Israël en guerre - Jour 426

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Lucette Ferraille, Ruth Ben David et Ruth Blau aux différentes étapes de sa vie. (Crédit : Motti Inbari et Nechama Davidson)
Lucette Ferraille, Ruth Ben David et Ruth Blau aux différentes étapes de sa vie. (Crédit : Motti Inbari et Nechama Davidson)
Interview"Méchante ou héroïne ?"

Un nouveau livre retrace la vie complexe de (l’inclassable) Ruth Blau

Motti Inbari explore l’histoire de cette Française qui a espionné la Gestapo, s’est convertie au judaïsme à deux reprises, a kidnappé un garçon et a épousé le co-fondateur des Neturei Karta

Elle est née Lucette Ferraille dans une famille catholique du nord de la France en 1920. Elle a été enterrée à Jérusalem en 2000 sous le nom de Ruth Blau, membre de longue date de la secte extrémiste anti-sioniste ultra-orthodoxe Neturei Karta.

Au cours de ses 80 années sur terre, Ruth Blau a vécu plusieurs vies. Son histoire, plus étrange qu’une fiction, s’étend d’un passage dans la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale à une mission d’espionnage au Maroc, en passant par une incarcération pour fraude fiscale, une conversion au judaïsme à deux reprises, un rôle clé dans l’enlèvement d’un garçon en Israël, un mariage très controversé avec le fondateur des Neturei Karta et au moins une rencontre avec l’ayatollah iranien Ruhollah Khomeini.

L’universitaire Motti Inbari a tenté d’éclaircir les nombreuses strates de sa vie dans son dernier ouvrage, Ruth Blau : A Life of Paradox and Purpose (« Ruth Blau : Une vie de paradoxes et d’intentions »). Il a entrepris des années de recherche pour retracer l’histoire de Blau, en étudiant trois versions contradictoires de sa propre autobiographie, en fouillant dans des archives sur trois différents continents et en s’entretenant avec une poignée de ses descendants.

Si son nom s’est largement effacé de la conscience israélienne au cours des dernières décennies, Blau – connue à l’époque sous le nom de Ruth Ben David – est sans aucun doute pour son rôle dans l’affaire Yossele Schumacher, dans les années 1960. Sur les conseils de rabbins ultra-orthodoxes, Blau a enlevé le garçon de 8 ans à sa famille et l’a fait sortir du pays pour l’élever dans le mode de vie haredi plutôt que de le rendre à ses parents laïcs.

Pendant deux ans, Blau a déplacé Schumacher à maintes reprises dans le monde entier, en falsifiant des documents et en l’obligeant à vivre sous de faux noms pour le cacher. Après que son fils s’eut retourné contre elle, elle a finalement conclu un accord avec l’agence de renseignement du Mossad, qui a localisé le garçon à New York, à l’adresse fournie par Blau, en échange d’une totale immunité.

« En Israël, les gens connaissent Yossele, c’est une histoire qui leur est familière, parce qu’elle a suscité une telle controverse, une telle cicatrice dans l’histoire d’Israël », a déclaré Inbari lors d’une récente interview accordée au Times of Israel. « Si vous interrogez n’importe qui dans la rue sur Yossele, il en aura forcément entendu parler. »

L’auteur Motti Inbari et son dernier livre, « Ruth Blau » (Crédit : Motti Inbari)

Motti Inbari, professeur d’études juives à l’université de Caroline du Nord à Pembroke, a beaucoup écrit et donné de nombreuses conférences sur le fondamentalisme juif. Il s’est intéressé pour la première fois à l’incroyable histoire de la vie de Ruth Blau en fouillant dans les archives personnelles du rabbin Amram Blau, l’un des fondateurs des Neturei Karta et futur mari de Ruth, conservées à l’université de Boston.

« Plus j’approfondissais son histoire et son récit, plus je me rendais compte de la richesse de cette histoire et de la complexité de sa vie », a-t-il déclaré.

Infiltrer la Gestapo

Pour mieux comprendre Blau et retracer son parcours, Inbari s’est efforcé de découvrir les détails de son enfance et de sa vie de jeune adulte en France, bien avant qu’elle n’envisage de se convertir au judaïsme.

« Je suis allé en France et j’ai essayé de retracer tout ce que je pouvais trouver… et de comprendre ce qui s’est passé dans sa vie », a-t-il déclaré. « Les archives militaires françaises disposaient d’un épais dossier sur elle, qui m’a fourni de nombreuses informations sur ce qui s’est passé pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les informations que j’ai pu retrouver sont en réalité très étonnantes. »

Jeune mère célibataire divorcée dans les années 1940, Blau a infiltré les rangs de la Gestapo sur ordre de la Résistance française en nouant une relation amoureuse avec un officier supérieur nazi.

La carte d’identité militaire de Lucette Ferraille dans la Résistance française en 1944. (Crédit : Motti Inbari)

« Elle pénétrait dans le quartier général nazi en se faisant passer pour une nazie, une officière de la Gestapo, et rendait compte en permanence à la Résistance de ce qui se passait dans le quartier général », a raconté Inbari. Son travail clandestin ne s’est pas arrêté là, puisqu’elle s’est ensuite rendue au Maroc pour le compte des services secrets français afin de se livrer à un certain nombre d’activités d’espionnage.

Après la guerre, Blau a entamé un cheminement spirituel, notamment en entreprenant des études de théologie à la Sorbonne. Désillusionnée par l’Église catholique, elle a tâté de l’adventisme du septième jour pendant un certain temps avant de décider, en 1950, qu’elle était attirée par le judaïsme. Elle a rencontré un Israélien laïc en France avec qui elle s’est fiancée, a visité Israël et s’est convertie chez les réformés à Paris, mais n’a finalement jamais célébré le mariage.

Peu de temps après, elle a rencontré un rabbin de la mouvance Modern Orthodox en France, dont elle est tombée amoureuse. Avec son fils Claude, aujourd’hui nommé Uriel, elle s’est convertie à l’orthodoxie et s’est installée en Israël, adoptant le nom de Ruth Ben David. Une fois de plus, le mariage n’a pas eu lieu, mais Blau a commencé à se rapprocher de plus en plus d’une stricte ultra-orthodoxie et de convictions anti-sionistes, et a fini par renoncer à sa citoyenneté israélienne, qu’elle détenait de 1961 à 1963.

Le cerveau de l’enlèvement

En 1960, un rabbin affilié aux Neturei Karta qui avait guidé Blau lui a demandé de faire sortir clandestinement Schumacher du pays. Elle avait accepté, avec l’aide d’Uriel, alors âgé de 20 ans, et avait déguisé le jeune garçon en fille pour l’emmener en Suisse, puis en France et enfin à New York, le déplaçant chaque fois qu’elle sentait que les autorités se rapprochaient.

Même lorsque le Mossad l’a finalement retrouvée après plus de deux ans, Blau a refusé de leur dire où le garçon était détenu, résistant à leurs interrogatoires pendant des jours jusqu’à ce qu’ils lui disent qu’Uriel avait avoué leur implication dans l’affaire. Le chef du Mossad de l’époque, Isser Harel, qui avait dirigé la mission de récupération de Yossele et qui avait personnellement interrogé Blau, a plus tard écrit un livre sur cette intense opération.

L’incident a créé une ligne de fracture entre les Juifs religieux et laïcs de l’État d’Israël et en est venu à incarner le conflit entre le pouvoir de l’État et l’indépendance de la communauté haredi. Afin de tourner la page, l’État avait décidé que ni Blau ni aucune autre personne impliquée ne serait inculpée pour l’enlèvement.

« Personne n’a été poursuivi – c’est incroyable, cela montre le pouvoir du gouvernement qui a été capable de faire cela », a déclaré Inbari. « Ils ont dit ‘OK, c’est derrière nous’, étant entendu que les ultra-orthodoxes ne feront plus jamais quelque chose comme ça. »

La première page du journal israélien Yedioth Ahronoth en 1962 annonçant le retour sain et sauf de Yossele Schumacher. (Autorisation)

Si elle a évité la prison, Blau n’a pas pour autant mené une vie tranquille. Environ un an plus tard, elle s’est fiancée avec le rabbin Amram Blau, co-fondateur de Neturei Karta, de 25 ans son aîné, veuf et père de 10 enfants, militant anti-sioniste virulent qui refusait de reconnaître l’État, de payer des impôts ou même de manipuler de la monnaie israélienne.

La nouvelle des fiançailles avait enflammé la communauté ultra-orthodoxe de Jérusalem, certains protestant si vigoureusement que le tribunal religieux officiel Eda Haredit avait rendu une décision interdisant l’union.

Inbari a fouillé dans la correspondance de l’époque de leurs fiançailles pour révéler l’éventail des raisons contradictoires de l’opposition au mariage – de leur différence d’âge à sa conversion, en passant par sa supposée impuissance due à une blessure, les fausses affirmations selon lesquelles elle avait travaillé comme strip-teaseuse à Paris et les inquiétudes concernant le fait qu’elle portait des bas beiges au lieu de noirs.

« Il y avait beaucoup d’aspects politiques derrière l’opposition. Les adversaires d’Amram essayaient de se débarrasser de lui en utilisant cette affaire comme un outil, de sorte que l’opposition au mariage était biaisée », a expliqué Inbari, notant également que la communauté ultra-orthodoxe n’était pas particulièrement accueillante pour les convertis, les considérant souvent comme des étrangers.

Ruth et le rabbin Amram Blau sur une photo non datée de leur mariage. (Crédit : Nechama Davidson)

Ruth et Amram ont finalement décidé de se marier malgré tout en 1965, mais ils l’ont fait en dehors de Jérusalem, en s’enfuyant à Bnei Brak et en tentant d’échapper à la presse, qui s’était entichée de l’histoire. Le couple est resté marié jusqu’à la mort d’Amram en 1974, à l’âge de 81 ans.

Selon Inbari, leur mariage n’a pas été de tout repos, notamment parce que Ruth, malgré la prétendue stérilité d’Amram et son âge avancé, désirait désespérément avoir un autre enfant. Dans une anecdote étonnante, le livre raconte que six ans après la célébration de leur union, Ruth a arraché sa perruque en plein milieu du quartier ultra-orthodoxe de Mea Shearim à Jérusalem.

Lorsque le rabbin Neturei Karta Dov Sokolovsky s’est approché d’elle pour lui demander de se recouvrir les cheveux, elle lui a répondu que « puisqu’elle était encore vierge, les règles d’une femme mariée ne s’appliquaient pas à elle », a écrit Sokolovsky dans une lettre adressée à Amram à propos de l’incident. Loin de jouer un second rôle à l’instar de la plupart des femmes dans les sectes ultra-orthodoxes extrémistes, Blau semblait se réjouir d’être une membre très visible de la communauté.

Ce comportement n’a pas cessé après la mort de son mari. Dans les années 1970 et 1980, elle s’est livrée à une série d’activités curieuses dans divers pays musulmans. Elle a même rencontré au moins une fois l’ayatollah iranien Khomeini, lors d’une visite relatée par un journaliste français, et lui avait arraché la promesse qu’il protégerait les Juifs d’Iran.

Inbari fait état d’une série de voyages mystérieux au Liban, en Syrie, en Jordanie et en Iran et de ses tentatives, finalement infructueuses, de négocier la libération d’otages juifs – en misant, peut-être, sur sa bonne foi anti-sioniste – dont le juif iranien Albert Danielpour et les soldats de Tsahal Zachary Baumel, Yehuda Katz et Zvi Feldman.

Contrairement à bon nombre de ses autres activités, Blau n’a pas conservé de traces de ses tentatives de négociation au nom des Juifs détenus à l’étranger, bien que certaines d’entre elles aient été documentées ailleurs, a expliqué Inbari.

« L’hypothèse est qu’elle a gardé des documents à ce sujet mais qu’elle les a cachés… elle a probablement gardé de vieux documents sur ces voyages en dehors d’Israël, peut-être en Suisse ». « Il existe des preuves qui confirment certaines parties des histoires dans lesquelles elle a été impliquée… J’ai pu trouver certaines corroborations à partir de multiples sources, et d’articles de journaux entre autres », a-t-il néanmoins ajouté.

Un héritage compliqué

Inbari admet d’emblée que son livre « réhabilite en quelque sorte son image ». « Je reconnais que cela peut déplaire à certains, en particulier à Yossele et à sa famille », a-t-il écrit. Il dépeint Blau comme une personne profondément dévouée à ses croyances, d’une manière admirable bien qu’imparfaite, et il passe sous silence l’extrémisme violent de la secte Neturei Karta, y compris les multiples emprisonnements d’Amram Blau pour émeutes, jets de pierres et activités anti-Israël.

Blau, pour sa part, ne s’est jamais excusée pour l’enlèvement de Schumacher, et Yossele lui-même – aujourd’hui âgé de 70 ans – a déclaré qu’elle était la seule personne ayant pris part à son enlèvement – épreuve qu’il ne pardonnait pas.

« En Israël, elle est considérée comme une méchante. J’étais dans cet état d’esprit, mais plus j’en apprenais sur elle, plus j’éprouvais de la sympathie à son égard », a déclaré Inbari, ajoutant qu’il pensait qu’elle n’était pas non plus « mentalement équilibrée ».

« J’ai eu l’impression de la comprendre et d’éprouver plus de sympathie pour elle », a-t-il ajouté. « Si vous regardez sa vie à travers le prisme de sa vie entière, vous voyez que dans l’ensemble elle essayait de faire de bonnes choses, elle essayait d’être une bonne personne – à un moment de sa vie, elle a simplement perdu le nord. »

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