Israël en guerre - Jour 370

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Des personnes portant des masques au marché Mahane Yehuda à Jérusalem, le 3 juillet 2020. (Yonatan Sindel / Flash90)
Des personnes portant des masques au marché Mahane Yehuda à Jérusalem, le 3 juillet 2020. (Yonatan Sindel / Flash90)

Pour les jeunes, la santé, ça va – les perspectives d’emploi beaucoup moins

Les précédentes crises ont montré que si les jeunes chômeurs ne retrouvent pas vite du travail, ils pourraient rester bloqués en marge de la population active pour de bon

Ran est un Israélien de 25 ans qui vient d’étudier deux ans pour devenir pilote dans l’aviation civile à Barcelone, en Espagne. Son rêve était de travailler pour une compagnie aérienne européenne et lorsqu’il a terminé ses études, il a envoyé son CV à plusieurs transporteurs aériens, dans l’espoir de décrocher un poste de pilote. C’est alors que le coronavirus a frappé, immobilisant les avions au sol et bousculant tous ses projets.

A présent Ran, qui a effectué son service militaire dans l’aviation israélienne, vit chez ses parents à Ramat HaSharon et prévoit de reprendre des études d’informatique à l’Université hébraïque de Jérusalem pour la nouvelle année universitaire. En attendant, il suit deux cours en ligne de mathématiques.

« Ça craint », a-t-il dit lors d’une interview par téléphone depuis l’appartement de ses parents. « Je veux vraiment être pilote. Je voulais aussi continuer mes études – mais pas tout de suite, seulement après avoir travaillé quelques années. Ceci dit à présent, le mieux que je puisse faire de mon temps libre, c’est d’étudier. »

Un autre étudiant israélien qui était avec lui à Barcelone est également coincé sans emploi, et « cherche quoi faire de lui-même », a dit Ran.

Des travailleurs indépendants, des dirigeants de petites entreprises et des militants participent à un rassemblement appelant à un soutien financier du gouvernement israélien à Tel Aviv, le 2 mai 2020. (Miriam Alster / Flash90)

Alors que le coronavirus ravage les économies, provoquant faillites d’entreprises et fermetures de magasins, laissant des millions de personnes sans emploi, une partie de ces chômeurs inquiète tout particulièrement les économistes et responsables politiques : les jeunes, âgés de 18 à 35 ans.

Ils redoutent, sur la base de précédentes crises, que si ces jeunes femmes et hommes sans emploi ne parviennent pas à retrouver du travail rapidement, ils demeurent indéfiniment en marge de la population active ou, s’ils trouvent du travail, soient relégués à des emplois faiblement rémunérés.

« Donner aux jeunes les compétences et les moyens de trouver un emploi n’est pas seulement important pour leurs propres perspectives et amour-propre, c’est également essentiel pour la croissance économique, la cohésion sociale, et le bien-être général », a déclaré le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurría dans un rapport sur les jeunes et la réponse à la Covid-19. « C’est pourquoi investir dans la jeunesse doit être une priorité pour le monde entier ».

Noam, une jeune israélienne de 21 ans qui a fini son service militaire en novembre, est également à la recherche d’un emploi. Elle a postulé pour de nombreux postes publiés en ligne, mais n’a pas eu de réponse. Jusqu’au début du mois de février elle travaillait chez un glacier, mais elle a démissionné car les conditions n’étaient pas satisfaisantes. Malheureusement, la pandémie a frappé immédiatement après, mettant un coup d’arrêt à l’économie en mars, et maintenant elle est coincée.

La situation est « épouvantable », a-t-elle déclaré lors d’un entretien téléphonique. « Tu finis ton service militaire et souhaites commencer autre chose et économiser de l’argent, mais à présent je ne peux pas ». Elle doit payer le loyer de l’appartement qu’elle partage avec sa sœur, ainsi que l’assurance de la voiture qu’elle a récemment achetée.

« Je sais que si je suis coincée, j’aurai du soutien financier » de sa famille, dit-elle, « mais il y a des limites. La pandémie met notre vie en suspens, nous ne pouvons rien prévoir et nous ignorons combien de temps ça va durer et quand ça va se terminer ».

Des Israéliens portant des masques de protection dans le tramway de Jérusalem, le 28 juin 2020. (Menahem Kahana / AFP)

Même avec l’assouplissement des restrictions, le taux de chômage qui était inférieur à 4 % avant le début de la pandémie reste encore très important, estimé à 20,9 % le 5 juillet, selon les données de l’Agence nationale de l’emploi, avec 847 207 demandeurs d’emplois, dont 584 819 licenciés.

Depuis le 19 avril, jour où l’économie a commencé à rouvrir, 385 020 personnes sont retournées au travail, selon les mêmes données. Mais le plus inquiétant, c’est qu’entre le 2 et le 5 juillet, il y a davantage de gens qui se sont enregistrés comme demandeurs d’emploi que de gens qui ont déclaré être retournés au travail : 466 ont déclaré avoir retrouvé leur emploi, alors que 850 se sont enregistrés comme sans-emploi, selon les mêmes données.

L’économie israélienne anticipe une chute de 6,2 % en 2020 par rapport à l’année dernière, ou de 8,3 % si le virus connaît une deuxième vague, selon un rapport de l’OCDE du mois dernier. Et le taux de chômage élevé pourrait s’avérer être l’obstacle le plus important sur la voie de la reprise.

Les séquelles de l’effondrement

Selon le rapport de l’OCDE, dans les pays développés, près d’un emploi sur 10 tenus par des jeunes de moins de 30 ans ont été « détruits » par la crise. Il s’agit essentiellement d’emplois à temps partiel ou temporaires dans les domaines les plus touchés par la pandémie : restaurants et bars, restauration, hôtellerie, loisirs et tourisme.

La crise actuelle survient après que des pays européens comme l’Espagne, la Grèce et l’Irlande ont déjà vu le nombre de jeunes salariés diminuer de moitié entre 2007 et 2014, les jeunes ayant essuyé une part importante des conséquences de la crise financière de 2008. Le nombre de jeunes chômeurs a augmenté de 20 % au cours de cette période, laissant une personne sur 8 dans la génération des 18-25 ans dans la pauvreté, selon le rapport de l’OCDE.

Beaucoup de ces jeunes qui ont perdu leur emploi lors de la crise financière de 2008 ne les ont jamais vraiment récupérés, même après la reprise économique. En effet, dans les pays de l’OCDE, le taux d’emploi des jeunes stagne depuis 2010 et reste inférieur au taux d’avant 2008, selon le rapport.

Un vendeur balaie le trottoir devant sa boutique dans le marché aux légumes « Kapani », dans le nord de la ville grecque de Thessalonique, le 2 juin 2014. La fédération grecque du commerce a déclaré lundi que 31% des magasins du centre-ville restaient inoccupés en raison de la crise financière qui a démarré il y a 6 ans et qui a causé un bond du chômage. La fédération a indiqué que le nombre de magasins fermés était légèrement en baisse par rapport à sa dernière enquête il y a environ six mois. (AP / Nikolas Giakoumidis)

Environ 40 millions de jeunes dans les pays de l’OCDE, soit 15 % de ceux âgés de 15 à 29 ans, sont des « NEET » : not in education, employment, or training (pas dans l’éducation, l’emploi, ni la formation). Les deux tiers d’entre eux ne cherchent même pas de travail. Et bien que 40 % des jeunes passent tous par une période d’inactivité ou de chômage de quatre ans, pour la moitié d’entre eux cette période dure un an ou plus, et peut conduire au « découragement et à l’exclusion », affirme le rapport.

« Être au chômage à un jeune âge peut laisser des ‘cicatrices’ durables en termes de carrières et de futurs revenus. Les jeunes ayant des antécédents de chômage ont moins d’opportunités d’évolution professionnelle, des salaires plus bas, de moins bonnes perspectives d’emplois et, finalement, des retraites plus faibles », selon le rapport de l’OCDE.

« Les effets économiques de la pandémie risquent d’aggraver la vulnérabilité préexistante des jeunes sur les marchés du travail, car ils sont plus susceptibles d’avoir des emplois atypiques, temporaires ou à temps partiel par exemple, qui les confrontent à un risque plus élevé de perte d’emploi et de revenu », ajoute le rapport.

« Possible retour de flammes »

En Israël, la pandémie du coronavirus a provoqué une recrudescence des jeunes en dessous de 34 ans inscrits à l’Agence de l’emploi, l’organisme gouvernemental chargé d’aider les personnes à trouver un emploi. Ses chiffres permettent de suivre ce qui se passe sur le terrain pour les personnes sans emploi.

Des Israéliens devant un restaurant fermé sur la plage de Tel Aviv, le 25 mai 2020. (Olivier Fitoussi / Flash90)

Selon les données compilées par l’Agence de l’emploi, lors de la crise du coronavirus, les jeunes inscrits dans ses registres représentent 47,6 % du total, contre 41,7 % avant la crise.

Les données, publiées dans un rapport du 30 juin rédigé par Ofri Eichel et Gal Zohar pour l’Agence de l’emploi, montrent également que depuis que les mesures de confinement ont été assouplies en avril, permettant à de vastes secteurs de l’économie de reprendre le travail, seulement 20 % des travailleurs de moins de 24 ans étaient retournés au travail à la fin du mois de mai, le taux le plus bas parmi toutes les tranches d’âge, le total étant
22 % à 25 %.

La crise n’a donc pas seulement touché durement les jeunes Israéliens, elle a également fait apparaître une tendance : les données de l’OCDE de 2018 montrent que le taux de NEET en Israël était de 13,3 %, légèrement supérieur à la moyenne de l’OCDE de 13 %, bien que toujours inférieur au nombre de NEET en Italie, Espagne, Grèce et France.

Yaniv Bar, économiste-chercheur, au département d’économie de Bank Leumi Le-Israel Ltd. (Kfir Sivan)

Et tandis que le taux d’emploi à tous les âges en Israël a augmenté au fil du temps, de 2012 à 2017, le taux de chômage chez les 18-34 ans était toujours plus élevé que dans les autres tranches d’âge, comme le montrent les données de l’Agence de l’emploi fin 2017.

Les jeunes « sont de plus en plus déconnectés du marché du travail » et ne développent pas « les compétences simples » nécessaires pour faire partie de la population active, a déclaré Yaniv Bar, économiste à la Bank Leumi Le-Israel Ltd., dans un entretien téléphonique. Ces compétences peuvent être aussi élémentaires que d’apprendre à utiliser des logiciels de bureau ou à développer les qualités sociales requises sur un lieu de travail.

Selon les recherches effectuées sur la jeunesse européenne, plus ces compétences se perdent, plus ces jeunes auront du mal à accéder au marché du travail, a-t-il averti.

Si des mesures immédiates ne sont pas prises, il est à craindre qu’un schéma similaire à celui observé en Europe dans le sillage de 2008 se développe en Israël. « Cela pourrait nous maintenir à des taux de chômage beaucoup plus élevés que ceux que nous connaissions avant le début de la crise », a déclaré Bar.

Des taux de chômage plus élevés signifieraient « une perte de recettes fiscales pour la nation », a déclaré Bar, ainsi que le fardeau possible d’aider les chômeurs par le biais de subventions et d’avantages sociaux.

Être jeune et désœuvré pourrait conduire à des comportements à risque comme la drogue et l’alcoolisme, a ajouté Bar, « dont le gouvernement devra assumer le coût ».

« Cela pourrait se retourner contre l’État ».

Des jeunes Israéliens boivent de l’alcool mélangé à des boissons énergisantes. (Kobi Gideon / Flash90)

L’armée israélienne absorbe une partie de l’impact

Le marché du travail en Israël présente deux différences fondamentales par rapport à ceux des autres pays de l’OCDE, selon Yechiel et Zohar de l’Agence de l’emploi.

Le service militaire repousse l’entrée de nombreux jeunes sur le marché du travail. « Sans l’armée, nous aurions vu bien plus » de nouveaux inscrits à l’Agence de l’emploi, ont-ils déclaré.

Ceux qui s’inscrivent maintenant pendant la pandémie proviennent probablement de populations généralement exemptées du service militaire obligatoire, comme les Arabes Israéliens arabes et les membres de la communauté ultra-orthodoxe, ou les jeunes à faible statut socio-économique qui n’ont pas été enrôlés ou n’ont pas terminé leur service militaire, ont-ils déclaré.

Une autre caractéristique qui différencie la jeune main-d’œuvre israélienne sont ses compétences inférieures à celles de ses pairs dans d’autres pays de l’OCDE, selon les tests internationaux, ce qui rendra probablement encore plus difficile leur réintégration dans la population active.

Daphna Aviram-Nitzan, directrice du Centre pour la gouvernance et l’économie de l’Institut israélien de la démocratie. (Autorisation)

En période de crise, « la première chose que vous faites est de laisser tomber les plus jeunes et les plus faibles », selon Daphna Aviram Nitzan, directrice du Centre pour la gouvernance et l’économie de l’Institut de la démocratie israélien, un think-tank.

Le gouvernement devrait offrir des programmes de formation professionnelle et de réorientation aux centaines de milliers de chômeurs, soit directement, soit via leurs anciens employeurs, affirme-t-elle.

Les employeurs devraient être encouragés à réembaucher ceux qu’ils ont licenciés et à obtenir des subventions gouvernementales pour les réorienter vers des emplois qu’ils ont à pourvoir, a-t-elle déclaré, et l’État devrait offrir des formations entièrement subventionnées pour leur enseigner les compétences de base essentielles sur le marché du travail.

Dans le cadre d’un programme de sauvetage de 100 milliards de shekels (29,1 milliards de dollars) pour lutter contre l’impact économique du virus, le gouvernement a alloué 200 millions de shekels pour des programmes de formation professionnelle, a déclaré Bar, de Leumi. Mais presque rien n’a encore été dépensé, a-t-il dit.

En outre, dans le cadre du budget 2020, le ministère des Finances est en train de recycler un ancien projet de feuille de route pour l’emploi jusqu’en 2030. Mais la réalité sur le terrain est très différente aujourd’hui – la feuille de route a été établie lorsque le chômage était à son taux le plus bas – et le ministère n’a pas encore défini le budget des formations professionnelles, a rapporté lundi le journal financier The Marker.

« Nous considérons qu’il est de la plus haute importance que les jeunes réintègrent le cycle de l’emploi, et à cet effet, l’octroi de subventions aux employeurs a été approuvé » pour l’incitation à l’embauche, a déclaré le ministère des Finances dans un courriel du 28 juin au Times of Israel.

Israël est au milieu d’une deuxième vague de la pandémie, avec des infections quotidiennes atteignant des niveaux record. Cela conduit le gouvernement à reconsidérer son assouplissement des restrictions de confinement, où presque toutes les limites aux rassemblements ont été abrogées.

Le virus a tué 332 personnes en Israël et près de 30 000 ont été infectées. Jusqu’à présent, les jeunes sont restés largement indemnes des conséquences médicales de la pandémie, mais ils en paient le prix économique.

L’absence de réponse aux besoins particuliers de cette tranche d’âge
« affectera leur avenir dans le marché de travail », ont écrit les auteurs du rapport de l’Agence de l’emploi, Yechiel et Zohar.

« Le retour à l’emploi aura un impact sur la réintégration de ces jeunes travailleurs dans la société et sur le marché du travail », selon eux. « Ceux qui entrent dans le cycle du chômage, puis du chômage de longue durée, pourraient être exclus trop longtemps de la population active.

« Mais il ne suffit pas seulement de les ramener au travail, il est également nécessaire de renforcer leurs compétences. Seul un bon équilibre entre le retour au travail, d’une part, et l’acquisition de compétences, d’autre part, permettra à ces jeunes de survivre à cette crise et à être prêts à faire face à l’évolution du marché du travail. »

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