Israël en guerre - Jour 538

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Clarise et Reuven Kfir dans leurs plantations d'avocatiers dans le Moshav Liman, le 26 septembre 2024. (Crédit: Diana Bletter/Times of Israel)
Clarise et Reuven Kfir dans leurs plantations d'avocatiers dans le Moshav Liman, le 26 septembre 2024. (Crédit: Diana Bletter/Times of Israel)
Reportage

Ces fermiers qui sont restés chez eux à la frontière nord, malgré la guerre

Stoïques face aux roquettes et aux drones du Hezbollah, imperturbables face à la possibilité d’une guerre, des exploitants refusent d’évacuer le moshav Liman, une communauté coopérative d’agriculteurs

MOSHAV LIMAN – Reuven Kfir, âgé de 77 ans, se tient dans son verger d’avocatiers situé à trois kilomètres de la frontière avec le Liban en cette journée de jeudi. Il parle des vertus médicinales des piqûres d’abeille.

Alors que des tirs de roquette du Hezbollah se font entendre juste derrière la frontière vallonnée, il désigne du doigt les ruches blanches qui se trouvent dans le verger et il met en garde : « Mais ça ne concerne pas les piqûres sur le visage ».

Malgré les instructions qui ont été données par le Commandement du Front intérieur, qui avait demandé aux résidents d’évacuer lorsque la guerre avait commencé, au mois d’octobre 2023, Kfir et quelques autres ont décidé de rester dans leur communauté coopérative d’agriculteurs, ou moshav. Ces irréductibles sont majoritairement des anciens du moshav, qui partagent tous une certaine témérité face aux bombardements.

Avant la guerre qui oppose actuellement Israël et le Hamas, 850 personnes environ vivaient dans cette communauté rurale, composée de petites fermes familiales et de maisons privées. Aujourd’hui, les habitants ne sont plus que 125 – en comptant les membres de l’équipe d’intervention d’urgence. La plupart des résidents ayant de jeunes enfants sont partis – il n’y a plus de jardin d’enfants, ni de crèche depuis le début du conflit.

Depuis le 8 octobre, les forces placées sous la direction du Hezbollah ont attaqué presque quotidiennement les communautés et les postes militaires stationnés le long de la frontière libanaise, le groupe affirmant que ces frappes viennent soutenir Gaza dans le cadre de la guerre menée par Israël au sein de l’enclave côtière.

Quelque 60 000 habitants du nord d’Israël ont été placés dans l’obligation de partir, déplacés dans leur propre pays.

Reuven Kfir près de ses ruches au Moshav Liman, le 26 septembre 2024. (Diana Bletter/Times of Israel)

Jusqu’à présent, les hostilités ont entraîné la mort de 26 civils du côté israélien, ainsi que celle de 22 soldats et réservistes de Tsahal. Plusieurs attaques se sont produites en provenance de Syrie, heureusement sans faire de blessés.

L’escalade dans le nord est intervenue après les explosions de bipeurs et de talkies-walkies qui appartenaient à des membres du Hezbollah au Liban. Cette attaque spectaculaire a été suivie par des frappes aériennes israéliennes intenses et répétées qui ont pris pour cible les principaux chefs terroristes. Après l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a été tué vendredi soir dans un bombardement effectué dans la banlieue de Beyrouth, toute la zone située au nord de Haïfa est restée en état d’alerte.

Les écoles sont fermées depuis dimanche dernier et il a été conseillé aux habitants de rester à proximité des abris antiaériens. Au kibboutz Saar, à un peu plus de six kilomètres seulement de Liman, une habitation a été directement touchée en date du 25 septembre.

Mais Kfir reste imperturbable, déterminé à maintenir l’exploitation agricole familiale de dix hectares. C’est là qu’il a grandi, explique-t-il.

Presque tous les jours depuis le début de la guerre, Kfir fait des allées et venues entre un hôtel voisin où il vit depuis l’année dernière avec Clarisse, son épouse depuis près de 50 ans. 200 autres évacués y sont aussi installés.

Kfir est solide et fort – une sorte de pitbull qui attire immédiatement la sympathie. Il a les yeux clairs et des sourcils en broussailles, d’une épaisseur impressionnante.

Il déclare n’être allé se réfugier dans un abri antiaérien qu’une seule fois depuis 1978 parce que « Clarisse m’a convaincu de le faire ».

Il a vécu les centaines de roquettes Katyucha qui avaient été tirées depuis le territoire libanais avant la Première guerre du Liban en 1982. Il a vécu ce conflit et celui de la Deuxième guerre du Liban, en 2006.

Une patrouille de l’armée israélienne arrive sur les lieux où une roquette de type Katyucha tirée par le Hezbollah depuis le sud du Liban a touché le Moshav Liman, pendant la deuxième guerre du Liban, le 22 juillet 2006. (Crédit : Gali Tibbon / AFP)

« Nous n’avons jamais évacué pendant toutes ces années et nous ne devrions pas avoir à le faire maintenant », dit-il.

Il retourne à l’exploitation tous les matins et il y reste jusqu’à 13 heures environ pour prendre soin de ses terres et de ses arbres. Il s’occupe également d’une meute de chiens errants. Leurs maîtres les ont abandonnés.

« Là, c’est calme », fait-il remarquer en regardant les chiens.

Quelques instants plus tard, des explosions se font entendre.

« Quand j’entends ces explosions, je suis heureux que les bombes ne me tombent pas dessus », s’amuse-t-il.

Nouveaux fermiers

En 1956, alors que Kfir avait neuf ans, ses parents, nés en Roumanie, s’étaient installés au moshav Liman. En Roumanie, les Juifs n’étaient pas autorisés à posséder des terres – et ils ne connaissaient donc rien à l’agriculture, explique Kfir. Son père était photographe professionnel.

« Nous ne connaissions les vaches que grâce à ses photos », dit-il en plaisantant.

Lorsqu’ils s’étaient installés, ses parents avaient reçu une vache et « la moitié d’un cheval » qui était à partager avec une autre famille. Il rit en se souvenant d’une anecdote au sujet d’une famille voisine de nouveaux agriculteurs qui essayait sans succès de cultiver des carottes. Le conseiller qui les soutenait dans leur travail leur avait affirmé que les carottes devaient être couvertes.

« Mais où allons-nous trouver un nombre suffisant de couvertures pour les recouvrir ? », avaient interrogé les fermiers en herbe.

Reuven Kfir dans son allée, au Moshav Liman devant la frontière avec le Liban, à quelques kilomètres de là, le 26 septembre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

La famille de Kfir avait commencé à faire pousser des légumes simples. Clarisse explique qu’elle cultive des fleurs qu’elle vend ensuite, ainsi que des avocats et des bananes.

Aujourd’hui, alors que c’est la guerre, le septuagénaire récolte les avocats. Il raconte que la veille, il a récolté une des premières variétés, le Galil. Il a attelé les caisses à sa camionnette et il les a déposées dans une usine d’emballage située de l’autre côté de la route. De là, les fruits seront exportés vers l’Europe.

Dans le salon où le couple a élevé ses trois enfants, Clarisse raconte qu’au mois de juillet 2023 – c’était trois mois avant le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre, lorsque des milliers de terroristes avaient massacré près de 1 200 personnes et qu’ils avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage à Gaza – des hommes du Commandement du Front intérieur de l’armée s’étaient présentés au moshav. Ils avaient dit que « le Hezbollah veut envahir et occuper ces terres. Vous pouvez rester, mais il faut vous préparer ».

J’ai pensé à ce moment-là : ‘Mais comment pouvons-nous nous préparer à une telle éventualité ?’, » se souvient Clarisse. « Nous avons dix membres qui forment notre équipe de réponse d’urgence ».

« Vous ne pouvez pas imaginer le stress et la détresse émotionnelle que j’ai pu ressentir », ajoute-t-elle. « Et il m’est impossible de vous expliquer ce sentiment de peur ».

Reuven Kfir se tient près d’un de ses avocatiers au Moshav Liman alors que les roquettes du Hezbollah volent au-dessus de sa tête, le 26 septembre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

Mais Reuven déclare qu’il n’est, pour sa part, nullement découragé. Il emmène la journaliste du Times of Israel que je suis pour une promenade dans son verger d’avocatiers. Sous le soleil brillant, les arbres se présentent dans un mélange d’ombre et de lumière.

Il désigne du doigt les ruches, expliquant que les abeilles aident à polliniser les avocatiers.

En plus de son enthousiasme à l’égard de l’apithérapie, une thérapie alternative qui utilise le venin d’abeille, le miel et le pollen à des fins médicinales, il recommande aussi de râper le noyau d’un avocat et d’en consommer une cuillère à café par jour. Il vante son goût de noisette, et il ajoute que « c’est bon pour vous ».

« Pas trop mais juste une cuillère à café », répète-t-il. « En ce qui me concerne, je n’ai pas le temps d’être malade ».

Malgré un naturel qui semble optimiste, il pense que « il n’y aura jamais la paix ».

« Les chartes du Hezbollah et du Hamas stipulent qu’ils n’accepteront jamais Israël ici », dit-il. « Il n’y aura pas de paix tant qu’ils n’auront pas appris à nous accepter dès le jardin d’enfants ».

« Les chartes du Hezbollah et du Hamas stipulent qu’ils n’accepteront jamais Israël ici. Il n’y aura pas de paix tant qu’ils n’auront pas appris à nous accepter dès le jardin d’enfants ».

Haussant les épaules, il change de sujet.

« Pour aller à la crèche de Malachi, prenez la première à gauche, puis comptez trois rues, vous y serez », déclare Kfir.

Ma jungle

Les routes du moshav sont vides, la synagogue est fermée à clé et les maisons sont désertes.

La route vide du Moshav Liman dans la zone évacuée du nord d’Israël, le 26 septembre 2024. (Crédit : Itzhak Malachi)

Edna et Itzhak Malachi sont assis dans la cour de leur maison, pas très loin de la pièce blindée qui se trouve à l’intérieur de leur maison. Ils évoquent leur refus de partir – leur pépinière.

« Si nous partons, qui s’occupera de nos plantes ? », s’interroge Malachi.

Le couple gère sa pépinière depuis 40 ans. Malachi explique qu’aujourd’hui, l’affaire leur rapporte environ 1 % de ce qu’ils gagnaient auparavant.

Il y a toujours cette impression qu’une attaque est possible de l’autre côté de la frontière. Pourtant, en se promenant dans la pépinière, on n’a pas du tout le sentiment que la guerre est pourtant si proche.

Itzhak Malachi dans sa pépinière au Moshav Liman, le 26 septembre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

« C’est ma jungle », indique Malachi.

Les colibris se frayent un passage dans le filet qui est installé au-dessus des plantes, entrant et sortant. Le feuillage est abondant – il y a du romarin, de la sauge et du thym en pagaille, ainsi que des cactus en fleurs.

Chaque jour, le couple s’occupe des plantes, prêt à rouvrir la porte de la pépinière et à redémarrer son activité professionnelle dès la fin de la guerre.

Le couple cultive également des litchis. Derrière, il y a une rangée de pacaniers imposants qui sont la propriété du moshav.

« Vous pouvez revenir et en cueillir autant que vous voulez », m’affirme-t-il.

C’est la deuxième ville située à la frontière où habite le couple : Il avait résidé au moshav Dikla, dans le Sinaï, jusqu’à la signature du traité de paix avec l’Égypte, en 1979. Il avait alors dû quitter la région et il était parti vers le nord d’Israël.

« Nous avions l’habitude d’aller au marché de Rafah », se souvient Malachi. « Notre banque était à Rafah ».

Il ajoute avoir fait partie de ceux qui avaient protesté contre le fait de devoir abandonner le moshav à l’époque – ce qui explique peut-être, continue-t-il, pourquoi il est obstinément resté à Liman jusqu’à présent.

« Nous ne pouvons pas partir d’ici », déclare-t-il. « C’est ici que nous vivons. Nous devons préserver cet endroit pour nos enfants ».

Apprendre à tout faire

Dans la cuisine de leur habitation confortable, Bella Shusterman fait revenir des oignons et elle écrase des pommes de terre.

Elle raconte que son mari, Itzhak, a perdu 22 kilos depuis le début de la guerre.

« Il n’arrivait pas à avaler la nourriture de l’hôtel », explique-t-elle.

Itzhak Shusterman avec les mangues et les bananes qu’il vient de récolter au Moshav Liman, le 26 septembre 2024. (Crédit: Diana Bletter/Times of Israel)

Quelques mois après le début de la guerre, ils sont retournés vivre dans leur maison pour s’occuper au mieux de leurs huit hectares de terres agricoles où ils cultivent des mangues, des litchis, des avocats et des bananes.

Bella raconte qu’ils ont fui Liman après le 7 octobre, « en laissant tout derrière nous ». Elle raconte qu’ils avaient tenté de récolter les fruits, mais qu’ils étaient « sous tension ».

« Est-ce que vous avez déjà vu un bananier dont les fruits n’ont pas été coupés ? » demande Itzhak, sans attendre de réponse. « Les bananes tombent sur le sol. L’arbre ressemble à un poteau filiforme, c’est tout ».

Bella raconte qu’elle est arrivée à Liman à l’âge de 18 ans.

« J’étais une citadine », se souvient-elle, « mais j’ai élevé nos cinq enfants ici et j’ai appris à tout faire ».

Elle explique qu’ils ont décidé de rester dans le moshav malgré les dangers. Entendant le mugissement des sirènes et le bruit des roquettes au-dessus de sa tête, elle montre les escaliers menant à l’abri souterrain de leur maison.

Bella et Itzhak Shusterman se tiennent sur les escaliers menant à leur abri antiaérien au Moshav Liman, le 26 septembre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

« Même quand on vit quotidiennement cette réalité », explique-t-elle, « on ne parvient toujours pas à s’y habituer ».

Le retour, enfin ?

Deux jours après l’assassinat de Hassan Nasrallah, Moshe Davidovich, chef du conseil régional de Mateh Asher et président du Forum de la Zone de conflit, s’est rendu à l’hôtel Aqueduct, où résident des habitants de différentes villes de la région. Il leur a confié qu’il espérait qu’ils pourraient rentrer chez eux dans quelques semaines.

« Je ne le crois pas », dit Kfir lors d’une conversation avec le Times of Israel, cette semaine.

Le septuagénaire indique que l’assassinat de Nasrallah n’a pas apporté l’espoir – mais qu’il a apporté un plus grand nombre de bombes et le cri répété des sirènes.

« J’utilise l’humour parce que la vie n’est pas simple », continue-t-il, s’excusant par avance de la noirceur de la boutade qu’il est sur le point de dire.

« Parfois, lorsque vous apercevez la lumière au bout du tunnel, c’est la lumière d’un train qui est en train de vous foncer dessus », déclare-t-il.

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