Tout en tenant dans ses mains une photo de son fils Eitan, âgé de 23 ans, otage du groupe terroriste du Hamas à Gaza, Tzvika Mor explique à un groupe de lycéens pourquoi il s’oppose à la libération des terroristes palestiniens emprisonnés en Israël en échange de celle de son fils.
« Il ne s’agit pas que de ma souffrance de père d’Eitan mais du pays dans son ensemble », déclarait Mor, fin décembre, aux élèves du lycée sioniste-religieux Tohar de Yad Binyamin, à environ 25 kilomètres à l’est d’Ashdod.
« Je ne peux pas laisser ma douleur personnelle prendre le pas sur les intérêts collectifs », ajoutait Mor, déplaçant le poids de la bandoulière soutenant son arme de poing Glock 19. « Laisser les terroristes en liberté met en danger la vie de tous les Juifs. Ce n’est pas ce que voudrait Eitan. »
Mor est l’un des cofondateurs du Forum Tikva, composé de proches d’otages du Hamas. « Tikva » en hébreu signifie espoir et l’hymne national s’appelle « HaTikva ».
Le Forum Tikva soutient – par le biais de conférences de bénévoles, de prières collectives, de manifestations et d’apparitions dans les médias – l’objectif déclaré du gouvernement de faire preuve d’une puissance militaire écrasante pour forcer le Hamas à libérer les otages que ses terroristes ont enlevés le 7 octobre dernier en marge du massacre de 1 200 personnes, parmi lesquels des bébés, des enfants en bas âge et des personnes âgées, dans le sud d’Israël.
Sur les 253 otages kidnappés ce jour-là, 132 seraient toujours détenus à Gaza – pas tous vivants.
Cent cinq civils ont été libérés par le Hamas à la faveur d’une trêve d’une semaine, fin novembre. Quatre otages avaient été libérées avant cette date, et une soldate avait été secourue par l’armée. Les corps de huit otages ont été retrouvés et trois autres ont été tués par erreur par l’armée. Tsahal a confirmé la mort de 28 des personnes toujours aux mains du Hamas, sur la foi de renseignements et d’observations des soldats déployés à Gaza.
Le Forum Tikva n’est pas lié au Fonds Tikvah ou au Forum Kohelet, bien que, comme ces organisations, ses membres aient tendance à être politiquement de droite.
Ce message a une signification toute particulière, venant de parents et de frères et sœurs d’otages. En effet, Mor et les autres membres du Forum Tikva sont on ne peut plus concernés par le sort des otages et â même d’offrir une vision alternative de la question, au-delà de la voix dominante.
Cette voix dominante, portée par le Forum des familles d’otages et de personnes disparues, bien financée et dotée de personnels en nombre suffisant, basée à Tel-Aviv, cherche à attirer l’attention du public sur les souffrances des otages.
Les différences entre les deux forums sont nuancées et portent généralement davantage sur le ton que sur le fond. Les membres des deux forums connaissent ô combien la douleur d’être le proche d’un otage. Les porte-paroles et membres des deux forums prennent soin de s’exprimer avec tact et s’abstiennent le plus souvent de s’attaquer les uns les autres.
Plusieurs membres du Forum Tikva qui se sont entretenus avec le Times of Israël ont exprimé leur gratitude envers les nombreux bénévoles du Forum des familles d’otages et de personnes disparues pour leur soutien matériel et émotionnel aux proches d’otages.
Le 10 janvier, les deux forums ont organisé un événement avec de la musique, des discours et des prières. L’événement était animé par deux jeunes femmes, Emuna Libman de Kiryat Arba, dont le frère Elyakim Shlomo Libman est otage du Hamas à Gaza, et Yarden Gonen, de Kfar Vradim, dont la sœur Romi Gonen est dans la même situation.
Le père d’Emuna et d’Eliyakim, Eliyahu Libman, président du conseil de Kiryat Arba, est l’un des fondateurs de Tikva. Gonen est active au sein du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Pas à n’importe quel prix
Le porte-parole de Tikva, Eitan Zeliger, explique que si les deux forums partagent le même désir de voir libérer les otages, il existe néanmoins entre eux des différences importantes.
« Nous estimons que le fait d’exiger la libération des otages ‘maintenant’, cette insistance sur le ‘maintenant’, est susceptible – pas intentionnellement, bien sûr – de nuire aux otages », estime Zeliger. « Cela fait le jeu du Hamas, qui pourrait en profiter pour faire monter les enchères. »
Le site Internet du Forum des familles d’otages et de personnes disparues s’appelle BringThemHomeNow.net. Certains militants utilisent les slogans « Le temps presse, libérez les otages maintenant » ou « Libérez-les jusqu’au dernier ».
Zeliger rappelle que la demande de libération des otages maintenant, et quel qu’en soit le prix, a été récemment reprise par le député Yesh Atid, Mickey Levy, lors d’une réunion à la Knesset avec les proches des otages.
Assis à côté de Ronen Tzur, le chef du Forum des familles d’otages et de personnes disparues, Levy s’est montré très ému en raison de sa proximité avec l’un des otages.
« Je le dis en mon nom et au nom de mon parti : peu importe le prix, peu importe le prix. Je le dis depuis le premier jour, que ce soit les 6 000 [prisonniers sécuritaires palestiniens détenus par Israël], un cessez-le-feu complet, je m’en fiche, peu importe le prix, ramenez-les chez eux maintenant », avait déclaré Levy.
Nombreuses sont les familles d’otages présentes, mais pas toutes, à avoir applaudi à sa déclaration.
Seule la pression militaire sur le Hamas permettra de libérer les otages
« La deuxième différence », a déclaré Zeliger, « c’est que nous pensons que seule une pression militaire sur le Hamas permettra de libérer les otages. Négociations, diplomatie, tout cela ne vaut rien sans pression militaire. Et nous pensons que la pression doit être accrue et même que l’aide humanitaire doit être revue à la baisse. »
Le sentiment qu’il est possible de faire davantage pression sur le Hamas afin qu’il libère les otages est partagé par les familles qui ne sont pas nécessairement alignées sur Tikva ou sur le Forum des familles d’otages et de personnes disparues. Le 9 janvier, quelques proches d’otages se sont rendus vers le point de passage de Kerem Shalom pour tenter – en vain – d’empêcher les camions chargés d’aide humanitaire d’entrer dans Gaza. La manifestation n’était pas organisée par Tikva.
Zeliger rappelle que Tikva s’oppose à toute manifestation, rassemblement ou marche susceptible d’être interprété comme une pression sur le gouvernement afin qu’il fasse des concessions au Hamas.
« Nous pensons que toute attaque contre le cabinet de guerre, non seulement n’aide pas, mais au contraire lui porte tort », explique-t-il.
Interrogé sur les mesures concrètes à prendre, Zeliger témoigne que la différence entre Tikva et le Forum des familles d’otages et de personnes disparues est peu claire.
Par exemple, explique Zeliger, certaines familles du Forum Tikva, comme celles du Forum des otages et des familles de personnes disparues, se sont montrées favorables à la trêve négociée fin novembre par le Qatar, l’Égypte et les États-Unis, en vertu de laquelle le Hamas a libéré 105 otages – 81 Israéliens, 23 Thaïlandais et un Philippin – et Israël, 240 prisonniers palestiniens.
D’autres ne l’étaient pas.
Zeliger précise que le Forum Tikva n’est pas opposé par principe aux négociations menées par le chef du Mossad, David Barnea, ou d’autres représentants du gouvernement au Qatar, en Égypte ou ailleurs pour obtenir la libération des otages.
« Nous pensons simplement que rien de tout cela ne fonctionnera sans une forte pression militaire ».
Le 10 janvier, de nombreuses sources ont rapporté que le cabinet de guerre israélien examinait une proposition d’accord qatarie comportant un cessez-le-feu et la remise en liberté d’otages. Cette offre est supposée aller bien au-delà d’une trêve et fournir une feuille de route pour mettre fin à la guerre, avec l’exil des dirigeants du Hamas et le retrait de l’armée israélienne de la bande de Gaza.
Ne pas répéter « les erreurs de l’affaire Shalit »
Le co-fondateur Mor estime que le Forum Tikva fait passer un message de ce qu’il qualifie de « responsabilité collective », afin qu’Israël « ne refasse pas les erreurs de l’accord Shalit ».
Soldat de Tsahal pris en otage en 2006, Gilad Shalit a été libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers, en 2011, contre 1 027 terroristes palestiniens et prisonniers détenus par Israël. C’est à ce jour l’échange de prisonniers le plus déséquilibré de toute l’histoire d’Israël.
[Pour information : 1969 : 2 civils et 2 soldats israéliens sont échangés contre 71 prisonniers égyptiens et syriens ; 1978 : un soldat israélien contre 76 terroristes ; 1983 : 6 soldats israéliens contre 4 765 terroristes ; 1985 : Transaction Ahmed Jibril : trois otages israéliens, Hezi Shay, Nissim Salem et Yossef Grof contre 1 150 terroristes palestiniens ; 1998 : les restes d’un soldat israélien (Itamar Illiah) contre des dizaines de terroristes ; 2004 : les corps de 3 soldats israéliens (Adi Avitan, Benny Avraham et Omar Souad) et un civil contre 450 terroristes du Hezbollah ; 2008 : les corps de deux soldats israéliens (Eldad Reguev et Ehoud Goldwasser) contre Samir Kountar, quatre autres terroristes et 199 corps de terroristes libanais ; 2011 : Un soldat israélien (Guilad Shalit) contre 1 027 terroristes.]
Dans les quatre années qui ont suivi la libération de Shalit, six Israéliens au moins ont été assassinés par des terroristes libérés dans le cadre de l’accord. Parmi les personnes libérées figurait le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, soupçonné d’avoir été le cerveau du massacre du 7 octobre dans le sud d’Israël.
Par rapport à cet accord Shalit, les conditions de l’échange entre Israël et le Hamas, fin novembre, sont bien meilleures. Israël a en effet libéré près de trois prisonniers de sécurité palestiniens par otage israélien.
Le 7 octobre, le fils de Mor, Eitan, a été pris en otage avec son ami d’enfance Elyakim Shlomo Libman. Les deux hommes travaillaient comme agents de sécurité – non armés – à la rave Supernova, non loin du kibboutz Reïm, lorsqu’ils ont été enlevés.
Libman porte le nom de son oncle paternel Shlomo, assassiné en août 1998 par des terroristes qui seront plus tard remis en liberté dans le cadre de l’accord Shalit.
Mor a déclaré que son fils avait « un très grand cœur » et que son appartement, dans le centre de Jérusalem, était ouvert à ceux qui en avaient besoin.
De l’avis que « rien n’est fortuit », Mor confie que, quatre mois avant l’enlèvement d’Eitan par le Hamas, la famille avait évoqué l’échange de prisonniers Shalit.
« Eitan nous a dit : ‘Si je suis pris en otage, qu’il n’y ait pas d’échange de prisonniers pour ma libération.’ C’est notre pays. C’est le message que je souhaite laisser à mes enfants », confie Mor. « Si nous acceptons un accord, alors des gens que nous ne connaissons pas, dont nous ne pouvons pas voir les visages, seront assassinés… Nous ne savons pas qui ils sont, mais nous savons qu’ils seront assassinés. »
« Je n’abandonne pas mon fils »
Les approches opposées des deux forums de familles d’otages sont apparues lors d’un passage, le 17 décembre dernier, sur l’antenne de Kan TV. Mor a en effet été vertement apostrophé par Alon Nimrodi, père de Tamir, soldat de Tsahal capturé par le Hamas.
Mor a déclaré : « Supplier [le Hamas] de négocier est ridicule et irresponsable. On ne procède même pas de la sorte pour acheter une trottinette électrique d’occasion. »
Nimrodi lui a alors répondu : « Tzvika, tu as peut-être abandonné ton fils… Mais moi non. Je ne peux pas entendre de pareils propos : à mon avis, votre position est très minoritaire. Vos déclarations sont arrogantes. Je suis désolé de vous le dire. »
Ce à quoi Mor a réagi en disant que Nimrodi se contentait de « lire mot pour mot un texte préparé par des spécialistes des relations publiques à Tel Aviv ».
Plus tard, il devait fondre en larmes à l’antenne.
Depuis cet échange, Mor et Nimrodi se sont rapprochés.
« Il a tenté de me joindre juste après notre passage à la télévision, mais j’étais tellement bouleversé que je ne pouvais pas répondre », rappelle Mor. « Le lendemain matin, nous avons parlé longuement. Je ne blâme pas Nimrodi – juste avant notre apparition à la télévision, il avait assisté aux funérailles du meilleur ami de son fils. Ce qui a aggravé les choses, c’est que le producteur ne nous a pas dit que nous serions mis en présence l’un de l’autre. »
Mor explique que le fait de s’opposer à la négociation avec le Hamas ne signifie pas qu’il se soucie moins de son fils.
« Il ne se passe pas un jour sans que je pleure pour Eitan. Mais je ne m’apitoie pas sur moi-même », explique-t-il.
Comme tant d’autres proches d’otages qui s’opposent aux manifestations publiques susceptibles d’être perçues comme des tentatives de pression sur le gouvernement, Mor dit s’être heurté à un antagonisme au sein du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Ceux dont les proches, otages, jouent en ce moment leur vie – parents, grands-parents, conjoints et enfants – sont à fleur de peau, et aux yeux de Nimrodi et d’autres proches des prisonniers du Hamas, Mor promeut un plan de nature à mettre en danger la vie de leurs proches.
« Un certain nombre de familles, au sein du forum de Tel-Aviv, nous ont attaqués et intimidés, de telle manière que nous n’avons pas pu exprimer nos idées de manière démocratique », explique Mor. « Ces familles sont loin d’être majoritaires, mais elles sont sans nul doute les plus bruyantes. Ce sont elles qui donnent le ton. »
Mor est d’avis que le message du Forum des familles d’otages et de personnes disparues est l’émanation d’un programme politique de gauche anti-gouvernement.
« Nous ne pouvons pas être d’accord avec la stratégie anti-gouvernementale de Ronen Tzur », explique Mor, en faisant allusion à l’un des cofondateurs et actuel chef du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Ex-député travailliste, Tzur est un stratège politique et spécialiste des relations publiques qui a joué un rôle déterminant dans la campagne pour la libération de Shalit.
Ces dernières années, il a mené une campagne contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu connue sous le nom « Comment vaincre le terrorisme bibi ». Il a été conseiller de l’actuel ministre de la Guerre, le député Benny Gantz.
Parmi les autres voix dominantes du Forum des familles d’otages et de personnes disparues, citons les ex-députées travaillistes Emilie Moatti et Colette Avital, ainsi que le directeur de J Street Israël, Nadav Tamir.
Une maison divisée
Peu de temps après l’attaque du 7 octobre, les familles des otages ont compris qu’elles devaient travailler ensemble, partager des informations et bâtir une campagne. Les familles Mor et Libman sont parmi les premières à avoir participé à cette action. Un groupe d’avocats, de stratèges des médias et d’ex-diplomates se sont portés volontaires pour apporter leur aide. Ils ont formé le Forum des otages et des familles disparues.
La société de cybersécurité Checkpoint a fait don d’un bâtiment situé dans la rue Léonard de Vinci, non loin de la Place des Otages, qui abrite aujourd’hui le siège du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Les dons effectués par les entreprises et particuliers ont permis au Forum des familles d’otages et de personnes disparues de mener une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars pour sensibiliser le public au sort des otages, aussi bien au niveau local qu’international.
Il dispose d’un personnel financier, juridique, médical et international, d’une équipe graphique, de travailleurs sociaux et des psychologues qui opèrent à partir du siège – tous bénévoles.
L’organisation propose également de la nourriture aux familles des otages.
Compte tenu de la localisation de l’attaque du Hamas, dans le sud-ouest du Neguev, un très fort pourcentage d’otages est originaire de kibboutzim laïcs, soutiens historiques du parti Avoda, ce qui explique la présence en nombre, au sein de ce forum des otages, de personnes affiliées à ce parti. Le bâtiment qui abrite aujourd’hui le Forum des familles d’otages et de personnes disparues était autrefois le siège social du mouvement des kibboutzim.
Pour autant, toutes les familles d’otages n’adhèrent pas pleinement au programme politique du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
« Nous ne pouvons pas tolérer une stratégie fondée sur la capitulation face au Hamas, ce dont Ronen Tzur est le fer de lance, comme si nous devions faire une offre que le Hamas ne peut pas refuser », explique Mor.
Il assure que nombre de familles ne sont pas satisfaites de la façon dont est géré le Forum des familles d’otages et de personnes disparues et qu’une petite quinzaine de familles seulement est active dans le forum.
Une source proche de Tikva, qui préfère garder l’anonymat, assure que Tzur exploite la crise des otages pour lutter contre le gouvernement, un peu dans le prolongement de sa campagne « Bibi terroriste ».
Tzur a fait savoir, dans une réponse écrite en date du 10 janvier : « Je respecte Tzvika Mor et je lui souhaite, ainsi qu’à tous, le retour rapide d’Eitan. Je tends la main à Tzvika, comme je l’ai fait cette semaine à la Knesset, pour travailler avec lui au retour des otages et à l’unité du peuple israélien une fois qu’ils auront été libérés, si Dieu le veut. »
Tzur assure ne rien savoir des manoeuvres d’intimidation dont Mor fait état et n’avoir jamais été témoin de tels comportements lors de réunions.
« Le Forum des familles d’otages et de personnes disparues comprend 110 familles, qui représentant plus de 90 % des familles d’otages, et les décisions sont prises par le vote », rappelle M. Tzur.
Il ajoute que la douleur des familles est telle qu’elle s’exprime parfois en public, comme lors de la réunion à la Knesset avec Levy, toujours authentique, profonde et parfois pleine de colère et de fureur.
« Prétendre que cette douleur ou ce chagrin sont mis en scène à des fins politiques est indigne », regrette-t-il. « J’ai quelque chose à demander à titre personnel à Tzvika : ne dites jamais à des bénévoles comme moi qu’ils font le jeu du Hamas. Nous sommes tous frères : il s’agirait de ne pas l’oublier. »
S’agissant de la position du Forum des familles d’otages et de personnes disparues sur des mesures spécifiques comme le durcissement de la pression militaire, la libération de terroristes palestiniens en échange d’otages, ou une forme de cessez-le-feu, Tzur explique : « Le Forum des familles agit pour faire libérer les otages de toutes les manières possibles et n’interfère pas avec les considérations opérationnelles du cabinet de guerre, de Tsahal ou des forces de sécurité dans leur ensemble. »
« Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas »
Au lycée Tohar, Mor termine sa conférence d’une heure et répond aux questions des filles.
« N’avez-vous pas peur de diviser à nouveau le pays ? », demande une jeune fille, évoquant les manifestations et affrontements publics qui ont émaillé le projet de refonte du système judiciaire proposé par le gouvernement Netanyahu dans les mois qui ont précédé le 7 octobre et qui ont presque précipité le pays dans la guerre civile.
(Quelques jours après, la Cour suprême invalidait un élément clé de la refonte judiciaire, dernier rebondissement en cours sur la question.)
« Je pense que 95 % des gens sont d’accord avec moi », estime Mor. « On est loin du clivage. »
La voix de Mor est, le temps d’un instant, noyée dans le rugissement d’un avion de chasse, qui semble se diriger vers Gaza.
« En route vers un autre client satisfait », plaisante Mor avant de poursuivre. « Je dis aux familles qui veulent un accord à tout prix : ‘Les gens en ont marre de vous voir vous mettre en premier.’ »
« Je leur dis : ‘Vous êtes en train de perdre le soutien du peuple. Vous n’êtes pas les seuls dans ce cas. Il y a des familles qui ne dorment pas la nuit parce que leurs fils se battent à Gaza. Il y a des personnes évacuées. Essayez d’être avec les gens. Ils sont tellement abattus par le chagrin qu’ils ont du mal à relever la tête’ », dit-il aux filles.
Le Forum Tikva, explique Mor au Times of Israël, a été créé lorsqu’il est devenu impossible d’exprimer une position pro-gouvernementale au sein du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Tikva relève d’une tendance politique sioniste-religieuse et plusieurs de ses membres vivent dans des implantations de Cisjordanie. En plus de Mor, qui vit à Kiryat Arba, les deux autres fondateurs du Forum Tikva – le président du conseil de Kiryat Arba, Eliyahu Libman, père d’Elyakim Libman, et Ditza Or, résidente de Shilo, mère d’Avinatan Or – vivent également dans des implantations.
Shira Libman, directrice générale du Conseil de Yesha, qui est également la belle-sœur d’Eliyahu Libman et la tante de l’otage Elyakim Libman, estime que l’un des objectifs du Forum Tikva est de venir en aide aux familles qui veulent faire entendre publiquement leur voix sur le sort des otages.
« Ce n’est pas facile », admet Libman, « de se détacher de toute forme d’intérêt et de prendre position en faveur d’une pression sur le Hamas pour qu’il libère les otages, alors que la réaction naturelle de tout parent d’un otage est de ne penser qu’à sa libération, quel qu’en soit le prix. »
Libman dit que certaines familles, qui ne sont pas prêtes à tout pour obtenir la libération de leurs proches, se sentent isolées et craignent de passer pour indifférentes si elles parlent de mettre en danger leurs proches, en les exposant à des représailles de la part du Hamas.
« Ce qui rend les choses encore plus difficiles, c’est cet échec majeur : parce que l’État a échoué le 7 octobre, désormais le gouvernement devrait payer n’importe quel prix pour récupérer les otages », explique-t-elle.
« Mais si nous continuons de la sorte à payer le prix fort, cela n’aura jamais de fin. Le Hamas poursuivra cette stratégie et la prochaine fois, au lieu de 250 otages, il en prendra 2 500, et au lieu d’assassiner 1 200 personnes, il y en aura 12 000, Dieu nous en préserve. »
Mor estime « incompréhensible » que le Hamas fixe les termes d’un accord et qu’Israël ne le force pas à sortir de ses tunnels en le privant d’eau, de nourriture ou de carburant.
La position de Mor s’appuie sur l’hypothèse que la moindre trêve, même de courte durée comme celle conclue fin novembre pour la libération des otages israéliens, allège la pression sur le Hamas. Les vivres, le carburant et l’eau autorisés à entrer à Gaza – certes dans le cadre de mesures humanitaires, mais souvent saisis par le Hamas – permettent sans aucun doute au Hamas de continuer à se battre. Il estime par ailleurs que les pressions publiques contre le gouvernement pour qu’il conclue un accord avec l’organisation terroriste ne font que renchérir les exigences du Hamas.
Mor penserait-il la même chose à propos du précédent accord ou d’un futur accord si son propre fils figurait sur la liste des otages à libérer ?
« Je m’opposerais à tout accord qui porte atteinte à notre dignité nationale, qui montre que nous sommes faibles, que nous n’avons pas la capacité de persévérer, que nous ne sommes pas prêts à faire des sacrifices – ce qui, par conséquent, sape les fondements de notre sécurité et conduira à l’assassinat de Juifs à l’avenir – », déclare Mor. « Même si mon fils figurait sur la liste des otages à libérer. »
Tous les membres du Forum Tikva ne seront pas d’accord.
Ditza Or, habitante de Shilo et mère d’Avinatan, préfère ne pas dire si elle serait capable de s’opposer à un accord qui permettrait la libération de son fils.
« Ce que je peux vous dire, c’est que je suis en faveur d’un accord – et j’y travaille activement – au terme duquel Tsahal démantèlera complètement le Hamas au point que les dirigeants du Hamas encore en vie abandonneront les otages pour sauver leur vie », dit-elle. « Ils auront la vie sauve en l’échange de celle de mon fils. »
« Si je fais ma part, le Créateur fera la sienne »
Le fils d’Or, Aviatan, est apparu dans une vidéo du Hamas publiée sur Telegram, en compagnie de sa petite amie Noa Argamani. La vidéo montre Argamani, qui a la double nationalité chinoise et israélienne, détenue de force, assise entre deux terroristes à bord d’un véhicule tout-terrain en route vers Gaza et qui tend les bras vers Avinatan, qui s’éloigne d’elle, entouré de trois terroristes. Les deux jeunes gens ont été enlevés à la rave Supernova.
Le soir du 10 octobre, soit trois jours après la prise en otage de son fils Aviatan, Or a senti qu’elle devait faire quelque chose.
Elle a décidé de faire le trajet d’une heure entre son domicile à Shilo et le quartier général de l’armée Kirya à Tel Aviv. Elle s’est tenue debout, avec une photo d’Avinatan, devant la porte Begin, celle qu’empruntent responsables militaires, officiers de haut rang de Tsahal et, occasionnellement, des ministres du gouvernement après une journée de travail.
Depuis, elle le fait presque chaque soir, entre 19 h 30 et 22 h.
« Cela me donne de la force et de l’optimisme », expliquait Or un mercredi soir, il y a de cela peu de temps, alors que des véhicules avec à leur bord des officiers quittaient le Kirya, les épaulettes visibles à travers les fenêtres. « J’ai l’impression de faire quelque chose d’important, d’apporter ma contribution. »
« Aider Avinatan directement, le ramener à la maison, prendre soin de lui, c’est tout ce que je ne peux pas faire. Cela me désespère. Je me concentre donc sur ma mission, et je crois en mon for intérieur que si je fais ma part, alors le Créateur de l’univers fera la sienne. C’est ma façon de ramener Avinatan à la maison et de mener à bien ma mission dans le monde. »
Or avait avec elle une pancarte avec une photo de son fils et la légende « Se battre pour la victoire – Il faut ramener Avinatan et tous les otages ».
C’était une pancarte bleue ornée d’un drapeau d’Israël en arrière-plan.
À proximité se trouvait une dizaine de collègues d’Avinatan, tous employés de la branche israélienne de Nvidia, entreprise technologique américaine qui fabrique des puces informatiques pour les rendus graphiques et vidéo et pour laquelle Avinatan travaille en tant qu’ingénieur électricien.
Tous brandissaient des pancartes noires et rouges créées par le Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Ces pancartes différentes illustrent la scission idéologique entre le Forum Tikva et le Forum des familles d’otages et de personnes disparues – qui se retrouve également au sein de la famille d’Or.
Haïm Yitzhak Or, l’un des sept frères et sœurs d’Avinatan, est en effet très investi au sein du Forum des familles d’otages et de personnes disparues.
Or insiste malgré tout sur le profond sentiment d’unité, en dépit des divergences, pour trouver la meilleure façon de libérer Avinatan et les autres otages.
« L’unité est un terme rebattu », estime Ditza Or, qui enseigne le coaching et le conseil sur la base d’une approche juive de la psychologie qui emprunte beaucoup au hassidisme, en particulier au hassidisme Habad.
« Trop souvent, l’unité implique de s’incliner devant la voix la plus forte, celle, agressive, forte et violente de la minorité de la société israélienne qui a perdu les élections ces vingt dernières années », estime-t-elle.
« En tant que Juifs, nous ne faisons qu’un, nous sommes tous liés et nous pouvons le voir et le ressentir si nous sommes prêts à mettre de côté les slogans et la politique, à nous regarder dans les yeux et écouter avec sensibilité, empathie et patience. Alors nous découvrirons que nous sommes extrêmement proches les uns des autres, que nous débordons d’amour et que nous sommes prêts à nous entraider. »
« J’espère – et je prie pour – qu’après la guerre, la société aille bien mieux, afin que nous puissions grandir et nous sentir plus forts, par la force du collectif », confie-t-elle. « C’est cet espoir qui me donne la force de continuer à venir ici, soir après soir. »
Six femmes portant le foulard, des amies d’Or qui ont fait le voyage depuis Shilo, se rassemblent autour d’elle et la prennent dans leurs bras.
Une femme joue « Lu Yehi » (« Que ce soit »), de Naomi Shemer, au violon, dans le cliquetis métallique des voitures qui passent dans cette voie à sens unique.
« De temps en temps, des voitures s’arrêtent et les gens me parlent », confie Or. « Au début, ils sont un peu méfiants. Mais quand ils voient que je suis là pour exprimer mon soutien, alors ils s’ouvrent. »
« Je parle avec des responsables et des généraux, des gens importants, des officiers des divisions opérationnelles ou des divisions technologiques. Ils ont un cœur juif chaleureux et à Sim’hat Torah, leur cœur aussi a été brisé. Je suis ici pour m’assurer que leur cœur ne guérisse pas et qu’ils ne reprennent pas leurs mauvaises habitudes d’avant la guerre, que ce soit en pensée ou en acte. »
« Je suis là avec toute la douleur que j’ai et toutes les souffrances d’Avinatan et je garde leurs cœurs non guéris pour qu’ils agissent. »