Waleed Abu Tayeh a parlé au Times of Israel de sa campagne lancée en vue des élections municipales au Saint George Hotel, à quelques mètres seulement de la Ligne verte qui sépare Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est – un lieu particulièrement pertinent pour un candidat qui souhaite servir de passerelle entre les résidents palestiniens de la capitale et les autorités israéliennes dont ils refusent la souveraineté.
Aujourd’hui, la Ligne verte délimite une frontière claire, quoique invisible, entre les quartiers juifs et arabes de la ville – ces derniers étant dans un état évident de négligence, de délabrement et de sous-financement.
Le scrutin municipal aura lieu le 31 octobre et Abu Tayeh espère bien écrire une nouvelle page d’Histoire en devenant le premier maire arabe de Jérusalem depuis la prise de contrôle de Jérusalem-Est par Israël, en 1967.
Les Palestiniens constituent 40 % de la population de Jérusalem – mais la communauté a privilégié le boycott comme approche politique, défiant ainsi l’annexion de leurs quartiers par l’État juif. La participation des habitants de Jérusalem-Est, lors des élections municipales, a été proche de zéro lors de tous les scrutins qui se sont déroulés depuis 1967 et les analystes estiment que les chances d’Abu Tayeh de l’emporter face au maire actuel, Moshe Lion, sont, de la même façon, pratiquement nulles.
Mais l’homme ne se laisse pas facilement impressionner.
Avocat de 69 ans qui, dans une autre vie, a aussi été comptable, ce natif de Nazareth s’est installé à Jérusalem pour faire ses études à l’université Hébraïque, en 1979, et il vit aujourd’hui dans le quartier de Beit Safafa. Il avait annoncé son intention de se présenter au poste de maire au début de l’année dernière.
« Tout le monde a alors dit que j’allais à l’encontre du consensus national palestinien anti-normalisation qui est en vigueur depuis 1967 », se souvient-il lors d’un entretien récent. « On me disait que voter aux élections municipales de Jérusalem, ça équivalait à reconnaître l’occupation israélienne ».
« A ces critiques, je répondais que ‘oui, il y a en effet un consensus national, mais notre intérêt national est une question encore plus importante’. Il y a une convention des Nations unies qui stipule que même une population sous occupation a le droit de prendre part à des élections locales, qu’elle a le droit de voir ses droits civils reconnus. Israël est signataire, d’ailleurs, de cette convention ».
Depuis 1975, le maire et les 31 membres du conseil sont désignés de manière distincte, les maires étant élus selon un système à deux tours. Si aucun candidat ne bénéficie d’au moins 40 % des suffrages lors du premier tour, un second servira à départager les deux candidats en tête du scrutin.
Abu Tayeh n’est pas le premier Palestinien à figurer à la première place d’une liste en vue des élections municipales de Jérusalem. Mais il est le premier candidat à le faire, toutefois, en briguant le poste de maire. Il dirige une liste constituée de 15 candidats arabes au conseil municipal, une liste qu’il a appelée Kol Toshaveha (Tous Ses Résidents).
En 1998, un homme d’affaires local, Moussa Alayan, avait pris la tête d’une liste en vue des élections des membres du conseil municipal et il avait réuni quelques milliers de votes – un nombre néanmoins insuffisant pour franchir le seuil électoral. Il y avait eu une autre tentative similaire, avant le scrutin 2018, de la part de l’activiste Aziz Abu Sarah – mais il s’était finalement retiré de la course après la réception, par des membres de sa faction, de menaces répétées émanant de nationalistes palestiniens.
Cette absence d’influence politique des résidents de Jérusalem-Est, au sein du conseil municipal, a contribué aux graves négligences à l’égard des quartiers arabes, avec un manque visible d’investissements dans les infrastructures et dans les services. Mais la plainte principale des habitants – les experts et les analystes en conviennent – concerne l’exiguïté de l’espace de vie, avec des autorités locales qui confisquent les terres arabes et qui n’accordent qu’un nombre trop réduit de permis de construire pour accompagner la croissance démographique. Les Palestiniens construisent souvent leurs habitations sans autorisation préalable en conséquence, des maisons qui sont fréquemment démolies en résultat.
« J’ai commencé en écrivant quelques articles dans un journal palestinien, en expliquant que si nous voulons pouvoir défendre nos droits, alors nous devons participer à la vie politique. Même si nous ne reconnaissons pas la souveraineté israélienne sur la ville, la fin justifie ici les moyens », s’exclame Abu Tayeh. « Et j’ai finalement réalisé qu’au lieu d’appeler les autres à se présenter, il fallait que je me présente moi-même ».
Conscient du fait que l’Autorité palestinienne pouvait influencer le taux de participation électorale à Jérusalem-Est, Abu Tayeh a d’abord voulu intégrer Ramallah dans sa campagne.
« J’ai écrit une lettre au président de l’AP, Mahmoud Abbas, au mois d’avril, lui demandant sa bénédiction pour ma candidature. Il m’a répondu que si je voulais me présenter à la mairie, il ne se mettrait pas sur mon chemin mais il m’a vivement recommandé de rester à l’écart de l’arène politique et de me focaliser exclusivement sur les droits civils. Il m’a dit qu’il revenait à la population de Jérusalem-Est de déterminer comment faire reconnaître nos droits au mieux ».
« Néanmoins, le principal mufti de l’AP a émis une fatwa [avis juridique islamique] à mon encontre et à l’encontre des Palestiniens qui votent pour les élections municipales à Jérusalem. Je lui ai dit qu’il avait le droit d’émettre cet avis, qui était le sien, mais je lui ai rappelé que l’Autorité palestinienne a établi une coopération sécuritaire continue avec Israël, et qu’elle coopère dans d’autres dossiers aussi. Avait-il émis des fatwas contre ça ? », ajoute Abu Tayeh.
« Tous les Palestiniens de Jérusalem – et en particulier les jeunes – veulent voter à l’occasion des élections locales. Mais ils ont peur de l’AP, ils ont un blocage psychologique qui les empêche de participer », note-t-il.
« D’un autre côté, Israël affirme être un pays démocratique alors que c’est un pays qui n’est une démocratie que pour les Juifs seulement. Israël ne veut pas partager le gâteau avec nous, les Arabes. Nous n’obtenons pas notre part des ressources, », déplore Abu Tayeh.
Selon ses estimations, les résidents arabes de la ville versent à peu près deux milliards de shekels par an en taxes et autres amendes, avec notamment des amendes qui sanctionnent des constructions illégales ou des sommes énormes versées en tickets de parking – en raison partiellement de l’absence presque totale d’aires de stationnement dans les rues de Jérusalem-Est.
« Le périmètre de Jérusalem-Est est d’environ 80 kilomètres-carrés », explique-t-il. « Les 400 000 résidents arabes de Jérusalem-Est ne vivent que sur 20 kilomètres-carrés et les habitants juifs sur 60 kilomètres-carrés. A Jérusalem-Est, il y a deux fois plus d’Arabes que de Juifs, mais les Arabes vivent sur seulement un tiers de l’espace total. »
Il ajoute : « Nous voulons également une représentation égalitaire dans les instances municipales, là même où les décisions sont prises. Il y a 12 000 employés municipaux – au moins 4 000 d’entre eux devraient être Arabes ; ils devraient occuper des postes assortis de réelles responsabilités, ils ne devraient pas seulement être des techniciens de surface ».
« J’ai écrit à deux reprises au maire Moshe Lion à ce sujet mais il ne m’a jamais répondu », précise Abu Tayeh, qui annonce être en train d’organiser une manifestation qui aura lieu aux abords du bureau de Lion en date du 29 août.
Abu Tayeh fera aussi une conférence de presse, le 6 septembre, pour le lancement officiel de sa campagne.
Il explique que certains candidats de sa liste ont été menacés par des individus liés à l’Autorité palestinienne – « mais nous n’avons pas peur », affirme-t-il. En réponse, Marouf Alrefai, conseiller du gouverneur de Jérusalem au sein de l’Autorité palestinienne, déclare au Times of Israel que les propos tenus par le candidat « sont très exagérés », et que ni Abu Tayeh, ni les personnes figurant sur sa liste n’ont reçu de menaces de la part de proches de l’AP.
« Je n’ai pas reçu de menaces de l’extrême-droite juive mais je ne serais pas surpris si ses membres tentaient de me tuer tôt ou tard », ajoute Abu Tayeh avec nonchalance.
La présence d’Abu Tayeh, sur les réseaux sociaux, est limitée depuis qu’il a fait part de son intention de se présenter aux élections et il a rencontré les leaders de la communauté pour poser au mieux les fondations de sa campagne.
44 années dans la ville
Mais certains habitants critiquent son détachement des résidents locaux de Jérusalem-Est, en raison partiellement de son statut de citoyen d’Israël – un statut qui n’est pas celui de la majorité des résidents de la partie orientale de la ville – et de sa naissance à Nazareth.
Abu Tayeh souligne que ses liens avec la ville sont profonds. « Je vis ici depuis 44 ans, je suis marié à une femme originaire de Jérusalem et mes enfants sont nés ici. Je suis un hiérosolymitain de toutes les manières possibles ».
Laura Wharton, membre du conseil municipal, élue sous l’étiquette du parti de gauche du Meretz et qui se présente aujourd’hui dans le cadre d’une liste indépendante pour le prochain scrutin, salue les « bonnes intentions » d’Abu Tayeh et les efforts qu’il livre pour impliquer les habitants de Jérusalem-Est dans la politique locale. Mais elle déclare au Times of Israel que l’avocat « reste relativement inconnu du public et, en tant que citoyen israélien, il subit moins les difficultés et les injustices quotidiennes que rencontrent les résidents de Jérusalem-Est – et il y est moins exposé ».
Hussam Mousa, 34 ans, un guide touristique né à Silwan qui organise des visites de Jérusalem-Est à destination du public israélien, salue lui aussi « le courage et la vision » d’Abu Tayeh qui est déterminé à améliorer les conditions de vie à Jérusalem-Est. Selon Moussa, obtenir cent mille votes en faveur de l’avocat n’est pas une mission impossible mais il faudra beaucoup travailler sur le terrain – et les élections ne sont que dans deux mois.
« Il s’est lié à des personnalités influentes de la ville qui pourraient bien réussir à lever un vote en sa faveur », ajoute-t-il.
Il dit ne pas considérer les origines nazaréennes de l’avocat comme un handicap : « Ceux qui vivent pendant 40 jours avec un peuple finissent par lui ressembler », déclare Mousa, s’inspirant d’un célèbre proverbe arabe. « Le principal obstacle est que les Palestiniens, à Jérusalem, ne votent pas aux municipales parce qu’ils ne font pas confiance aux autorités israéliennes – ces mêmes autorités qui émettent des ordonnances de démolition de leurs habitations ou qui leur donnent des amendes ».
« Il y a aussi un malentendu fondamental de la part des résidents de Jérusalem-Est en ce qui concerne la manière dont le système d’influence démocratique fonctionne en Israël », affirme-t-il. « Les gens, ici, ont le sentiment que la seule intention du gouvernement est de les expulser et que participer au mécanisme décisionnaire équivaut à la normalisation. Il faudra beaucoup de temps et beaucoup de travail pour que le public fasse à nouveau confiance aux autorités ».
Et pourtant, selon Mousa, « il y a des changements visibles qui sont survenus ces dernières années. Les jeunes apprennent de plus en plus l’hébreu et ils intègrent le marché du travail israélien. La question reste : les Israéliens les acceptent-ils ? Les Israéliens sont-ils désireux de traiter Jérusalem-Est comme ils traitent l’Occident ? Sont-ils désireux de mettre un terme à la discrimination ? »
Abu Tayeh dit être optimiste. « Le jour des élections, je pense que nous pouvons remporter jusqu’à 80 000 votes, voire 100 000 », déclare-t-il, « avec notamment quelques milliers de bulletins juifs ».
« Je sais que je ne serai pas en capacité de libérer Jérusalem-Est. Dans l’idéal, je souhaiterais que Jérusalem devienne la capitale d’un seul État binational ou que la ville soit divisée en deux : deux capitales pour deux États. Mais avant tout, je veux détruire les murs qui se sont dressés dans les esprits sur le vote », note le candidat. « Les résidents de Jérusalem-Est doivent réaliser qu’il n’y a aucune justice réelle pour nous ici, qu’il n’y a aucune loi internationale qui serait susceptible de nous défendre. C’est un jeu de pouvoir – et nous devons le jouer, dans notre intérêt ».