Israël en guerre - Jour 645

Rechercher
Vue aérienne de Maale Adumim, une implantation de Cisjordanie, à l'extérieur de Jérusalem, le 25 février 2025. (Crédit : Oren Cohen/Flash90)
Vue aérienne de Maale Adumim, une implantation de Cisjordanie, à l'extérieur de Jérusalem, le 25 février 2025. (Crédit : Oren Cohen/Flash90)
Reportage

Le gouvernement profite-t-il de la crise du logement pour favoriser les implantations ?

Alors que l’accès à la propriété devient inaccessible, les Israéliens affluent vers les implantations de Cisjordanie, où ils bénéficient d’un soutien généreux du gouvernement

Lorsque Tova Dvorin a quitté Jérusalem pour s’installer dans l’implantation d’Ariel, en Cisjordanie, en 2013, elle ne s’attendait pas à y vivre encore douze ans plus tard.

« À l’origine, nous sommes venus pour les études de kinésithérapie de mon mari à l’université. Je pensais que ce serait temporaire », a expliqué Dovrin, une mère de trois enfants âgée de 35 ans, en sirotant son café glacé dans un café tranquille d’Ariel, par une journée de mai exceptionnellement chaude.

Responsable du marketing dans une entreprise informatique à Tel Aviv, Dovrin et son époux se sont rapidement sentis chez eux dans cette communauté diversifiée et ont décidé de s’y installer. Ils ont été séduits par la qualité de vie, le mélange entre ambiance urbaine et atmosphère de petite ville, ainsi que par le niveau de vie abordable.

En 2021, le couple a acheté un appartement de quatre chambres et demie pour 1,37 million de shekels, ce qu’ils n’auraient jamais pu se permettre ailleurs dans le pays, selon Dovrin.

Ariel est également l’une des plus grandes implantations israéliennes en Cisjordanie, avec 21 841 habitants selon le Bureau central des statistiques israélien (CBS), et située à plus de quinze kilomètres au-delà de la Ligne verte.

« Des gens normaux vivent ici », dit-elle en riant.

« Il y a des logements abordables et c’est une communauté agréable. »

Tova Dvorin. (Crédit: Autorisation)

La composition démographique de cette petite ville, qui compte plus d’habitants laïcs que de pratiquants, est inhabituelle pour une implantation. Cela peut être attribué, au moins en partie, à la grande vague d’immigrants venus de l’ex-Union soviétique dans les années 1990 et au début des années 2000.

Bien que davantage de familles pratiquantes aient déménagé à Ariel ces dernières années, Dvorin explique que leurs motivations sont plutôt d’ordre pratique, comme les siennes (logements moins chers, meilleure qualité de vie), qu’idéologiques.

Et d’une manière générale, même si Ariel est abordable par rapport au reste d’Israël, c’est loin d’être l’implantation la moins chère.

Dovrin explique qu’elle et son mari avaient envisagé d’acheter dans des implantations voisines telles que Nofei Nehemia, un avant-poste de douze familles environ, considéré comme illégal au regard de la loi israélienne.

« Nous aurions pu acheter un manoir pour le même prix que notre appartement à Ariel », dit-elle. Mais le couple a finalement estimé que c’était trop isolé et intense pour eux.

Son époux travaille désormais de l’autre côté de la rue, elle peut voir la maternelle de sa plus jeune fille depuis la fenêtre et l’école de son aînée se trouve à sept minutes à pied.

« Ici, c’est chez moi », dit-elle.

« L’emplacement est parfait. »

Un point de friction

Les rues d’Ariel sont immaculées, bordées d’arbres, de pelouses impeccablement entretenues et de rangées ordonnées d’immeubles peu élevés et de maisons individuelles. Avec ses aires de jeux, ses cafés, ses pizzerias, son université, son centre des arts du spectacle et bien d’autres choses encore, Ariel ressemble à une ville de banlieue sûre et agréable à vivre.

Construite en 1978 afin d’établir une présence israélienne permanente au cœur de la Cisjordanie et de diviser en deux la partie nord de ce territoire, Ariel a été créée dans le but précis de constituer une véritable bifurcation politique pour l’avenir d’un État palestinien contigu.

L’expansion de cette ville reflète une stratégie plus large dans laquelle l’État encourage la croissance démographique dans les implantations en proposant de nombreuses incitations financières et un soutien du gouvernement.

Un quartier dans l’implantation d’Ariel, en Cisjordanie. (Crédit : Ariela Karmel)

Cette stratégie est devenue de plus en plus pertinente dans un contexte de flambée des prix de l’immobilier et de hausse du coût de la vie en Israël.

Pour de nombreuses jeunes familles de la classe moyenne israélienne, acheter une maison à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël est devenu de plus en plus difficile, le prix moyen d’un appartement dépassant largement les 2 millions de shekels, selon le CBS.

En revanche, les logements dans les implantations de Cisjordanie restent nettement plus abordables. On y trouve souvent des appartements spacieux, voire des maisons individuelles, pour plusieurs centaines de milliers de shekels de moins. Cet écart de prix considérable fait des implantations une option attrayante pour les Israéliens qui n’ont pas les moyens d’acheter ailleurs.

Cette accessibilité financière n’est pas seulement une statistique, c’est un facteur clé qui influence le choix du lieu de résidence de nombreux Israéliens.

Illustration : Des ouvriers palestiniens sur un chantier dans l’implantation israélienne d’Efrat, en Cisjordanie, le 29 septembre 2020. (Crédit : Gershon Elinson/Flash90)

Akiva (qui a demandé que son nom de famille ne soit pas divulgué) et son épouse ont emménagé à Efrat, une implantation située au sud de Jérusalem, en 2018 après leur mariage. Ils ont pu y louer un appartement pour seulement 2 500 shekels, soit beaucoup moins cher que les 4 000 shekels que leurs amis payaient à Jérusalem pour des logements plus petits et plus délabrés.

Le couple a quitté Efrat pour vivre à l’étranger pendant deux ans, sans intention d’y revenir. Mais à leur retour, ils ont constaté que même après une hausse significative des prix (leur loyer avait doublé), cette ville offrait toujours un meilleur rapport qualité-prix que pratiquement n’importe quel autre endroit.

Actuellement sur le point d’acheter, Akiva a déclaré qu’ils resteraient probablement à Efrat, mais qu’ils envisageaient d’habiter dans des implantations moins centrales, comme Kfar Eldad et Nokdim, où les prix de l’immobilier sont encore abordables.

« Elles sont plus à l’est du [Gush d’Etzion], moins conventionnelles, mais au moins on peut y acheter quelque chose », a-t-il expliqué.

L’ancien gouverneur de l’Arkansas Mike Huckabee (2ᵉ à partir de la droite) lors d’une cérémonie au cours de laquelle il a posé des briques dans un complexe immobilier de l’implantation d’Efrat, en Cisjordanie, le 1ᵉʳ août 2018. (Crédit : Jacob Magid/Times of Israel)

Uri Venkert, agent immobilier basé à Naale, à l’extérieur de Modiin, confirme que l’accessibilité financière et la qualité de vie sont les principaux facteurs qui attirent les Israéliens dans cette région.

« Il est encore relativement moins cher d’acheter ici qu’ailleurs », a-t-il déclaré, soulignant qu’un appartement de quatre pièces à Modiin coûte environ le même prix qu’un duplex de 160 mètres carrés avec jardin et cour à Naale.

Naale compte environ 850 familles et accueille un mélange de résidents laïcs et pratiquants, ainsi qu’un nombre notable d’immigrants français et russophones.

Venkert a expliqué que la demande avait explosé après la pandémie de COVID-19. En six mois seulement, en 2023, il a vendu onze maisons à Naale et dans l’implantation voisine de Nili.

Un chantier de construction de logements, dans l’implantation d’Eli, en Cisjordanie, le 11 novembre 2024. (Crédit : Ohad Zwigenberg/AP)

« Les gens ont réalisé à quel point il était difficile de vivre dans un appartement pour quatre personnes sans avoir nulle part où aller », a-t-il déclaré.

« La qualité de vie est très élevée ici. On se croirait dans un kibboutz ou un moshav. »

Parallèlement à la hausse de la demande, les prix ont considérablement augmenté dans des implantations telles que Naale, Nili et Beit Aryeh en 2023, comme le reste du marché. Mais depuis le début de la guerre, la demande a diminué, a ajouté Venkert.

Il s’attend à une nouvelle vague de demande lorsque la Route 446, tant attendue, aura été élargie. Actuellement, cette route étroite à deux voies, reliant le carrefour de Shilat, près de Modiin, à l’échangeur de Baruchin sur la Route 5 au nord, est en cours d’élargissement à quatre voies, avec une voie supplémentaire pour les transports publics. Ce projet d’élargissement est l’un des nombreux investissements du gouvernement dans les infrastructures de Cisjordanie.

L’autoroute est la principale voie d’accès depuis Modiin Ilit, l’une des plus grandes implantations, vers le centre du pays.

Selon Venkert, la route modernisée devrait être opérationnelle courant 2026. « Une fois ouverte, la dynamique changera. Elle est conçue pour accueillir 100 000 personnes par jour », a-t-il déclaré.

L’État providence

Selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme controversé B’Tselem, cette croissance démographique s’explique en partie par les incitations financières accordées par le gouvernement aux citoyens juifs pour qu’ils s’installent dans les implantations de Cisjordanie et y développent des activités économiques.

Vue de l’implantation d’Ariel, en Cisjordanie, le 2 juillet 2020. (Crédit : Sraya Diamant/Flash90)

« L’ensemble du projet israélien – toutes les branches du gouvernement – est impliqué d’une manière ou d’une autre », a déclaré Shaï Parnes, porte-parole de B’Tselem.

L’un des principaux mécanismes utilisés pour canaliser les ressources gouvernementales vers les implantations consiste à désigner la plupart d’entre elles comme zones prioritaires nationales (ZPN). Ces communautés, situées principalement en Judée-Samarie, dans le Néguev et en Galilée, bénéficient d’une série d’avantages, principalement dans les domaines du logement, de l’éducation et des affaires sociales. L’objectif explicite de la désignation « ZPN » est de favoriser leur développement et d’encourager les résidents et les nouveaux immigrants à s’installer dans ces régions.

Parmi les avantages les plus importants, citons les réductions des frais de location foncière, qui réduisent considérablement les coûts du logement. Les décisions prises par le Conseil de l’Autorité foncière israélienne (ILA) en 2016 (n° 1490) et 2017 (n° 1505) ont prévu des réductions de 21 à 41 % sur les baux fonciers résidentiels dans les ZPN, plafonnées à 450 000 shekels, et de 31 à 51 % pour les baux fonciers industriels.

En 2023 et 2024, les politiques publiques ont considérablement élargi ces avantages. Le Premier ministre a annoncé l’an dernier que l’ILA augmenterait les remises de 450 000 à 850 000 shekels pour les primo-accédants dans les ZPN, avec une remise supplémentaire de 10 % pour les réservistes actifs de l’armée israélienne.

Des Juifs ultra-orthodoxes marchant tandis que des ouvriers palestiniens travaillent sur un chantier, dans l’implantation de Beitar Illit, en Cisjordanie, le 14 février 2018. (Crédit : Menahem Kahana/AFP)

Dans certains cas, les taux de remboursement des taxes foncières ont été encore réduits, passant de 31 % à 26 % dans les zones prioritaires « A » et de 51 % à 26 % dans les zones prioritaires « B », pour un montant total de subventions pouvant atteindre 900 000 shekels.

Bien que l’accent ait été mis sur le Néguev et la Galilée, notamment dans le contexte de la guerre actuelle, ces avantages s’appliquent à toutes les ZPN, y compris à de nombreuses localités de Cisjordanie.

Selon le Dr. Shaul Arieli, ancien colonel de Tsahal, expert renommé du conflit israélo-arabe et conseiller auprès de l’Israel Policy Forum, les municipalités de Cisjordanie reçoivent des fonds et des subventions du ministère de l’Intérieur qui sont ensuite versés aux conseils locaux et régionaux.

« En 2022 [dernières données disponibles sur le sujet], les implantations recevaient entre 50 % et 60 % de subventions gouvernementales supplémentaires par rapport aux autres municipalités israéliennes », a déclaré Arieli.

Shaul Arieli, ancien négociateur israélien pour la paix et colonel à la retraite, pointant vers l’implantation de Maaleh Adumim, en Cisjordanie, le 25 septembre 2007. (Crédit : Sebastian Scheiner/AP)

D’après les recherches d’Arieli, le gouvernement israélien a alloué environ 30 milliards de shekels aux municipalités de Cisjordanie entre 2005 et 2022.

Si Arieli souligne que la politique financière d’Israël à l’égard des implantations en Cisjordanie n’avait rien de nouveau, il indique toutefois qu’elle s’était intensifiée sous le gouvernement actuel, en particulier depuis que Bezalel Smotrich, fervent défenseur de longue date du mouvement pro-implantations, est devenu ministre des Finances. Il a fait de l’expansion et de la formalisation du contrôle israélien sur la Cisjordanie un élément clé de son programme.

« [Smotrich] a reclassé treize quartiers situés dans des implantations existantes en implantations indépendantes », a expliqué Arieli.

« De cette manière, il peut leur allouer encore plus d’argent. »

Certains de ces « quartiers » se trouvaient à plusieurs kilomètres de leurs implantations d’origine. Citons par exemple Alon, autrefois considéré comme un quartier de Kfar Adumim, qui se trouve à 3,2 kilomètres.

Smotrich a décrit cette décision prise en mars comme une étape importante vers la « souveraineté [israélienne] de facto » sur la Cisjordanie.

En 2023, le nombre de résidents d’implantations israéliens en Cisjordanie atteignait 517 407 personnes. Une part importante de cette population – près de 40 % selon Arieli – est composée d’ultra-orthodoxes – ou Haredim -, une communauté qui affiche le taux de natalité le plus élevé d’Israël, un faible taux d’activité professionnelle et une forte dépendance aux prestations sociales et au Bituah Leumi – l’Institut national d’assurance.

Les deux implantations les plus importantes et les plus dynamiques, Modiin Illit et Beitar Illit, sont toutes deux habitées par des Haredim et comptent environ 145 000 habitants, soit environ 28 % de l’ensemble des résidents d’implantations de Cisjordanie.

La ministre des Implantations et des Projets nationaux, Orit Strouk (2ᵉ en partant de la droite), et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich (3ᵉ en partant de la gauche), assistant à une cérémonie de remise de quads à l’avant-postes agricole illégal de Meitarim Farm, le 3 avril 2025. (Crédit : Freddy Barmi)

Selon Arieli, 42 % de la population des implantations vit sous le seuil de pauvreté, soit le double de la moyenne nationale (20 %), une tendance qui, selon lui, s’explique en grande partie par le profil socio-économique de la population des implantations.

L’immigration a ralenti ces dernières années, a-t-il affirmé, et le nombre d’Israéliens qui s’installent à l’étranger est supérieur à celui des nouveaux immigrants arrivant en Israël. Cependant, la population des implantations continue d’augmenter.

« Les chiffres augmentent chaque année », a déclaré Arieli.

« Smotrich tente de la renforcer [la tendance] encore davantage. » (Ni le cabinet du Premier ministre ni celui du ministre des Finances Bezalel Smotrich n’ont répondu à notre demande de commentaires.)

Bien que les données complètes pour 2023 n’aient pas encore été publiées, Arieli ne s’attend pas à de grands changements.

« Nous travaillons toujours avec les chiffres de 2022 », a-t-il déclaré.

« Mais la tendance est claire. Cette politique n’a pas seulement été poursuivie, elle est devenue plus agressive sous les derniers gouvernements, y compris celui de [Naftali] Bennett, et certainement sous le gouvernement actuel. »

Selon Arieli, l’objectif est clair : ancrer les réalités démographiques et infrastructurelles sur les terres de Cisjordanie d’une manière que la force militaire seule ne peut accomplir, et ainsi réduire la possibilité d’une solution à deux États.

« Si la population des implantations devient suffisamment importante, il deviendra politiquement impossible de parler d’évacuation », a-t-il averti.

En savoir plus sur :
S'inscrire ou se connecter
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
Se connecter avec
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation
S'inscrire pour continuer
Se connecter avec
Se connecter pour continuer
S'inscrire ou se connecter
Se connecter avec
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un email à gal@rgbmedia.org.
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.
image
Inscrivez-vous gratuitement
et continuez votre lecture
L'inscription vous permet également de commenter les articles et nous aide à améliorer votre expérience. Cela ne prend que quelques secondes.
Déjà inscrit ? Entrez votre email pour vous connecter.
Veuillez utiliser le format suivant : example@domain.com
SE CONNECTER AVEC
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions d'utilisation. Une fois inscrit, vous recevrez gratuitement notre Une du Jour.
Register to continue
SE CONNECTER AVEC
Log in to continue
Connectez-vous ou inscrivez-vous
SE CONNECTER AVEC
check your email
Consultez vos mails
Nous vous avons envoyé un e-mail à .
Il contient un lien qui vous permettra de vous connecter.