Unis dans la douleur, les proches religieux et laïcs d’otages à Gaza chantent et prient
Un rassemblement diversifié à Tel-Aviv, accompagné par les musiciens Idan Raichel et Aharon Razel, organisé pour célébrer une cause qui a réuni les Israéliens de tous horizons
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
La pluie qui s’est abattue sur la place des otages de Tel Aviv mercredi soir a contraint les centaines d’Israéliens qui s’y étaient rassemblés pour exprimer leur solidarité avec les otages détenus par des terroristes à Gaza à tenir le rassemblement prévu à l’intérieur.
Ils se sont rassemblés dans le hall principal du musée d’art de Tel-Aviv, sous la fresque emblématique de Roy Lichtenstein, pour une soirée émouvante de prière, de musique mais aussi d’unité, afin de témoigner de la détresse commune que partagent des Israéliens de tous horizons.
Le message principal, qui n’a malheureusement pas changé depuis trois mois, est de ramener chez eux les 132 otages encore détenus à Gaza, capturés par les terroristes du Hamas lors de leur assaut meurtrier du 7 octobre sur le sud d’Israël.
Mais le second message était celui de l’unité. Les animatrices de la soirée étaient les sœurs de deux otages, Yarden, la sœur de Romi Gonen, et Emuna, la sœur d’Elyakim Libman. Issues de mondes très différents – l’une est religieuse et vient du mouvement des implantations, l’autre est laïque et vient du bastion libéral de Tel Aviv – elles ont raconté leur rencontre improbable.
Leur frère et leur sœur ont tous deux été enlevés lors de la rave Supernova, dans le désert, en ce sombre matin de Shabbat.
« Nous ne nous serions probablement jamais rencontrées », a indiqué Yarden Gonen, précisant qu’elle a grandi dans la banlieue nord de Kfar Vradim et qu’elle vit à Tel-Aviv, tandis qu’Emuna Libman vient de l’implantation religieuse extrémiste de Kiryat Arba, en Cisjordanie.
Les deux femmes se sont rapprochées ces derniers mois au cours de leur mobilisation en faveur des otages. Elles ont toutes deux eu 30 ans pendant cette période et ont chacune un partenaire qui sert dans le commando Egoz de Tsahal et qui a combattu à Gaza.
Gonen, qui s’est fréquemment exprimée en public depuis le 7 octobre, a esquissé un large sourire, chose qu’elle n’a pas faite lors d’autres rassemblements.
« Ensemble – c’est le mot qui sous-tend ce rassemblement », a affirmé Gonen.
Ce rassemblement a été initié et organisé par la famille de l’otage Sagui Dekel-Chen, avec le soutien du Forum des familles d’otages et de disparus.
Sagui Dekel-Chen, 35 ans, a été pris en otage après avoir été blessé alors qu’il combattait au sein de l’équipe d’urgence du kibboutz Nir Oz, où il vivait avec sa femme et ses deux jeunes filles. Ses trois beaux-frères et belles-sœurs ont pris la parole mercredi soir – l’une d’entre eux est religieuse et a les cheveux couverts, l’autre est d’origine israélo-éthiopienne et le troisième portait son uniforme de réserviste.
« Regardez-nous et vous verrez à quoi ressemble le peuple israélien », a souligné le beau-frère réserviste, qui ne porte pas de kippa. « Nous vivons dans la douleur et dans l’espoir. »
Le beau-frère éthiopien-israélien de Dekel-Chen, qui vit également à Nir Oz avec sa famille, a nommé tous les membres du kibboutz qui ont été faits prisonniers, y compris la famille Bibas et ses deux petits rouquins, qui ont été kidnappés devant sa maison.
Le rassemblement n’a pas manqué de moments insolites. L’auteur-compositeur-interprète Idan Raichel a joué de l’accordéon sur le piano d’Aharon Razel pour interpréter « Ani Maamin » (« Je crois »), et la foule, des Israéliens pratiquants pour la plupart, ainsi que quelques personnes ne portant pas la kippa, ont écouté attentivement les remarques du chef du conseil de Kiryat Arba et de Hébron, Eliyahu Libman, le père de l’otage Elyakim Libman, et celles du rabbin Shmuel Eliyahu, le grand rabbin de Safed.
Libman, qui a affirmé plus d’une fois que le gouvernement israélien ne devrait pas conclure d’accord prévoyant la libération de Palestiniens emprisonnés afin de libérer son fils et les autres otages, a évoqué le parcours de son fils, qui est passé de Hébron, en Cisjordanie, à Tel Aviv, une ville laïque, puis, plus récemment, à Gaza.
« Nous devons garder la tête haute, nous devons garder le sourire », a affirmé Libman devant une foule qui a pleuré pendant toute l’heure et demie qu’a duré le rassemblement.
Le rabbin Shmuel Eliyahu, connu pour ses propos incendiaires sur les Arabes et les Palestiniens, a parlé de la haine inutile entre Israéliens et de la bénédiction d’être unis.
Ditza Or, mère de l’otage Avinatan Or, enlevé lors du festival Supernova, a déclaré que « cette belle jeunesse qui dansait à la fête nous a sauvé, c’est grâce à elle que nous sommes tous ici », car sans eux, les terroristes du Hamas auraient pu atteindre des communautés situées au-delà de celles situées à la frontière de la bande de Gaza.
« La musique sur laquelle nous dansons n’a pas d’importance », a ajouté Or, « nous faisons tous partie d’une grande histoire qui a commencé il y a 4 000 ans. L’amour nous lie les uns aux autres. »
Un rabbin orthodoxe plus classique, Itamar Eldar, a évoqué la complexité de rassembler les diverses croyances et personnes réunies pour la soirée.
« Je vis à Tel Aviv, je suis conscient des différences, mais je sais aussi que des partenariats sont possibles », a affirmé Itamar Eldar. « Nous devons trouver des passerelles, car nous voulons réparer et guérir. »
La foule s’est jointe à chaque fois que les musiciens Razel et Raichel ont interprété des chants de prière et de liturgie, d’abord doucement, puis plus fort, connaissant chaque mot de chaque chanson par cœur.
« Vous représentez le consensus de ce pays », a déclaré Gonen à Raichel, ajoutant que sa musique est la seule chose sur laquelle toute sa famille est d’accord.
La mère de Yarden, Merav Leshem Gonen, qui est devenue l’une des figures de proue des familles d’otages, a parlé avec émotion de l’obscurité qui s’est abattue sur leur famille le 7 octobre, lors de l’enlèvement de Romi, et de la lumière qui est réapparue lorsque leur famille s’est rapprochée des autres familles d’otages au cours de ces trois mois d’attente angoissante.
« Le dialogue n’est pas toujours simple », a indiqué Leshem Gonen. « Certaines choses nous dérangent mais nous avons trouvé des solutions, parce que c’est ainsi que fonctionnent les familles : elles communiquent et acceptent de ne pas être d’accord sur tout. »