Israël en guerre - Jour 340

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Nadine de Rothschild. (Crédit : Eric Jansen)
Nadine de Rothschild. (Crédit : Eric Jansen)
Interview

Nadine, épouse d’Edmond de Rothschild, passe quelques messages à la communauté juive

Dans un long entretien au Times of Israël, la baronne au franc-parler se confie sur sa vie au sein d’une généreuse dynastie

Si l’écriture de ce livre lui a permis de revivre les moments heureux d’une vie dorée tout en nous présentant certaines des baronnes de Rothschild d’une façon moins protocolaire, elle lui a également permis d’exercer son franc-parler. Sous couvert de légèreté et d’humour (et de bonnes manières), Nadine de Rothschild s’adresse à la communauté juive dont elle semble regretter une forme de frilosité.

En concluant le long entretien qu’elle nous a accordé, la baronne nous enjoint de « dire les choses telles qu’elles doivent l’être » et insiste, en espérant que son message puisse passer, d’y mettre « toute la sauce, sans quoi, le menu risque d’être maigre ».

The Times of Israël : Parlons des hommes, pour commencer. Vous précisez que la fulgurance du succès et de la richesse de la famille Rothschild s’explique par la personnalité d’hommes hors du commun…

Nadine de Rothschild : Oui, et ce grâce à Gutle [ndlr 1753-1849], qui a eu la chance d’avoir cinq fils. Nul doute que l’épouse de Mayer Amschel Rothschild [fondateur de la dynastie], qui a joué un rôle très important dans les affaires de son mari, a mené ses cinq fils à la baguette en leur inculquant des principes et une très bonne éducation.

Dans le chapitre consacré à la baronne Betty (1805-1886), vous écrivez que « chez les Rothschild, on avait à ce moment-là un grand sens de la famille » soulignant ainsi, avec une pointe d’humour, le fait qu’on s’y mariait fréquemment entre membres des différentes branches…

En effet, ils se mariaient entre eux, cousins, cousines, neveux et nièces qui partageaient un équilibre familial qu’ils maîtrisaient parfaitement. Ma belle-mère elle-même était cousine des Rothschild. Ce n’est qu’un peu avant ma génération que les hommes ont pris pour épouses des jeunes filles en dehors de la famille. Nathaniel de Rothschild, le fils du baron Elie, a épousé une jeune israélienne [ndlr : Nili Limon, la fille de l’amiral qui commandait l’Exodus Moka Limon. L’auteure raconte dans le livre la façon dont elle a favorisé cette rencontre]. Dans cette nouvelle génération, les jeunes femmes épousées par les Rothschild ne sont généralement pas des héritières.

Couverture du « Très chères baronnes de Rothschild », par Nadine de Rothschild, avec la collaboration d’Eric Jansen
aux éditions Gourcuff Gradenigo. (Autorisation)

N’avez-vous pas craint de froisser certaines susceptibilités en laissant nombre de baronnes passer à travers le tamis de vos écrits ? 

Elles sont si nombreuses qu’il m’a fallu choisir celles qui ont laissé une empreinte plus marquante.

La presse s’est faite l’écho de différends familiaux. On a pu lire que vous-même n’entreteniez pas d’excellentes relations avec votre belle-fille Ariane… Ce qui, objecterez-vous, n’est ni le sujet de votre livre ni celui de cet entretien…

En effet…

Avez-vous eu des retours de la famille ? Le livre est bienveillant mais vous a-t-on opposé que, comme le dit la chanson, « Ce sont des choses qui ne se font pas/Dans la bonne société » ?

Dès que surgissent des problèmes importants, les Rothschild serrent les rangs. En cas de petits problèmes, ils en parlent entre eux. Jusqu’à nouvel ordre, je n’ai reçu que des compliments de la nouvelle génération. De plus, voyez-vous, il ne reste de l’ancienne génération que très peu de monde. J’en suis la dernière représentante féminine. Il n’y a plus que moi pour porter un jugement sur ce que j’ai vécu.

Ecrire sur les femmes de la famille vous permet de montrer que les baronnes de Rothschild ont souvent, elles aussi, eu et ont des personnalité affirmées. D’ailleurs, le blason de la famille « Harmonie, Intégrité, Industrie » n’est-il pas composé de trois mots féminins ? 

Vous avez tout à fait raison ! Je crois bien que Gutle est à l’origine de cette devise. Du moins ne serais-je pas étonnée qu’elle y ait été pour quelque chose…

À juste titre, vous prévenez le lecteur dès l’entame du livre : il va vite se perdre dans le tourbillon des baronnes. Avez-vous dû, vous aussi, vous plonger dans l’arbre généalogique multibranche de la famille ? 

À quatre-vingt-onze ans, on ne va pas si facilement sur Internet ! Pour le travail de recherche, il m’a fallu l’aide de mon collaborateur, Eric Jansen, avec qui je travaille depuis mon deuxième livre.

Une enseigne de la place Rothschild, du nom du fondateur et financier de la Nordbahn, Salomon Mayer von Rothschild, est représentée à Vienne, en Autriche, le 18 février 2020. (Crédit : JOE KLAMAR / AFP)

Fidèle au sens de la répartie qui fait votre patte, vous ne vous privez pas de darder quelques flèches et d’égratigner « gentiment » certains portraits, ce qui fait tout le sel de ce livre. Si Gutle n’était « sans doute pas la plus jolie », la baronne Julie (votre préférée) n’était pas « sublime de beauté ». Quant à votre belle-mère, la baronne Noémie, « ce qui est sûr, c’est qu’elle n’avait pas d’humour. Elle n’était pas méchante, mais autoritaire », « un trait commun à de nombreuses baronnes Rothschild »… 

Sans une part de vérité, quel est l’intérêt d’écrire ? Ce livre n’a pas vocation à procurer une overdose de rêve. Je voulais que les lecteurs sachent quelles étaient les véritables personnalités des femmes que j’ai eu la chance de côtoyer. J’ai toujours dit que mon mari n’avait pas un grand sens de l’humour. Sauf avec ses copains de bateaux ! Si j’avais écrit un livre à l’eau de rose, je ne pense pas qu’il aurait été apprécié.

Noémie de Rothschild en Israël. (Crédit : Collection Nadine de Rothschild)

Auteure du manuel de savoir-vivre Le bonheur de séduire, l’art de réussir  (Robert Laffont, 2001), vous semblez bien pessimiste face à ce qu’il reste des usages, de la courtoisie et de l’élégance…

Il n’en reste Rien ! Avec un grand « R ». Récemment, je suis allée faire une interview pour laquelle une jeune fille est venue m’accueillir. Elle devait avoir dix-sept ans, aussi lui ai-je dit : « Bonjour mademoiselle ». Elle m’a regardée comme si je lui avais asséné un coup sur la tête. « Mademoiselle » est un mot qui n’existe plus. C’est dommage, il était si joli. Ecrire un livre du savoir-vivre serait aujourd’hui très difficile. Tout cela est bien triste, quand bien même je me demande si les générations précédentes n’ont pas toutes été confrontées à ce sentiment. Je pense que ma génération devait terriblement choquer celle de ma belle-mère…

Votre belle-mère n’a-t-elle pourtant pas dit, la première fois que vous avez déjeuné face à elle : « cette jeune femme a de ravissantes manières de table » ? 

C’était le test ! Quand je donnais mes cours de savoir-vivre, j’espérais pouvoir accueillir des mères de famille désireuses de parfaire l’éducation de leurs enfants. Sur les sept ans d’ouverture, je n’ai eu que des banquiers, des femmes d’affaires, des secrétaires et des étrangers désireux de ne pas commettre d’impairs avec des clients importants ! Pas une seule mère de famille…

Le rapport au judaïsme et à Israël est très présent dans le livre à travers l’engagement des baronnes sur lesquelles vous écrivez. À commencer par la baronne Betty (1805-1886) qui menait grand train et était pratiquante. Son mari disait d’ailleurs, écrivez-vous : « Pour le judaïsme, voyez ma femme »…

Mon mari aurait pu dire la même chose ! Je suis entrée dans cette communauté après avoir fait un énorme travail. On ne plaisantait pas avec le rabbin Kaplan.

Si la baronne Betty respectait le Shabbat et les grandes fêtes juives, elle n’était pas allée jusqu’à imposer la casheroute à son célèbre chef Antonin Carême dont l’une des spécialités était le saumon à la Rothschild : un poisson accompagné d’écrevisses et de langoustines…

Carême est à l’origine du soufflé Rothschild, du filet de boeuf à la Rothschild et du saumon à la Rothschild dont je serais toutefois très étonnée qu’il ait été servi chez la baronne Betty. En revanche, il l’a incontestablement été chez la baronne Liliane*.

La générosité et l’engagement philanthropique de la baronne Betty ont-ils été motivés par la phrase énoncée, dit-on, par ses parents : « Quand on a plus, il faut se faire pardonner » ? 

L’argent a été très rapidement présent dans la famille qui a eu l’intelligence mais aussi et surtout le cœur de faire preuve d’un grand engagement philanthropique. Je peux vous dire que je n’ai pas souvent vu, parmi les très nombreux riches que j’ai côtoyés – et pour lesquels il aurait été très facile de donner – un engagement à la hauteur de celui des Rothschild.

En 1852, James et Betty de Rothschild ont créé à Paris l’hôpital Rothschild (rue de Picpus), plus particulièrement destiné aux malades de confession juive puis un hospice pour les personnes âgées. N’est-il pas important de souligner, comme vous le faites, qu’au fil du temps les patients accueillis ont été de toute religion et qu’aujourd’hui, dans le hall d’entrée, on peut voir de nombreuses femmes voilées ? 

Ah oui et en majorité ! Il est très important de le souligner. Comme il est important de rappeler tout ce que les Rothschild ont fait en Israël. Je peux vous dire que les sommes dépensées par les Rothschild en Israël étaient absolument énormes. Je pense pourvoir affirmer que la générosité dont témoignent aujourd’hui les Juifs américains s’inspire de celle des Rothschild.

L’accueil des patients, toutes religions confondues, vous rappelle, écrivez-vous, l’étage que vous avez inauguré il y a une douzaine d’années à l’hôpital de Haïfa, dédié aux enfants qui doivent être opérés du cœur, « qu’ils soient israéliens ou palestiniens »…

C’est la vérité et de cela, on ne parle jamais. Mon mari m’avait associée à sa Fondation. Lorsqu’il est décédé, j’ai continué de m’en occuper et j’ai ouvert un étage entier pour les chirurgiens israéliens qui opéraient à cœur ouvert les petits patients palestiniens. Quand on arrivait à cet étage, on voyait des femmes palestiniennes assises autour du lit des enfants, ce qui donnait une image incroyablement touchante de cet établissement.

Façade de l’Ehpad Rothschild, rue de Picpus, dans le 12e arrondissement de Paris. (Crédit : capture d’écran Google)

N’est-il pas regrettable que de telles images ne soient pas davantage diffusées et connues ? 

Même i24 News n’en a jamais parlé ! [la chaîne a été créée en 2013] Pourquoi ? Si j’étais invitée sur cette chaîne pour parler de mon livre, je le dirais haut et fort. Je m’étonnerais du fait qu’on ne voie pas suffisamment tout ce qui se passe entre Israéliens et Palestiniens. À mon sens, Israël ne sait pas communiquer sur ses talents, ses instituts et sur ses engagements. Que sait le public de tout cela ? Les Juifs eux-mêmes ne font pas leur publicité. Comme si en France existait une peur, chez certains écrivains, comédiens ou chanteurs, de dire qu’ils sont juifs. Pourquoi ? Il faut se battre contre cela. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu, en tant que « goy » si je puis dire, que l’on sache que ma conversion était authentique et sincère.

Il est vrai que vous parlez beaucoup de votre conversion…

Benjamin et Edmond de Rothschild. (Crédit : Collection Nadine de Rothschild)

La plus grande générosité humaine, c’est de la communauté juive que je l’ai reçue. Quand je suis devenue présidente du bureau parisien de la WIZO, j’ai été accueillie, comme je l’écris, avec une grande élégance et beaucoup de chaleur. Je vois, dans les anecdotes que je vais vous raconter, la marque du destin. Lorsque j’étais comédienne, j’étais également présentatrice à l’Olympia. Afin de perfectionner mon anglais pour un film qui devait se tourner en Angleterre, j’allais, à proximité de l’Olympia, suivre des cours au quatrième étage de la rue du Mont Thabor. Qu’y avait-il au troisième étage ? Le bureau parisien de la WIZO ! Comment aurais-je pu imaginer que j’en deviendrais, quelques années plus tard, la présidente ? J’ai par la suite fait le tour du monde avec Raya Yaglom, la présidente internationale de la WIZO, une femme magnifiquement intelligente qui m’a apporté sur la vie des choses magnifiques. Sans oublier que lorsque j’avais une dizaine d’années, j’allais manger de la tarte aux pommes chez un couple dont le mari était tailleur, sans même savoir que c’était les fêtes juives ! Chez eux, je me sentais bien. Encore un signe incroyable : dans mon enfance, l’un des neveux de Gilbert Trigano [ndlr : patron du Club Med renfloué, dans les années 1960, par un investissement d’Edmond de Rothschild] habitait au-dessus de chez moi. Je lui portais son cartable en rentrant de l’école ! À la fin de ma conversion que j’ai faite à la Grande Synagogue de la Victoire, le Grand Rabbin Kaplan m’a demandé : « Madame de Rothschild, quelle est la différence entre vous aujourd’hui, qui êtes devenue juive, et vous qui étiez catholique ? ». Ce à quoi je lui ai répondu : « Monsieur le Rabbin, au catéchisme, il m’a toujours été enseigné que Jésus était juif ».

La Baronne Julie (1830-1907) a mené à bien le projet de la Fondation Adolphe de Rothschild souhaitée par son mari décédé en 1900. Le chantier a démarré en 1902 aux Buttes-Chaumont. On y accueillait des malades sans distinction de religion ou d’opinion politique. La précision est d’autant plus édifiante que l’on était encore en pleine affaire Dreyfus…

Baronne Julie de Rothschild. (Crédit : Collection Nadine de Rothschild)

Oui et c’est le genre de choses qui me bouleversent. À telle enseigne qu’à mon âge et avec mon franc-parler, je ne me gêne pas pour remettre les gens à leur place d’une façon parfois extrêmement grossière quand j’entends certains propos sur les Juifs et sur Israël. Sans langage ordurier que je n’ai jamais pratiqué mais avec les mots qu’il faut pour me faire comprendre. Je voudrais que ceux de la communauté juive qui ont une parole intelligente s’en servent…

Votre belle-mère Noémie de Rothschild (1888-1968) dont le nom est lié à Megève a elle aussi fait preuve d’un engagement pour la communauté juive en créant notamment l’Œuvre des séjours israélites à la campagne et des colonies de vacances pour les orphelins juifs qui avaient perdu leurs parents dans les camps de concentration.

En effet, c’est elle qui avait créé cette Œuvre de Protection des Enfants Juifs. Je m’en suis occupée par la suite pendant quarante ans. La Fondation OPEJ Baron Edmond de Rothschild accueille aujourd’hui des enfants de toute religion que nous formons jusqu’à leurs dix-huit ans.

La baronne Bethsabée (1914-1999), connue pour sa passion pour la danse – elle a créé la Batsheva Dance Company avec Marth Graham – a fait son alyah

Je crois qu’elle a trouvé en Israël le bonheur qu’elle n’avait pas trouvé en France et en Angleterre. Israël a été sa grande découverte. Je la voyais souvent à Tel-Aviv. Peu de Rothschild vivaient en Israël. Mon mari et moi avons été les premiers de notre génération à y être très présents, en créant notamment le golf de Césarée.

La baronne Miriam (1908-2005), qui s’est rendue plusieurs fois en Israël, disait : « Je ne crois pas en Dieu mais je crois fort en la communauté juive »…

Nombre de Rothschild n’étaient pas croyants mais pratiquants. Mon mari n’était pas pratiquant. Nous faisions Kippour à la synagogue de la Victoire, nous passions certains Shabbat avec Eric de Rothschild et son épouse et nous passions les fêtes avec les enfants de l’OPEJ. Je n’ai jamais manqué une fête, jusqu’à la mort de mon mari où mon fils en a pris la responsabilité.

Quand elle se rendait en Israël, l’entomologiste qu’était la baronne Miriam attrapait, écrivez-vous, les mites et les papillons !

Oui ! Et je vais vous dire que c’est grâce à elle que j’ai appelé la maison dans laquelle je vis aujourd’hui « Les papillons ».

Vous écrivez : « Je ne suis pas certaine que la cause des Juifs ait été pour Marie-Hélène une priorité ». À vous lire : « lors de la guerre des Six Jours, elle a donné une somme d’argent qu’elle s’est fait rembourser ensuite par Guy » [son époux]…

Exactement ! Une autre fois, nous avions décidé de réunir toute la communauté de la WIZO à Paris. Les femmes Rothschild devaient être présentes, notamment pour parler d’Israël sur le podium. Je suis allée chercher Marie-Hélène que j’ai vue sortir de chez elle avec, à son cou, une grande croix ! Je la lui ai fait retirer. Ce n’était ni le jour ni l’endroit ! Nous n’allions pas à un cocktail mondain… Reste que la baronne Marie-Hélène avait beaucoup de talents, dans son domaine.

Vous avez épousé le baron Edmond de Rothschild, cousin de Bethsabée, le 26 juin 1963…

Nous avions vécu trois ans ensemble avant le mariage. Il n’était pas divorcé et puis, il fallait s’étudier un peu. Au bout de trois ans, il a jugé que j’étais digne d’être la mère de son fils. Nous avons formé un couple qui a duré quelque quarante ans, jusqu’à sa mort. Mon mari était un mensch et cela, vous pourriez l’écrire…

Edmond et Nadine de Rothschild. (Crédit : Collection Nadine de Rothschild)

 « Et moi aussi, j’ai fait d’Israël ma terre de prédilection », écrivez-vous…

Absolument. J’ai eu cette chance incroyable de rencontrer Ben Gurion qui venait à la maison avec son épouse Paula. J’ai côtoyé Shimon Peres qui est également venu à la maison, avec son épouse que je connaissais très bien. J’ai rencontré tous les grands. Moshe Dayan avait un charme dévastateur… J’ai également rencontré les plus grands savants de l’Institut Weizmann dont mon mari était un grand donateur. Ces rencontres restent gravées dans ma mémoire quand j’évoque la chance que m’a réservée cette vie dans laquelle je me suis installée très confortablement.

Pour vous y installer, il vous a fallu « gagner vos galons ». Comme ce fut le cas juste après la guerre des Six Jours, quand vous avez reçu votre belle-mère à Césarée ?

Au moment de la Guerre des Six Jours, mon mari était parti en Israël avant moi. Il m’a dit : « Il faut absolument que tu me rejoignes ». J’ai appelé le Grand Rabbin Jacob Kaplan et nous sommes partis ensemble, via Amsterdam où l’avion s’est rempli de jeunes Israéliens qui rentraient au pays. Nous sommes arrivés à Tel-Aviv dans le noir complet car l’aéroport ne pouvait pas être éclairé. J’explique dans le livre qu’une fois le calme revenu, ma belle-mère est arrivée en Israël. Nous l’avons reçue dans la maison de Césarée. Elle a beaucoup aimé le pays et c’est là, en effet, que j’ai eu le sentiment d’avoir gagné mes galons ! Elle ne pouvait pas imaginer que je puisse évoluer de cette façon et aussi rapidement. Elle m’a alors regardée avec d’autres yeux. Et je peux vous dire qu’elle n’était pas une femme facile…

Des articles de presse rapportent l’opposition entre l’administration fiscale israélienne et la Fondation Rothschild. On peut lire : « En 2015, déjà, la baronne Ariane de Rothschild expliquait au magazine Globes que son époux refusait désormais de se rendre en Israël en raison de ce différend ». Elle ajoutait : « S’il y a bien une famille qui n’a pas à prouver son engagement vis-à-vis de l’Etat d’Israël, c’est la nôtre ». Qu’en est-il actuellement ? 

Mon fils n’allait plus en Israël car sa santé l’empêchait de voyager. Mais là, je dois remettre les pendules à l’heure. Cette tension a toujours existé, même du temps de mon mari qui a rencontré de gros problèmes avec l’administration de l’Etat d’Israël.

A LIRE : Césarée, la ville israélienne des Rothschild sous pression de l’Etat

Même si je n’aime pas beaucoup tout ce qu’ont pu faire mon fils et ma belle-fille, je dois le dire : l’administration fiscale n’a jamais été d’une grande élégance. Ce qui n’empêche pas l’amour. Il faut aussi savoir dire ces choses-là. Mon fils avait raison et une grande partie de son désenchantement, dû à sa santé et à ce malentendu avec Israël, explique qu’il a cessé d’y aller pendant un moment. Il y avait fait sa bar mitsva.

La baronne Noémie de Rothschild à Genève. (Crédit : Collection Nadine de Rothschild)

Retournez-vous souvent en Israël ? 

Malheureusement, j’ai des difficultés de déplacement. Je me suis cassé la cheville il y a cinquante ans au ski et c’est maintenant qu’elle me fait souffrir.

Honoré de Balzac a pris James (Jacob) de Rothschild pour modèle pour son baron de Nucingen, figure majeure de la vie financière. Il le dépeint comme un homme sans beaucoup de scrupules. Aujourd’hui, le seul nom de Rothschild véhicule, dans certains milieux peu philosémites, tous les stéréotypes liés à l’argent. Ne craignez-vous pas, par votre livre dont le titre à double sens, « Chères baronnes », fait écho au train de vie très luxueux qui y est amplement décrit, de prêter le flanc à l’antisémitisme ? 

Cet antisémitisme est déjà installé, voyez-vous. Et j’en reviens au fait que c’est aussi la faute des Juifs qui ne savent pas se mettre en valeur. Ils ont les meilleurs publicitaires du monde et ils n’en font rien. Le public développe des passions pour des artistes dont ils découvrent après coup qu’ils sont juifs. Cela ne les empêche pas de les aimer. Je prêterais le flanc à l’antisémitisme ? Peut-être mais ma réponse est dans mon livre, qu’il faut savoir lire entre les lignes. C’est la raison pour laquelle j’ai insisté, peut-être quelque peu lourdement, pour souligner que dans le hall d’accueil de l’hôpital Rothschild, il y a des femmes voilées. Elles voient bien, toutes ces femmes, le nom Rothschild inscrit sur le fronton de l’établissement. Elles savent que Rothschild, ce n’est pas goy ! C’est à vous, les journalistes, de faire quelque chose ! Vous rendez-vous compte du nombre de patients qui sont soignés à Curie par des mains juives ? On n’en entend jamais parler. J’aurais vingt ans de moins, je ferais des croisades ! Il ne faut pas avoir peur de dire « Je suis ce que je suis et voilà ce que je vous apporte ».

Une image de la Première chaîne russe qui montre un dessin antisémite : Une truie avec l’étoile de David et le mot ‘Rothschild’ nourrissant six porcelets ( représentant le MI6, l’EI, Al-Qaida, la CIA, Israël et Boko Haram), incarnant la « caricature typique moderne (Capture d’écran)

Votre livre contient des pages très émouvantes et très sobres sur votre fils Benjamin (zal). Être baronne de Rothschild est, dites-vous, un « full-time job » qui ne vous a pas laissé suffisamment de temps pour être avec lui pendant son enfance… Baronne de Rothschild et mère : un alliage difficile ?

Quel que soit le métier, il n’est pas facile de travailler, de partir tôt le matin, de rentrer le soir et de consacrer autant de temps à ses enfants qu’on le voudrait. C’était la même chose pour moi. Mon grand regret est de n’avoir pas su dire non, en premier lieu à la communauté qui m’envoyait un peu partout dans le monde. Je revenais d’ailleurs chaque fois avec d’énormes chèques mais je n’étais pas avec mon fils. J’ai assumé un travail auprès de mon mari. Je voudrais d’ailleurs que l’on donne un salaire aux femmes au foyer.

Vous êtes la dernière baronne de votre génération. Est-ce l’une des raisons qui a motivé l’écriture de ce livre faisant en cela, selon la tradition juive, œuvre de transmission ? 

Bien entendu. Mais cela, je ne le dis pas explicitement dans le livre.

Benjamin de Rothschild entouré de ses parents. (Crédit : Collection Nadine de Rothschild)

Sauf, peut-être, en le dédiant à vos petites-filles…

Oui, à mes quatre petites-filles qui, si elles veulent venir vers moi, le feront.

Quel est leur rapport au judaïsme ? 

Je pense qu’il est assez puissant…

___________________________

Très chères baronnes de Rothschild, Ed. Gourcuff Gradenigo, 128 p, 29 €
Nadine de Rothschild, avec la collaboration d’Eric Jansen

* Le chapitre consacré à la baronne Liliane de Rothschild fait état de sa passion pour la reine Marie-Antoinette. Elle aimait, peut-on lire, rappeler que Louis XVI avait été le premier homme d’état à édicter un statut décent pour les Juifs.

Philologue, professeur à l’Université libre de Bruxelles et directeur de l’Institut d’Étude du Judaïsme à l’Université de Bruxelles, Thomas Gergely a reçu en 2005 le prix du Mensch, décerné par le Centre communautaire laïc juif de Bruxelles à une personnalité de la communauté juive de Belgique pour son humanisme.

Le Times of Israel a questionné le professeur sur ce roi passionné d’horlogerie, histoire de remettre les « pendules à l’heure » : Louis XVI a-t-il vraiment été précurseur en matière de droits accordés aux Juifs ?

« Il semblerait bien que Louis XVI ait été l’un des premiers rois de France à être intervenus en faveur des Juifs. C’était un brave homme, en dépit de tout le mal qu’on a pu en dire. Nous avons de lui des édits publiés même durant une période de la Révolution française où l’on agissait encore au nom du Roi. Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme présente, dans l’une de ses vitrines, l’un des édits de Louis XVI dans lequel il dit qu’il est formellement interdit de faire le moindre mal aux Juifs. Par un autre édit, il a également aboli le « péage corporel » (taxe qui obligeait les Juifs à payer un impôt pour transiter par certaines villes). On raconte une histoire dont je ne saurais affirmer qu’elle est authentique. Le Roi Louis XVI part à la chasse à travers la forêt de Versailles, entouré du faste de sa cour. Or voici qu’apparaît un cortège de misérables loqueteux convoyant un cercueil sur leurs épaules : on explique au roi que ce triste convoi est composé de Juifs de Paris en route vers Montrouge, seul endroit où il leur est autorisé d’enterrer leurs morts. Plus tard, sur le chemin de retour vers Versailles, le roi et sa cour croisent un cortège d’un tout autre acabit : c’est un corbillard noir tiré par des chevaux. Roederer, conseiller du roi, raconte que le souverain, à la suite de cette rencontre dans la forêt, aurait chargé le ministre Malesherbes de s’occuper de l’émancipation des Juifs. Le souverain a été décapité avant d’avoir pu mener ce projet à son terme mais la démarche avait été pensée. J’accorde du crédit aux propos de Roederer. Il y avait, chez Louis XVI, une volonté d’intervenir en faveur des Juifs, comme il l’avait fait pour les Protestants, en chargeant Malesherbes de s’occuper de leur émancipation. Quant au rapport des Juifs avec Marie-Antoinette, il est tout autre. La malheureuse était la fille de Marie-Thérèse d’Autriche, féroce antisémite à l’origine de nombreuses mesures contre les Juifs dont la désolante familiantengesetze (loi des familles) qui réduisait le droit des garçons juifs à se marier au seul aîné de la famille. Une anecdote suffirait à décrire son état d’esprit : elle n’avait, semble-t-il, rencontré dans sa vie qu’un seul Juif, en la personne, je crois, du Grand Rabbin de Moravie qu’elle avait reçu au palais… dissimulée derrière un paravent afin de ne pas être infectée par la proximité d’un Juif. […] L’attitude de sa mère explique pourquoi Marie-Antoinette n’était pas en odeur de sainteté parmi les Juifs de France. Au moment de la Révolution française, la population juive de Paris s’élevait à cinq cents personnes et Marie-Antoinette n’en avait jamais rencontré. Elle avait de toute façon bien d’autres préoccupations… ».

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