Amnon Sharon peut encore sentir le canon du fusil qu’un soldat syrien a pointé sur sa tempe lorsqu’il a été fait prisonnier au cours d’une féroce bataille de chars sur le plateau du Golan, le 6 octobre 1973, le premier jour de la Guerre de Kippour.
Sharon a capturé ce moment dans une petite sculpture en argile pour tenter de faire face à la première des innombrables horreurs qu’il a endurées en tant que prisonnier de guerre à Damas pendant huit mois, jusqu’à sa libération au début du mois de juin 1974.
Un coup d’œil à la collection complète de figures que Sharon, 76 ans, a réalisées sur sa captivité permet de s’émerveiller de la manière dont il est parvenu à survivre à la torture et à la dépravation incessantes. La collection intitulée Sane in Damascus (« L’homme sain d’esprit à Damas ») est exposée à Tel Aviv, à Beit HaLochem, l’un des quatre centres de rééducation, de sport et de loisirs du pays destinés exclusivement aux anciens combattants handicapés d’Israël.
L’une des sculptures de Sharon le montre allongé sur un chevalet pendant deux jours sans répit, la tête et les bras coincés dans un pilori. Dans une autre, il est allongé sur le dos, la tête recouverte d’un sac et les mains liées, tandis qu’un ravisseur syrien frappe les nerfs sensibles de la plante de ses pieds avec un lourd bâton. D’autres le montrent dans des positions contorsionnées, enchaîné et suspendu à divers engins de torture.
Déjà gravement blessé lors de sa capture sur le Golan, son état physique s’est aggravé lorsqu’il a été détenu dans l’obscurité totale dans une cellule d’isolement plus petite que la longueur de son corps pendant cinq mois avant d’être transféré dans une cellule où se trouvait un groupe de pilotes israéliens faits prisonniers.
« Ils ont mutilé mon corps, mais ils n’ont pas brisé mon âme », a raconté Sharon, qui a été reconnu handicapé par l’armée israélienne et qui souffre encore physiquement et psychologiquement cinquante ans plus tard.

Il a pu poursuivre une carrière de plusieurs décennies en tant qu’officier de Tsahal, prenant sa retraite avec le grade de colonel. Il a déclaré qu’il espérait que les otages détenus par le Hamas et d’autres groupes terroristes à Gaza depuis le 7 octobre seraient en mesure de reprendre leur vie quotidienne de la même manière.
« C’est différent cette fois-ci, avec des femmes, des enfants, des bébés et des personnes âgées en captivité, mais la vie est forte. Les gens découvrent qu’ils peuvent survivre », a-t-il affirmé.
Un instinct de survie
Les parents de Sharon étaient des survivants hongrois de la Shoah qui se sont rencontrés et mariés dans un camp de personnes déplacées en Italie.
Né en 1947 dans un camp de détention britannique à Chypre pour les immigrants illégaux pris en train d’essayer d’entrer en Palestine sous mandat britannique, Sharon et ses parents ont été autorisés à faire leur alyah le 29 novembre de cette année-là – le jour où le plan de partage des Nations unies a été adopté.
« Peut-être que le fait d’être né de parents survivants et d’avoir été élevé comme un tout petit bébé derrière des barbelés m’a prédisposé à être dur », a suggéré Sharon.
La famille s’est installée à Givatayim, où Sharon a grandi et a rencontré son épouse Bella alors qu’ils étaient tous deux encore adolescents. Vivant aujourd’hui à Kiryat Ono, lui et sa femme ont trois enfants et neuf petits-enfants.
Le deuxième enfant du couple, un fils, est né alors que Sharon était en captivité. Il a finalement pu rencontrer son enfant lorsqu’il avait deux mois.

« Bella l’a nommé Dror, qui signifie ‘liberté’ en hébreu, lors de sa brit mila [cérémonie de circoncision], à laquelle je n’ai pas assisté. Par coïncidence, lorsque j’ai appris en captivité que ma femme avait accouché, j’avais pensé à l’appeler Dror », a déclaré Sharon.
Sharon a expliqué qu’il avait eu recours à l’imagination active, ou à la visualisation, pour survivre à la captivité et à la torture.
« Bien sûr, je ne savais pas à l’époque qu’il s’agissait d’une technique psychologique qui consistait à imaginer des choses pour les rendre réelles ou pour y faire face. Je l’ai fait naturellement », a-t-il déclaré.
Par exemple, dès le début de sa captivité, il a imaginé à maintes reprises qu’un représentant du Comité international de la Croix-Rouge lui rendrait visite et lui annoncerait qu’il serait libéré le 8 juin. L’échange de prisonniers entre Israël et la Syrie a effectivement eu lieu au début du mois de juin.

Sharon imaginait également que les coups de pied que ses geôliers lui donnaient dans le dos étaient des danseurs et que ses hurlements étaient de la musique.
Ses geôliers l’ont torturé à de multiples reprises lorsqu’il ne répondait pas à leurs questions concernant le char Merkava, alors nouvellement mis au point par Israël.
« Honnêtement, je n’étais pas au courant de l’existence de ce nouveau char, car je n’avais pas participé à son développement et je ne l’avais jamais utilisé, mais ils n’ont bien sûr pas voulu me croire », a-t-il raconté.
À la suite de ces interrogatoires, Sharon a déclaré qu’il imaginait le char Merkava comme une boîte d’allumettes dont la tourelle serait une cigarette.
« Dans mon esprit, je voyais un grand nombre de ces chars se déplacer et conquérir tout le Moyen-Orient. Je ne suis pas un homme religieux, mais j’ai conçu ma propre prière – que je dis toujours régulièrement – et je la récitais trois fois par jour. Cela me réchauffait, même si j’étais allongé sur le sol nu d’une cellule minuscule, vêtu uniquement de sous-vêtements, en plein hiver », a-t-il déclaré.
Faire face aux démons du passé toujours présents
Bien qu’il soit de retour en Israël depuis un demi-siècle, il ne peut s’endormir qu’en position fœtale, car c’est la seule façon dont il pouvait s’allonger en isolement. Il se réveille tous les jours à 3 heures du matin, car c’est l’heure à laquelle ses geôliers le réveillaient. La plante de ses pieds lui fait toujours mal à cause des coups qu’il recevait et il ne supporte pas les lumières vives parce que ses tortionnaires lui éclairaient le visage à l’aide de lampes.
La sculpture n’est qu’un moyen parmi d’autres pour Sharon de faire face à son syndrome de stress post-traumatique. Il sait qu’il ne peut pas en guérir, mais qu’il peut vivre avec.

Il fabrique ses figurines en argile dans le cadre d’un atelier de sculpture proposé à Beit Halochem.
« Les choses ont commencé à me revenir et mon professeur m’a dit de sortir les images de ma tête et de les sculpter. C’était mieux pour moi de transformer mes souvenirs en argile que de les garder dans ma tête », a expliqué Sharon, qui a récemment présenté son exposition au Times of Israel.
Son instructeur, artiste et thérapeute des traumatismes, est Shaï Avidan, dont le père a été prisonnier de guerre en Égypte entre décembre 1969 et octobre 1973. Avidan a salué la capacité de Sharon à dépeindre la laideur et l’horreur de ce qu’il a vécu.
« Il est capable de décharger ce qui pèse sur son corps et son âme. Ce n’est pas donné à tout le monde », a déclaré Avidan.

Sharon a pointé du doigt un personnage et a déclaré qu’il s’agissait de l’interrogateur cruel qu’il avait surnommé « Eagle Eyes » (« Yeux d’aigle »).
« Il me revenait en rêve et j’avais l’intention de le sculpter puis de le casser, mais l’instructeur m’a recommandé de l’ajouter à l’exposition. Dès que j’ai fait cela, il a disparu de mes rêves », a déclaré Sharon.
Lui et les pilotes avec lesquels il était détenu ont eu l’occasion de se retrouver face à un ancien ravisseur dans la vie réelle en 2012. Il s’agissait d’un Arabe israélien qui s’était enfui en Syrie alors qu’il était adolescent et qui a servi pendant des années de traducteur hébreu-arabe de haut niveau pour les interrogateurs, échappant ainsi aux services de sécurité israéliens pendant des années.
« Dès que je l’ai vu en Syrie, j’ai senti que quelque chose était différent chez lui. Il souriait beaucoup et ressemblait à un Juif yéménite, c’est pourquoi je l’ai surnommé ‘le Yéménite' », s’est souvenu Sharon.
Aider les autres à prendre confiance en eux et à relever les défis
En plus de sculpter et de peindre, Sharon parle de ses expériences et donne des conseils pour relever les défis à divers groupes civils et militaires.
« Je n’ai pas parlé de ce que j’avais vécu pendant les quatorze années qui ont suivi mon retour. Je n’ai même pas vraiment répondu à ma femme lorsqu’elle m’a demandé si j’avais reçu un coup de couteau dans le dos, ni à mon jeune fils qui m’a demandé pourquoi j’étais revenu de Syrie sans ongles », a raconté Sharon.
« Mais j’ai fini par parler en termes généraux lorsque j’ai été invité à m’adresser à la classe de Terminale de mon fils. J’ai eu l’impression qu’un poids énorme avait été enlevé de mes épaules. Après cela, j’ai pu commencer à parler plus en détail », a-t-il ajouté.

Sharon a raconté toute son histoire dans ses mémoires, également intitulées Sane in Damascus, publiées en 2005. Ce livre est disponible en hébreu et en anglais.
« Contrairement à d’autres personnes souffrant du syndrome de stress post-traumatique [TSPT], qui choisissent de ne pas parler pour éviter de se blesser ou de blesser les autres, il est très important pour Amnon de raconter et de montrer comment il a géré une période très difficile », a déclaré l’art-thérapeute Avidan.
Après que les spécialistes de la réadaptation ont remarqué les talents d’imagination active de Sharon, ils l’ont encouragé à devenir un coach certifié. Aujourd’hui, il travaille bénévolement avec des personnes dans des hôpitaux de réadaptation et à Beit HaLochem, et propose également des séances privées.
Critique de l’activisme public pour la libération des otages
Sharon a déclaré que peu après que les otages ont été emmenés à Gaza, il s’est rendu sur la « Place des Otages » à Tel Aviv, a approché des parents d’otages, s’est présenté comme un ancien prisonnier de guerre et a offert son soutien.
« Ils n’étaient pas intéressés. Mais je comprends cela. Lorsque j’étais en Syrie, Bella ne voulait pas que des gens l’approchent », a-t-il expliqué.
Sharon a déclaré qu’il se réveillait chaque matin en espérant entendre que tous les otages avaient été libérés. Ayant de nombreux petits-enfants roux, il ressent un lien particulier avec Shiri Bibas et ses bébés roux Ariel et Kfir.
Une sculpture qu’il a réalisée à leur effigie est exposée à côté de ses autres figurines.

« Bien que je sois inquiet pour les otages, je pense que le Forum [des familles des otages et disparus] s’y prend mal. Leur activisme et le bruit qu’ils font, ainsi que d’autres, ne sont pas la bonne façon de procéder », a déclaré Sharon.
« Je les comprends, mais je ne suis pas d’accord avec eux. Lorsque j’étais en captivité, les familles ne parlaient qu’avec Tsahal et les canaux officiels. Aujourd’hui, les familles laissent [Yahya] Sinwar jouer avec nous. Il sait que nous craignons pour la sécurité et la vie des otages. Même avec toute cette douleur, ils devraient travailler en coulisses et les médias ne devraient pas révéler les détails publiquement », a-t-il expliqué.
À la question de savoir s’il considérait que les familles des otages étaient peut-être si actives parce qu’elles ne faisaient pas confiance au gouvernement pour faire de la libération des otages une priorité, Sharon a répondu qu’il ne pensait pas qu’il y avait quoi que ce soit que lui et d’autres citoyens puissent faire pour influer réellement sur la situation.
« Je peux influencer les choses [en votant] lors des prochaines élections », a-t-il déclaré.