-exécutif de l’Institute for Jewish Policy Research. « En apparence, nos inquiétudes majeures semblent concerner Israël et l’antisémitisme mais intérieurement – dans notre vie quotidienne – nous accordons principalement notre attention aux mêmes questions que le reste de la société britannique, comme les soins de santé, l’éducation et le coût de la vie ».
Des clivages parmi les Juifs en fonction de leur dénomination
Sous les chiffres qui sont révélés par les sondages, il y a toutefois des divisions. Comme c’est le cas également aux États-Unis, la communauté juive orthodoxe a tendance à voter à droite et les Juifs orthodoxes ont bien l’intention de glisser un bulletin dans l’urne en faveur des conservateurs. Si cette intention se confirme, les Juifs orthodoxes pourraient devenir l’une des quelques rares communautés à conserver sa loyauté aux Tories contre vents et marées en Grande-Bretagne.
Les Juifs qui fréquentent des synagogues progressistes, de leur côté, ainsi que les Juifs sans affiliation voteront en grand nombre pour les Travaillistes. Comme dans le reste du pays, le Labour devrait engranger un score relativement bon chez les femmes et chez les jeunes électeurs juifs.
Les conservateurs ont suscité l’indignation après avoir attaqué Starmer pour son habitude de passer le vendredi soir en famille.
La famille de Starmer est membre d’une synagogue libérale du nord de Londres – et il a déclaré, dans le passé, qu’il s’efforçait dans la mesure du possible d’être chez lui le vendredi soir, au début du Shabbat.
« Il s’agit juste d’être en famille », avait-il dit au Jewish Chronicle en 2020. « Il s’agit d’être un peu plus rigoureux, de faire en sorte d’être chez soi, avec les enfants et avec la famille – les enfants grandissent vite ».
Des propos qui ont été âprement critiqués par les conservateurs, ces derniers jours, qui ont estimé que s’il était Premier ministre, Starmer ne serait pas disponible sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
« Keir Starmer a dit qu’il arrêterait le travail à 18 heures s’il devenait Premier ministre », a publié le parti sur X dans la journée de mardi. « Autant dire que vous méritez mieux qu’un Premier ministre à temps partiel. »
« C’est une finalité admirable pour tout le monde mais pour les Juifs, c’est quelque chose qui est inscrit dans les profondeurs de notre ADN, », écrit Stephen Pollard, éditorialiste au sein du Jewish Chronicle, en évoquant le dîner familial du vendredi soir. Le post écrit par les Tories, a-t-il ajouté, a « dénaturé les propos tenus par Starmer en les rendant méconnaissables » et ils ont eu pour effet « de dire à tous les Juifs de Grande-Bretagne qui, au lieu de travailler, passent du temps avec les leurs, le vendredi soir, qu’ils – que nous sommes des bons à rien, paresseux de surcroît ».
John Mann, le conseiller indépendant du gouvernement sur la problématique de l’antisémitisme, a évoqué une attaque « insidieuse ». L’ancien député Travailliste, qui siège dorénavant à la Chambre des Lords, a écrit sur X que « l’attaque lancée contre Keir Starmer, qui a simplement affirmé son droit à passer du temps en famille, le vendredi soir, comme il le fait depuis de nombreuses, très nombreuses années, est dangereuse. C’est une attaque très insidieuse de la part de personnes qui savent pertinemment pourquoi il choisit d’être aux côtés de sa famille spécifiquement le vendredi soir ».
Le chef du Labour, pour sa part, a évoqué une mise en cause « ridiculement pathétique ».
Il a ajouté dans un entretien télévisé que « nous utilisons ce temps pour la prière en famille – pas tous les vendredis, mais ça reste fréquent. Les gens apprécieront ».
Plus largement, Starmer a estimé que conserver les traditions juives était quelque chose d’important pour sa famille.
« Nous sommes enclins à les faire connaître aux enfants, à leur permettre de les comprendre », a-t-il ajouté.
Une place importante pour Israël dans une campagne plutôt guindée par ailleurs
Malgré une victoire potentielle des Travaillistes sous forme de raz-de-marée qui s’annonce, la campagne a été largement apaisée – sauf, il faut le dire, s’agissant d’Israël et de Gaza.
Dans les semaines qui avaient suivi le pogrom du Hamas dans le sud d’Israël, le Labour avait soutenu la campagne militaire israélienne qui visait à détruire le groupe terroriste palestinien. L’épouse de Starmer a de la famille en Israël et le chef du Labour avait apporté son appui aux actions entreprises par Israël dans le sillage direct de l’attaque.
« Il est évident que tout devra se faire en conformité avec le droit international, mais je ne veux pas renoncer au principe fondamental qui est celui du droit d’Israël à se défendre et c’est bien le Hamas qui endosse toute la responsabilité de ces actes terroristes », avait-il indiqué, le 11 octobre.
Autre parallèle avec les États-Unis, ce positionnement a entraîné la fureur des activistes pro-palestiniens de la base de sa formation. Et si Starmer s’est initialement abstenu d’appeler à un cessez-le-feu, il réclame avec fermeté la conclusion d’un accord dans ce sens dorénavant – même s’il évite de prôner un arrêt des exportations des armes qui sont destinées à l’État juif. Le Labour a aussi annoncé qu’il respecterait tout mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Starmer avait antérieurement fait savoir qu’en tant que Premier ministre, il consacrerait ses efforts à la remise en liberté des otages qui sont encore détenus à Gaza.
« La priorité absolue, le plus fondamental est d’obtenir ce cessez-le-feu et de garantir que nous pourrons faire sortir les otages de Gaza », avait-il dit, ajoutant que « je frissonne à la seule idée de l’état dans lequel ils se trouveront ».
Rishi Sunak a soutenu Israël de manière constante mais il a aussi fait part de sa préoccupation face à la guerre. Sous la direction de Sunak, le Royaume-Uni a affirmé que la Cour internationale de justice (CIJ) n’avait pas la compétence d’émettre des mandats d’arrestation dans le contexte du conflit à Gaza. Samedi, le Premier ministre a encore évoqué la question devant les électeurs juifs alors qu’il visitait le quartier de Golders Green, où vit une forte population juive.
« Je serai inébranlable dans ma défense d’Israël en cette période de nécessité », a-t-il indiqué. « Je ne tenterai pas de harceler Israël pour amener le pays à faire des concessions qui ne sont pas dans son intérêt. Israël mérite de vivre dans la paix et dans la sécurité. »
Les conservateurs et le Labour se sont par ailleurs engagés à améliorer la sécurité des communautés juives locales. Une question qui pourrait faire pencher la balance en faveur des Tories, aux yeux de certains parents juifs, est une promesse qui a été faite par le parti Travailliste et qui a été accueillie avec enthousiasme par la population britannique – est celle de mettre un terme à l’exemption d’impôt des écoles privées, ce qui aurait un impact sur la scolarité des enfants. Le Board of Deputies, organisation-cadre des communautés juives de Grande-Bretagne, a appelé le Labour à réexaminer cette politique.
Où le vote juif aura-t-il le plus d’importance ?
Les électeurs juifs vont observer quels sont les conservateurs juifs susceptibles de conserver leur siège face au raz-de-marée du Labour. Sont notamment concernés des personnalités de premier plan comme le ministre de la Défense Grant Shapps et la Secrétaire à la Culture Lucy Frazer, qui devraient tous les deux s’incliner face à leurs adversaires.
Et si la population juive britannique reste relativement modeste – elle est composée de 290 000 personnes dans un pays qui compte environ 67 millions de personnes – il y a une concentration importante des membres de la communauté dans un petit nombre de constitutions parlementaires. Ce qui implique que son vote aura un impact significatif dans ces courses électorales.
Il y a huit circonscriptions où les Juifs forment plus de 5% de la population avec à leur tête Finchley and Golders Green, au nord-ouest de Londres, où plus d’un cinquième des électeurs sont Juifs.
Un grand nombre de circonscriptions dotées d’importantes populations juives sont très disputées et le vote juif y est susceptible de tenir un rôle en faisant pencher la balance en faveur d’une partie ou de l’autre. A Finchley et Golders Green, dont le siège est actuellement occupé par un conservateur, la candidate juive du Labour devrait l’emporter face à son rival dans un scrutin serré. Sunak, arborant une kippa, y a fait campagne dimanche, évoquant son soutien à Israël dans une synagogue et dans une épicerie juive.
« Ce qui est formidable dans ce vote, c’est que les Juifs britanniques ont le choix », a dit la candidate juive Sarah Sackman à Jewish News. « Je pense que les gens peuvent constater que je suis quelqu’un de très attaché au service du public et, en ce qui concerne la communauté juive, je veux défendre et être le porte-voix de la communauté ».
Le Labour devrait très certainement remporter d’autres circonscriptions où la population juive est importante, comme Hendon et Chipping Barnet, tous les deux dans le nord de Londres ou à Bury South, à proximité de Manchester. La seule circonscription où 17 % de l’électorat est Juif et où les conservateurs pourraient se maintenir de peu est Hertsmere. Le candidat Travailliste juif Josh Tapper s’efforce, là-bas, d’arracher son siège au vice-Premier ministre Oliver Dowden, ce qui serait un immense bouleversement.
Dans une récente interview, Dowden, défendant son camp, a demandé aux électeurs juifs de juger le gouvernement actuel sur ses actions.
« Quand Israël a été attaqué par l’Iran, pour la première fois dans toute l’Histoire du Royaume-Uni, nous avons défendu Israël et les avions britanniques ont intercepté ces frappes », a-t-il déclaré. « Si vous regardez les positionnements fondamentaux qui ont été ceux du gouvernement, vous constaterez que nous avons su tenir toutes nos promesses ».