Svetlana avait fui l’Ukraine, déchirée par la guerre, au mois de mars, parquée à l’arrière d’un camion avec son fils de six ans et d’autres réfugiés. Invitée en Israël par un ami proche de sa famille, elle espérait pouvoir se relever de cette épreuve et commencer une nouvelle vie en Terre promise.
Quelques mois après son arrivée, elle a été violée par l’homme qui lui avait transmis l’invitation qui devait lui permettre de fuir les horreurs de la guerre et les bombardements russes.
« Elle dormait lorsqu’il l’a réveillée et traînée dans sa chambre », a raconté Olga Udovichenko, à qui Svetlana était venue demander de l’aide au Centre d’aide volontaire pour les réfugiés d’Ukraine de Haïfa.
« Elle a profondément souffert de la guerre et du viol. Et une fois ici, elle pouvait à peine espérer une assistance de la part des autorités. Au lieu d’une aide, elle s’est retrouvée prisonnière dans un labyrinthe de bureaucratie et a perdu toute motivation. Elle, qui dans un premier temps, était déterminée à faire assumer ses responsabilités à cet homme et à le traduire en justice. »
L’invasion russe de l’Ukraine, qui a commencé en février 2022, a fait plus de 40 000 morts parmi les civils et environ 30 millions de déplacés. Alors que l’offensive dure depuis plus de 300 jours, ce sont 17,7 millions d’Ukrainiens, dans le monde entier, qui ont besoin d’une aide humanitaire et de protection, selon les chiffres des Nations unies.
Svetlana fait partie des plus de 47 000 Ukrainiens – des femmes pour la plupart – qui ont trouvé refuge en Israël depuis le début de l’invasion mais qui ne sont pas en droit de demander la citoyenneté en vertu de la Loi du retour, selon le ministère des Affaires sociales. Aujourd’hui, ils sont 15 000 à se trouver encore en Israël, les autres ayant fait le choix de repartir. Pas un seul Ukrainien ayant fui la guerre n’a obtenu le statut de réfugié au sein de l’État juif.
Pas un seul Ukrainien ayant fui la guerre n’a obtenu le statut de réfugié au sein de l’État juif.
Un reportage d’investigation du Times of Israel se penche aujourd’hui sur les cas de viol, de harcèlement sexuel, d’exploitation sur le lieu de travail et autres violences subis par ces femmes en Israël alors que beaucoup d’entre elles, ont perdu leurs maisons, leurs familles, et leurs moyens de subsistance sous l’assaut des troupes du Kremlin. Une d’entre elles, a même choisi de mettre fin à ses jours.
Un grand nombre de ces abus restent, au mieux, inconnus des autorités, au pire, ils sont ignorés, laissant les victimes à l’abandon dans un cycle de violence et de pauvreté qui ne fait qu’aggraver les traumatismes déjà endurés jusque-là. Les auteurs de ces violences, pour leur part, restent libres de commettre de nouveaux crimes.
Udovichenko – une bénévole originaire de la Crimée, cette péninsule de la mer Noire que la Russie a annexée en 2014 alors qu’elle était intégrée à l’Ukraine – s’est investie dans l’aide apportée à ses compatriotes ukrainiens dès le commencement de la guerre.
« Mon cœur s’est déchiré en voyant ce qui se passait dans mon pays natal », a-t-elle expliqué. Étudiante de troisième cycle en criminologie, Udovichenko a décidé de venir en aide aux victimes ukrainiennes d’abus sexuel et de harcèlement, constatant que les services sociaux ne leur étaient pas facilement accessibles. « Tout du moins, pas à notre connaissance », a-t-elle ajouté.
« Ces réfugiées nous ont dit que même si elles contactaient la police, les interlocuteurs ne parlaient que l’hébreu. C’est la même chose avec les services sociaux. C’est un cercle vicieux », a-t-elle expliqué.
Quand Sveltana s’est présentée, Udovichenko dit avoir été bouleversée par les épreuves traversées par la jeune femme.
« Cet homme [qui avait accueilli Svetlana et son enfant] la menaçait constamment en lui disant qu’il pouvait la mettre à la rue, qu’il pouvait la faire expulser, qu’il pouvait dire à tous ses amis et à tous ses proches qu’elle était une femme indigne, qu’elle fréquentait de nombreux hommes », s’est-elle s’insurgée.
Selon Udovichenko, « il la dénigrait, il lui répétait qu’elle était une moins que rien, qu’elle n’était rien ». Tentant de l’isoler davantage, il téléphonait à ses amis et à ses proches, faisant courir des rumeurs à son sujet.
« Et je pense que, de cette façon, il a cherché à s’assurer qu’elle n’aurait aucun soutien et qu’elle se sentirait esseulée, impuissante, sans d’autre choix que de s’appuyer entièrement sur lui, en n’osant rien dire à personne », a noté Udovichenko.
Le viol présumé a eu lieu, après des semaines entières de propos obscènes, d’allusions, et de propositions explicites – fautes de relations sexuelles.
« Elle était accablée, elle se sentait impuissante et elle avait peur pour elle mais aussi pour son enfant, qui dormait dans la pièce d’à côté. Elle n’a pas pleinement réalisé ce qui était en train de se produire. Elle m’a dit qu’elle avait l’impression d’être dans une sorte de cauchemar, comme si elle était spectatrice de ce qui était en train de lui arriver », a raconté Udovichenko.
Il aura fallu longtemps à Svetlana pour admettre qu’elle avait été violée. « Elle a ressenti une sorte de dissonance cognitive. Elle a tenté de rationaliser le viol », dit Udovichenko. « Elle ne voulait pas se considérer comme une victime. Elle a essayé de se convaincre de ce qu’il lui répétait, que le viol n’était qu’une juste contribution pour son hospitalité, qu’il était totalement justifié. »
Svetlana a déménagé et s’est installée avec un ami. Udovichenko l’a aidée à obtenir une assistance médicale, lui conseillant d’aller porter plainte. De longs interrogatoires ont suivi. Sans nouvelles pendant plusieurs semaines, elle a soudainement reçu un SMS lui annonçant que le dossier avait été classé, la police n’ayant pas trouvé suffisamment d’éléments justifiant la poursuite de l’enquête.
Lorsque Svetlana a cherché à savoir pourquoi – avec l’aide de l’ancienne députée Ibtisam Maraana – la police lui a répondu qu’elle pouvait faire appel de la décision en fournissant des preuves supplémentaires. À ce moment-là, Svetlana, déjà gravement traumatisée, a déclaré qu’elle n’avait plus la force de poursuivre ses démarches. Elle a depuis quitté Israël pour « un pays qui accepte les réfugiés », selon Udovichenko.
« L’homme a retourné de nombreuses personnes contre elle », a expliqué Udovichenko. « Lorsqu’elle a essayé de raconter à une amie commune ce qui s’était passé, celle-ci lui a répondu : ‘Qu’est-ce que tu t’imaginais ?’. »
Aujourd’hui, le violeur présumé de Svetlana est libre – et ce cas n’est, malheureusement pas, un cas isolé.
Viols et harcèlement
Les statistiques sur les crimes commis contre les réfugiées ukrainiennes sont difficiles à trouver. Un rapport publié plus tôt cette année par le Centre de Tel Aviv pour les réfugiés ukrainiens note qu’entre le mois de mars et le mois d’août 2022, trois autres cas de viols impliquant des réfugiées ukrainiennes ont été signalés à la police. 18 cas de harcèlement sexuel ont fait l’objet d’une enquête de police et 12 autres cas de harcèlement sexuel ont été signalés à des bénévoles mais pas déposés à la police, selon le rapport.
Certains détails des crimes présumés ont été rapportés dans les médias locaux. En mai, un résident d’Ashdod, âgé d’une cinquantaine d’années, a été arrêté et inculpé pour le viol présumé d’une Ukrainienne de 19 ans qui avait fui la guerre. L’homme aurait proposé à la jeune femme de l’aider à trouver un travail de femme de ménage (lien en russe). Prétextant de l’emmener au travail, il l’aurait emmenée dans un hôtel et l’aurait violée, selon le chef d’accusation.
Au mois de mars, un Israélien a été arrêté. Il était soupçonné d’être entré par effraction dans l’appartement d’une Ukrainienne à Jaffa, de l’avoir violée et cambriolée (lien en russe).
Les militants affirment que les chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés, car de nombreuses Ukrainiennes ne signalent jamais les abus présumés à la police.
L’un des principaux obstacles qui empêchent les Ukrainiennes de demander réparation et d’obtenir justice pour de tels abus est « le manque d’informations accessibles concernant leurs droits et la difficulté de faire valoir ces droits par elles-mêmes », a expliqué Me Liora Turlevsky, une avocate qui traite de nombreux cas de femmes étrangères à titre bénévole parallèlement à sa pratique du droit de l’Immigration.
« Les autorités israéliennes ne font preuve d’aucune compréhension à l’égard de la détresse des Ukrainiennes et traitent leurs demandes avec beaucoup de suspicion. Même lorsque leurs demandes sont clairement étayées, la réalité montre qu’il n’y a aucune volonté de faire bouger les rouages de la justice et de ‘gaspiller’ les ressources publiques au profit d’une étrangère », a-t-elle expliqué.
Un autre facteur est l’argent. « Naturellement, ces femmes sont en détresse financière, et comme elles sont étrangères en Israël, elles n’ont pas droit à l’aide juridique gratuite, et doivent donc payer des milliers de shekels à des avocats privés pour faire respecter leurs droits les plus élémentaires », a expliqué Me Turlevsky.
Dans certains cas, la situation économique désastreuse de ces femmes, associée au traumatisme de la guerre, se traduit par les pires conséquences possibles.
Cet été, une Ukrainienne qui avait fui la guerre s’est suicidée en Israël. Selon des personnes connaissant bien l’affaire et ne souhaitant pas être nommées, elle souffrait d’un grave syndrome de stress post-traumatique (TSPT) et d’anxiété économique, qui s’étaient rajoutés à un problème de santé préexistant. Elle a parlé à un psychologue à plusieurs reprises par le biais de la ligne d’assistance téléphonique du gouvernement *5130. (Le ministère des Affaires sociales dit ne pas pouvoir faire de commentaires sur ce cas précis).
Dans un autre cas, un Ukrainien du nord d’Israël qui avait fui la guerre a tenté de se suicider au début de l’année lorsque des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur l’ont accusé d’avoir vendu les documents attestant de ses racines juives à quelqu’un d’autre qui les avait utilisés pour obtenir le droit d’immigrer, a rapporté Leah Aharoni, ancienne directrice des opérations en Israël de Vaad Hatzalah – la commission pour le sauvetage des Juifs ukrainiens. Aujourd’hui, elle est la fondatrice de Our People, une organisation qui aide à l’intégration de nouveaux citoyens russes et ukrainiens.
« Il y a tellement de personnes vulnérables qui survivent à des situations désespérées et qui ne reçoivent aucune aide », a déclaré au Times of Israel un employé d’une ONG qui ne souhaite pas être identifié.
Travail d’exploitation
En parcourant rapidement la courte distance qui sépare son arrêt de bus de la maison où elle travaille, Marina entre dans le bâtiment aussi vite que possible, ferme la porte et jette un coup d’œil à travers les rideaux pour voir si quelqu’un ne se cache pas à l’extérieur.
« Chaque fois que je parle de lui, j’ai des crises de panique », a-t-elle dit au Times of Israel, parlant par téléphone, sous couvert d’anonymat, de l’homme qui l’avait aidée à venir en Israël au mois de juin et qui, d’après elle, l’exploite depuis.
Au début de l’année 2022, contrainte de fuir l’Ukraine, Marina, dont le défunt père était juif, a tenté d’immigrer officiellement en Israël en vertu de la Loi du retour, qui stipule que toute personne ayant au moins un grand-parent juif est éligible à la citoyenneté. Dans le chaos des bombardements russes, elle n’a pas pu trouver les documents nécessaires pour attester de son éligibilité. Alors qu’elle avait déjà commencé à remplir les papiers, elle a décidé de venir en Israël malgré tout.
À l’époque, le gouvernement israélien interdisait aux Ukrainiens de travailler en Israël – une situation qu’elle savait intenable.
« Je venais seule, avec zéro économie. Je savais qu’Israël était un pays cher. Il fallait donc que je trouve du travail d’une manière ou d’une autre », a raconté Marina.
Un ami lui a parlé d’Amir, un Israélien qui avait de solides relations en Ukraine et qui pouvait, selon lui, l’aider.
« Je lui ai parlé, et il m’a dit qu’il s’arrangerait pour m’inviter, qu’il me donnerait un travail, un appartement, une assurance maladie, et que je pourrais vivre une vie décente », a-t-elle raconté, en faisant référence à l’obligation pour les Ukrainiens non-admissibles à l’immigration d’avoir une lettre d’invitation d’un citoyen israélien.
Au lieu de cela, à son arrivée, Amir a placé Marina dans une chambre avec une autre femme dans un appartement exigu couvert de moisissures et de champignons où vivaient également deux autres familles. Il lui a dit qu’elle devait travailler deux fois cinq heures par jour, tous les jours, en tant que femme de ménage. À la fin de chaque service, Marina lui remettait son salaire et Amir en prenait presque la moitié, lui versant le reste à la fin du mois ou « quand cela lui convenait », s’est-elle souvenue avec amertume.
Son emploi de femme de ménage était un travail physique que Marina, âgée d’une cinquantaine d’années, trouvait extrêmement pénible.
« Nous nous rendions au travail dans un minibus sans climatisation, sous la chaleur estivale. Lorsque nous arrivions, nous devions courir dans l’appartement, nettoyer, passer la serpillière, frotter tout aussi vite que possible », raconte Marina. « J’étais dégoulinante de sueur lorsque le minibus venait nous chercher, les autres et moi-même. Plusieurs fois, j’ai failli vomir sur le chemin du retour, tant j’étais faible et épuisée. »
Elle a affirmé que sa santé s’est fortement détériorée depuis son arrivée en Israël et qu’elle souffre désormais de migraines et de crises d’angoisse.
Lorsqu’elle a dit à Amir qu’elle voulait partir et trouver un autre emploi, il l’a menacée.
« Il s’est mis en colère et m’a dit ‘je suis un mec sympa, mais je me transforme en diable pour quiconque me tourne le dos’. » Il a ajouté que si elle le quittait, il la dénoncerait aux autorités et qu’elle serait expulsée « dans les 48 heures ».
Tous les Ukrainiens vivant en Israël, y compris ceux qui sont arrivés avant la guerre, sont protégés de l’expulsion – un droit qui a été renouvelé de mois en mois par le ministère de l’Intérieur.
Marina a essayé une fois de s’enfuir et de demander de l’aide à un avocat, « mais il m’a fait payer 1 000 shekels et a ensuite disparu ». Elle n’a pas eu d’autre choix que de retourner chez Amir, qui, selon elle, fournit des emplois similaires à des dizaines d’autres réfugiées ukrainiennes.
Des obstacles officiels
Si l’exploitation des individus n’est pas nouvelle, « le vrai problème est la politique », affirme Me Anat Ben-Dor, instructrice clinique au dispensaire des droits des réfugiés de l’université de Tel Aviv.
Les non-Juifs fuyant la guerre en Ukraine reçoivent le statut de touriste en Israël – une catégorie de visa qui ne leur permet normalement pas de travailler. En mai 2022, Israël a ajusté cette politique, permettant aux Ukrainiens de travailler sans aucune mesure d’application contre eux ou leurs employeurs, tout en ne leur fournissant toujours pas de permis de travail officiel.
« Le ministère a mis une annonce sur son site web selon laquelle si quelqu’un emploie un Ukrainien, il n’en sera pas pénalisé. Mais c’est trop ambigu. J’ai parlé avec des employeurs, et ils trouvent cela très difficile ; ils deviennent méfiants et finissent par offrir le poste à quelqu’un d’autre », a expliqué Me Ben-Dor. En conséquence, de nombreux emplois sont sans contrat, ce qui contraint les employés à un salaire minimal et n’ont aucun droit si leur employeur décide de les exploiter.
Au mois de juillet, Israël a introduit un autre obstacle à la subsistance des personnes originaires d’Ukraine, à savoir une limitation géographique des lieux où elles peuvent travailler. À moins qu’ils ne travaillent dans le bâtiment, l’agriculture, les soins infirmiers en institution ou dans l’hôtellerie, il leur est désormais interdit de travailler dans 17 villes, notamment Tel Aviv et Jérusalem. Étant donné que la plupart des Ukrainiens trouvent un logement à proximité de leur famille, de leurs proches ou de leurs amis, il s’agit là d’un problème grave, a déclaré Me Ben-Dor.
« Je trouve cela très abusif. C’est comme avoir une politique à double-visage – oui, vous pouvez travailler, mais en même temps, le gouvernement fait de son mieux pour vous en empêcher. Je pense que le ministère de l’Intérieur est le premier à blâmer pour avoir laissé de côté ces personnes vulnérables », a déclaré Me Ben-Dor.
En réponse, le ministère de l’Intérieur a confirmé que les personnes qui séjournent en Israël avec un visa de tourisme ne sont pas autorisées à travailler en vertu de la loi. Mais, en raison de la guerre en Ukraine, « la ministre a autorisé quiconque est entré en Israël avant le 30 septembre 2022 à pouvoir travailler », a déclaré au Times of Israel Sabin Hadad, porte-parole de l’Autorité de la population et de l’immigration du ministère de l’Intérieur. « Beaucoup d’entre eux [les Ukrainiens] venaient d’un autre pays d’Europe et certains avaient même un visa de travail dans d’autres pays mais ont choisi de venir en Israël. La décision de les laisser travailler est officielle et publiée. Ils peuvent donc travailler. »
La ministre sortante de l’Intérieur, Ayelet Shaked, a annoncé qu’à partir du 1er janvier 2023, les Ukrainiens arrivés en Israël depuis octobre n’auront plus du tout le droit de travailler.
Le Times of Israel a entendu de nombreuses histoires témoignant de comment, en raison des règles ambiguës et des restrictions géographiques, l’exploitation sur le lieu de travail est monnaie courante. Olga, qui a fui Kharkiv et qui vit désormais à Petah Tikva, a raconté que de nombreux Ukrainiens trouvent un emploi par l’intermédiaire d’un tiers, qui prélève souvent un pourcentage élevé sur des salaires déjà maigres.
« Vous devez vous battre pour obtenir l’argent que vous avez gagné », a raconté Olga. « Vivre en tant qu’Ukrainien en Israël, ce n’est pas une partie de plaisir. En Ukraine, j’essayais sans cesse de perdre du poids. Ici, en Israël, malgré tout le stress, j’ai perdu 12 kilos sans même essayer », a-t-elle dit en riant amèrement.
Vika, une mère célibataire et sa fille de 9 ans, se sont échappées de Kharkiv avec une seule valise et vivent actuellement à Ashdod.
« C’est très dur avec le travail et le fait de ne pas parler la langue. On m’a proposé un travail dans une usine-entrepôt – sans contrat parce qu’ils disent que nous n’avons aucun droit – et ensuite ils ne nous ont pas payés », a-t-elle dit, ajoutant que chez elle en Ukraine, elle était avocate.
Elle n’a pas les moyens de s’offrir une assurance médicale, ce qui la contraint à devoir assumer des dépenses élevées pour des soins de base. « Le mois dernier, ma fille a eu mal aux dents et avait besoin d’un plombage. Cela m’a coûté plus de 450 shekels », a-t-elle expliqué.
« Je veux vraiment rentrer chez moi, mes parents sont là-bas. Mais la Russie bombarde nos centrales électriques, tout le monde est sans lumière, sans électricité. On verra au printemps », a dit Vika.
Yulia, originaire de l’est de l’Ukraine, travaille comme aide-soignante 24h/24 et 7j/7. Sa fille de 8 ans l’accompagne tous les jours au travail et assiste parfois, en ligne, aux cours de son école ukrainienne.
« J’ai l’impression que les autorités israéliennes nous détestent ici. C’est comme si nous sentions mauvais ou quelque chose dans ce goût-là », a dit Yulia, décrivant ses interactions avec les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.
Ses emplois sont temporaires, tous sans contrat, et ne durent que quelques semaines à la fois. « Une fois, un passant nous a vues, ma fille et moi, dans la rue avec une valise et nous a offert un travail de femme de ménage dans une maison pendant quelques semaines. C’est ainsi que nous nous en sortons », a expliqué Yulia.
« Il existe également de nombreux groupes WhatsApp et Telegram proposant du travail, souvent sans trace écrite », a-t-elle dit. « Il y a des offres d’emploi étranges, comme ‘venez travailler dans mon salon de massage’, mais j’essaie de les éviter. »
Les responsables du gouvernement israélien affirment qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient pour les Ukrainiens en Israël, le ministre des Affaires sociales de l’époque, Meir Cohen, ayant déclaré au mois d’août que la plupart des personnes qui sont arrivées étaient des femmes, des enfants ou des personnes âgées qui ont reçu « un gros câlin de notre part et une assistance gouvernementale et civile comme il se doit ».
« Israël continuera à aider les citoyens ukrainiens jusqu’à la fin de la guerre, que ce soit en leur fournissant une assistance ici en Israël ou par l’aide humanitaire que nous envoyons en Europe », avait-il déclaré.
Depuis le début des opérations en mars 2022, le programme d’aide humanitaire du ministère des Affaires sociales, Tzav Hashaa (Appel à l’Action), a dépensé 110 millions de shekels en aide aux Ukrainiens en Israël, notamment en fournissant à environ 12 000 personnes des bons alimentaires, ainsi qu’en offrant un soutien psychologique à ceux qui le demandent, une assurance médicale complète pour les personnes âgées de plus de 60 ans, ainsi qu’une assistance médicale d’urgence. Elle a également fourni un logement temporaire à environ 120 Ukrainiens qui n’avaient nulle part où aller.
Dans le cas d’un hôtel de Jérusalem, cependant, cette initiative a pris une tournure douteuse.
Refuge dans un « bordel »
Katya Chehova est arrivée en Israël au printemps 2022 dans une tentative désespérée de sauver sa jambe gauche après que des éclats d’obus provenant d’un missile russe l’ont rendue incapable de marcher. Dans son pays, les médecins lui avaient dit que l’amputation était sa seule option. En Israël, les médecins ont réussi non seulement à sauver sa jambe, mais aussi à la faire remarcher. L’évacuation et l’arrivée de Katya Chechova ont été diffusées sur la Douzième chaîne.
Mais après un séjour à l’hôpital, avec environ 15 autres Ukrainiens, Chehova a été récupérée par Tzav Hashaa pour être placée dans un hôtel de Jérusalem. Elle a rapidement découvert que l’hôtel louait des chambres à l’heure et organisait des fêtes sauvages presque toutes les nuits, avec des personnes faisant l’amour bruyamment, qu’elle entendait à travers les murs minces des chambres sans fenêtres. Incapable de marcher et n’ayant pas d’autre choix, Chehova y a passé près de deux mois.
Une nuit, au milieu d’une musique assourdissante, de cris et de gémissements provenant de la piscine non loin, Chehova a entendu quelqu’un frapper et tenter de s’introduire dans sa chambre. « C’était très effrayant », a-t-elle raconté au Times of Israel, expliquant qu’alors qu’elle était à l’époque en fauteuil roulant, elle s’était sentie complètement impuissante. « Il n’y avait personne à la réception, personne à appeler à l’aide. »
« La nuit, je verrouillais ma porte du mieux que je pouvais de l’intérieur », dit-elle, décrivant l’hôtel comme étant situé dans une rue sans issue derrière des entrepôts et à côté d’un chantier de construction. « Il était impossible de se reposer. Je me suis plainte à la direction et tout ce que j’ai obtenu, c’est de l’argent pour acheter des boules Quies. »
Les soirées arrosées et les tentatives d’effraction ne sont que quelques-uns des problèmes rencontrés sur place.
« À l’époque, le ministère faisait venir des réfugiés et les logeait là où il le pouvait », a dit Aharoni. « Nous nous sommes rendus sur place. C’était littéralement un bordel. Il y avait un jacuzzi que les gens envahissaient pendant plusieurs heures pour y faire une fête sauvage. Et maintenant il y a des enfants [d’Ukraine] là-bas. »
Parallèlement aux fêtes, l’hôtel offrait des emplois aux Ukrainiens qui y séjournaient.
« Une réfugiée ukrainienne est devenue masseuse », a raconté l’ancienne résidente Chehova, ajoutant qu’elle ne savait pas quel type de massages on avait demandé à cette femme. « Je me souviens d’une fois, il y avait une réunion de réfugiés et on a demandé à cette femme de venir faire un massage à un couple. Elle a refusé : la réunion de réfugiés était plus importante. L’hôtel a, en conséquence, retenu une partie des salaires de ses précédents massages. »
Il a fallu près de deux mois pour déplacer les réfugiés vers un endroit plus adapté et plus sécurisé.
« Nous avons fait beaucoup de grabuge », a dit Aharoni. « Une assistante sociale du ministère des Affaires sociales s’est présentée et nous a dit que ‘oui, nous savions [que cet hôtel était comme ça], mais nous n’avions pas d’autre choix. C’était le seul endroit qui répondait à l’appel d’offres’. »
Quelques jours seulement après la révélation de cette histoire dans la presse israélienne, les autorités ont trouvé un autre hôtel et ont déplacé tout le monde.
Le ministère des Affaires sociales affirme qu’il aide à trouver un logement pour les réfugiés de guerre ukrainiens en cas d’urgence, lorsqu’ils n’ont nulle part où aller.
« Dès que nous avons vu que l’endroit n’était pas adapté, nous avons fait sortir les gens et leur avons trouvé une meilleure solution », a expliqué Naftali Yawitz, du ministère des Affaires sociales, confirmant que le déménagement des réfugiés a pris « un mois et demi, tout au plus deux mois maximum ». Yawitz est le directeur du département des Affaires publiques du ministère des Affaires sociales et un ancien directeur de Tzav Hashaa.
« Bien sûr, personne ne savait de quel genre d’hôtel il s’agissait », a déclaré Gil Horev, porte-parole du ministère des Affaires sociales, en faisant référence au fait que plusieurs réfugiés ukrainiens en fauteuil roulant ont été logés dans cet hôtel, qui ne comportait aucune disposition pour les personnes en situation de handicap.
En réponse aux allégations selon lesquelles l’hôtel était un bordel, le ministère des Affaires sociales a déclaré qu’il ne savait toujours pas si c’était le cas. « C’est ce que les gens disent, mais nous n’en sommes pas certains », a déclaré Horev.
« C’était un épisode de courte durée, mais je pense qu’il était révélateur : le système ne fonctionne pas bien », a dit Aharoni.
L’hôtel est désormais sous une nouvelle direction. Le Times of Israel s’y est rendu deux fois au mois de décembre et a été empêché de voir les chambres à chaque fois. Un certain nombre de voitures voyantes étaient garées à l’extérieur, dans un quartier de Jérusalem habituellement peuplé d’ouvriers de la construction et de grossistes.
Les femmes travaillant à proximité ont échangé des regards méfiants lorsqu’on leur a posé des questions au sujet de l’hôtel. Il y a toujours « ce genre de filles qui vont à l’intérieur », a dit l’une d’elles, tandis que les autres ont hoché la tête quand on leur a demandé si l’endroit louait encore des chambres à l’heure.
La vulnérabilité de la dépendance
Contrairement à l’Europe, où les Ukrainiens qui ont fui la guerre se voient généralement accorder le statut de réfugié, des cours de langue, l’accès gratuit aux transports publics et une assistance sociale, Israël les reconnaît rarement en tant que réfugiés. Cela étant, ceux qui viennent en Israël n’arrivent que parce qu’ils n’ont pas d’autre option ou parce qu’ils ont peut-être de la famille ou des amis ici, a expliqué Zoya Levitin Pushnikov, coordinatrice de la réponse à l’Ukraine de l’organisation à but non lucratif HIAS Israël (Hotline for Refugees and Migrants).
« Au cours des derniers mois, c’est devenu un problème de vulnérabilité », a-t-elle ajouté, expliquant que les femmes sont souvent en danger, en particulier parce qu’elles sont si dépendantes des autres pour leur survie.
« Lorsqu’une femme est si dépendante, cela peut toujours mal finir », a-t-elle dit, ajoutant que dans certains des centres de bénévoles avec lesquels HIAS est en contact, une femme sur trois qui appelle à l’aide parle de harcèlement sexuel et/ou d’exploitation qu’elle a subis, souvent aux mains de ceux dont elle dépend pour son logement et/ou sa subsistance.
Valerya Tregubenko, une psychologue qui travaille en privé, pour la caisse de santé publique Clalit, et qui fournit également une thérapie aux Ukrainiens en Israël, a affirmé que chercher de l’aide est loin d’être une priorité pour la majorité des personnes qui ont fui la guerre.
« Je pense que l’État doit comprendre qu’en ce moment, et au cours des prochaines années, ils auront besoin d’une aide psychologique parce que leur vie entière a été brisée. Ils ont besoin de soutien. Il ne suffit pas de les laisser arriver ici. Nous devons leur trouver une aide psychologique, leur fournir des informations sur les services de santé », a expliqué Tregubenko.
« Leur vie entière est brisée. Ils ont besoin de soutien. Il ne suffit pas de les laisser arriver ici »
Le ministère des Affaires sociales a indiqué que le programme gouvernemental Tzav Hashaa comprend une thérapie psychologique et que, depuis le début des opérations en mars 2022, 428 Ukrainiens ont bénéficié de cette aide, comptabilisant 1 728 heures de thérapie privée en présentielle.
« La thérapie est proposée à tout le monde, mais tout le monde n’est pas désireux d’en profiter », a expliqué Yawitz, du ministère des Affaires sociales.
« Nous avons même essayé d’envoyer des SMS à l’ensemble de notre base de données pour proposer une aide gratuite en matière de santé mentale dans leur langue, mais cela n’a pas eu beaucoup de succès », a-t-il ajouté.
Le sexe pour survivre
Certaines femmes se retrouvent dans l’obligation de se tourner vers le sexe pour survivre.
Naama Sabato, de l’ONG Lo Omdot Menegged, travaille à l’aéroport Ben Gurion en tant qu’assistante sociale au service de victimes présumées d’un trafic vers Israël à des fins de prostitution. Son objectif principal est de soutenir ces femmes et de leur offrir une réhabilitation et un abri en Israël. Depuis qu’elle a commencé sa mission en octobre 2022, elle est appelée pour de tels entretiens plusieurs fois par semaine.
« Depuis le début de la guerre [en Ukraine], il est devenu plus facile de se rendre en Israël et les femmes sont d’autant plus désespérées », a-t-elle dit. « Les femmes me disent : ‘Il y a beaucoup d’hommes israéliens sur Instagram, c’est tellement facile’. »
« La plupart du temps, les femmes savent qu’il s’agit d’un travail sexuel – mais même lorsqu’elles le savent, elles ne savent pas vraiment »
« Les femmes entendent parler de ces emplois principalement par des hommes israéliens qui publient, sur Telegram ou d’autres réseaux sociaux, des offres d’emploi qui semblent glamour avec des salaires fantastiques. La plupart du temps, les femmes savent qu’il s’agit d’un travail sexuel – mais même lorsqu’elles le savent, elles ne le savent pas vraiment », a expliqué Sabato, précisant que la plupart des femmes auxquelles elle s’adresse n’ont que 19 ou 20 ans.
« Souvent, leur mère est impliquée [dans la traite d’êtres humains] », a-t-elle dit. « La prostitution sous-tend que vous avez déjà vécu un traumatisme, et que vous en créez un nouveau. »
Elle partage avec les Ukrainiennes qu’elle rencontre certaines des histoires de femmes qui ont été victimes de traite sexuelle et qui se trouvent maintenant dans des refuges.
« La réalité est que vous êtes enfermée dans une pièce dans le centre d’Israël et que vous devez travailler – et beaucoup. Vous êtes illégale ici, votre travail est illégal, votre présence est illégale, et votre ‘propriétaire’ garde un contrôle total. Vous ne pouvez rien faire. »
Selon une section consacrée à Israël dans le rapport 2022 du Département d’État américain sur la traite d’êtres humains, « les efforts du gouvernement [israélien] pour enquêter et tenir les trafiquants de main-d’œuvre pénalement responsables sont restés insuffisants. » En 2021, la police n’a ouvert que trois dossiers de trafic sexuel et a enquêté sur 118 crimes liés au trafic sexuel. Tous ont été considérés comme des délits « liés à la prostitution ».
Les ressources mises à disposition pour soutenir les femmes victimes de traite sexuelle à leur arrivée en Israël sont rares.
Sabato est la seule personne à faire ce travail dans tout Israël. Alors qu’elle travaille à l’aéroport Ben Gurion, un autre aéroport – Ramon, dans le sud d’Israël – assure de nombreux vols à bas prix en provenance d’Europe de l’Est et est situé à proximité de la ville côtière d’Eilat, qui est une plaque tournante connue pour les travailleurs du sexe.
« Nous ne savons pas encore ce qu’il faut faire à ce sujet. Les autorités ne s’y intéressent pas tellement », a déploré Sabato.
Aujourd’hui, certains Ukrainiens d’Israël gardent l’espoir que le nouveau gouvernement fera davantage pour les aider.
De retour à son travail de femme de ménage, Marina est à nouveau déterminée à couper tous les liens avec son employeur Amir. Elle économise de l’argent et cherche ses propres clients. Elle a changé sa carte SIM, bloqué des numéros et a déménagé.
« Je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour m’assurer qu’il ne me retrouvera pas », a -t-elle affirmé. « Je ne peux pas continuer à travailler pour lui, mais je ne peux pas non plus retourner chez moi en Ukraine ; il n’y a plus rien pour moi là-bas. »
Beaucoup d’autres ont tout simplement renoncé et ont quitté Israël.
Après avoir décidé de ne pas faire appel de la décision de la police de classer son dossier, Svetlana a estimé qu’elle ne pouvait plus rester en Israël et élever son enfant près de l’homme qui l’avait violée, a affirmé Udovichenko.
Elle a dit à Udovichenko : « Dieu sera son juge ».
(Certains noms dans cet article ont été modifiés pour la protection des personnes).