Le lieutenant-colonel (Rés.) Hisham Abu Raya est un précurseur. En 2008, à l’âge de 24 ans, il est devenu le premier officier musulman non bédouin de l’armée israélienne. Aujourd’hui, à 40 ans, il veut être un modèle pour les jeunes de sa communauté et prouver que le service du pays est la clé de la réussite dans la société israélienne.
Si le service militaire en Israël est obligatoire pour les jeunes hommes et femmes juifs, ainsi que pour les jeunes hommes issus des minorités druze et circassienne, il est facultatif pour toutes les autres communautés. Des centaines de Bédouins s’enrôlent volontairement chaque année, mais les autres Arabes israéliens – musulmans et chrétiens – ont historiquement boudé l’armée, principalement par solidarité avec les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.
« Jusqu’à il y a dix ans, le nombre de recrues musulmanes non bédouines dans l’armée se comptait sur les doigts d’une main », a rappelé Abu Raya lors d’un récent entretien téléphonique accordé au Times of Israel depuis sa ville natale de Sakhnin, dans le nord d’Israël. Mais aujourd’hui, il affirme que son histoire personnelle, bien que toujours exceptionnelle, n’est plus unique.
Abu Raya a été démobilisé avec le grade de major en 2018, et a été promu lieutenant-colonel réserviste en 2022. Aujourd’hui, il travaille comme agent de liaison entre le Commandement du Front intérieur et la municipalité bédouine de Tuba al-Zangariya, dans le nord du pays.
Immédiatement après sa démobilisation en 2018, il a fondé « Maan » (qui signifie « ensemble » en arabe), un projet visant à renforcer les liens entre l’État d’Israël et les jeunes citoyens arabes et à renforcer leur sentiment d’appartenance.
Dans ce cadre, il a lancé un projet qui se déroule aujourd’hui dans vingt écoles de quartiers musulmans pour le compte du ministère de la Défense, afin d’améliorer les connaissances des élèves en matière d’histoire et d’éducation civique israéliennes et de promouvoir le recrutement au sein de Tsahal.
« Certains jeunes Arabes que je rencontre ne savent même pas qui était [le Premier ministre assassiné] Yitzhak Rabin », a-t-il déclaré. « Même si je ne parviens pas à les convaincre de s’engager, à la fin du programme, au moins ils en savent plus sur la société israélienne. »
Le programme existe également dans les écoles arabes chrétiennes, où les organisateurs rencontrent « plus d’ouverture [d’esprit] », a précisé Abu Raya. Et si toutes les écoles des zones musulmanes ne décident pas encore de participer à cette formation, les choses commencent à changer dans sa communauté, selon lui. Certains élèves se présentent au cours après avoir regardé d’innombrables heures de vidéos de combat sur le site web de Tsahal et sur YouTube, et savent exactement où ils veulent servir, a-t-il poursuivi.
Selon cet officier, beaucoup ont pour objectif de rejoindre des unités de combat, notamment la légendaire Brigade Golani. Beaucoup souhaitent également rejoindre la police des frontières ou le bataillon de reconnaissance du désert – Gadsar 585 -, une unité autrefois réservée aux Bédouins et qui accueille aujourd’hui d’autres minorités.
En juin 2022, Abu Raya a participé à l’organisation de la première Gadna, un programme préparatoire d’une semaine pour les nouvelles recrues, destiné aux jeunes musulmans.
Abu Raya estime aujourd’hui qu’il y a « quelques centaines » de soldats de sa communauté enrôlés dans Tsahal, ajoutant que les rangs grossissent. L’armée n’a pas pu fournir de chiffres exacts au Times of Israel.
« Si vous voulez progresser dans la société israélienne et vous sentir égal, le service militaire est votre ticket d’entrée. C’est ainsi que cela s’est passé pour moi. L’armée m’a accueilli », a déclaré Abu Raya.
« Tous les Arabes que je connais qui ont fait leur service militaire sont aujourd’hui propriétaires d’une maison et ont un emploi stable. Ils ont progressé dans la vie. »
La stabilité financière n’est toutefois pas la seule raison pour laquelle les jeunes hommes arabes devraient servir leur pays, selon Abu Raya.
« Nous avons un énorme problème de criminalité en bande dans la société arabe. La conscription dans Tsahal, ou servir de toute autre manière, que ce soit dans la police, dans le [service de secours du] Magen David Adom ou le service national, peut aider nos jeunes à devenir de bons citoyens. »
La criminalité au sein de la communauté arabe est montée en flèche ces dernières années, avec plus d’Arabes tués dans des homicides en 2023 qu’au cours des années précédentes, dans un contexte de prolifération sans précédent des armes à feu illégales.
Abu Raya affirme que l’intérêt pour l’enrôlement au sein de sa communauté cible est en hausse depuis des années, mais qu’il a connu un pic après le pogrom du 7 octobre perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas, au cours duquel les terroristes ont tué plus de 1 200 personnes dans des actes de brutalité et ont enlevé 251 otages, emportés de force à Gaza.
« Le 7 octobre, les Arabes israéliens ont compris. Ils ont vu que le Hamas ouvrait le feu sur tout le monde et ne faisait pas de distinction entre les citoyens juifs et musulmans », a déclaré Abu Raya.
« Et il y a toujours des otages musulmans aux mains du Hamas. Il en a été de même lors de la Deuxième Guerre du Liban en 2006 : près de la moitié des victimes civiles en Israël étaient arabes. Les roquettes ne font pas de distinction entre Moshe et Ali. »
Lors de la guerre de 2006, 18 des 43 civils tués par des roquettes du groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah étaient arabes.
Abu Raya a relaté des faits anecdotiques qui l’ont amené à conclure que le 7 octobre avait provoqué un changement sismique.
« Un père de Kafr Qara m’a appelé après le 7 octobre pour me dire qu’il était consterné par ce qu’il voyait se passer près de Gaza et qu’il voulait que ses trois fils soient enrôlés. Il a juré qu’il les conduirait bientôt dans un centre de recrutement dans une zone bédouine. »
Anan, an 18-year-old Israeli Muslim Arab, recently swore the oath on the Qur’an to serve in the IDF and protect Israel and its citizens.@YosephHaddad pic.twitter.com/yz4y0dvpT6
— Yonatan Gonen (@GonenYonatan) June 30, 2024
Parler ouvertement de leurs intentions au sein de leurs communautés reste toutefois tabou. L’opposition à Tsahal reste ancrée dans la société arabe, en particulier chez les musulmans, et ceux qui se rendent dans leurs villes en uniforme sont souvent marqués comme des traîtres, a expliqué Abu Raya.
Mais il est convaincu que, sous la surface, le changement est palpable.
L’officier réserviste a lui-même dû subir les conséquences douloureuses de son choix de carrière dans sa vie personnelle.
La décision d’Abu Raya de s’engager a été prise à l’âge de 23 ans, alors qu’il préparait une licence d’hébreu à l’Université Ben Gurion, dans la ville de Beer Sheva, au sud du pays. À l’occasion de la fête de Yom HaAtsmaout en 2006, Tsahal avait organisé un salon consacré à l’enrôlement dans la ville bédouine voisine de Rahat.
Abu Raya avait assisté à l’événement avec quelques camarades juifs de l’université, qui avaient terminé leur service militaire obligatoire et connaissaient le contenu du salon. Il s’était senti exclu d’avoir manqué ce qu’il considérait comme une expérience formatrice et avait alors décidé de combler le fossé avec ses pairs.
La décision a toutefois été difficile à prendre. Dans les semaines qui ont précédé son enrôlement, Abu Raya a raconté qu’il avait l’estomac retourné par l’angoisse, car il s’attendait à une forte réaction de la part de sa famille religieuse et conservatrice et de sa communauté à Sakhnin, une région qu’il décrit comme soutenant farouchement le nationalisme palestinien.
Le jour de son enrôlement, il était très nerveux lorsqu’il s’est présenté au centre de recrutement. Il est entré et sorti six ou sept fois en hésitant, attirant l’attention d’un agent de sécurité qui a appelé la police.
Finalement, après qu’il eut expliqué sa situation, les officiers de l’armée ont décidé que son profil lui permettait de rejoindre le Corps de l’Éducation et de la Jeunesse. Après sa formation de base, il a été chargé d’un groupe de recrues bédouines.
Son commandant a remarqué ses compétences et, quelques mois plus tard, l’a encouragé à suivre un cours d’officier. C’est ainsi qu’il est devenu le premier musulman non bédouin de Tsahal à franchir le pas.
Pendant son stage, il était chargé de diriger Bental, une compagnie militaire composée exclusivement de Juifs religieux. Le premier jour, le fait qu’il se soit présenté comme « Hisham [originaire] de Sakhnin » a provoqué un émoi parmi ses recrues, suivi d’une myriade de questions. Mais au fil du temps, un lien s’est créé entre les camarades.
« Je me suis vite retrouvé au sein d’une nouvelle famille que je n’aurais jamais imaginé avoir », s’est-il souvenu.
La famille de sang d’Abu Raya, dans le nord, n’était toujours pas au courant de la nouvelle phase de sa vie et croyait qu’il était toujours étudiant à Ben Gurion. Il rentrait chez lui le week-end en civil, laissant son uniforme à un camarade juif qui l’apportait à sa mère pour qu’elle le lave et le repasse.
À la fin de son cours d’officier, une cérémonie a été organisée pour honorer les nouveaux officiers, et Abu Raya a fièrement pu endosser son nouveau grade.
Au cours de la cérémonie, il a été approché par une personne tenant une caméra qui lui demanda une brève interview. Il a accepté, croyant qu’il tournait une vidéo d’hommage à son unité.
Il était loin de se douter que le caméraman filmait un reportage en direct pour la Dixième chaîne et, comme par hasard, sa famille était assise à la maison en train de regarder les informations quand ils l’ont vu à l’écran, vêtu de l’uniforme de Tsahal.
Le week-end suivant, Abu Raya est rentré chez lui comme d’habitude, ses manuels universitaires sous le bras. Mais sa famille ne l’a pas accueilli avec la chaleur habituelle. Son père l’a reçu avec un visage grave « que je n’oublierai jamais », l’a qualifié de traître et l’a réprimandé pour avoir déshonoré sa famille.
Ses parents et ses frères et sœurs ont rompu tout contact avec lui pendant près de trois ans. Cette période a été marquée par le chagrin, mais pas par le regret.
« C’est dur de perdre sa famille, de ne pas pouvoir dire bonjour à sa mère tous les jours, de ne pas pouvoir serrer son père dans ses bras, de ne pas pouvoir s’asseoir avec ses frères », s’est souvenu Abu Raya.
« Je savais ce que ressentait mon père, mais d’un autre côté, je me demandais sans cesse ce que j’avais fait de mal. Je n’avais aucune raison d’avoir honte. Je n’ai ni volé, ni dérobé, ni violé. Je n’ai échoué dans aucun domaine. Je suis devenu officier, ce qui devrait être une source d’honneur pour la famille », a-t-il poursuivi.
Grâce à la médiation de l’une de ses sœurs qui vivait également à Beer Sheva, Abu Raya a finalement réussi à rétablir les liens avec ses parents et à les persuader qu’il poursuivait une carrière comme les autres. Lorsqu’il a été promu major, son père a même assisté à la cérémonie.
« J’ai enfin senti qu’il était fier de moi », a déclaré Abu Raya.
Malheureusement, son père est décédé une semaine après sa promotion, suivi de sa mère peu de temps après.
Les conflits avec sa communauté étaient loin d’être terminés. En 2010, Abu Raya a de nouveau été interviewé pour un reportage télévisé et a pris la parole pour encourager les jeunes Arabes israéliens à rejoindre les forces de sécurité israéliennes et à contribuer à leur pays. Le reportage a été repris par un média en langue arabe et, dans les heures qui ont suivi, Abu Raya a reçu des dizaines de menaces.
« J’ai été insulté à maintes reprises dans la rue et plus encore. Malheureusement, certaines de ces menaces se sont concrétisées. On a jeté des pierres sur ma propriété et, pendant un certain temps, je n’ai pu me déplacer que sous escorte policière. Ce n’est pas un sentiment agréable », a-t-il déploré.
« Une fois, quelqu’un a jeté une bouteille en verre dans ma voiture et a frappé mon fils aîné à la tête, parce que j’avais un drapeau israélien sur mon rétroviseur », a raconté Abu Raya.
« Mais les auteurs ont été arrêtés et condamnés, et justice a été rendue. »
La violence verbale et physique ne l’a pas découragé. Il vit toujours à Sakhnin. Il a travaillé dans le Corps de l’Éducation, puis dans le Commandement du Front intérieur.
« J’avais le choix entre déménager à Karmiel » – une ville juive voisine –
« ou rester dans mon village, aller à contre-courant, me battre et servir d’exemple à tous les jeunes d’ici », a-t-il raconté.
« J’ai choisi cette dernière option. Je sais que Tsahal est de mon côté. L’armée ne m’a jamais abandonné. »