FRONTIÈRE DE GAZA – Des explosions de mortier aussi soudaines qu’imprévisibles percent le ciel au-dessus de la forêt, autrement paisible, située à l’ouest du kibboutz Beeri.
Le kibboutz, ou plutôt la forêt à l’extérieur de cette communauté frontalière ravagée, théâtre d’un massacre d’une cruauté inimaginable il y a tout juste 100 jours, a retrouvé un peu de son charme bucolique.
Les champs entourant le kibboutz, couverts d’une pelouse hivernale luxuriante et verte, sont légèrement vallonnés. Des paons déambulent et jacassent dans un champ près de la barrière jaune du kibboutz. Dans les jours qui ont suivi le 7 octobre, le lieu grouillait de troupes de Tsahal, d’équipes de ZAKA, chargées de récupérer les dépouilles des victimes ainsi que les restes des terroristes.
Dimanche, le site était pratiquement vide, à l’exception de quelques voitures garées dans la boue et d’un convoi de Hummers appartenant à l’unité Archimède, une troupe de soldats chargée de servir de centre de commandement mobile au colonel Elad Shushan, commandant de la 646e brigade de parachutistes de réserve.
Des réservistes ont temporairement quitté le champ de bataille pour escorter le Times of Israel au cœur de la bande de Gaza, où Shushan était en train de procéder à l’inspection d’un important tunnel du Hamas découvert la nuit précédente et qui devait être détruit dans la foulée.
C’était la première fois que je retournais à Gaza depuis la fin de mon service de réserve il y a quelques semaines, après des mois de service en qualité d’officier dans la 98e division, à une quinzaine de kilomètres au sud, près de Khan Younès.
Bien que les soldats dans les Hummers ne soient pas ceux avec lesquels j’ai servi, je me suis tout de suite retrouvé dans leur humour décontracté et ce mélange éclectique d’équipements militaires et d’équipements achetés par les soldats eux-mêmes.
Nous étions sur le point de pénétrer dans l’une des zones de guerre les plus actives au monde à bord de jeeps ouvertes et non protégées, mais l’ambiance était résolument détendue parmi les soldats, qui venaient tout juste d’arriver. Alors que nous nous préparions à pénétrer dans l’enclave, les soldats plaisantaient avec d’autres troupes le long de la route, prenaient des collations dans les tentes militaires vertes et jetaient un dernier coup d’œil à leurs téléphones – qui seraient interdits une fois à l’intérieur de Gaza – afin de se tenir au courant des dernières nouvelles.
La route menant à la frontière longe la réserve naturelle des territoires de Beeri et traverse les conifères de la forêt de Beeri. Alors que nous nous rapprochions du point de passage, nous avons dépassé des avant-postes logistiques des différentes unités opérant à l’intérieur de Gaza, des petits postes de soutien aux troupes d’où les combats étaient clairement audibles.
Nous avons traversé une brèche ouverte, non surveillée, dans la clôture frontalière de plusieurs milliards de dollars, celle-là même qui a à peine ralenti les escouades terroristes en octobre. Les trous dans la barrière provoqués par les bulldozers du Hamas ont été réparés, mais on y distingue sans peine les sections qui viennent d’être réparées. La trentaine d’otages capturés à Beeri ont probablement dû passer par là avant d’être emmenés dans des tunnels et des cachettes à l’intérieur de Gaza, où nombre d’entre eux se trouvent encore.
Après environ 10 minutes de secousses dans des champs boueux à travers la zone frontalière agricole de Gaza, nous nous sommes arrêtés dans le bastion de la brigade construit à la hâte où les soldats d’Archimède et Shushan sont basés.
Des bâtiments en ruine entourent le terrain, et des chiens sauvages mais amicaux se promènent entre les APC et les Hummers stationnés. Les murs de certains bâtiments sont couverts de graffitis par lesquels les soldats expriment le manque de leurs femmes et petites amies, ainsi que de dessins humoristiques dont la signification n’est pas toujours évidente.
Un message disait : « Jouez à des jeux stupides, gagnez des prix stupides. »
Nous avons décrotté nos bottes du mieux que nous pouvions sur le tapis à l’entrée du poste de commandement de Shushan, une maison gazaouie réquisitionnée, et avons gravi deux étages en marchant entre matelas, matériel militaire et stocks de nourriture.
Le commandant de brigade débordant d’énergie était assis devant une carte sur laquelle les mouvements de troupes et les positions des unités étaient dessinés au marqueur.
Dès que nous nous sommes assis, Shushan a demandé à l’un des soldats présents dans la pièce, un immigrant de Sydney, de nous apporter du café. Shushan n’est pas rentré chez lui depuis l’entrée de ses troupes à Gaza il y a deux mois, mais cet homme de 42 ans est détendu et heureux de raconter les exploits de ses troupes.
Son message principal, sur lequel il est revenu à plusieurs reprises, est que la guerre d’Israël contre le Hamas n’est pas près de s’achever.
« Elle n’est pas près de se terminer », a affirmé Shushan. « Nous serons là pendant encore un an. »
Deux jours plus tôt, les troupes placées sous son commandement ont réussi à déjouer un plan du Hamas visant à tirer des dizaines de roquettes sur Netivot. L’attaque était prévue pour dimanche, jour de rassemblement de dizaines de milliers de personnes dans la ville pour marquer l’anniversaire de la mort de Baba Sali, un rabbin mystique populaire d’origine marocaine.
Shushan a confié au Times of Israel qu’ils avaient découvert le plan et fait une descente dans le verger d’oliviers dans lequel les lanceurs étaient cachés. Ces derniers étaient pour la plupart enfouis dans le sol, avec des roquettes chargées à l’intérieur.
Hamas fired barrage at Netivot today, but they were also planning to hit the city on Sunday, when 1000s were at hilula gathering marking anniversary of Baba Sali’s death.
IDF 646 Bde found launchers on Friday and destroyed them pic.twitter.com/pswsFvnb7r— Lazar Berman (@Lazar_Berman) January 16, 2024
« Ils sont à court de roquettes », a expliqué Shushan, « ils concentrent donc leurs tirs lors des fêtes et des événements ».
Deux jours après notre entretien, malgré ce succès apparent, une cinquantaine de roquettes ont été tirées sur Netivot et ses environs, dans l’un des barrages les plus importants depuis des semaines en provenance de Gaza.
Alors même que Tsahal réduit ses forces dans d’autres parties de la bande de Gaza, la 646e brigade continue d’étendre ses opérations dans le centre de la bande de Gaza.
La semaine dernière, le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, et le ministre de la Défense, Yoav Gallant, ont déclaré aux médias étrangers que Tsahal passait à une nouvelle étape des combats, plus axée sur les opérations ciblées.
Selon Shushan, les propos tenus sur le passage à une nouvelle phase de la guerre, où les combats seraient moins intenses, ont donné une impression erronée des batailles à venir.
« L’expression ‘troisième étape’ prête à confusion au sein de la population », a-t-il déclaré. « Nous ne nous sommes pas arrêtés et nous ne sommes pas passés à une nouvelle phase. Nous nous sommes seulement adaptés à l’ennemi, afin de savoir où il a été touché et où il ne l’a pas été. Il y aura des frappes plus précises, qui seront de plus en plus effectuées par des unités de combat et non par des réservistes. »
Recensement des dépouilles
Shushan, qui a grandi à Yated, une communauté agricole située près de la frontière de Gaza, était censé prendre le commandement de la brigade le 8 octobre. Mais, quelques heures après le début de l’assaut du Hamas, le 7 octobre, Shushan a compris que Tsahal avait besoin de toutes les forces qu’elle pouvait rassembler le plus rapidement possible et il a pris les commandes un jour plus tôt.
L’une de ses premières actions a été d’activer le bataillon de reconnaissance de la brigade, en se rendant au kibboutz Beeri dans l’après-midi avec 100 parachutistes.
Ses hommes ont participé à des opérations visant à débusquer les terroristes et ont aidé des familles à s’enfuir de chez elles.
Alors que Shushan combattait les terroristes du Hamas infiltrés et sauvait des civils israéliens, il tentait en même temps de calmer sa mère, cachée dans sa chambre sécurisée à Yated. Il a perdu le contact avec elle lorsque la batterie de son téléphone est morte. Elle a réussi à s’enfuir pour Eilat saine et sauve.
Shushan n’a réalisé l’ampleur du massacre que le lendemain, alors qu’il ramassait des corps le long de la route 232. Les réservistes ont empilé des dizaines de corps trouvés dans les champs et dans les nombreux abris anti-bombes.
Le 9 octobre, la brigade a aidé à débarrasser Beeri des corps des terroristes du Hamas qui y ont été tués. Il a recensé 104 corps.
Les soldats de Shushan n’ont pas participé à la première opération terrestre dans la bande de Gaza, mais ont servi de force de réserve pour le théâtre nord. Pendant ce temps, la brigade a été envoyée à Jénine, en Cisjordanie, où elle a mené un raid à pied au cœur du camp de réfugiés de la ville.
La brigade a rejoint la 99e division lors de l’offensive dans le centre de la bande de Gaza au début du mois de décembre et, depuis lors, elle se bat pour assurer la sécurité d’un corridor allant de la frontière à la côte. Les forces de Shushan ont lentement progressé vers le nord face au bataillon Zeitoun du Hamas, et vers le sud face aux bataillons Nuseirat et El Bureij.
Les bataillons Zeitoun et El Bureij ne constitueraient plus des unités de combat, et les terroristes restants se seraient regroupés en formations plus petites, selon Shushan. Nuseirat, en revanche, continuerait à opérer comme une unité cohérente, même si, selon lui, ce bataillon a commencé à se réduire au cours de la semaine écoulée.
Au début du mois, l’un des bataillons de la 646e brigade a pénétré dans le quartier d’al-Azhar, au centre de Gaza, surnommé par les autorités israéliennes le « quartier des tours » en raison des 31 immeubles résidentiels où résideraient des responsables du Hamas.
« Nous avons découvert que chaque bâtiment, y compris l’école et la mosquée, possède un puits et que tous ces puits sont reliés par un réseau souterrain », explique Shushan.
Ils ont trouvé des centaines de lance-roquettes et des dizaines d’ateliers de fabrication de roquettes.
La brigade a perdu cinq soldats en tentant de dégager la zone. Toutes les attaques ont été menées par des terroristes du Hamas qui ont utilisé des tunnels pour frapper les forces de Tsahal.
« La phase de nettoyage prend beaucoup de temps car le réseau de tunnels est très étendu », explique le lieutenant Shushan. « Les attaques en surface sont assez faciles, mais nous savons qu’un grand nombre de terroristes nous attendent dans les souterrains. »
La plupart des décisions concernant le lieu à attaquer sont prises par un major qui fait office d’officier de renseignement de la brigade. S’appuyant sur diverses sources, cet officier, un cadre de start-up titulaire d’un doctorat, a dressé une carte du réseau de tunnels de la région, qu’il met continuellement à jour en fonction des derniers renseignements obtenus.
« Nous procédons de manière systématique en allant de tunnel en tunnel, en attaquant les ouvertures sur la base de renseignements, afin d’atteindre les axes principaux et de les détruire », a expliqué Shushan. « C’est ce qui définit la cadence des attaques. »
La rue principale
Quittant le poste de commandement, Shushan m’a emmené voir un important tunnel du bataillon Zeitoun qui allait être détruit le soir même.
Nous sommes passés par des petits vergers et des quartiers résidentiels de villas dans un convoi de quatre Hummers, traversant au passage la rue Salah A-Din, la principale artère nord-sud de la bande de Gaza.
Des morceaux de parpaings, des éclats de verre et des tuyaux tordus bordent les routes, sous les squelettes de maisons encore debout.
Des chiens sauvages et, à l’occasion, des chats viennent fouiner dans les décombres.
Moving through central Gaza near Salah A-Din Street with the 646th Brigade pic.twitter.com/xikbL3gpqx
— Lazar Berman (@Lazar_Berman) January 17, 2024
Nous nous sommes arrêtés sur un chemin de terre bordé de serres en ruines. Des soldats nous attendaient, agenouillés dans le sable, regardant vers une fosse d’où émergeait un tunnel en béton.
Le bataillon de reconnaissance de Shushan a repéré le tunnel lors d’opérations. « Nous avons trouvé de nombreux puits », explique-t-il. « Mais il y a une rue souterraine. Ils sortent des trous, pas de la rue. »
La semaine précédente, l’adjoint de Shushan, Yonti Bahat, a été grièvement blessé par des terroristes armés qui ont surgi de l’une de ces ouvertures à moins de 100 mètres de là. Il a été sauvé par son jeune frère Nadav, qui dirigeait les troupes et l’a rapidement évacué vers un hôpital.
La destruction des puits à elle seule est une tâche sisyphéenne, a déclaré Shushan. « car cela ne prend que quelques jours au Hamas pour construire un nouveau puits », a-t-il ajouté.
La brigade doit ainsi trouver et fermer les principales avenues souterraines.
Découvrir un tunnel comme celui qui se trouve sous nos pieds est un accomplissement majeur, a indiqué Shushan : « Nous parlons de tunnels sur lesquels ils ont travaillé pendant une dizaine d’années. »
« Cela les fait reculer de quelques centaines de mètres », poursuit-il. « Ensuite, nous avançons et trouvons la prochaine artère souterraine principale. »
La brigade s’est attelée à la localisation des tunnels allant du nord au sud, qui permettent aux terroristes de déjouer les efforts d’Israël d’isoler les unes des autres les villes de la bande de Gaza.
C’est le troisième tunnel de ce type qu’ils ont trouvé.
« Mais les réseaux internes existent toujours », a-t-il averti.
Debout dans la fosse devant le tunnel ouvert, Shushan a expliqué qu’il s’agissait d’une intersection importante dans le réseau de tunnels situé sous le quartier.
Les militaires ont vu dans la destruction du tunnel comme une « fermeture de la boucle », car c’est ce tunnel qui avait été utilisé par les terroristes du Hamas qui ont blessé l’adjoint de Shushan, Yonti Bahat.
La destruction du tunnel a pris deux jours, mais mardi soir, la boucle a bien été fermée.
Une enfant perdue
Avant la guerre, la zone où la 646e brigade opère abritait des centaines de milliers de personnes. Aujourd’hui, il en reste peu. Récemment, les troupes ont toutefois découvert quelques dizaines de civils entassés dans une école dans la partie sud de leur secteur.
La brigade qui soupçonnait la présence de terroristes du Hamas parmi les familles a fait une descente dans l’école, séparant les hommes des femmes et des enfants, qui ont été emmenés dans une maison voisine.
Selon Shushan, les troupes auraient trouvé 10 membres présumés du Hamas, qu’elles ont transférés en Israël pour interrogatoire. Les 30 autres hommes présents dans l’école ont été libérés et ont pu se diriger vers le sud, vers des zones protégées.
Il n’y a pas un site, une école, une mosquée ou une maternelle de l’UNRWA où nous n’ayons trouvé d’armes. Pas une !
L’utilisation d’infrastructures civiles par le Hamas est très répandue, a indiqué Shushan. Selon lui, les écoles et les mosquées représentent une menace plus grande que les simples habitations.
« Il n’y a pas un site, une école, une mosquée ou une maternelle de l’UNRWA où nous n’ayons pas trouvé d’armes. Il y en a partout, sans exception », a-t-il affirmé.
L’UNRWA n’a pas réagi aux demandes de commentaires.
En décembre, des réservistes de la 646e brigade ont repéré une petite silhouette qui se dirigeait vers eux à 2 heures du matin. Conformément aux règles d’engagement, les soldats sont tenus d’ouvrir le feu sur tout ce qui émerge devant leur position pendant la nuit, mais ils ont réalisé qu’il s’agissait d’une petite fille.
Les soldats ont réalisé que la petite fille était affamée, déshydratée et qu’elle était pieds nus. Ils l’ont nourrie, l’ont laissée se reposer et lui ont soigné les pieds avant de la confier au Croissant-Rouge palestinien.
— Lazar Berman (@Lazar_Berman) January 15, 2024
« J’aurais pris soin de ma propre fille comme nous avons pris soin de cette enfant », a affirmé Shushan.
Maturité et jugement
C’est la première fois que Shushan dirige des réservistes.
« Ce sont des gens qui ont une certaine maturité et un certain jugement et qui comprennent la complexité de la mission », a-t-il déclaré.
« Ils comprennent qu’ils sont ici pour se battre pour la prochaine génération… pour la sécurité de leurs propres enfants. »
Il n’a pas encore donné de permission aux réservistes, et la motivation reste élevée, a déclaré Shushan.
Le jour de ma visite marquait le centième jour depuis le 7 octobre. En Israël, les familles des otages et une grande partie du reste du pays ont marqué l’occasion par des rassemblements, des manifestations, des grèves et d’autres événements destinés à attirer l’attention sur le sort des plus de 130 otages qui sont aux mains du Hamas depuis 100 jours.
Mais à Gaza, personne, dans les rangs de la 646e brigade, ne savait que c’était le centième jour de guerre.
Ils ne suivent pas les nouvelles de près et ne semblaient pas perturbés par les mois passés loin de l’école, du travail et de la famille.
Selon Shushan, il faudra encore des mois de combat à Israël s’il veut se débarrasser du Hamas définitivement.
« Si nous ne voulons pas devoir revenir ici dans un mois ou dans deux ans, si nous ne voulons pas que nos enfants aient à se battre avec le Hamas, il nous faudra encore un an. »