JTA – En grandissant à Buffalo, dans l’État de New York, le présentateur de CNN Wolf Blitzer a toujours su qu’il était l’enfant de survivants de la Shoah. Ses parents, tous deux Juifs polonais, lui contaient souvent leurs expériences des camps de concentration.
« Je connaissais beaucoup d’enfants de survivants de la Shoah dont les parents ne parlaient pas », a déclaré Blitzer à la Jewish Telegraphic Agency. « Mais mes parents étaient très ouverts à ce sujet. Je leur en suis reconnaissant. »
Mais ce n’est que lorsque Blitzer a réalisé sa nouvelle émission spéciale de CNN sur le Mémorial de de la Shoah aux États-Unis qu’il a découvert un témoignage vidéo que son père, David Blitzer, avait enregistré dans les années 1990.
Filmé au Centre de documentation et d’éducation sur la Shoah à Hollywood, en Floride, David Blitzer parle de son enfance dans la ville polonaise d’Oświęcim, plus tard « germanisée » en Auschwitz, où ses parents ont été assassinés. (La ville est à nouveau connue sous le nom d’Oswiecim aujourd’hui).
Il a partagé des détails intimes sur l’état d’esprit des Allemands qui l’entouraient, qui, selon lui, ont regretté qu’Hitler soit au pouvoir « seulement lorsqu’ils ont commencé à perdre la guerre », et sa conviction que la décision des États-Unis de ne pas bombarder le camp de la mort d’Auschwitz était un échec moral.
Le témoignage de David Blitzer, ainsi que celui d’autres survivants tels que Rita Kesselman et Irene Salomonawicz, sont évoqués dans la nouvelle émission spéciale de CNN « Never Again : United States Holocaust Memorial Museum : A Tour With Wolf Blitzer », qui a été diffusé le 2 septembre.
Join @wolfblitzer for a very personal tour of the US @HolocaustMuseum as he reflects of the history of the Holocaust for 'Never Again: The United States Holocaust Memorial Museum, A Tour with Wolf Blitzer' airing Friday Aug 26th at 11pmET on @CNN pic.twitter.com/WcSiAFgW6o
— Dylan-Rose Geerlings (@DRGeerlings) August 22, 2022
Cette émission spéciale d’une heure, initialement prévue pour la plate-forme de streaming CNN+, aujourd’hui disparue, suit Wolf Blitzer et l’actuelle directrice du Mémorial de la Shoah, Sarah Bloomfield, alors qu’ils explorent l’institution de Washington, DC, et les leçons d’histoire qu’elle offre. Sa diffusion est prévue moins d’une semaine après l’émission spéciale de Dana Bash, une autre correspondante juive de CNN, qui porte sur l’antisémitisme aux États-Unis. Elle sera ensuite disponible sur les plate-formes numériques de CNN.
Blitzer, qui travaille depuis 32 ans pour CNN, a travaillé pendant près de vingt ans comme reporter pour divers médias et agences de presse israéliens, dont plusieurs années à Jérusalem. Il s’est entretenu avec la JTA sur la façon dont il a puisé dans l’histoire de la Shoah de sa famille pour réaliser cette émission spéciale, son point de vue sur Israël et l’AIPAC aujourd’hui, les leçons que lui et l’équipe de CNN ont tirées de la couverture de la Shoah par les médias américains pendant la Seconde Guerre mondiale et ses réflexions sur les médias israéliens aujourd’hui.
Cette interview a été condensée et éditée.
JTA : Racontez-moi comment cette émission a vu le jour, et dans quelle mesure vous avez été impliqué.
Wolf Blitzer : Comme vous le savez, je suis fils de survivants de la Shoah, c’est donc une histoire très personnelle. J’ai grandi à Buffalo, dans l’État de New York, et j’ai souvent entendu mes parents parler de leurs expériences pendant la guerre – ils étaient assez ouverts avec ma sœur aînée et moi-même ; nous avons donc tout écouté attentivement. Malheureusement, mes quatre grands-parents ont tous été assassinés lors de la Seconde Guerre mondiale, pendant la Shoah. Je n’ai donc pas eu la chance de les connaître. Les gens me demandent sans cesse « quel est mon vrai nom ». Et je réponds que « c’est le nom de mon grand-père ». J’ai été nommé d’après mon grand-père : Wolf Isaac Blitzer.
Il y a quelques années, lorsque j’étais en Israël pour couvrir l’une des guerres à Gaza, CNN voulait que certains présentateurs fassent un petit reportage sur leur patrimoine personnel, leur histoire, leurs racines. Et donc, bien sûr, j’ai accepté. D’Israël, je me suis rendu en Pologne. Mes parents étaient des Juifs polonais. J’ai visité Auschwitz et la ville natale de ma mère. La ville natale de mon père était Oświęcim [où se trouvait Auschwitz]. Je me suis rendu dans ces villes pour préparer cette émission.
Après cette immersion dans l’histoire de votre famille, comment l’idée de visiter le Mémorial de la Shoah des États-Unis a-t-elle pris forme ?
Eh bien, tout le monde à CNN était au courant de mon rapport personnel à la Shoah. Ils avaient tous vu ma petite série « Roots » [« Racines »]. Et avec la montée de l’antisémitisme dans le monde, y compris aux Etats-Unis, et l’augmentation du négationnisme, CNN s’est dit que « Wolf devrait peut-être visiter le Mémorial de la Shoah et montrer à nos téléspectateurs ce qui s’était réellement passé ». Les gens viennent à Washington, c’est un bon endroit pour visiter et apprendre sur la Shoah. Ce n’était donc pas mon idée de faire ce documentaire – certains décisionnaires de CNN m’ont demandé de le faire.
Était-ce votre première visite du Mémorial de la Shoah ?
Non, non, non. Je me souviens que c’était sous l’administration de Jimmy Carter que l’idée avait germé. Stuart Eizenstadt était l’un des principaux conseillers en politique intérieure du président Carter – il est aujourd’hui le président du Mémorial ; il faisait partie de ceux qui ont recommandé qu’il y ait un Mémorial de la Shoah à Washington. Et ils ont accepté. Finalement, ils ont décidé de le mettre à proximité du National Mall. Je suis sûr que vous savez exactement où il se trouve. J’étais le correspondant de la Maison Blanche pour CNN durant l’administration de Bill Clinton, lorsqu’il a été inauguré. J’étais présent ce jour-là, pour l’inauguration officielle, aux côtés d’Elie Wiesel [survivant de la Shoah et auteur de La Nuit], entre autres. C’était extraordinaire que le gouvernement américain ait mis sur pied ce merveilleux musée pour que les générations futures puissent en apprendre davantage sur cette atrocité.
Il est intéressant de voir comment le Mémorial fait face à cette nouvelle montée de l’antisémitisme et comment il maintient un profil public tout en continuant son plaidoyer pour l’enseignement de la Shoah.
Surtout à une époque où il y a de moins en moins de survivants de la Shoah. Malheureusement, ils sont tous en train de mourir. Les récits des témoins oculaires sont si puissants pour l’éducation des élèves du secondaire et pour d’autres personnes qui veulent en savoir plus sur la Shoah, mais vous savez, ces témoignages de survivants de la Shoah deviennent de plus en plus rares, parce qu’il reste si peu de survivants. Mes parents ne sont malheureusement plus de ce monde.
La bonne nouvelle est qu’il y a de plus en plus de Mémoriaux de la Shoah dans le pays. J’ai été très fier et heureux d’aider à l’ouverture du Mémorial de la Shoah de Birmingham, en Alabama. Je n’ai malheureusement pas pu assister à l’inauguration car nous étions en plein COVID, mais j’y ai participé via Zoom. Et aujourd’hui, il y a des Mémoriaux dans tous le pays. Les gens s’intéressent de plus en plus à la Shoah.
La diffusion sur CNN moins d’une semaine après l’émission spéciale de Dana Bash sur l’antisémitisme était intentionnelle ou était-ce une pure coïncidence ?
Je pense que cela relève plutôt d’une coïncidence. Nous n’avons pas fait en sorte que ce soit le cas ; c’est arrivé comme ça. La nôtre était prête et nous avons décidé de la diffuser. Cela ne faisait pas partie d’une programmation coordonnée.
C’était la première fois que vous voyiez ce témoignage vidéo de votre père, alors que vous êtes en conversation avec lui pendant l’émission. Comment l’avez-vous vécu ?
J’aime mon père et il me manque terriblement. C’était difficile de le regarder et d’entendre ses histoires sur ses frères et sœurs qui ont été tués, sur ses parents. Ce n’était pas facile.
Je suis très fier de mes parents. Ils sont venus en Amérique après la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, en 1948, la Chambre des représentants et le Sénat américains ont adopté ce qu’on a appelé la loi sur les personnes déplacées de 1948, qui a accordé 400 000 visas d’immigration supplémentaires aux personnes déplacées, dont beaucoup qui se trouvaient être des survivants de la Shoah.
Un jour, mon père qui était à Munich, a aperçu une longue file d’attente et s’est dit « quand on voit une longue file, on fait la queue, parce qu’il doit y avoir quelque chose de bien au bout de la file ». Il a alors demandé à la femme devant lui : « Pourquoi fait-on la queue ? » Et elle lui répondit, « Visas. » « Des visas ? Pour quoi ? » « L’Amérique. » Alors mon père a fait la queue. Et heureusement qu’il l’a faite : il s’est inscrit (ainsi que le reste de ma famille).
Au bout de quelques semaines, ils ont tous reçu une lettre disant qu’ils avaient été approuvés pour venir aux Etats-Unis, mais il n’était pas indiqué où exactement. Ils ont par la suite dit à mon père qu’il irait à Buffalo.
« Buffalo, c’est où ? », a-t-il demandé. Il n’avait aucune idée d’où cela se trouvait. Alors ils lui dirent, « New York ».
« New York ! Il y a beaucoup de Juifs là-bas ! » s’était-il réjoui. Il ne savait pas que Buffalo était à plus de 600 km de New York.
Mes parents avaient très peu d’argent et ne parlaient pas anglais. Ils ont eu la chance de s’installer à Buffalo et ont fini par très bien se débrouiller. Mon père est devenu un grand constructeur de maisons dans l’ouest de l’État de New York ; il était très fier de sa réussite.
Je voudrais vous interroger sur le contenu de l’émission elle-même. Comme vous et Sarah Bloomfield le montrez, l’accent est mis sur les détails les plus horribles de la machinerie du meurtre de masse, en particulier à Auschwitz. Il y a beaucoup de détails au musée. Pourquoi se concentrer particulièrement sur ces détails ?
Je pense que Sarah et moi voulions nous assurer que quiconque regarde ce documentaire comprenne que la Shoah n’est pas qu’un mot. C’est un terme qui décrit une véritable horreur, et nous voulions souligner ce que cela voulait dire. Et c’est ce que le Mémorial de la Shoah à Washington fait d’une si belle manière, si puissante. Et si vous avez fait la visite – je suis sûr que vous l’avez faite – vous avez vu tous les détails sanglants. Nous voulions donc souligner cela, et j’espère que le message est passé.
J’aimerais changer un peu de sujet. Avant de rejoindre CNN, vous avez travaillé pendant des décennies comme journaliste en Israël. Aujourd’hui encore, vous couvrez régulièrement la région pour la chaîne, comme vous l’avez indiqué précédemment. Quel est votre sentiment sur la couverture médiatique américaine de l’actualité israélienne aujourd’hui ?
Je pense que les médias font un bon travail de couverture d’Israël. Si vous regardez les grandes chaînes d’information et les journaux, les agences de presse et les magazines, je pense qu’Israël reçoit beaucoup d’attention, beaucoup de bonne presse. Comme dans toute histoire, vous voulez couvrir le bon, le mauvais et le laid. Israël est un pays comme les autres.
Si vous regardez les médias israéliens, les journaux anglophones – comme le Jerusalem Post, Haaretz ou Times of Israel – et les journaux en hébreu, ils font tous un travail très complet pour couvrir ce qui se passe en Israël. J’ai énormément de respect pour eux. Ce sont des journalistes de renommée mondiale.
Vous avez également travaillé en tant que rédacteur à l’AIPAC. Qu’avez-vous pensé cette année des décisions de l’organisation de s’impliquer dans les dépenses politiques pour la première fois dans les élections américaines, et de soutenir des candidats qui ont nié les résultats de l’élection de 2020 ?
Mon sentiment, et cela n’implique que moi, est qu’il faut laisser tous ces comités d’action politique faire ce qu’ils souhaitent. Personnellement, je ne le ferais pas, mais ce n’est pas mon secteur.
Comme vous l’avez vu, le Mémorial est construit non seulement autour de la Shoah, mais aussi autour de la réponse de l’Amérique à cet événement, notamment la façon dont les médias américains l’ont rapporté. Étant l’un des journalistes les plus éminents d’Amérique, quelles leçons, le cas échéant, avez-vous tiré de la façon dont les médias américains ont couvert cet événement historique ?
Je pense que cela a eu un impact sur moi, et sur beaucoup d’autres qui travaillent à CNN. Nous voulons nous assurer que lorsque des horreurs se produisent dans le monde, où qu’elles se produisent – elles se produisent encore malheureusement en ce moment – nous n’ignorons pas ces histoires, et nous les rapportons. CNN a fait un travail remarquable au cours de ces dernières années. Je travaille pour CNN depuis 32 ans maintenant. Et nous nous assurons que lorsque nous nous rendons en Asie, en Afrique, en Europe, en Amérique du Sud, ou ailleurs et qu’il se passe des choses horribles, nous voulons que le monde sache ce qui se passe. Et c’est ce que nous faisons.
Nous sommes tous, surtout les gens comme moi, très sensibles à l’importance de ne pas ignorer ce genre d’histoires. Dans la préparation de la Seconde Guerre mondiale, une grande partie de ce qui s’est passé en Europe, et en Allemagne en particulier, n’a pas été rapportée en détail. C’était une erreur.
Au cours de la dernière décennie, CNN a connu de nombreux changements de direction, mais pendant un certain temps, elle était vraiment connue comme la « chaîne des deux côtés ». Cette philosophie peut-elle être maintenue lorsque l’on couvre des atrocités comme celles dont vous parlez ?
Quand nous traitons d’un sujet horrible comme un massacre, un génocide ou une Shoah, nous ne nous intéressons jamais aux deux côtés. Nous ne nous sommes jamais dit : « Alors, alors, pourquoi les nazis tuaient-ils tous ces juifs ? ». En politique, c’est différent. Mais lorsqu’il est question d’atrocités, on ne regarde pas les deux versants.
La politique mène aux atrocités selon vous ?
La politique peut mener à des atrocités, oui. Mais une fois que les atrocités se produisent, il n’est plus question de s’intéresser aux deux versants de l’histoire.