Quand Hila Shay Vazan, experte en relations publiques et ancienne journaliste, a appris, le 15 juin, que l’adoption d’une nouvelle loi allait lui permettre de devenir membre de la 23è Knesset, la jubilation s’est mêlée à un léger sentiment de choc.
« L’année et demie qui vient de se passer a ressemblé à des montagnes russes pour moi », a commenté l’ex-présentatrice de la Dixième chaîne et de la Deuxième chaîne, aujourd’hui disparues.
Shay Vazan avait été l’une des premières à rejoindre la formation Hossen LeYisrael de l’actuel ministre de la Défense Benny Gantz lors de son lancement, au mois de décembre 2018, et elle a depuis suivi sans flétrir le dirigeant du parti à travers trois campagnes électorales houleuses.
Suite à la fusion de Hossen LeYisrael avec le parti Telem de Moshe Yaalon et la formation Yesh Atid de Yair Lapid – qui avait débouché sur la formation de l’alliance Kakhol lavan – Vazan avait occupé la 39è place sur la liste conjointe et elle était restée à la porte du parlement au cours des trois scrutins consécutifs qui s’étaient succédés.
Elle avait finalement prévu de continuer à soutenir la formation de Gantz et à développer ses propres initiatives sociales et politiques en dehors de la Knesset, mais, la semaine dernière, tout a changé avec l’adoption, par le Parlement israélien, de la dite Loi norvégienne.
La législation permet aux ministres du cabinet de démissionner de leurs postes de députés. Leurs sièges à la Knesset, laissés vacants, peuvent alors accueillir d’autres membres du parti, qui figuraient initialement plus loin sur la liste.
Le texte avait une importance particulière pour le mouvement Kakhol lavan de Benny Gantz – après que l’ex-chef d’Etat-major a accepté d’intégrer un gouvernement d’unité placé sous la houlette de Netanyahu, une décision qui avait motivé la scission de l’alliance politique conclue avec ses partenaires (Gantz a néanmoins conservé l’usage de son nom).
« Dans la mesure où la forme que prendrait la loi n’était pas clairement établie, il y a eu des moments où j’ai vraiment pensé que cela n’arriverait jamais », explique Shay Vazan au Times of Israel.
« Et même le jour où la loi a été adoptée, elle avait initialement été supprimée de l’agenda du Parlement. Et je m’étais dit : ‘OK, là, c’est terminé’. Puis Gantz s’est rendu au bureau de Netanyahu et ils ont, ensemble, décidé d’organiser le vote. C’était très émouvant, très intense », se souvient-elle.
La nouvelle législatrice est rejointe par neuf autres nouveaux parlementaires : Yorai Lahav-Hertzano (Yesh Atid-Telem), Einav Kabla (Kakhol lavan), Tehila Friedman (Kakhol lavan), Michal Cotler-Wunsh (Kakhol lavan), Yitzhak Pindros (YaHadout HaTorah), Ariel Kellner (Likud), Osnat Mark (Likud), Uriel Buso (Shas), et Yossi Taieb (Shas).
Un autre membre du parti ultra-orthodoxe Shas, le rabbin Baruch Gazahay, devait lui aussi rejoindre la Knesset grâce à la Loi norvégienne. Il a retiré sa nomination après qu’il a été révélé qu’il avait fait des déclarations controversées dans le passé – en affirmant, par exemple, que les femmes qui portent des tee-shirts échancrés développaient des cancers du sein.
Tandis que Shay Vazan s’est réjouie de l’approbation de la loi, ajoutant qu’il était « étonnant » que quatre femmes puissent intégrer la faction de Kakhol lavan au Parlement, d’autres, à la Knesset et au-delà, ont critiqué avec force la Loi norvégienne.
Une raison de cette opposition est financière : Selon le centre d’information et de recherche de la Knesset, chaque nouveau législateur pourrait coûter environ 1,7 million de shekels par an. Cette somme couvre les salaires des députés, ceux de leurs assistants, les budgets alloués à leurs bureaux respectifs et les véhicules subventionnés qu’ils reçoivent du Parlement.
A la Knesset, la loi a été perçue comme ayant été taillée sur mesure pour Kakhol lavan.
La Haute-cour avait critiqué avec force une version précédente de la législation qui avait été finalement mise au rebus.
Ce projet de texte autorisait les députés de Kakhol lavan devenus ministre à démissionner de leur fonction de parlementaires, permettant à d’autres membres d’occuper leurs sièges, passant outre les membres de la faction Yesh Atid-Telem – qui avait préféré faire scission de l’alliance et qui avait choisi d’intégrer l’opposition plutôt que de rejoindre Gantz dans la coalition avec Netanyahu.
Cotler-Wunsh et Friedman appartenaient respectivement auparavant à Telem et à Yesh Atid – mais, disent-elles, elles ont refusé de rejoindre leurs partis dans l’opposition.
Le Times of Israel s’est entretenu avec ces quatre nouvelles députées de Kakhol lavan pour en apprendre davantage sur leur agenda politique, sur leur positionnement sur des questions majeures et sur leurs espoirs pour l’avenir.
Michal Cotler-Wunsh
Cette avocate de 49 ans, experte en droit international, a grandi au Canada et elle a passé là-bas ses années d’études. C’est la fille du politicien à la retraite canadien Irwin Cotler, qui avait été procureur-général et ministre de la Justice du Canada.
Cotler-Wunsh a été membre du conseil d’administration de Tzav Pius, une organisation qui avait été fondée dans le sillage de l’assassinat d’Yitzhak Rabin et qui s’était donnée pour objectif d’améliorer la compréhension entre Juifs laïcs et religieux. Elle a également été chercheuse à l’Institut international du contre-terrorisme au Centre interdisciplinaire de Herzliya.
Elle réside aujourd’hui à Raanana avec son époux et leurs quatre enfants.
Suite à son entrée à la Knesset, elle a été nommée présidente de la commission parlementaire chargée de la lutte contre les conséquences de la toxicomanie et de l’alcoolisme.
Cotler-Wunsh indique avoir ressenti « une immense fierté, mais également un sentiment écrasant de responsabilité » quand elle a appris qu’elle allait devenir députée.
« Alors que le coronavirus assaille Israël, 85 % des Israéliens auraient fait savoir, récemment, qu’ils sont anxieux face à l’avenir. A une période telle que celle que nous vivons, le public veut que le gouvernement et la Knesset puissent offrir des solutions », note-t-elle.
Evoquant la dissolution de Kakhol lavan après la décision prise par Gantz de conclure un accord de coalition avec Netanyahu, Cotler-Wunsh dit avec emphase que « les résultats de l’élection n’ont pas laissé d’autre choix que celui de la formation d’un gouvernement d’unité. En ce qui me concerne, je pense que c’était de notre responsabilité de le faire – et c’est Yesh Atid et Telem qui ont refusé cette option ».
« Je m’étais exprimée en soutien à un gouvernement d’unité après le deuxième scrutin, et j’ai continué à soutenir cette idée au lendemain du troisième. Et j’ai fait tout ce que j’ai pu, en coulisses, pour en faire la promotion », s’exclame-t-elle.
Après avoir passé une grande partie de sa vie à l’étranger, Cotler-Wunsh explique que pour elle, la manière problématique dont Israël est parfois mis en lumière à l’international est un problème auquel elle souhaite s’attaquer pendant son mandat.
« Il y a quelque chose qui affecte le statut d’Israël à l’international et ce quelque chose, c’est que nous n’utilisons pas le bon langage », estime-t-elle. « Le langage des droits, la lingua franca du droit international, c’est cette langue que les pays utilisent pour communiquer. Mais Israël utilise le langage de la sécurité. C’est vrai que nous avons de véritables défis sécuritaires à relever mais nous devons apprendre à les exprimer en utilisant le langage des droits. J’espère placer ce sujet au premier plan parce que c’est précisément mon domaine d’expertise », déclare-t-elle.
Interrogée sur son positionnement sur le droit d’Israël à annexer certains pans de la Cisjordanie – un processus qui devait commencer une semaine tout juste après son entrée à la Knesset – Cotler-Wunsh semble vouloir rester fidèle à la ligne du parti.
« Si un gouvernement, en Israël, veut être capable de diriger ce processus, alors cela doit être un gouvernement d’unité – et non pas un gouvernement minoritaire, fracturé. Je pense que le plan de la Paix vers la Prospérité du président Trump est l’occasion d’un changement de paradigme : c’est la première fois que les deux parties sont considérées comme égales. Et c’est là que se trouve le potentiel du plan : il reconnaît la capacité des Palestiniens à assumer la responsabilité de leur avenir et, de manière inhérente à cette responsabilité, il y a la réciprocité – la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël ».
Einav Kabla
Kabla, 41 ans, avocate de formation, a rejoint la Knesset après la démission du parlement du ministre du Tourisme, Assaf Zamir, suite à l’adoption de la Loi norvégienne.
Spécialiste en matière de droit administratif et de droit du travail, elle a, dans le passé, dirigé les personnels de l’ex-président du syndicat de la Histadrout, Avi Nissenkorn, qui occupe aujourd’hui le fauteuil de ministre de la Justice.
Elle vit à Tel Aviv avec son mari et leurs deux enfants.
Kabla a été récemment nommée à la tête de la Commission des sciences et des technologies à la Knesset.
« On m’avait proposé de devenir directrice-générale du ministère de la Justice » juste avant l’adoption de la Loi norvégienne, raconte Kabla au Times of Israel. « Mais j’ai décidé de renoncer à ce poste pour pouvoir devenir députée, parce que j’avais le sentiment que c’était un énorme privilège de pouvoir servir les Israéliens. Et j’espère vraiment avoir l’occasion de pouvoir entraîner des changements, et de travailler au mieux au bénéfice de la société israélienne ».
Serait-t-elle intéressée, à l’avenir, par le portefeuille de la Justice ? A cette question, Kabla répond qu’elle se concentre sur son rôle actuel « pour le moment – mais je reconnais qu’en tant qu’avocate, ce domaine m’attire terriblement ».
Evoquant son mandat à la Knesset, Kabla explique qu’elle souhaite pouvoir aider les catégories les plus fragiles de la population et protéger les consommateurs israéliens.
« Je viens de soumettre une loi pour venir en aide aux personnes en situation de handicap », note-t-elle.
« Ce projet de loi tente d’amender une législation qui appelle à l’égalité des droits pour les personnes en situation de handicap dans le pays. Aujourd’hui, le secteur public et le secteur privé ont pris des engagements concernant l’embauche de personnes en situation de handicap, mais la loi existante ne s’attaque pas pleinement aux modalités de ces embauches dans le secteur privé. Je pense que ce problème est important et qu’il est aujourd’hui d’autant plus pertinent que nous sommes au beau milieu de la crise du coronavirus, avec de nombreux travailleurs qui ont été placés en congé sans solde et renvoyés chez eux – et avec, parmi eux, un grand nombre de personnes en situation de handicap », indique-t-elle.
Tehila Friedman
Friedman, 44 ans, est avocate et elle aime se définir comme une activiste féministe religieuse. Elle a fondé des organisations et lancé diverses initiatives dont l’objectif était de créer l’unité au sein de la population à Jérusalem, où elle vit, et dans la société israélienne plus largement. Friedman est également chercheuse à l’Institut Shalom Hartman, un institut juif de recherche et d’éducation au sein de la capitale. Elle est mariée et elle est mère de cinq enfants.
Friedman explique au Times of Israel qu’elle a quitté Yesh Atid de Yair Lapid « au mois de mars, lorsque le désaccord entre Yesh Atid et Hossen LeYisrael a fait son apparition, parce que j’ai estimé que c’était la bonne chose à faire dans la mesure où je soutenais moi-même la formation d’un gouvernement d’unité ».
Alors qu’elle est « réellement très heureuse » de faire son entrée à la Knesset, Friedman est pleinement consciente des critiques à l’égard de la Loi norvégienne. Elle estime néanmoins que ces dernières sont injustifiées.
« Le Parlement israélien est l’un des plus petits dans le monde si on le compare à la taille de la population du pays. La Knesset, en comparaison avec le gouvernement, est très faible », explique-t-elle. « Nous n’avons pas suffisamment de députés qui puissent exclusivement se consacrer à être des législateurs travaillant pour le bien du public et pour l’intérêt général. L’idéal serait que tous les ministres démissionnent et qu’Israël puisse avoir 120 parlementaires à plein-temps », ajoute-t-elle.
« Savez-vous quand les dépenses sont inutiles ? C’est quand les budgets sont alloués à un gouvernement qui compte un trop grand nombre de ministres », accuse Friedman (le gouvernement d’unité a été très critiqué pour son nombre record de 35 ministres).
Pendant la Seconde intifada, Friedman avait été conseillère de Natan Sharansky, ancien président de l’Agence juive qui, à l’époque, était ministre des Affaires de la Diaspora.
Et c’est de cette expérience qu’elle nourrit une ambition particulière : celle de tenter d’améliorer les relations entretenues par Israël avec les Juifs de la Diaspora, depuis l’intérieur même du Parlement.
« L’une des choses que je voudrais promouvoir, c’est l’idée d’une obligation légale, pour le gouvernement israélien, de consulter les Juifs de la Diaspora lorsqu’il prend des décisions susceptibles d’affecter la vie des Juifs à l’étranger ».
Hila Shay Vazan
Vazan, 40 ans, est une journaliste expérimentée. Sur la Dixième chaîne, elle était analyste, journaliste et présentatrice d’une émission d’information de fin de soirée et, sur la Deuxième chaîne, elle animait une émission d’information du matin, « Haolam Haboker ». Il y a quatre ans, elle avait lancé un mouvement social appelé Shavim Shonim (ce qui signifie « égaux et différents » en hébreu) qui s’était donné pour objectif de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes dans les secteurs public et privé, via des manifestations, des contenus en ligne et des rassemblements.
Elle vit à Modiin et elle est mère de quatre enfants.
Elle veut notamment promouvoir son agenda féministe dans son travail parlementaire, jure-t-elle.
« Je pense que le fait que quatre femmes soient entrées à la Knesset témoigne de quelque chose d’important : Lorsque les femmes sont professionnelles et qu’on leur en donne l’opportunité, elles ont des résultats. Personne n’a promu notre arrivée à la Knesset en coulisses : Nous y sommes entrées parce que nous sommes compétentes », dit-elle, en évoquant son intégration au sein du parlement.
Ses avis concernant la lutte féministe en faveur de l’égalité ont d’ores et déjà suscité la controverse. Dans un entretien accordé au quotidien en hébreu Yedioth Ahronoth, elle a notamment déclaré que « les femmes ne sont pas des victimes », ajoutant que la campagne #MeToo, qui a pris de l’ampleur ces dernières années, était « allée un peu trop loin » et accusant les féministes radicales de donner une mauvaise image des femmes parce qu’elles « se plaignent ». Ces propos ont entraîné une forte opposition, avec de nombreuses activistes qui, au nom de #MeToo, l’ont fustigée, l’accusant d’être incapable de défendre les femmes malgré son agenda déclaré.
Shay Vazan explique au Times of Israel ne rien retirer de ses paroles qui, selon elle, ont été mal interprétées. « Comme je l’ai dit, je pense que #MeToo est un mouvement important qui a permis de mettre en exergue le problème du harcèlement sexuel, qui doit être aboli. Je crois simplement que le mouvement se trompe lorsqu’il se transforme en bataille interdite aux hommes. Quand j’ai dit que le mouvement était allé trop loin, j’ai voulu dire qu’il dépeignait toutes les femmes comme des victimes et tous les hommes comme des agresseurs potentiels. Je voudrais vivre dans un monde où je vais pouvoir élever ma fille en lui faisant comprendre qu’une agression sexuelle est un phénomène horrible qui doit être pris en charge en tant que tel, mais qu’il y a également des hommes biens ».
Shay Vazan ajoute que « en dépit des attaques personnelles à mon encontre suite à ce que j’ai dit, j’ai aussi reçu beaucoup de soutien et je me réjouis que le public puisse débattre, grâce à cela, de ce que signifie le féminisme, et qu’il comprenne qu’il n’y a pas un féminisme, mais différents féminismes ».
Elle souhaite aussi souligner le travail qu’elle effectue actuellement à la Knesset pour mener à bien son ordre du jour.
« La semaine dernière, j’ai soumis un projet de loi qui permettrait de changer la loi sur l’Assurance nationale. Cette législation ne reconnaît que les femmes comme femmes au foyer, et pas les hommes. On peut se dire que ce n’est qu’une question de sémantique, mais ce n’est pas le cas : Une femme mariée qui n’a pas d’emploi n’est pas obligée de verser les frais inhérents à l’Assurance chômage, tandis qu’un homme marié et dans la même situation ne bénéficie pas de cette exemption. Je veux pouvoir changer ça », dit-elle.
Le milieu religieux dont elle vient n’entre-t-il pas en contradiction avec les positionnements centristes officiels de Kakhol lavan ? A cette question, Shay Vazan dit ne pas ressentir ce type de tensions au sein de la formation.
« Je pense que c’est merveilleux qu’une femme religieuse comme moi, qui se considère comme étant à la droite de l’échiquier politique, puisse se retrouver dans le même parti qu’une personnalité comme Miki Haimovich, qui est laïque et de gauche. En fin de compte, je suis très transparente dans ma vision pour Israël. Si j’avais la liberté totale de voter comme je le souhaite, je me prononcerais en faveur de l’élargissement de la souveraineté israélienne sur les implantations de Cisjordanie », affirme-t-elle.