KIBBOUTZ BEERI – Dans le salon criblé de balles qui appartenait autrefois à Maayan et Yuval Bar, la fille du couple assassiné contemple de vieilles photos de famille.
Son bébé de six mois est endormi dans un landau lilas, qui contraste avec la maison carbonisée et criblée d’éclats d’obus. Toute la façade de l’ancienne résidence a été détruite, exposant l’intérieur de la maison à la cour avant. Les dégâts ont eu lieu le 7 octobre, lors du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas au kibboutz Beeri et dans d’autres localités proches de la frontière avec la bande de Gaza. Ce jour-là, près de 1 200 personnes ont été assassinées et 251 autres ont été enlevées pour être emmenées à Gaza.
Noya Vered-Bar est née à Beeri, mais a quitté le kibboutz il y a plusieurs années. Avec son mari Ido, ils sont venus trier des photos pour un humble mémorial : une simple chaîne de photos accrochée à une corde à linge. C’est en constatant l’afflux de visiteurs sur les lieux de l’attaque, lors de leurs visites au kibboutz après l’assaut sanglant, qu’ils ont décidé de créer ce petit mémorial.
« Nous voulions aussi montrer ce qu’était la vie avant toute cette destruction », a expliqué Ido Vered-Bar.
Pour des communautés aussi touchées que Beeri, le retour à la vie telle qu’elle était avant le massacre n’est pas une tâche facile. Nombre d’entre elles sont encore largement inoccupées. Tandis que leurs habitants vivent ailleurs, les équipes de démolition détruisent les uns après les autres les bâtiments condamnés dans des quartiers entiers. Ces quartiers, autrefois vivants et pittoresques, sont aujourd’hui anéantis par les bombardements.
Pour les habitants qui reviennent régulièrement, ces images font remonter des traumatismes inévitables.
De plus, les survivants ont le sentiment d’avoir été doublement abandonnés par l’État, premièrement par les défaillances qui ont conduit au pogrom, et deuxièmement dans les efforts de réhabilitation, ce qui ne fait qu’aggraver la situation.

Alors qu’elle passait devant ce qui reste de la maison d’enfance de Noya, Nira Shpak, une survivante de l’attaque du 7 octobre, vient prendre des nouvelles de la famille. Shpak, ancienne députée du parti Yesh Atid dirigé par le chef de l’opposition Yair Lapid, était à Beeri la semaine dernière avec des journalistes du Times of Israel, qu’elle avait déjà rencontrés dans son propre kibboutz, Kfar Aza, situé à proximité. Elle entre et discute un peu avec Noya, parlant du bébé de cette dernière, tout en lui posant délicatement la main sur l’épaule, en signe de soutien. Les maisons ravagées et les scènes de massacre qui parsèment les villes et les communautés de la région sont des rappels particulièrement frappants des horreurs du 7 octobre, explique Shpak, 57 ans.
« Pour nous, même les chemins et les routes en apparence paisibles sont susceptibles de nous faire revivre des traumatismes », a déclaré Nira Shpak.

Des rappels douloureux
Shpak, qui a survécu à l’invasion de Kfar Aza le 7 octobre dans un mamad tout en coordonnant les efforts de sauvetage avec ses contacts dans l’armée, montre un coin de verdure près de la place.
« Quand vous voyez cela, vous voyez probablement un bel espace vert. Mais je vois l’endroit où j’ai trouvé le corps de mon voisin dans une Jeep », explique-t-elle. « Chaque ruelle a sa propre histoire d’horreur », ajoute Shpak, mère de trois grands enfants.
D’autres lieux évoquent un mélange de colère, d’impuissance et d’humiliation.
« Ils sont entrés par cette porte, se sont appropriés les lieux et ont mis en place un service de navettes pour transporter les otages vers Gaza, en faisant des rondes », a raconté Shpak, en parlant des terroristes. Elle a fait visiter la grille à l’arrière du kibboutz Kfar Aza, qui donne une large vue sur le quartier de Shejaiya à Gaza, et où l’armée israélienne se battait au moment de la visite.

À Kfar Aza, qui comptait environ 900 habitants le 7 octobre, les terroristes du Hamas ont assassiné 62 personnes. Deux autres ont été tuées accidentellement par les troupes israéliennes et 19 autres ont été enlevées, dont cinq seraient encore aux mains des terroristes à Gaza. Le kibboutz fait partie de ceux – avec Beeri, Nir Oz et Nahal Oz – qui ont été les plus durement touchés le 7 octobre. Les survivants des massacres de ces endroits vivent ailleurs dans des logements temporaires (dans le cas de Kfar Aza, la plupart sont logés au kibboutz Shefayim, près de Herzliya ; les survivants de Beeri vivent pour la plupart dans des hôtels au bord de la mer Morte).
L’autorité gouvernementale Tekuma, chargée de la réhabilitation des communautés limitrophes de Gaza infiltrées pendant l’assaut, a entrepris la reconstruction des infrastructures et des bâtiments des communautés endommagées. Les travaux devraient se poursuivre pendant encore au moins un an dans les huit communautés fortement détruites.
Le gouvernement a alloué environ 19 milliards de shekels au budget de l’Autorité de Tekuma. La coalition a adopté de nombreuses lois et règlements visant à soutenir les communautés envahies.
Pendant ce temps, les voisins des communautés moins endommagées aident à entretenir celles qui ont été évacuées (le kibboutz Beit Hashita, par exemple, envoie ses paysagistes pour arroser et tailler la végétation de Kfar Aza, un acte qui inspire espoir et gratitude à Shpak et à beaucoup d’autres survivants).
Des douleurs lancinantes
Quelques habitants sont déjà retournés dans leurs communautés détruites, notamment Shahar Shnorman et Ayelet Cohen, le seul couple qui vit actuellement de façon permanente à Kfar Aza. D’autres reviennent quotidiennement dans leur communauté ravagée parce qu’ils y travaillent, généralement dans l’une des usines des kibboutz de la région. D’autres encore comptent les jours jusqu’à ce qu’ils puissent rentrer chez eux.

Rita Lifshitz, par exemple, essaie de visiter Nir Oz tous les vendredis soirs. Lors de ces visites, elle pense à Oded Lifshitz, otage présumé à Gaza et père de son ex-mari.
« Je bois une bière sur le banc où nous avions l’habitude de boire une bière ensemble le vendredi soir. C’est ma façon de montrer qu’il est avec moi », explique Lifshitz, qui a immigré en Israël depuis la Suède dans les années 1980 et qui vit aujourd’hui à Kiryat Gat avec le reste des personnes évacuées de Nir Oz.
Raaya Rotem et sa fille Hila sont venues à Beeri jeudi pour voir leur maison en train d’être démolie par une équipe de démolisseurs. Elles ont toutes deux été prises en otage le 7 octobre et emmenées à Gaza. Rotem a été libérée le 29 novembre, soit quelques jours après la libération de Hila et de son amie Emily Hand, qui était venue dormir chez elle la nuit du 6 au 7.
« C’est un sentiment étrange », explique Rotem. « De toute façon, cet endroit n’est plus une maison », dit-elle en faisant référence au tas de décombres qui constituait son logement.

D’autres ne veulent pas revenir. Un résident du kibboutz Beeri, qui a parlé au Times of Israel sous couvert d’anonymat, a indiqué que sa femme n’était pas revenue une seule fois à Beeri depuis le 7 octobre, date à laquelle elle a lutté pour empêcher les terroristes d’ouvrir le loquet de leur mamad pendant qu’il combattait les assaillants avec l’équipe d’urgence locale. Il a été grièvement blessé et a failli mourir durant les combats ; il a vu plusieurs de ses amis se faire tuer.
Lui cependant souhaiterait retourner à Beeri et est favorable à la reconstruction des structures détruites par la guerre plutôt qu’à leur préservation à des fins commémoratives. « Personne ne veut vivre à Auschwitz », a-t-il déclaré, à proximité de la clinique dentaire Beeri, entièrement détruite, où il s’était réfugié avec plusieurs autres personnes avant que les terroristes du Hamas n’assassinent la plupart d’entre eux.
Sa femme, dit-il, ne lui a toujours pas pardonné d’être parti au combat et de l’avoir laissée seule avec leurs jeunes enfants. La perspective d’un retour est une question non résolue pour le couple, comme pour beaucoup d’autres membres des communautés fortement touchées de la région de Tekuma, également connue sous le nom d’e@snveloppe de Gaza.
Lorsqu’on lui a demandé s’il pensait pouvoir assurer la sécurité de sa famille à l’avenir, l’homme a répondu : « Peut-être. »

Plusieurs années avant l’attaque du 7 octobre, l’armée israélienne avait réduit le nombre de fusils dans l’armurerie de Beeri de 35 à six, invoquant des craintes de cambriolage, a expliqué l’homme blessé.
Quelques mois avant l’attaque, l’armée avait demandé à l’équipe d’urgence de placer les six fusils dans l’armurerie au lieu de les conserver dans un coffre-fort au domicile des membres de l’équipe. Certains membres de l’équipe de Beeri ont refusé, craignant que cela ne complique leur délai d’intervention. Cette décision a probablement sauvé la vie de l’homme blessé et d’autres personnes, car ils étaient déjà armés lorsqu’ils sont arrivés à l’armurerie, qui était encerclée par les terroristes.
À Kfar Aza, où l’équipe d’urgence s’est conformée aux ordres de Tsahal et a déposé ses fusils dans l’armurerie, tous les membres de l’équipe ont été tués en essayant de l’atteindre, a souligné Shpak.
« Si tu t’étais comporté comme un bon garçon et que tu avais fait ce qu’on te demandait, tu ne serais pas là aujourd’hui », a-t-elle dit au blessé de Beeri.
La myopie et la complaisance qui se reflètent dans la politique d’armement des autorités, a déclaré Shpak, « soulèvent de sérieuses questions ».
Des échecs négligés
Shpak et le membre de l’équipe d’urgence blessé, qui ont tous deux une vaste expérience militaire, essaient de comprendre les échecs qui ont permis aux terroristes de massacrer leurs communautés.
Les résultats d’une enquête de l’armée sur Beeri, publiés jeudi, « contiennent tous les détails, mais ne relient pas les points, ne reconnaissent pas l’ampleur de l’échec et ne reflètent pas un changement fondamental de perception. Cette lecture m’a attristé. Je me suis senti seul », a-t-il déclaré.

Shpak, quant à elle, s’efforce de remédier aux « profonds » échecs du gouvernement après le 7 octobre en aidant la population ébranlée à se réadapter. En tant qu’ancienne politicienne ayant des liens avec le ministère de la Défense et au-delà, elle est devenue une avocate des droits des victimes à la Knesset et dans les médias.
Selon elle, les indemnités financées par le gouvernement pour les biens détruits sont insuffisantes : elles ne dépassent pas 90 000 shekels et sont divisées par deux pour les personnes divorcées vivant dans des ménages séparés. Par ailleurs, des dysfonctionnements dans la procédure d’enterrement de certains morts ont entraîné des erreurs qui compliquent le processus de guérison des parents survivants, a indiqué Shpak.
« C’est une série d’échecs, l’un après l’autre, et cela continue », a-t-elle ajouté. La région de Tekuma dit adapter ses solutions à chaque communauté, mais pour Shpak, il s’agit d’un effort unique qui ne répond pas à certains besoins individuels. « La réponse doit être taillée en fonction de la personne, de la famille, de la communauté », a-t-elle expliqué.
La douleur causée par les otages retenus à Gaza depuis des mois et « l’absence totale de réponses », comme le dit Shpak, sur les conditions qui ont rendu cette assaut possible, l’empêchent de croire qu’une telle situation ne se reproduira pas dans la région de Tekuma ou ailleurs en Israël.
Mais « le désespoir n’est pas un plan d’action », a affirmé l’homme de Beeri. « Et oui, il y a de l’espoir. Nous le voyons dans les usines qui ont repris le travail dans les semaines, voire les jours, qui ont suivi le 7 octobre. Et nous le voyons tous les jours dans notre hôtel, où nous organisons des activités éducatives et sociales pour une communauté dont la grande majorité est tournée vers le retour et la renaissance. »